Résumé de la foi
catholique
Par saint Bonaventure, de
l'ordre des Frères mendiants, Docteur de l'Eglise
PROLOGUE.. 3
§
1. La Largeur de la sainte Ecriture. 5
§
2. La Longueur de la sainte Ecriture. 6
§
3. La Hauteur de la sainte Ecriture. 7
§
4. La Profondeur de la sainte Ecriture. 8
§
5. Les modes de procéder de la sainte Ecriture.9
§
6. Comment enseigner la sainte Ecriture.10
PARTIE
I: LA TRINITE DE DIEU.. 11
Chapitre
1: Les sept parties de la théologie. 12
Chapitre
2: Ce qu’il faut admettre sur la trinité des personnes et l’unité de
l’essence.13
Chapitre
3: L’intelligence sensée de cette foi.14
Chapitre
4: L’expression catholique de cette foi15
Chapitre
5: L’unité de la nature divine dans ses multiples apparitions. 17
Chapitre
6: L’unité de la nature divine dans ses multiples appropriations.19
Chapitre
7: La toute-puissance de Dieu. 20
Chapitre
1: La sagesse, la prédestination et la prescience de Dieu. 21
Chapitre
9: La volonté et la providence de Dieu. 24
PARTIE
II: LE MONDE CRÉATURE DE DIEU.. 25
Chapitre
1: La production du monde comme un tout25
Chapitre
2: La nature corporelle dans sa genèse. 26
Chapitre
3: La nature corporelle dans son être. 28
Chapitre
4: La nature corporelle dans son agir et dans son influence. 29
Chapitre
5: La manière dont la sainte Ecriture décrit la création. 30
Chapitre
6: La création des esprits supérieurs. 32
Chapitre
7: L’apostasie des démons. 33
Chapitre
8: La confirmation des bons anges. 34
Chapitre
9: La création de l’homme dans son âme. 35
Chapitre
10: La création de l'homme dans le corps. 37
Chapitre
11: La création de l’homme corps et âme. 38
Chapitre
12: L’accomplissement et l’ordonnance du monde achevé. 40
PARTIE
III: LA CORRUPTION DU PÉCHÉ.. 41
Chapitre
1: L’origine du mal en général41
Chapitre
2: La tentation de nos premiers parents. 42
Chapitre
3: La transgression de nos premiers parents. 43
Chapitre
4: La punition de nos premiers parents. 44
Chapitre
5: La corruption du péché originel45
Chapitre
6: La transmission du péché originel47
Chapitre
7: La guérison du péché originel48
Chapitre
8: L’origine des péchés actuels. 49
Chapitre
1: L’origine et la distinction des péchés capitaux. 51
Chapitre
10: L’origine et la qualité des péchés pénaux. 52
Chapitre
11: L’origine des péchés finals qui sont les péchés contre le Saint
Esprit54
PARTIE
IV: L'INCARNATION DU VERBE.. 55
Chapitre
12: La raison pour laquelle il fallait ou il convenait que le Verbe de Dieu
s’incarne. 55
Chapitre
1: L’union des natures dans l’Incarnation. 57
Chapitre
3: Le mode de l’Incarnation. 58
Chapitre
4: La plénitude des temps de l’Incarnation. 60
Chapitre
5: La plénitude des charismes dans l’affectivité du Christ61
Chapitre
6: La plénitude de la sagesse dans l’intelligence du Christ62
Chapitre
7: La perfection du mérite dans l’agir du Christ64
Chapitre
8: La souffrance du Christ65
Chapitre
9: Comment le Christ a souffert67
Chapitre
10: Le fruit de la passion du Christ69
PARTIE
V: LA GRACE DU SAINT ESPRIT.. 70
Chapitre
1: La grâce, don de Dieu. 70
Chapitre
2: La grâce aide pour le bien méritoire. 72
Chapitre
3: La grâce remède du péché. 74
Chapitre
4: La ramification de la grâce dans les habitus des vertus. 75
Chapitre
5: La ramification de la grâce dans les habitus des dons. 77
Chapitre
7: L’exercice de la grâce dans les vérités à croire. 81
Chapitre
8: L’exercice de la grâce dans les objets à aimermmm.. 82
Chapitre
9: La grâce, les préceptes et les conseils. 84
Chapitre
10: L’exercice de la grâce dans l’objet de notre prière. 85
PARTIE
VI: LES REMÈDES SACRAMENTELS. 87
Chapitre
1: L’origine des sacrements. 87
Chapitre
2: La variation des sacrements. 89
Chapitre
3: Le nombre et la distinction des sacrements. 90
Chapitre
4: L’institution des sacrements. 92
Chapitre
5: L’administration des sacrements. 93
Chapitre
6: La réitération des sacrements. 95
Chapitre
7: La constitution et l’intégrité du baptême. 96
Chapitre
8: L’intégrité de la confirmation. 98
Chapitre
9: L’intégrité de l’eucharistie. 99
Chapitre
10: L’intégrité de la pénitence. 102
Chapitre
11: L’intégrité de l’extrême-onction. 103
Chapitre
12: L’intégrité de l’ordre. 105
Chapitre
12: L’intégrité du mariage.107
PARTIE
VII: LE JUGEMENT DERNIER.. 109
Chapitre
1: L’état du jugement final109
Chapitre
2: Le Purgatoire. 111
Chapitre
3: Les suffrages de Eglise. 112
Chapitre
4: La conflagration des feux. 114
Chapitre
5: La résurrection des corps. 116
Chapitre
6: La peine de l’enfer. 118
Chapitre
7: La gloire du Paradis. 120
1. Je fléchis les genoux devant le Père de Notre
Seigneur Jésus-Christ, de qui toute paternité au ciel et sur terre, tire son
nom. Qu’il vous accorde, selon les richesses de sa gloire, la puissance d’être
fortifiés par son Esprit dans l’homme intérieur, que le Christ habite en vos
coeurs par la foi; enracinés et fondés dans la charité, il vous sera alors
possible de comprendre avec tous les saints, ce qu’est la Largeur, la Longueur,
la Hauteur et la Profondeur, de connaître la charité du Christ qui surpasse la
connaissance, et ainsi vous serez remplis jusqu’à toute la plénitude de
Dieu.
Le grand
docteur des nations, grand prédicateur de vérité, rempli du divin Esprit, comme
un vase choisi et sanctifié, explique dans ce texte, l’origine, le développement
et l’aboutissement de la sainte Ecriture qui est appelée théologie. Il insinue
que l’origine de l’Ecriture est à chercher dans l’influence de la bienheureuse
Trinité, que son développement est proportionné à l’exigence de la capa cite
humaine, que son aboutissement enfin ou son fruit consiste dans la surabondance
de la débordante félicité.
2. Car l’origine de l’Ecriture ne se
situe pas dans la recherche humaine, mais dans la divine révélation qui provient
du Père des lumières, de qui toute paternité au ciel et sur terre tire son nom.
De lui, par son Fils Jésus-Christ s’écoule en nous l’Esprit Saint. Par l’Esprit
Saint, partageant et distribuant ses dons à chacun de nous selon sa volonté, la
foi nous est donnée et par la foi, le Christ habite en nos coeurs. Telle est la
connaissance de Jésus-Christ de laquelle découle comme de sa source, la fermeté
et l’intelligence de toute la sainte Ecriture.
Il est donc
impossible d’entrer dans la connaissance de l’Ecriture sans d’abord posséder la
foi infuse du Christ, comme la lumière, la porte et aussi le fondement de toute
l’Ecriture. Car la foi, aussi longtemps que nous vivons en exil loin du
Seigneur, est elle-même le fondement stable, la lumière directrice et la porte
d’entrée dans toutes les illuminations surnaturelles. Selon la mesure de cette
foi, doit être mesurée la sagesse qui nous est donnée par Dieu, afin de ne pas
goûter plus qu’on ne doit, mais de goûter avec sobriété et selon la mesure de
foi que Dieu départit à chacun. Par la médiation de cette foi, la connaissance
de la sainte Ecriture nous est donnée selon l’influence de la bienheureuse
Trinité, comme l’indique expressément l’Apôtre dans la première partie du texte
cité.
3. Le développement de la sainte Ecriture
n’est pas enfermé dans les lois des raisonnements, des définitions et des
divisions selon les règles des autres sciences, il n’est pas non plus restreint
à une partie de l’universalité. Bien plutôt, puisque la sainte Ecriture procède
selon une lumière surnaturelle pour donner à l’homme ici-bas une connaissance
suffisante des choses, comme l’exige son sa lut, tantôt par des paroles claires,
tantôt par des paroles mystérieuses, elle décrit le contenu de tout l’univers
comme dans une somme, et par là nous comprenons sa Largeur; elle en décrit le
déroule ment, et par là nous comprenons sa Longueur; elle décrit l’excellence de
ceux qui seront finalement sauvés, et par là nous comprenons sa Hauteur; elle
décrit enfin la misère de ceux qui seront damnés, en cela consiste la
Profondeur, non seulement de cet univers, mais aussi du jugement
divin.
La sainte
Ecriture décrit ainsi tout l’univers dans la mesure où cette connaissance est
utile au salut, selon sa Largeur, sa Longueur, sa Hauteur et sa Profondeur. Elle
garde encore elle-même dans son développement, ces quatre dimensions, comme on
l’expliquera plus loin, car ainsi l’exigeait le caractère de la capacité
humaine. Celle-ci, par nature, saisit magnifiquement et d’une façon multiple de
grandes et nombreuses choses, à la façon d’un miroir parfait dans lequel
l’universalité des choses du monde est destinée à être décrite dans l’ordre
naturel comme dans l’ordre surnaturel. Ainsi, le développement de la sainte
Ecriture doit s’accorder à l’exigence de la capacité humaine.
4. L’aboutissement ou le fruit de la
sainte Ecriture n’est pas quelconque, ç’est la plénitude de l’éternelle
félicité. Car elle est l’Ecriture dans laquelle sont les paroles de la vie
éternelle, elle est donc écrite, non seulement pour que nous croyions, mais
aussi pour que nous possédions la vie éternelle dans laquelle nous verrons, nous
aimerons et où nos désirs seront universellement comblés. Alors, nos désirs
étant comblés, nous connaîtrons vraiment la charité qui surpasse la connaissance
et ainsi nous serons remplis jusqu’à toute la plénitude de Dieu. C’est à cette
plénitude que la divine Ecriture s’efforce de nous introduire selon le sens vrai
du texte de l’Apôtre. C’est donc en vue de cette fin, c’est dans cette intention
que la sainte Ecriture doit être étudiée, enseignée et entendue.
5. Pour que nous parvenions à ce fruit et
à ce terme directement en progressant par la route droite des Ecritures, il faut
commencer par le commencement, c’est-à-dire, accéder d’une foi pure au Père des
lumières, en fléchissant les genoux de notre coeur, afin que par son Fils dans
son Saint Esprit, il nous donne la vraie connaissance de Jésus-Christ et, avec
sa connaissance, son amour. Le connaissant et l’aimant et comme consolidés dans
la foi et enracinés dans la charité, il nous sera alors possible de connaître la
Largeur, la Longueur, la Hauteur et la Profondeur de la sainte Ecriture et, par
cette connaissance, de parvenir à la connaissance entière et à l’amour extatique
de la bienheureuse Trinité. Là tendent les désirs des saints, là se trouvent
l’aboutissement et l’achèvement de tout vrai et de tout bien.
6. Après avoir désiré et recherché la fin de la sainte Ecriture, après avoir cru et invoqué le principe, il faut en considérer le développement dans sa Largeur, sa Longueur, sa Hauteur et sa Profondeur, selon la voie et l’ordre que nous enseigne l’Apôtre. Sa Largeur consiste dans la multitude de ses parties, sa Longueur dans la description des temps et des âges, sa Hauteur dans la description des hiérarchies graduellement ordonnées, sa Profondeur dans la diversité des sens mystiques et des interprétations.
. Si donc nous voulons considérer la Largeur de
la sainte Ecriture, de prime abord l’Ecriture se pré sente à nous divisée en
deux testaments, l’ancien et le nouveau
L’Ancien
Testament présente de multiples livres les livres légaux, historiques,
sapientiaux et prophétiques. Les premiers sont au nombre de cinq, les deuxièmes
au nombre de dix, les troisièmes au nombre de cinq et les quatrièmes au nombre
de six, ce qui fait en tout vingt-six.
Le Nouveau
Testament possède semblablement des livres correspondant à ces quatre formes.
Aux légaux correspondent les Evangiles, aux historiques les Actes des Apôtres,
aux sapientiaux les Epîtres des Apôtres et surtout de Paul, aux prophétiques
l’Apocalypse. Ainsi y a-t-il une admirable conformité entre l’Ancien et le
Nouveau Testament non seulement quant au contenu des sens, mais aussi quant à la
quadruple forme des parties. En figure et signification de ceci, Ezéchiel a vu
les roues des quatre visages et les roues au milieu l’une de l’autre, car
l’Ancien est dans le Nouveau et inversement. Dans les livres légaux et les
évangiles est la face du lion, à cause de l’éminence de l’autorité; dans les
livres historiques, la face du boeuf, à cause des exemples de puissance; dans
les livres sapientiaux la face de l’homme, à cause de la sage prudence; dans les
livres prophétiques la face de l’aigle, à cause de l’intelligence
perspicace.
2. La sainte Ecriture est à juste titre
divisée en Ancien et Nouveau Testament et non en théorique et pratique, comme la
philosophie. Car, puisque l’Ecriture est fondée en propre sur la connaissance de
foi qui est vertu et fondement des moeurs et de la justice et de toute vie
droite, la connaissance des choses ou des données de la foi ne peut en elle être
séparée de la connaissance des moeurs. Il en est autrement de la philosophie qui
traite non seule ment de la vérité des moeurs, mais aussi du vrai considéré dans
la pure spéculation. Donc, parce que l’Ecriture est connaissance poussant au
bien et détournant du mal et ceci par crainte et amour, elle est divisée en deux
testaments dont «toute la différence est la crainte et l’amour ».
3. Or, on peut être poussé au bien et
détourné du mal de quatre manières différentes, par les préceptes de la
toute-puissante majesté, par les enseignements de la vérité très sage, par les
exemples et les bienfaits de la bonté sans faille ou par toutes ces choses
rassemblées. Donc, dans le Nouveau comme dans l’Ancien Testament, nous sont
donnés sous quatre formes les livres contenait la sainte Ecriture, en conformité
des quatre prémisses. Les livres légaux nous entraînent par les préceptes de la
toute-puissante majesté, les livres historiques par les exemples de la bonté
sans faille, les livres sapientiaux par les enseignements de la vérité
providentielle, les livres prophétiques par le rassemblement de toutes ces
formes, ainsi qu’il y apparaît. Ils sont donc comme les mémoriaux de toute la
sagesse et de toute la doctrine de la loi.
4. L’Ecriture est donc semblable à un
large fleuve qui s’accroît sans cesse de l’apport d’eaux nombreuses au fur et à
mesure qu’il coule. Il y eut d’abord dans l’Ecriture les livres légaux, puis
survint l’eau de la sagesse des livres historiques, ensuite la doctrine du très
sage Salomon, puis la doctrine des saints Prophètes. Enfin, la doctrine
évangélique a été révélée, proférée par la bouche corporelle du Christ,
consignée par les Evangélistes, divulguée par les Apôtres. Il faut y ajouter les
enseignements que l’Esprit Saint en venant sur eux nous a, par eux, enseignés,
de sorte qu’ainsi conduits vers la vérité tout entière, par l’Esprit Saint selon
la promesse divine, ils donnent à l’Eglise du Christ la doctrine de toute vérité
salutaire et répandent en parachevant la sainte Ecriture, la connaissance de la
vérité.
1. La sainte
Ecriture possède aussi une Longueur consistant dans la description des temps et
des âges, depuis l’origine du monde jusqu’au jour du jugement. Elle décrit en
effet le cours du monde en trois temps: celui de la loi de nature, celui de la
loi écrite et celui de la loi de grâce dans ces trois temps, la sainte Ecriture
distingue sept âges. Le premier va d’Adam à Noé, le deuxième de Noé à Abraham,
le troisième d’Abraham à David, le quatrième de David jusqu’à l’exil de
Babylone, le cinquième de l’exil au Christ, le sixième du Christ à la fin du
monde, le septième court en même temps que le sixième et va du repos du Christ
dans le sépulcre à la résurrection universelle. Alors commencera le huitième
âge, celui de la résurrection.
Ainsi,
l’Ecriture est d’une grande longueur, car son exposé commence à l’origine du
monde et du temps, au début de la Genèse, et se termine à la fin du monde et du
temps, à la fin de l’Apocalypse.
2. A juste titre, le temps universel qui
s’écoule sous les trois lois, la loi donnée intérieurement, la loi donnée
extérieurement et la loi inspirée d’en-haut parcourt les sept âges et se
consomme à la fin du sixième, pour qu’ainsi le déroulement du monde corresponde
à son origine, que le déroule ment du macrocosme corresponde au déroulement de
la vie du microcosme, c’est-à-dire de l’homme pour lequel il a été
créé.
Le premier
âge du monde durant lequel eut lieu sa formation, la chute des démons et la
confirmation des anges correspond, en effet, au premier jour où fut créée la
lumière et où la lumière fut séparée des ténèbres Le deuxième âge durant lequel,
par l’eau et le déluge, les bons furent sauvés et les méchants anéantis,
correspond au deuxième jour où, par le firmament, les eaux furent séparées
d’avec les eaux. Le troisième âge, durant lequel Abraham fut appelé et la
synagogue commença, qui devait porter du fruit en engendrant une progéniture
pour le culte de Dieu, correspond au troisième jour où apparut la terre et où
elle produisit la verdure. Le quatrième âge durant lequel fleurit la royauté et
le sacerdoce, car le roi David rehaussa le culte divin, correspond au quatrième
jour où furent créés les luminaires et les étoiles. Le cinquième âge durant
lequel les exilés furent ballottés et tourmentés au milieu de nombreux peuples
correspond au cinquième jour où les eaux grouillèrent de poissons. Le sixième
âge durant lequel le Christ est né sous les traits de l’homme, lui qui est vrai
ment l’image de Dieu, correspond au sixième jour où fut créé le premier homme.
Le septième âge qui est le repos sans fin des âmes correspond au septième jour
où Dieu se reposa après tout l’ouvrage qu’il avait fait.
3. Ces sept âges se distinguent ainsi par
les choses remarquables qui y furent faites en leur début, en raison desquelles
ils correspondent aux jours de la création du monde. Le premier âge est appelé
petite enfance car, comme toute l’enfance sombre dans l’oubli, ainsi ce premier
âge a été enseveli par le déluge. Le deuxième, c’est l’enfance car, comme dans
la jeunesse, nous commençons à parler, ainsi, dans ce second âge, eut lieu la
distinction des langues. [ troisième âge, c’est l’adolescence car, de même
qu’alors la force génératrice commence à agir, ainsi Abraham fut appelé et la
circoncision lui fut proposée et la promesse d’une postérité lui fut donnée. Le
quatrième âge, c’est la jeunesse car, comme dans la jeunesse s’épanouit l’homme,
ainsi au quatrième âge la synagogue fleurit sous les rois. Le cinquième âge,
c’est la vieillesse car, comme dans la maturité les forces diminuent et la
beauté se dégrade, ainsi en fut-il du sacerdoce des juifs durant l’exil. Le
sixième âge, c’est la sénilité, car de même que la sénilité est liée à la mort
et possède cependant une grande lumière de sagesse, ainsi le sixième âge du
monde se termine avec le jour du jugement et dans son déroulement fleurit la
sagesse par la doctrine dû Christ.
4. Ainsi donc, tout ce monde est décrit
par l’Ecriture dans un déroulement ordonné s’écoulant depuis le début jusqu’à la
fin, à la manière d’un magnifique poème bien réglé où l’on peut contempler dans
le déroulement du temps la variété, la multiplicité et l’équité, l’ordre, la
rectitude et la beauté des nombreux jugements divins procédant de la sagesse de
Dieu qui gouverne le monde Comme personne ne peut voir la beauté d’un poème que
si son regard se porte sur l’ensemble, ainsi personne ne voit la beauté de
l’ordre et du gouvernement de l’univers s’il ne le contemple dans sa totalité.
Or, personne ne vit assez longtemps pour que ses yeux de chair en perçoivent le
cours total et personne ne peut par soi-même prévoir l’avenir. L’Esprit Saint y
pourvoit en nous donnant le livre de la sainte Ecriture dont la longueur se
mesure au déroulement du gouvernement de l’univers.
1. La sainte
Ecriture possède en outre dans son développement, une Hauteur consistant dans la
description des hiérarchies ordonnées en degrés, la hiérarchie ecclésiastique,
la hiérarchie angélique et la hiérarchie divine, appelées encore hiérarchies
subcéleste, céleste et supracéleste, de sorte qu’elle décrit la première de ces
hiérarchies en toute clarté, la seconde d’une manière un peu voilée, la
troisième d’une manière secrète. La sainte Ecriture reçoit de la première une
certaine hauteur, de la seconde une hauteur plus grande, de la troisième la
hauteur suprême, de sorte que nous pouvons dire le mot du Prophète: «Prodige de
savoir qui me dépasse, hauteur où je ne puis atteindre.»
2. Et ceci à juste titre car, étant donné
que les choses possèdent l’être dans leur matérialité, qu’elles possèdent l’être
dans notre âme par la connaissance acquise, qu’elles i’y possèdent aussi par la
grâce et par la gloire, qu’elles possèdent enfin l’être dans l’art éternel, la
philosophie certes traite des choses de la nature, soit que l’âme en ait une
connaissance innée, soit qu’elle en ait une connaissance acquise. Mais la
théologie, comme science fondée sur la foi et révélée par l’Esprit Saint, traite
des choses relevant de la grâce, de la vision de gloire et de la sagesse
éternelle. Aussi, la théologie, mettant à sa disposition la connaissance
philosophique et assumant des natures des choses autant qu’elle en a besoin pour
for mer le miroir qui lui permet de représenter les réalités divines, dresse
comme une échelle qui, par le bas, touche la terre, et atteint au sommet le
ciel. Elle accomplit ceci par l’unique hiérarque, Jésus-Christ,, qui, non
seulement en raison de la nature humaine assumée est hiérarque de la hiérarchie
ecclésiastique, mais aussi de la hiérarchie angélique et personne médiane dans
la hiérarchie supracéleste de la bienheureuse Trinité. De la sorte, par lui, la
grâce d’onction descend du souverain chef Dieu, non seulement sur la barbe, mais
aussi sur le col des tuniques, car elle atteint non seulement la Jérusalem
céleste, mais aussi militante.
3. La beauté est grande dans le monde,
elle est encore plus grande dans l’Eglise ornée de la beauté des charismes des
saints, elle est plus grande encore dans la Jérusalem céleste, elle est suprême
dans la Trinité souveraine et bienheureuse.
L’Ecriture ne
possède donc pas seulement une matière très haute par laquelle elle délecte,
elle surélève la pointe de l’esprit jusqu’en haut, elle est aussi pleine de
séduction et délecte notre intelligence d’une manière admirable et, en la
délectant de plus en plus, elle l’habitue aux visions et aux contemplations des
divins spectacles.
L’Ecriture
possède enfin une Profondeur consistant dans la multiplicité des intelligences
mystiques. Car, outre le sens littéral, elle doit être exposée en divers
endroits d’une façon triple, allégoriquement, moralement et anagogiquement. Il y
a allégorie lorsque, par un fait, est indiqué un autre fait selon lequel nous
devons le croire. Il y a tropologie ou moralité lorsque, par ce qui est fait,
nous est donné autre chose qu’il faut faire. Il y a anagogie, comme une
invitation à s’élever, lorsqu’il est donné d’entendre ce qu’il faut désirer, à
savoir la félicité éternelle des bienheureux
2. C’est à juste titre sue doit se
trouver dans l’Ecriture un triple sens en plus du sens littéral car il est
parfaitement adapté au sujet, à l’auditeur ou élève, à l’origine et à la fin de
l’Ecriture. Cette triple intelligence, dis-je, convient au sujet de l’Ecriture,
car elle est la doctrine sur Dieu, sur le Christ, sur les oeuvres de la
rédemption et sur le donné de foi. Quant à la substance, le sujet de l’Ecriture
est Dieu lui-même; quant à sa force, le Christ: quant à l’opération, l’oeuvre du
salut; quant à toutes ces réalités, le donné de foi. Or, Dieu est trois et un,
un dans l’essence et trois dans les personnes. L’Ecriture qui vient de Dieu
possède donc, sous l’unité de la lettre, un sens triple. Le Christ étant le
Verbe unique, toutes choses sont dites avoir été faites par lui et brillent en
lui de sorte que sa sages se est à la fois multiforme et une Les oeuvres du
salut étant multiples, se réfèrent toutes au sacrifice premier du Christ. Le
donné de la foi, en tant que tel, brille diversement selon les états différents
des croyants. En conformité avec toutes ces prémisses, la sainte Ecriture
engendre donc une intelligence multiple sous une lettre unique.
3. Cette triple intelligence convient
aussi à l’auditeur, car personne ne l’entend valablement que s’il est humble,
pur, fidèle et studieux S Sous l’écorce de la lettre est donc cachée une
intelligence mystique et profonde pour comprimer l’orgueil afin que, par sa
profondeur cachée sous l’humilité de la lettre, les orgueilleux soient abaissés,
les impurs rejetés, les imposteurs détournés, les négligents excités à
l’intelligence des mystères. Et parce que l’auditeur de cette doctrine n’est pas
d’un genre unique, mais de tous les genres, et qu’il importe que tous ceux qui
doivent être sauvés connaissent quelque chose de cette doctrine, l’Ecriture
possède donc une intelligence multiple, afin de saisir tout esprit, de
condescendre à tout esprit, de dépasser tout esprit, d’illuminer et d’embrasser
tout esprit qui prête une diligente attention à cette doctrine, par la multitude
de son rayonnement.
4. La triple intelligence de l’Ecriture
convient aussi au principe dont elle provient. Car elle vient de Dieu par le
Christ et l’Esprit Saint parlant par la bouche des Prophètes et des autres qui
ont écrit cette doctrine. Dieu ne parle pas seulement par des paroles, mais
aussi par des faits, car pour lui, dire c’est faire et faire c’est dire. Or,
toutes les choses créées, en tant qu’effets de Dieu, suggèrent leur cause Donc,
dans l’Ecriture donnée par Dieu, non seulement les mots.doivent avoir un sens,
mais aussi les faits. Le Christ docteur, bien qu’il fut humble dans sa chair
était cependant très haut dans sa déité. Il convenait donc qu’il ait, lui et sa
doctrine, l’humilité en parole et la profondeur de la pensée afin que, comme le
Christ fut enveloppé de langes, ainsi la sagesse de Dieu dans l’Ecriture soit
enveloppée dans d’humbles figures. L’Esprit Saint illuminait diversement et
faisait des révélations dans le coeur des Prophètes. Aucune intelligence ne peut
lui échapper et il était envoyé pour enseigner toute vérité. Il convenait donc à
sa doctrine que dans une seule parole, de multiples sens se cachent.
5. La triple intelligence de l’Ecriture
convient enfin à sa fin, car l’Ecriture a été donnée pour diriger l’homme vers
ce qu’il faut savoir et ce qu’il faut faire afin de parvenir à ce qu’il faut
désirer. Or, toutes les créatures ont été faites pour servir l’homme qui tend
vers la patrie céleste. L’Ecriture assume donc les diverses images de ces
créatures afin de nous enseigner, par elles, la sa gesse qui nous dirige vers
les choses éternelles. Or, l’homme ne se dirige vers les choses éternelles que
si sa puissance de connaître saisit la vérité à croire, que si sa puissance
d’agir accomplit le bien à faire et que si sa puissance d’aimer aspire à voir
Dieu, à l’aimer et à goûter en lui toute joie.
Donc,
l’Ecriture sainte donnée par l’Esprit Saint assume le livre de la créature en le
rapportant à sa fin selon une triple intelligence, afin que par la tropologie
nous ayons la connaissance de ce qu’il faut faire avec courage, par l’allégorie,
de ce qu’il faut croire en toute vérité, par l’anagogie, de ce qu’il faut
désirer avec délectation.
Ainsi
purifiés par l’opération des vertus, illuminés par une foi radieuse et rendus
parfaits par une ardente charité, nous parviendrons enfin à la récompense
éternelle.
1. Dans une
telle multiplicité de sagesse qui est contenue dans la Largeur, la Longueur, la
Hauteur et la Profondeur de la sainte Ecriture, il n’est qu’un seul mode de
procéder, à savoir un mode authentique dans lequel sont contenus la narration,
le précepte, la défense, l’exhortation, la prédication, la menace, la promesse,
la prière et la louange. Tous ces modes reposent, à juste titre, sur un seul
mode authentique.
2. Car le but de cette doctrine est de
nous rendre bons et de nous sauver. Or, ceci ne peut se faire par la pure
considération, mais bien plutôt par l’inclination de la volonté. L’Ecriture
divine a donc été donnée dans le mode le plus propre à mieux nous incliner. Or,
l’affectivité est mue par les exemples mieux que par les arguments, par les
promesses mieux que par les raisonnements, par les dévotions mieux que par les
définitions. Cette Ecriture ne devait donc pas suivre un mode de définition, de
division et de synthèse pour prouver certaines qualités d’un sujet comme le font
les autres sciences Mais il fallait qu’elle possède ses modes propres selon les
inclinations diverses des esprits, afin que s quelqu’un n’est pas entraîné par
les préceptes et les défenses, qu’il le soit par le récit des exemples; s’il ne
l’est pas par des exemples, qu’il le soit par les bienfaits qu’on lui montre.
S’il n’est pas entraîné par cela, qu’il le soit par de sages monitions, par des
promesses véridiques, par des menaces terribles, en sorte qu’il soit au moins
excité à la dévotion et à la louange de Dieu dans laquelle il reçoit la grâce,
par laquelle il est dirigé vers des actions vertueuses.
3. Ces modes narratifs ne peuvent
procéder par voie de certitude rationnelle, car les faits particuliers ne
peuvent être démontrés. De peur que cette Ecriture ne vacille comme douteuse et
risque ainsi de moins entraîner, Dieu a donc donné à cette Ecriture, au lieu de
la certitude rationnelle, la certitude de l’autorité, certitude si grande
qu’elle surpasse toute la perspicacité de l’esprit humain. Or, l’autorité n’est
pas certaine de qui peut tromper ou se tromper. Personne n’existe qui ne puisse
se tromper et ne puisse tromper, hormis Dieu et l’Esprit Saint. Donc, pour que
l’Ecriture sainte soit à sa manière parfaitement authentique, elle ne doit pas
être transmise par une recherche humaine, mais par la révélation
divine.
Rien donc en
elle ne doit être condamné comme inutile, rien n’est à rejeter comme faux, rien
n’est à répudier comme impie par le fait que l’Esprit Saint, son auteur
infiniment parfait n’a pu rien dire de faux, rien de superflu, rien d’inférieur.
C’est pourquoi le ciel et la terre passeront, mais les paroles de l'Ecriture
sainte ne passeront pas qu’elles ne soient accomplies. Car, avant que le ciel et
la terre ne passent, pas un iota, pas un accent ne passera de la loi que tout ne
soit réalisé, le Sauveur en est témoin. Celui donc qui déliera ce qu’enseigne
l'Ecriture et l’enseignera ainsi aux hommes, sera tenu pour le moindre dans le
royaume des cieux; celui qui l’exécutera et l’enseignera, celui-là sera tenu
pour grand dans le royaume des cieux.
1. Comme
cette Ecriture a un mode spécial de procéder, elle doit être, selon ce mode,
d’une manière spéciale, comprise et exposée. Puisqu’elle cache sous une lettre
unique un sens multiple, celui qui l’expose doit amener au jour ce qui était
caché et manifester ce qui est ainsi mis en lumière par un autre texte plus
clair. Ainsi, si j’exposais ce verset de psaume: « Prends armure et bouclier et
te lève à mon aide», et si je voulais expliquer ce que sont les armes divines,
je dirais que c’est la vérité et la bonne volonté et je le prouverais par un
texte très clair de l’Ecriture. Car il est écrit ailleurs: « Tu nous couvres du
bouclier de ta bonne volonté », et encore: « Il te couvre du bouclier de sa
vérité. »
On ne peut
atteindre aisément à ceci, que si l’on confie à sa mémoire le texte et la lettre
de la Bible par une lecture assidue. Autrement, on ne pourrait jamais être
capable d’exposer les Ecritures. Ainsi, comme celui qui dédaigne d’apprendre les
premiers éléments dont est composé le discours n’arrivera jamais à connaître le
sens des paroles ni la loi correcte des constructions, de même celui qui méprise
la lettre de la sainte Ecriture ne s’élèvera jamais à ses intelligences
spirituelles.
2. Celui qui expose l’Ecriture doit
savoir que l’allégorie n’est pas requise partout et que tous les textes ne sont
pas à exposer mystiquement. C’est pourquoi il faut noter que l’Ecriture sainte a
quatre parties. La première dans laquelle la lettre traite des choses naturelles
de l’univers et, par elles, signifie notre salut, comme il apparaît dans le
récit de la formation du monde. La deuxième dans la quelle la lettre traite des
actes et des événements de l’histoire du peuple d’Israël et signifie par eux la
rédemption du genre humain. La troisième dans laquelle, en paroles claires, la
lettre signifie et exprime ce qui regarde notre salut quant à la foi et aux
moeurs. La quatrième dans laquelle la lettre annonce le mystère de notre salut,
partie en paroles claires, partie en paroles énigmatiques et obscures. C’est
pourquoi l’Ecriture ne peut, dans ces différents passages, être l’objet d’une
exposition uniforme.
3. Celui qui expose, doit diriger son
exposition de l’Ecriture selon une triple règle qui peut être tirée des paroles
du bienheureux Augustin, dans son livre De doctrina
christiana.
Première
règle. Partout dans cette Ecriture où le sens premier des mots signifie la
réalité de la création ou les actes singuliers de la vie humaine, les choses
signifiées par les mots sont signifiées en premier, et ensuite seulement les
mystères de notre salut. Là où le premier sens des mots exprime la foi ou la
charité, il ne faut chercher aucune allégorie.
Deuxième
règle. Là où les mots de cette Ecriture signifient la réalité de la création ou
la vie du peuple d’Israël on peut chercher dans un autre texte de l’Ecriture ce
que chaque chose signifie et ensuite tirer son sens par les mots signifiant
clairement la vérité de la foi ou l’honnêteté des moeurs. Par exemple, si l’on
dit: « Les brebis engendrent des jumeaux », il faut montrer que « brebis »
signifie ici les hommes et « jumeaux » la double charité.
Troisième
règle. Quand un texte scripturaire possède un sens littéral et un sens
spirituel, celui qui expose doit déterminer si cette attribution convient au
sens historique ou au sens spirituel, si par hasard les deux sens ne conviennent
pas. Si les deux sens conviennent, alors on doit affirmer le sens littéral et le
sens spirituel. Si l’un seulement con vient, on doit l’entendre spirituellement.
Ainsi, le sabbat de la Loi est perpétuel, le sacerdoce éternel, la possession de
la terre éternelle et le pacte de la circoncision éternel: tout ceci est à
entendre dans un sens spirituel.
4. Pour pénétrer, en scrutant et en
exposant avec sûreté la forêt des saintes Ecritures, il faut tout d’abord
connaître la vérité de cette sainte Ecriture par des paroles explicites,
c’est-à-dire observer comment l’Ecriture décrit l’origine, le développe ment et
la consommation des deux corps qui s’affrontent en s’opposant, le corps des bons
qui s’humilient ici-bas pour être exaltés éternellement dans le ciel et le corps
des méchants qui s’exaltent ici-bas et seront éternellement abattus. Ainsi
l’Ecriture traite de l’univers entier quant au sommet et au fond, quant au
premier et au dernier et quant au déroulement intermédiaire, sous la forme d’une
croix intelligible dans laquelle on peut décrire et, en un certain sens, voir
par la lumière de l’esprit, toute la création universelle. Pour la comprendre,
il faut connaître le principe des choses, Dieu, leur création, leur chute, la
rédemption par le sang de Jésus-Christ, la réformation par la grâce, la guéri
son par les sacrements et enfin la rétribution par la peine et la gloire
éternelle.
5. Et parce que cette doctrine, tant dans
les écrits des saints que dans ceux des docteurs, est transmise d’une manière si
diffuse que pour ceux qui accèdent à la sainte Ecriture pour l’entendre, elle ne
peut être vue et, entendue durant longtemps — à cause de quoi les jeunes
théologiens fréquemment prennent en dégoût l’Ecriture sainte elle-même, comme
incertaine et désordonnée, comme une forêt obscure.
Prié par des
confrères de dire avec notre pauvre petite science quelque chose de bref, dans
une somme, sur la vérité de la théologie, et cédant à leurs prières, j’ai
consenti à écrire un Breviloquium, dans lequel j’ai traité brièvement non
pas toutes les vérités à croire, mais seulement les plus utiles, y ajoutant
quelques explications selon les circonstances.
6. Parce que la théologie traite de Dieu
et du premier principe, parce que, comme la science et la doctrine la plus
élevée, elle résout toutes choses en Dieu comme dans le principe premier et
souverain, dans l’assignation des raisons, en tout ce qui est contenu dans ce
petit traité, je me suis efforcé de chercher l’explication dont le premier
principe pour montrer ainsi que la vérité de la sainte Ecriture vient de Dieu,
traite de Dieu, est conforme à Dieu, a Dieu pour fin, de façon que justement
cette science apparaisse une, ordonnée et, non à tort, nommée
théologie.
Si l’on
trouve en cet opuscule quoi que ce soit d’imparfait, d’obscur, de superflu ou de
moins correct, qu’on m’en accorde le pardon à cause de mes occupations, de mon
manque de temps et de la pauvreté de ma science. Si l’on y trouve quelque chose
de correct, qu’on en rende à Dieu seul l’honneur et la gloire.
Pour que la
suite apparaisse plus clairement, j’ai pris soin de présenter d’abord les titres
particuliers des chapitres, afin d’en faciliter la mémoire et d’en rendre plus
claire une vue d’ensemble. Ces chapitres sont groupés en sept parties et sont au
nombre de soixante-douze.
.
Enoncé
1. Il faut comprendre pour commencer que la
sainte doctrine, c’est-à-dire la théologie, qui parle principalement du premier
principe, Dieu trois et un, traite dans son universalité de sept
sujets:
1. La Trinité de Dieu.
2. Le monde créature de Dieu.
3. La corruption introduite par le
péché.
4. L’incarnation du Verbe.
5. La grâce de l’Esprit Saint.
6. Les remèdes sacramentels.
7. L’aboutissement du jugement
final.
Explication
2. La sainte Ecriture ou théologie est la
science qui donne une connaissance suffisante du premier principe pour l’homme
ici-bas, selon que l'exige son salut. Or, Dieu n’est pas seulement le principe
des choses et l’exemplaire effectif de la création, il est aussi principe et
exemplaire réparateur dans la rédemption, principe et exemplaire perfectif dans
la rétribution.
La théologie
ne traite donc pas seulement de Dieu créateur, mais aussi de la création et de
la créature. La créature raisonnable qui est d’une certaine façon, fin de toutes
les autres créatures, n’a pas maintenu son état originel, mais en raison de sa
chute a eu besoin d’être réparée; la théologie traite donc aussi de la
corruption du péché, puis du médecin, de la santé et de la médecine, et enfin de
la guérison parfaite qui sera donnée dans la gloire, tandis que les impies
seront rejetés dans le châtiment.
La théologie
est donc, et elle seule, la scier parfaite, puisqu’elle commence au
commencement, qui est le premier principe, et parvient jusqu’au terme, la
récompense éternelle. Elle commence au sommet, le Dieu très haut, créateur de
toutes choses, et s’étend jusqu’au plus bas, le supplice de l’enfer.
3. Elle seule est la sagesse parfaite, car
elle commence à la cause suprême, en tant que principe de tout ce qui a une
cause, — là où se ter mine précisément la connaissance philosophique —, elle
passe par la cause suprême qui est aussi remède des péchés, et retourne à la
cause suprême en tant que celle-ci est la récompense des mérites et la fin des
désirs.
Dans cet acte
de connaissance se trouvent la par faite saveur, la vie, et le salut des âmes.
C’est à s’y appliquer que doit donc s’enflammer le désir de tous les
chrétiens.
4. Ainsi est-il manifeste que la théologie,
qui traite de questions si nombreuses et diverses, ne constitue pourtant qu’une
seule science, dont le sujet, tour à tour:
— est Dieu,
de qui viennent tous les êtres,
— est le
Christ, par qui tous passent,
— est
l’oeuvre rédemptrice, vers laquelle tendent, est l’unique lien de la charité qui
enserre et unit tous les êtres, célestes ou terrestres, est le donné de la foi
en tant que tel, tout entier contenu dans les livres canoniques,
— est le
donné de la foi en tant qu’il est intelligible, c’est ce dont traitent les
livres des commentateurs comme le dit saint Augustin dans son traité De
utilitate credendi: « ce que nous croyons, nous le devons à l’autorité, mais
l’exercice de notre intelligence sur notre foi, nous le devons à notre raison
»
1. Au sujet de la Trinité de Dieu, trois
points sont à considérer: comment l’unité de substance et de nature s’accorde
avec la pluralité des personnes, comment elle s’accorde avec la pluralité des
apparitions, comment elle s’accorde avec la pluralité des
appropriations.
Enoncé
2. Sur la pluralité des personnes dans
l’unité de nature, la foi droite nous dit que dans une unique nature il y a
trois personnes, le Père, le Fils et l’Esprit Saint. La première ne tient son
origine d’aucune autre, la deuxième vient de la première par génération, la
troisième de la première et de la deuxième par spiration ou procession. Mais la
Trinité des personnes n’exclut pas de l’essence di vine une unité, une
simplicité, une immensité, une éternité, une immutabilité, une nécessité, et
encore une primauté souveraine. Qui plus est, elle inclut au plus haut point,
fécondité, charité, libéralité, égalité, parenté, conformité et inséparabilité.
La foi saine comprend que tout ceci se trouve dans la bienheureuse
Trinité.
.
Explication
3. La foi, parce qu’elle est principe du
culte de Dieu et fondement de « la doctrine conforme à la piété », exige que
l’on ait de Dieu un sens très haut et très pieux. On n’aurait pas de Dieu un
sens très haut si l’on ne croyait pas que Dieu peut se communiquer
souverainement. On n’aurait pas de lui un sens très pieux en croyant qu’il le
pour rait et ne le voudrait pas. Ayant donc de Dieu un sens très haut jet très
pieux, on dira qu’il se communique souverainement en ayant éternellement un aimé
et un « autre-aimé-ensemble ». Ainsi Dieu est Un et Trine.
4. De cette foi qui veut un sens très
pieux de Dieu, témoigne toute la sainte Ecriture, doctrine conforme à la piété.
Car elle déclare que Dieu a un Fils qu’il aime souverainement, le Verbe égal à
lui, « qu’il a engendré de toute éternité et dans lequel il a disposé toutes
choses », par lequel il a produit toutes choses et les gouverne. Par lui fait
chair, à cause de sa souveraine bonté, il a racheté les hommes de son sang
précieux et a nourri l’homme racheté. Par lui, à la fin du monde, communiquant
sa miséricorde souveraine, il libèrera de toute misère afin que par le Christ
tous les élus soient les fils du Père souverain en qui toute piété sera
consommée, celle de Dieu envers nous et la nôtre envers Dieu.
5. De cette foi en tant qu’elle veut un
sens très haut de Dieu, non seulement la sainte Ecriture témoigne, mais aussi
toute créature, selon ce que dit Augustin au livre XV De Trinitate,
chapitre: « Non seulement l’autorité des livres divins professe que Dieu est,
mais aussi toute la nature qui nous entoure et à laquelle nous appartenons,
proclame qu’elle a un créateur munificent qui nous a donné un esprit et une
raison naturelle par laquelle nous jugeons préférables les vivants aux
non-vivants, les êtres doués de sens à ceux qui n’en ont pas, les êtres
intelligents à ceux qui ne le sont pas, les êtres immortels aux mortels, les
êtres doués de puissance aux impuissants, les justes aux injustes, les êtres
beaux aux difformes, les bons aux mauvais, les incorruptibles aux êtres sujets à
la corruption, les êtres immuables aux êtres changeants, les choses invisibles
aux visibles, les êtres incorporels aux corporels, les bienheureux aux
misérables.
Et ainsi,
puisque sans l’ombre d’un doute, avant les êtres créés nous plaçons le créateur,
il faut que nous proclamions qu’il vit en plénitude, qu’il pense et comprend
toutes choses, qu’il ne peut ni mourir ni se corrompre, ni changer, qu’il n’a
pas de corps mais est un esprit tout puissant, très juste, très beau et très
heureux »
Voici
incluses dans ces douze termes les très hautes prérogatives de l’être divin.
Saint Augustin montre ensuite que ces douze se réduisent à trois:
l’éternité,
la sagesse et la béatitude, et ces trois se réduisent à une seule, la sagesse
qui comprend un esprit engendrant, le Verbe engendré, et l’Amour reliant l’un et
l’autre; en eux, la foi le déclare, se tient la Trinité bienheureuse. Et parce
que la souveraine sagesse suppose la Trinité, elle suppose en même temps toutes
les nobles conditions précédemment énumérées, l’unité, la simplicité et les
autres. Il est nécessaire que toutes les prérogatives susdites de l’être divin
s’accordent avec la bien heureuse Trinité.
.
Enoncé
1. Pour
l’intelligence sensée de cette foi, la théologie enseigne qu’en Dieu, il y
a
— deux
émanations
— trois
hypostases
— quatre
relations
— cinq
notions
— et
seulement trois propriétés personnelles.
Explication
2. Le premier et souverain principe, par
le seul fait qu’il est premier, est absolument simple. Par le fait qu’il est
souverain, il est très parfait. Donc il se communique parfaitement parce que
parfait, et conserve une indivision absolue puisque souverainement simple. Etant
sauve l’unité de nature, il y a donc en lui des modes parfaits d’émanation. Or
il n’existe que deux modes parfaits d’émanation, selon la nature et selon la
volonté. Le premier est la génération, le second la spiration ou procession. Ces
deux modes se trouvent donc en Dieu.
3. Par ces deux émanations
substantielles, émanent nécessairement deux hypostases; il est nécessaire aussi
de poser une première hypostase qui, produisant en premier, n’émane d’aucune
autre — sinon il faudrait remonter à l’infini. Il existe donc en Dieu trois
hypostases.
4. A chaque émanation répond une double
relation. Il y a donc en Dieu quatre relations, la paternité, la filiation, la
spiration et la procession.
5. Par ces relations, les hypostases
divines se font connaître à nous. Mais la première hypostase en qui se trouve la
raison première de toute origine, se fait connaître à nous par le fait qu’elle
n’a pas elle-même d’origine. C’est là sa propre excellence. Nous comptons ainsi
cinq notions: les quatre relations susdites et en plus, l’innascibilité.
6. Chaque personne possède une propriété
par laquelle elle est principalement connue. Il n’y a donc que trois propriétés
personnelles qui sont exprimées proprement et principalement par les noms Père,
Fils, et Saint-Esprit.
7. Le propre du Père est d’être
innascible ou inengendré, d’être principe sans principe, et d’être Père.
L’innascibilité le désigne négativement, bien que conséquemment le sens en soit
positif, car elle suppose dans le Père la plénitude fontale. Principe
sans principe désigne le Père positivement et négativement. Père le désigne
proprement, d’une manière complète et déterminée, par une affirmation positive
qui dit en même temps une relation.
8. De même, le Fils est Image, Verbe et
Fils. Image désigne la personne comme similitude exprimée,
Verbe comme similitude expressive,
Fils comme similitude hypostatique,
Image comme similitude conforme,
Verbe comme similitude intellectuelle,
Fils comme similitude connaturelle
9. L’Esprit Saint est proprement le Don,
il est le lien ou charité des deux, il est aussi l’Esprit Saint. Don le désigne
comme étant volontairement donné, Charité ou lien, comme étant donné
volontairement et à titre de principe, Esprit Saint, comme donné volontaire,
principal et hypostatique.
De là, ces
trois noms, Père, Fils, Saint Esprit nous conduisent aux propriétés personnelles
des trois personnes. Tel est ce qu’il faut tenir pour l’intelligence sensée de
la foi à la Trinité.
Enoncé
1. Voici, selon les documents des saints
docteurs, l’expression catholique de cette foi: quand on parle des personnes
divines,
— il y a deux
modes de prédication, soit quant à la substance, soit quant à la relation; trois
modes de supposition on vise l’essence, ou la personne, ou la notion;
— quatre
modes de désignation de la substance, par le nom d’essence, par le nom de
substance, par le nom de personne, et par le nom d’hypostase;
— cinq modes
de parler, quis (la personne), qui (le suppôt), quae (la
notion), quod (la substance) et quid (la quiddité).
— trois modes de différenciation: différence dans la façon d’exister (c’est-à-dire selon l’origine), différence dans la situation (relative ou non), différence dans la connaissance que nous en avons.
Explication
2. Le premier principe est parfait en
même temps que très simple. Tout ce qui implique une perfection doit être
affirmé de lui proprement et vraiment. Mais on ne peut affirmer à son sujet quoi
que ce soit qui comporte quelqu’imperfection, à moins que cette affirmation ne
concerne la nature humaine assumée (par le Verbe), ou qu’on ne veuille parler
dans un sens métaphorique.
Il y a dix
catégories, la substance, la quantité, la relation, la qualité, l’action, la
passion, le lieu, le temps, la situation et l’avoir Les cinq dernières, parce
qu’elles concernent en propre les choses corporelles ou sujettes au changement,
ne peu vent être attribuées à Dieu sinon par transposition et par manière de
figure. Mais les cinq premières sont attribuées à Dieu en ce qu’elles signifient
sa perfection sans cependant contrarier sa simplicité divine. C’est pourquoi ces
catégories sont identiquement ce dont elles sont affirmées; et ainsi, par
comparaison avec le sujet en qui elles sont, on dit qu’elles passent dans la
substance en s’identifiant avec elle, sauf cependant la relation. Celle-ci en
effet a deux termes de comparaison, le sujet en qui elle se trouve et le terme
auquel elle se rapporte. Elle passe, en effet, dans la substance pour ne pas y
introduire de composition, et néanmoins de meure pour fonder la distinction.
C’est pourquoi (selon Boèce) « l’unité réside dans la substance, et la Trinité
trouve son nombre dans la relation ».
En
conséquence, il ne reste ici que deux modes différents de prédication, dont on
peut donner la règle Suivante:
— ce qui est
affirmé selon la substance est affirmé par le fait même de toutes les personnes,
une
à une,
ensemble ou isolément.
— ce qui est
affirmé selon la relation n’est pas affirmé des trois personnes, et i on
l’affirme de plus d’une, pluralement, c’est en tant qu’elles sont relatives,
distinctes, semblables, égales, à cause de leur relation intrinsèque.
— Quant au
nom de Trinité, il comprend à la fois les deux modes de prédication, selon la
substance et selon la relation
3. Et parce qu’il peut y avoir plusieurs relations dans une seule personne comme il y a plu sieurs personnes dans une seule nature, la distinction des notions n’implique pas la diversification de la personne dont on parie, pas plus que la distinction des personnes n’entraîne la multiplication de la nature. Et c’est pourquoi ne convient pas à l’essence ce qui convient à la notion ou à la personne, ni inversement. En conséquence de quoi, il y a trois façons de « supposer » dont on a coutume de donner la règle suivante:
— Si l’on suppose l’essence, on ne suppose pas en même temps la notion ni la personne;
— si l’on suppose la notion, on ne suppose pas en même temps l’essence ni la personne;
— si l’on
suppose la personne, on ne suppose pas en même temps l’essence ni la notion;
comme le montrent les exemples.
4. Tandis que l’essence demeure unique, on
trouve une vraie distinction dans les suppôts de la substance. Il faut donc
qu’ici la substance soit désignée de plusieurs façons, soit en tant qu’elle est
communicable, soit en tant qu’incommunicable.
En tant
qu’elle est communicable, on la désigne dans l’abstrait par le nom d’essence, et
dans le concret par le nom de substance; en tant qu’in communicable, soit par le
nom d’hypostase, si elle est susceptible de distinction, soit par le nom de
personne, si elle est effectivement distincte. Ou bien, en d’autres termes, si
elle est distincte de quelque façon, c’est l’hypostase, si elle est claire ment
et parfaitement distincte, c’est la personne. Voici des exemples tirés de la
créature: humanité, homme, un certain homme, Pierre. Le premier mot dit
l’essence, le deuxième la substance, le troisième l’hypostase, le quatrième la
personne.
5. Dans la personne qui est distinguée,
on ne considère pas seulement celui qui est distingué, mais aussi ce par quoi il
est distinct. C’est la propriété ou notion. Il y a donc nécessairement cinq
manières de parler ou de s’enquérir des personnes divines: quis pour la
personne, qui pour l’hypostase parce qu’elle est, sans plus de précision,
le suppôt de la substance, quae pour la notion, quod pour la
substance, quid ou quo pour l’essence.
6. Tous ces modes s’enracinent dans
l’unité de l’essence divine, car tout ce qui est en Dieu est Dieu lui-même seul
et un Ces modes ne posent donc ici de différence ni selon l’essence, ni selon
l’être.
C’est
pourquoi il y a en Dieu que trois manières de se différencier, selon les modes
d’être ou d’émaner, ainsi une personne diffère-t-elle d’une personne; selon les
modes d’être en relation, ainsi la personne diffère de l’essence car une
personne se réfère à une autre, elle en est donc distinguée, mais l’essence ne
se réfère pas à une autre, il n’y a donc pas lieu à distinction; enfin selon les
modes dont nous pensons Dieu, ainsi une propriété substantielle diffère d’une
autre, par exemple la bonté et la sagesse.
La première
différence est la plus grande qui puisse être trouvée en Dieu, c’est celle qu’il
y a entre les suppôts, au point que l’un ne peut être nommé pour l’autre. La
deuxième différence est plus petite car elle est entre les attributs, bien que
l’un d’eux puisse être affirmé d’un autre, comme la personne peut l’être de
l’essence, quelque chose cependant est affirmé de l’un qui ne l’est pas de
l’autre, par exemple: la personne est distincte et relative à une autre
personne, l’essence non.
La troisième
différence, celle qui est dans les connotés, est la plus petite. Car même si
l’on peut employer l’un pour l’autre et réciproquement, et dire la même chose de
l’un et de l’autre, cependant la même chose n’est pas connotée de part et
d’autre et tout te qui est signifié par deux connotés ne peut pas être compris à
la lumière d’un seul.
Du premier
mode de différenciation sort la pluralité des personnes; du deuxième mode, la
pluralité des affirmations concernant la substance et les relations; du
troisième mode, la pluralité des propriétés essentielles et des notions, soit de
toute éternité, soit dans le temps, soit proprement, soit métaphoriquement, soit
communément, soit par appropriation Les exemples en sont manifestes. Si l’on
comprend ceci, alors apparaît ce qu’il faut penser et comment il faut parler de
la souveraine Trinité des personnes divines.
1. On doit tenir selon la divine doctrine
que:
— Dieu est
sans limite, invisible et immuable;
— Néanmoins,
-il habite spécialement dans les hommes sanctifiés;
— Il -a
apparu aux Patriarches et aux Prophètes;
— Il est
descendu des cieux;
— Il a envoyé
son Fils et son Esprit Saint pour le salut du genre humain.
Bien qu’en
Dieu la nature, la puissance et l’opération de la Trinité soient indivises,
cependant la mission ou l’apparition de l’une des personnes n’est pas la mission
ou l’apparition d’une autre.
Bien qu’aussi
demeure en Dieu une souveraine égalité, cependant seul le Père envoie sans être
envoyé, l’Esprit Saint est seulement envoyé par rap port aux deux autres
personnes, encore que parfois on dise de lui qu’il envoie l’homme assumé; mais
le Fils envoie et est envoyé, comme on peut le lire dans l’Ecriture
Explication
2. Bien que le premier principe soit
immense et sans limites, bien qu’il soit incorporel et invisible, bien qu’il
soit éternel et immuable, il est ce pendant le principe des choses spirituelles
et corporelles, naturelles et surnaturelles, et par là des choses sujettes au
changement, des choses sensibles et limitées. Par elles, il se rend manifeste et
se fait connaître, bien qu’il soit lui-même immuable, insensible, et sans
limites. Il se rend manifeste et se fait connaître en général par l’universalité
des effets émanant de lui dans lesquels il est si l’on peut dire par son
essence, sa puissance et sa présence, ce qui s’étend à toutes les choses créées.
Il se fait spécialement connaître par certains effets qui conduisent
spécialement à lui, en raison des quels il est dit habiter, apparaître,
descendre, être envoyé et envoyer.
— Habiter
désigne un effet spirituel auquel ré pond une acceptation, comme l’est l’effet
de la grâce sanctifiante qui rend semblable à Dieu, conduit à Dieu et nous fait
posséder Dieu et nous fait en Dieu possédés: par là Dieu habite en nous. Par ce
que l’effet de la grâce est commun à toutes les personnes, l’une d’elles
n’habite pas sans les autres, c’est toute la Trinité qui habite en
nous.
3. — Apparaître désigne un effet sensible
avec une signification exprimée, comme l’Esprit Saint apparaissant sous la forme
d’une colombe. Or les personnes divines sont distinctes, elles peuvent donc être
distinguées par des signes et des noms. Donc chaque personne peut apparaître par
elle-même et toutes ensemble, ou chacune d’elles peut faire l’objet d’une
apparition. Ainsi quand on dit que l’Esprit Saint a apparu sous la forme de
langues de feu ou d’une colombe, ce n’est pas à cause d’un nouveau lien ou d’un
effet spécial, mais à cause de l’union qui existe entre celui qui est signifié
et le signe à lui assigné conformément au mode et à l’origine.
4. — Descendre signifie chacun des deux
effets précédents en y incluant une idée de commence ment. Car Dieu est toujours
présent aux anges bienheureux dans les cieux, car il habite toujours en eux et
leur apparaît. Mais aux pécheurs sur cette terre, il est comme absent quant à la
grâce et quant à la connaissance qu’ils ont de lui. Donc, lorsqu’il a commencé
d’apparaître ou d’habiter, de présent dans les cieux et comme absent à nous, il
devient présent sur terre. Bien qu’il n’y ait en lui aucune mutation, cependant,
pour nous, il est dit descendre.
5. — Etre envoyé signifie les effets
précédents avec l’idée de production éternelle. Car lorsque le Père envoie le
Fils en le rendant présent à nous par la connaissance ou la grâce, il insinue
que le Fils procède de lui. Et parce que le Père ne procède de personne, il ne
peut donc jamais être dit envoyé Le Fils, par contre, produit et est produit, il
envoie donc et est envoyé. Quant à l’Esprit Saint, il est éternellement produit
mais il ne produit que dans le temps. Il est donc proprement envoyé, mais en
voyer ne lui revient qu’à l’égard de la créature.
D’où il
apparaît que les propositions suivantes sont impropres et à rejeter: l’Esprit
Saint s’envoie lui-même, l’Esprit Saint envoie le Fils, le Fils s’en voie
lui-même, sauf si l’on veut parler du Fils en tant que né de la
Vierge.
Il est clair
aussi qu’envoyer et être envoyé ne conviennent pas à tous, car ces mots qui
signifient un effet dans la créature expriment d’abord une relation intrinsèque
de sorte qu’envoyer signifie l’autorité, être envoyé la « sous-autorité » quant
à la procession éternelle intrinsèque.
Enoncé
Selon
l’enseignement de la sainte Ecriture, que toutes les propriétés essentielles
conviennent également et indifféremment aux trois personnes,
— L’unité est
cependant appropriée au Père, vérité au Fils, la bonté à l’Esprit
Saint;
— A partir de
là on tire, selon saint Hilaire, une seconde série d’appropriations: «
l’éternité au
Père, la
beauté à l’Image, la jouissance au Don ».
— Et de là
une troisième série: au Père d’être la raison même de toute principiation, au
Fils d’être la raison de toute exemplarité, au SaintEsprit d’être la raison de tout
achèvement.
— Enfin une
quatrième série: au Père la toute-puissance, au Fils l’omniscience, au Saint
Esprit la bienveillance.
On dit que
ces attributs sont appropriés ion parce qu’ils deviennent propres alors qu’ils
demeurent communs, mais parce qu’ils nous conduisent à l’intelligence et à la
connaissance des propriétés, c’est-à-dire; des trois personnes.
Explication
2. Le premier principe est noble et
parfait. Les conditions de l’être, les plus nobles et les plus générales sont
donc suprêmement en lui. Ce sont l’un, le vrai, le bien qui n'affectent pas
l’être selon les suppôts mais selon notre raison. Car l’un désigne l’être en
tant qu’il est connumérable, du fait qu’en lui-même il n’est plus susceptible de
division; le vrai en tant qu’il est connaissable, parce qu’il n’est pas
susceptible d’être divisé de sa propre espèce; le bien en tant que communicable
parce qu’il n’est pas susceptible d’être divisé de sa propre espèce; Or, cette
triple indivision comporte un ordre logique de sorte que le vrai présuppose
l’un, et le bien présuppose l’un et le vrai. Ces conditions sont attribuées au
premier principe, souverainement, par ce qu’elles sont parfaites et générales.
Elles sont appropriées aux trois personnes parce qu’ordonnées l’une à l’autre.
L’un souverain est approprié au Père, origine des personnes; le vrai souverain
au Fils, qui vient du Père en tant que Verbe; Te bien souverain à l’Esprit
Saint, qui vient des deux en tant qu’Amour et Don.
3. L’un souverain est souverainement
premier parce qu’il manque de tout commencement, le vrai souverain est
souverainement égal et beau, le bien souverain est souverainement utile et
profitable. De là vient la seconde appropriation de saint Hilaire, l’éternité
dans le Père qui n’a pas de commence ment mais est absolument premier, la beauté
dans l’Image, c’est-à-dire dans le Verbe car il est souverainement beau, la
jouissance dans le Don, c’est-à-dire dans l’Esprit Saint, parce qu’il est
souveraine ment profitable et communicatif. Augustin insinue la même chose en
termes différents: Dans le Père l’unité, dans le Fils l’égalité, dans l’Esprit
Saint la concorde de l’unité et de l’égalité »
4. Ce qui est souverainement un et
premier possède la raison d’être le principe et l’origine. Ce qui est
souverainement beau possède la raison d’exprimer et d’être exemplaire; ce qui
est souverainement profitable et bon possède la raison d’être la fin, car le
bien et la fin sont une seule et même chose. Donc, ressort la troisième raison
d’appropriation: l’efficience au Père, l’exemplarité au Fils, la finalité à
l’Esprit Saint.
5. Du principe premier et souverain
découle tout pouvoir, du premier et souverain exemplaire tout savoir, de la fin
souveraine tout vouloir Il est donc nécessaire que le premier soit
tout-puissant, omniscient et bienveillant. L’unité première et souveraine,
revenant sur elle-même par un retour complet et parfait est toute-puissante, de
même la vérité revenant sur elle-même est omnisciente et la bonté revenant sur
elle-même atteint la plus haute bienveillance. Ces attributs sont appropriés
parce qu’ils insinuent un ordre. Car la volonté donne d’entrer préalablement
dans la connaissance, la volonté et la connaissance présupposent une puissance
et une vertu, car « pouvoir savoir, c’est un pouvoir»
Ce
raisonnement manifeste les appropriés, les personnes auxquelles ils sont
appropriés et la raison de ces appropriations. Les derniers attributs,
puissance, sagesse et volonté sont surtout ceux par lesquels la sainte Ecriture
glorifie la souveraine Trinité. II faut donc en parler maintenant
brièvement.
Enoncé
1. Dieu est tout-puissant de telle sorte
cependant que ne lui sont pas attribués les actes coupables, comme mentir ou
vouloir le mal, ni les actes pénaux, (c’est-à-dire consécutifs au péché
originel) comme craindre et souffrir, ni l actes corporels ou matériels, comme
dormir et marcher, sinon par métaphore, ni les actes contradictoires, comme
pouvoir faire plus grand que soi, ou un autre Dieu égal à soi, ou un infini en
acte, et autres choses semblables car, comme dit Anselme: « tout ce qui ne
convient pas, fût-ce quelque chose de minime, est impossible en Dieu ». Bien
qu’il ne puisse faire ces choses, Dieu est cependant tout-puissant proprement et
parfaitement.
Explication
2. Le premier principe est puissant d’une
puissance qui est pure et simple. C’est pourquoi l’adjectif distributif qu’on y
ajoute « tout » (toute puissance) concerne toutes ces choses pour les quelles
pouvoir est pouvoir purement et simple ment. Ces choses sortent d’une puissance
à la fois complète et ordonnée.
J’appelle
puissance complète celle qui ne peut défaillir ni succomber ni manquer de quoi
que ce soit. Or la puissance défaille en péchant, succombe en souffrant, inclut
l’indigence dans les actions corporelles. La puissance divine, parce que
souveraine et parfaite, ne vient donc pas du néant, n’est subordonnée à rien et
n’a besoin de rien d’autre, et par là elle ne peut opérer d’actes coupables, ni
d’actes pénaux ni d’actes matériels. Et ceci parce qu’elle est puissance
complète.
3. Il y a trois aspects selon lesquels la
puissance peut être dite ordonnée
— selon
l’acte
— selon
l’aptitude du côté de la créature
— selon
l’aptitude du côté de la seule incréée.
Ce qui est
possible à la puissance sous le premier aspect est non seulement possible mais
actuel.
Ce qui est
possible à la puissance sous le deuxième aspect et non sous le premier, est
possible pure ment et simplement bien que non actuel.
Ce qui est
possible à la puissance sous le troisième aspect, et non sous le premier et le
deuxième, est possible à Dieu mais impossible à la créature.
Ce qui n’est
possible sous aucun des aspects précédents, comme par exemple ce qui répugne
directement à l’ordre selon les raisons et les causes primordiales et éternelles
est impossible purement et simplement: que Dieu fasse un infini en acte, qu’il
fasse qu’un être Soit en même temps qu’il n’est absolument pas, qu’il fasse que
ce qui a été n’ait pas été, et autres choses semblables. Pouvoir ainsi est
contre l’ordre et la perfection de la puissance divine.
De ceci
apparaît tout ce qui a trait à la puissance divine. Il apparaît aussi ce qui
doit être appelé possible purement et simplement, et impossible purement et
simplement. Il apparaît enfin que l’impossibilité de faire certaines choses ne
contredit pas la vraie toute-puissance.
.
1. La sagesse
divine connaît clairement toutes les choses bonnes et mauvaises, passées,
présentes et futures, actuelles et possibles et par là les choses qui nous sont
incompréhensibles et les infinies. Elle les connaît cependant de telle sorte
qu’en Dieu la sagesse n’est nullement diversifiée bien qu’elle soit assortie de
divers noms.
Enoncé
En effet,
en tant qu’elle connaît tous les possibles, on l’appelle science ou
connaissance,
En tant
qu’elle connaît tout ce qui arrive dans l’univers, on l’appelle
vision,
En tant
qu’elle connaît tout ce qui est bien, on l’appelle approbation,
En tant
qu’elle connaît tout ce qui arrivera, on l’appelle prescience ou
prévision,
En tant
qu’elle connaît tout ce que Dieu fera, on l’appelle disposition,
En tant
qu’elle connaît tout ce qui est digne de récompense, on l’appelle
prédestination,
En tant
qu’elle connaît tout ce qui mérite d’être condamné, on l’appelle
réprobation.
2. Or, elle n’est pas seulement
connaissance, mais aussi raison du connaître. Donc, en tant qu’elle est raison
de connaître toutes les choses connues, on l'appelle lumière.
En tant
qu’elle est raison de connaître les choses vues et approuvées, on l’appelle
miroir.
En tant
qu’elle est raison de connaître les choses prévues et disposées, on l’appelle
exemplaire.
En tant
qu’elle est raison de connaître les choses prédestinées et réprouvées, on
l’appelle livre de vie.
Le livre de
vie se rapporte donc aux choses en tant qu’elles retournent à Dieu.
l’exemplaire, en tant qu’elles sortent de lui, le miroir, en tant qu’elles se passent devant la lumière se rapporte à toutes les choses.
A
l’exemplaire se rapporte l’idée, le verbe, l’art et la raison l’idée selon
l’acte qui prévoit, le verbe selon l’acte qui propose, l’art selon l’acte qui
réalise,
la raison
selon l’acte qui achève, parce que s’y ajoute l’intention de la fin.
Mais parce
que tous ces actes sont un en Dieu, l’un est fréquemment pris pour un
autre.
3. Et bien que la sagesse divine en raison de la diversité des objets de connaissance soit assortie de divers noms, elle n’est cependant pas diversifiée pour une raison intrinsèque. Car elle connaît infailliblement les contingents, immuablement les choses sujettes au changement, les futurs comme étant présents, éternellement les choses temporelles, les choses dépendantes d’une manière indépendante, les choses créées d’une connaissance incréée, les choses autres qu’elle-même, en elle-même, et par elle-même.
Et puisque la
sagesse divine connaît les contingents infailliblement, la liberté et la
possibilité qu’a la volonté créée de changer ses décisions existent en même
temps que la prédestination et la prescience.
Explication
4. Le premier principe, par le fait qu’il est
premier et souverain, possède une connaissance à la fois simple et
parfaite.
Parce que
cette connaissance est parfaite, elle connaît toutes choses distinctement sous
toutes les conditions que les choses ont ou peuvent avoir. Elle connaît donc les
futures comme futures, les présentes comme présentes, elle sait les choses
bonnes qui doivent être récompensées et les mauvaises réprouvées. De là, elle
est assortie de divers noms selon qu’il a été dit plus haut.
5. Mais la perfection de la sagesse
subsiste avec la souveraine simplicité. De là, elle connaît toutes les choses
autres qu’elle-même, en elle-même et par elle-même.
Il suit de là qu’elle connaît les choses créées d’une manière incréée, les choses qui dépendent d’autres, d’une manière indépendante,
les choses temporelles dans l’éternité,
les futures dans le présent,
les choses sujettes au changement, immuablement,
les
contingents infailliblement.
6. Ainsi les contingents, demeurant
contingents, n’en sont pas moins infailliblement prévus par la sagesse divine,
tant les contingents qui sont soumis à la nature que ceux qui sont soumis à la
liberté de la volonté humaine.
De là, celui
qui veut comprendre vraiment comment demeurent en même temps la liberté de la
volonté créée et l’infaillibilité de la prédestination éternelle, doit commencer
à résoudre le dernier degré puis remonter les sept degrés susmentionnés jusqu’à
la première proposition que nous avons établie, à savoir que le premier principe
connaît parfaitement toutes choses par lui-même, ce qui est certainement vrai. A
partir de cette proposition, se conclut par un raisonnement infaillible tout ce
qui a été dit plus haut.
7. De même que la certitude de la
connaissance divine coexiste avec la contingence des choses connues, parce que
la sagesse divine est à la fois simple et parfaite, ainsi, pour la même raison,
l’unité de la sagesse divine demeure en même temps que la diversité des raisons
et des idées. En effet, la sagesse divine est parfaite, elle connaît donc
distinctement toutes choses et chacune, les représente toutes distinctement et
parfaitement. On dit donc qu’elle possède de chacune, des raisons et des idées
comme similitudes parfaitement expressives de ces choses.
Parce que la
sagesse divine est simple, toutes ces similitudes sont une en elle. Il s’ensuit
que de même que Dieu, par sa puissance une, produit dans le temps, tous les
êtres selon leur parfaite intégrité, ainsi en une unique vérité exprime-t-il
toutes choses éternellement. Et de même qu’en Dieu très-haut et tout-puissant,
une est l’opération active considérée en elle-même, cependant on dit qu’il y a
plusieurs productions à cause de la pluralité des choses produites; ainsi une
est la vérité de l’acte unique d’intelligence en Dieu et cependant on distingue
plusieurs similitudes, idées et raisons, à cause de la pluralité des choses
pensées ou existantes, ou futures ou possibles. Ces raisons ou idées, bien
qu’elles soient une vérité, une lumière et une essence, ne sont pas cependant
appelées une seule raison, ou une seule idée. En effet, dans l’ordre de la
connaissance, la raison ou l’idée est ainsi appelée pour autant qu’elle se
rapporte à un objet, car elle désigne la similitude de la chose connue. Cette
similitude est réellement en Dieu, bien que dans l’ordre de la connaissance elle
semble appartenir au monde idéal.
8. Si l’on recherche quelque chose de
semblable dans la créature, on devra y renoncer, car il faut dire que cela est
propre à cet exemplaire divin. Comme on l’a dit, il est à la fois simple, infini
et parfait. Cela étant compris, tout le reste suit par voie de conséquence. Car
parce que cet exemplaire est simple et parfait, il est donc acte pur. Et parce
qu’il est infini et immense, il est donc en dehors de tout genre. C’est pourquoi
cet exemplaire, alors qu’il est un, peut devenir la similitude expressive de
tous les autres êtres.
Enoncé
1. La volonté de Dieu est droite de sorte
qu’elle ne peut dévier en aucune manière. Elle est efficace au point que rien ne
peut l’entraver. Elle est une, de telle sorte cependant qu’elle puisse être
signifiée de multiples façons.
2. La volonté divine, qui est volonté de
bon plaisir, est signifiée par la volonté de l’un de ces cinq signes différents
qui sont: l’ordre, la défense, le conseil, l'accomplissement et la permission.
Tout ce qui arrive dans l’univers est disposé par la volonté de bon plaisir
selon ces cinq signes, « car la volonté de Dieu est cause première et souveraine
de toutes les formes et motions. Rien n’arrive visiblement et sensiblement dans
cette vaste et immense république de la création qui ne soit ou ordonné ou
permis depuis la cour intérieure et invisible et intelligible de l’empereur
suprême, selon l’ineffable justice des récompenses et des peines, des grâces et
des rétributions» .
3. Et parce que cette volonté, réglée par
la rai-. son est appelée providence, tout ce qui arrive dans l’univers est fait
et réglé par la divine providence qui est par-dessus tout irrépréhensible parce
qu’elle n’ordonne, ne défend ou ne conseille rien que de juste, ne fait rien que
de bon, ne permet rien d’in juste.
Explication
4. Le premier principe, souverainement
noble, possède une volonté et la possède de manière noble. Or, de soi, la
volonté signifie ce par quoi, dans les êtres qui agissent selon leur propos, est
observée la règle de la rectitude et est obtenu l’efficace de l’opération. Donc,
la volonté en Dieu est droite et efficace. Elle est droite parce qu’en Dieu
volonté et vérité sont une seule et même chose. Elle est efficace, parce qu’en
Dieu volonté et puissance sont aussi une seule et même chose.
La volonté
divine ne peut faillir à la vérité. Elle est donc non seulement droite, mais
elle est règle de rectitude.
Elle ne peut
non plus manquer de puissance. Elle est donc non seulement efficace, mais source
et origine de toute efficacité. Ainsi, rien sans elle ne peut être fait, rien ne
peut arriver contre elle, rien n’existe qui puisse l’entraver.
5. Elle est droite. Rien donc ne peut
être droit qui ne lui soit conforme”. Mais rien ne peut lui être conformé si
cette volonté ne se fait connaître. Il a donc fallu que la volonté divine nous
soit connue comme règle de rectitude.
Or, il est
une rectitude de nécessité, celle qui fait le bien nécessaire et évite le mal.
Il est une rectitude de perfection, celle qui surajoute à ce qui est dû. Cette
rectitude nous est connue par un triple signe, l’ordre, la défense et le
conseil. Cela signifie que le bon plaisir divin accepte comme juste ce qui
arrive selon le précepte divin, ce qui est omis en raison de la défense divine,
ce qui est accompli selon le conseil divin. Ces signes sont les infaillibles
signes de la volonté divine en tant qu’elle est la règle de toute
rectitude.
6. La volonté divine est efficace.
Personne ne peut absolument rien faire sans qu’elle opère et agisse en même
temps. Personne ne peut défaillir ou pécher sans en être abandonné justement. En
ce sens, deux signes existent, l’accomplissement, qui est signe de la volonté
efficiente et la permission qui est signe de la volonté à bon droit délaissante.
Elle délaisse justement car il est juste qu’elle ad ministre les choses qu’elle
a créées sans pour au tant enfreindre les lois qu’elle a édictées. Ainsi
coopère-t-elle « aux choses qu’elle a créées en les laissant agir de leurs
propres mouvements ». Donc, si elle laisse faillir dans le mal le libre-arbitre
capable de se tourner par la loi de nature vers le bien ou le mal, elle ne le
permet qu’en toute justice.
7. En outre, si la volonté divine
prévient et sou tient par la grâce, elle ne fait injure à personne. Elle n’agit
donc pas injustement ni en justice absolue selon l’exigence des mérites, car les
mérites n’y suffisent pas, mais gratuitement et avec miséricorde et de quelque
façon avec justice, en tant que cela provient de la convenance de sa
bonté.
Donc,
lorsqu’elle damne et réprouve, elle opère selon la justice, lorsqu’elle
prédestine, elle opère selon la grâce et la miséricorde qui n’exclut pas la
justice car tous, appartenant à la masse de perdition, devaient être damnés.
Plus nombreux sont les réprouvés que les élus, pour montrer que le salut vient
d’une grâce spéciale et la damnation de la justice commune. Nul donc ne peut se
plaindre de la volonté divine, car elle fait tout avec rectitude. Bien plus
devons-nous rendre grâces et honneur à l’ordonnance de la providence
divine.
Si quelqu’un
se demande pourquoi la grâce est donnée plus largement à un pécheur qu’à un
autre, il faut imposer silence à la loquacité humaine et s’exclamer avec
l’Apôtre: « O abîme de la riches se, de la sagesse et de la science de Dieu! Que
ses décrets sont insondables et ses voies incompréhensibles! Qui en effet a
jamais connu la pensée du Seigneur? Qui en fut jamais le conseiller? Ou bien qui
l’a prévenu de ses dons pour devoir être payé de retour? Car tout est de lui et
par lui et pour lui. A lui soit la gloire éternellement! Amen »
1. Après nous être fait une idée sommaire
de la Trinité de Dieu, il faut parler quelque peu du monde, créature de
Dieu.
Enoncé
La totalité de la machine du monde a été produite dans l’être, dans le temps, et de rien, par un unique premier Principe, seul et souverain, dont la puissance, bien qu’incommensurable a disposé « toutes choses dans un certain poids et nombre et mesure ».
2. Il faut entendre dans leur sens
général, ces affirmations touchant la production des choses: à partir d’elles
peut se conclure la vérité et se dissiper l’erreur.
En disant:
dans le temps, on exclut l’erreur de ceux qui professent l’éternité du
monde.
En disant:
de rien, on exclut l’erreur de ceux qui professent l’éternité de la
matière.
En disant:
par un unique principe, on exclut l’erreur des Manichéens qui proposent la
pluralité des principes.
En disant:
seul et souverain, on exclut l’erreur de ceux qui professent que Dieu a produit
les créatures inférieures par le ministère des intelligences.
En
ajoutant: dans un certain poids et nombre et mesure, on montre que là créature
est l’oeuvre de la Trinité sous une triple causalité: efficiente, d’où la
créature reçoit l’unité, le mode et la mesure exemplaire, par laquelle se trouve
dans la créature, la vérité, la beauté et le nombre; finale, par laquelle se
trouve dans la créature, la bonté, l’ordre et la pesanteur.
Et tout cela
se retrouve dans toutes les créatures comme vestiges du Créateur, soit dans les
choses corporelles, soit dans les choses spirituelles, soit dans les choses à la
fois corporelles et spirituelles.
3. Explication
Pour que
l’ordre des choses soit parfait et définitif, il faut que toutes choses soient
reconduites à un seul principe. Ce principe doit être le premier pour donner aux
autres leur existence, il doit être le plus parfait pour les conduire à leur
achèvement.
Or ce premier
principe en qui se trouve l’existence ne peut être qu’unique. S’il crée le
monde, il ne peut le créer à partir de lui-même, il le crée donc de
rien.
De plus, la
production « de rien » signifie l’être après le non-être pour ce qui est produit
et, pour le principe, l’infinité de la puissance créatrice. Parce que cela
n’appartient qu’à Dieu seul, le monde a été nécessairement produit dans le temps
par cette puissance sans limite, agissant par elle-même et immédiatement.
4. En outre, parce que le principe
parfait dont découle la perfection de toutes choses, agit nécessairement par
lui-même, selon lui-même et pour lui-même — il n’a besoin de rien en agissant
hors de lui —, il faut qu’il ait à l’égard de toute créature un dessein selon la
triple causalité efficiente, exemplaire et finale. Il faut aussi que toute
créature puisse être comparée à la cause première selon cette triple causalité.
Toute créature, en effet, est constituée dans l’être par la cause efficiente,
elle est conformée à l’exemplaire, elle est ordonnée à une fin.
Par là, elle
est une, vraie et bonne; conforme, belle et ordonnée; mesurée, distincte et
pesante (la pesanteur est, en effet, une tendance ordonnée). Tout ceci
s’applique en général à toute créature corporelle, incorporelle, ou composée de
corps et d’esprit comme l’est la nature humaine.
1. Il nous faut considérer la nature
corporelle dans sa genèse, dans son être et dans son agir.
Enoncé
La nature
corporelle a été produite en six jours, de sorte qu’au commencement, avant tout
temps, Dieu créa le ciel et la terre Le premier jour a été formée la lumière; le
deuxième jour, le firmament a été créé au milieu des eaux; le troisième jour,
les eaux ont été séparées de la terre et amassées en un seul lieu; le quatrième
jour, le ciel a été orné de luminaires; le cinquième jour, les airs et les eaux
ont été peuplés d’oiseaux et de poissons; le sixième jour, la terre a été
peuplée d’animaux et d’hommes; le septième jour, Dieu se reposa, non pas de son
travail et de son oeuvre, car il continue toujours d’agir, mais il s’arrêta de
produire de nouvelles espèces. Il avait fait toutes choses, soit dans leur
prototype, ainsi les choses qui se propagent par génération, soit dans leur
raison séminale, ainsi les choses qui viennent à l’être autrement.
2. Explication
Les choses viennent du principe premier et par fait. Or, ce principe est tout-puissant, infiniment sage et souverainement bienveillant. Il fallait donc que les choses viennent à l’être de façon que dans leur création éclate cette triple perfection. L’opération divine a donc revêtu une triple forme dans la production du monde:
la création qui, par appropriation, répond à la toute-puissance, la distinction qui répond à la sagesse,
l’ornement qui répond à la bonté très généreuse.
Et parce
que la création est à partir de rien, elle a donc été au commencement, avant
tout temps, comme fondement de toutes les choses et de tous les temps.
3. En outre, parce que la distinction des
corps peut être considérée selon un triple aspect, elle a donc été accomplie en
trois jours. Elle est, en effet, distinction de la nature lumineuse, de la
nature limpide et de la nature opaque: ceci eut lieu le premier jour, dans la
division de la lumière et des ténèbres. Elle est aussi distinction entre les
natures limpides: ceci eut lieu le deuxième jour, dans la division des eaux avec
les eaux. Elle est enfin distinction entre la nature limpide et la nature
opaque: ceci eut lieu le troisième jour, dans la division des eaux et de la
terre. Ainsi comprend-on implicitement la distinction entre les cieux et les
éléments, comme on l’expliquera plus loin. Ainsi donc, cette distinction a dû se
faire en trois jours.
4. L’ornement correspond à la
distinction. Il a donc été semblablement achevé en trois jours. Il est, en
effet, ornement de la nature lumineuse: ceci eut lieu le quatrième jour dans la
formation des étoiles, du soleil et de la lune. Il est aussi ornement de la
nature limpide: ceci eut lieu le cinquième jour, lorsque les eaux produisirent
les poissons et les oiseaux pour l’ornement des eaux et des airs. Il est enfin
ornement de la nature opaque, c’est-à-dire de la terre: ceci eut lieu le sixième
jour, lorsque furent créés les animaux et les reptiles et lorsque fut créée,
pour l’achèvement de toutes choses, la nature humaine.
5. Toutes ces choses, Dieu aurait pu les
faire en un instant. Il préféra cependant les créer dans la succession des temps
et ceci pour trois raisons. Tout d’abord, pour donner une représentation
distincte et claire de sa puissance, de sa sagesse et de sa bienveillance.
Ensuite, pour établir une correspondance convenable entre les jours du temps et
les opérations. Enfin, comme dans la création du monde, les semences devaient
être jetées des oeuvres à venir, de même devaient être préfigurés les temps
futurs.
Ainsi, dans
ces sept jours, la distinction de tous les temps était en germe; on l’explique
par le déroulement des sept âges. C’est pour cela qu’aux six jours d’opération
est ajouté le septième jour de repos. L’Ecriture ne dit pas que ce jour ait eu
un soir. Ce n’est pas que ce jour n’ait pas été suivi d’une nuit, mais c’est
pour préfigurer le repos des âmes qui n’aura jamais de fin. Si l’on dit, par
contre, que toutes les choses ont été faites en même temps, on réfère les sept
âges à un point de vue angélique. Cependant, la première manière de parler est
plus conforme à l’Ecriture et aux autorités des saints qui ont précédé et suivi
le bienheureux Augustin.
1. Enoncé
La nature
corporelle, dans sa totalité, est tout entière dans les cieux et dans les
éléments.
De sorte que
la nature céleste est divisée en trois ciels principaux, l’empyrée, le
cristallin et le firmament.
Dans le
firmament, qui est le ciel étoilé, se trou vent les sept orbites des sept
planètes: Saturne, Jupiter, Mars, Soleil, Vénus, Mercure et Lune.
Dans la
nature élémentale, on distingue les quatre sphères du feu, de l’air, de l’eau et
de la terre. Ainsi, en allant du sommet du ciel au centre de la terre, on trouve
dix mondes célestes et quatre sphères élémentales, par quoi est constitué dans
son intégralité, distinctement, parfaitement et avec ordre, le monde sensible
tout entier.
2. Explication
La nature
corporelle, pour être parfaite et pour exprimer la sagesse multiforme du premier
principe, requiert une multiplicité de formes, comme on le voit chez les
minéraux, les plantes et les animaux. Il était donc nécessaire de créer quelques
corps simples qui puissent se mélanger de façon multiple pour introduire une
multiplicité de formes. Telle est la nature sujette à la combinaison des
contraires, la nature élémentale. Il était nécessaire aussi qu’il y ait une
nature par laquelle ces contraires puissent être conciliés dans un composé.
Cette nature, libre de toute contrariété, est celle de la lumière et du corps
supracéleste
3. Et parce que le mélange ne peut se
faire que par des contraires actifs et passifs, il a donc fallu une double
contrariété dans les éléments, dans les qua lités actives qui sont le chaud et
le froid, et dans les qualités passives qui sont l’humide et le sec. Et parce
que chaque élément agit et subit, il possède donc deux qualités, l’une active et
l’autre passive de façon cependant que l’une soit principale et propre. Ainsi,
n’y a-t-il que quatre éléments correspondant aux quatre qualités précédentes,
combinées de façon quadruple.
4. La nature céleste est soit uniforme et
immobile, c’est l’empyrée, qui est pure lumière; soit mobile et multiforme,
c’est le firmament; soit mobile et uniforme, c’est le ciel moyen entre l’empyrée
et le ciel étoilé, le ciel cristallin. La quatrième combinaison qui serait
multiforme et immobile est impossible car la multiplicité donne la variété au
mouvement et non le repos uniforme.
5. Il y a trois ciels, dont le premier
est tout entier lumineux, l’empyrée; le deuxième tout entier clair, le
cristallin; le troisième lumineux et clair, le firmament. Donc, puisqu’il y a
trois ciels incorruptibles et quatre éléments variables, pour que s’établisse la
connexion nécessaire, la concorde et la correspondance, Dieu a disposé sept
orbites de planètes pour que, par la variété de leurs mouvements et
l’incorruptibilité de leurs formes, elles soient comme un certain lien et un
assemblage entre les orbites des éléments inférieurs et celles des corps
célestes supérieurs pour achever et orner l’univers. Cet uni vers est ordonné
selon des proportions numériques et se compose des dix orbites célestes et des
autres éléments qui le rendent proportionnellement aussi beau que parfait et
ordonné de façon qu’à sa manière, il représente son principe.
1. Enoncé
Les corps
célestes influent sur les corps terrestres et élémentaux dans la désignation
distincte des temps, jours, mois et années. L’Ecriture dit, en effet, qu’ils
servent de signes pour les saisons, les jours et les années. Ils influent encore
dans la production effective des choses engendrables et corruptibles, telles que
les minéraux, les végétaux, les sensibles et les corps humains.
Cependant,
ils ne servent pas de signes aux temps et ne gouvernent pas les opérations au
point d’être les signes certains des futurs contingents et d’in fluer sur le
libre-arbitre par la force des constellations, ce que certains philosophes ont
appelé le « fatum »
2. Explication
Dans les
corps célestes, en raison de leur proximité avec le premier principe, il y a
lumière, mouvement, chaleur, force: lumière à cause de sa forme et de sa beauté,
mouvement en raison de l’influence d’en-haut, chaleur par rapport à la nature
inférieure qui la reçoit, force en raison de tout ce qui vient d’être
dit.
Ceci étant,
les corps célestes servent, par la lumière et le mouvement, à la distinction des
temps, à savoir: du jour selon la lumière du soleil et le mouvement du
firmament, du mois selon le mouvement de la lune dans son chemin elliptique, de
l’année selon le mouvement du soleil dans le même chemin, des saisons selon le
mouvement des diverses planètes, leur opposition et leur conjonction, leur
ascension et leur descente, leur disparition et leur repos, qui donnent
naissance à la diversité des saisons.
3. Par leur force et leur chaleur, les
corps célestes influent sur la production des choses qui naissent à partir des
éléments, en les excitant, en les poussant et en les unissant. Ainsi, selon une
conciliation inégale des contraires, ils influent sur les minéraux selon une
conciliation moins inégale, ils influent sur les végétaux; selon une
conciliation presque égale, ils influent sur les animaux; selon une conciliation
égale, ils influent sur les corps humains qui sont faits pour la forme la plus
noble, l’âme raisonnable, laquelle est ordonné et se termine le désir de toute
la nature sensible et corporelle. Par l’âme raisonnable qui est une forme
existante, vivante, sensible et intelligente, toute la nature sensible et
corporelle est ramenée, à la manière d’un cercle intelligible, à son principe
dans lequel elle trouve sa perfection et sa béatitude.
4. Et parce que l’âme raisonnable tend à
cela par son libre-arbitre, elle dépasse en perfection toute puissance
corporelle en raison de la liberté de son arbitre. A cause de cela, toutes
choses sont faites pour la servir. Rien ne peut la dominer sinon Dieu seul et
non pas le « fatum », ni quelque force venant de la position des astres.
5. Ainsi, il est indubitablement vrai que
nous sommes la fin de toutes choses qui existent. Toutes les choses corporelles
sont faites pour le service de l’homme, de sorte que par toutes ces choses,
l’homme est poussé à aimer et à louer l’auteur des mondes, dont la providence a
disposé toutes choses.
Cet univers
sensible des choses corporelles est donc une maison édifiée pour l’homme par le
souverain artisan jusqu’à ce qu’il rejoigne la demeure qui n’est pas faite par
des mains d’homme et qui est dans les cieux. De la sorte, comme l’âme, en raison
du corps et de l’état de mérite, se trouve maintenant sur terre, ainsi plus
tard, le corps, en raison de l’âme et de l’état de récompense, sera dans les
cieux.
1. Enoncé
De tout ce
qui a été dit, il faut conclure que, comme Dieu a créé les choses avec ordre
dans le temps et les a disposées avec ordre dans l’espace, il les gouverne aussi
avec ordre dans leur influence. C’est avec le même ordre que l’Ecriture nous en
donne une doctrine suffisante, bien qu’elle ne décrive pas si explicitement la
distinction des orbites célestes et élémentales et qu’elle dise peu de choses ou
rien des mouvements et des formes des corps supérieurs et des mélanges entre les
éléments et les composés. Qui plus est, elle ne raconte rien explicitement de la
création des esprits supérieurs parce qu’elle décrit surtout notre univers
parvenant à l’être.
2. Explication
Le premier
principe se fait connaître à nous par l’Ecriture et par la créature. Par le
livre de la créature, il se manifeste comme principe effectif; par le livre de
l’Ecriture, comme principe de réparation. Le principe de réparation ne peut être
connu que s’il est connu aussi comme principe effectif. Donc, la sainte
Ecriture, bien qu’elle traite principalement des oeuvres de réparation, doit
néanmoins traiter de l’oeuvre de création en tant que celle-ci conduit à la
connaissance du premier principe créateur et réparateur. L’Ecriture est donc la
connaissance sublime et salutaire: sublime, parce qu’elle traite du principe
effectif, Dieu créateur; salutaire, parce qu’elle traite du principe réparateur,
le Christ sauveur et médiateur.
3. Et parce que l’Ecriture est sublime,
en traitant du premier principe et être souverain, elle ne s’abaisse pas à
décrire les natures spéciales, les mouvements, les forces et les différences des
êtres. Mais elle se tient dans une certaine généralité dans laquelle est
impliqué tout ce qui est spécial, en décrivant la création du monde quant à la
disposition et à l’in fluence à l’égard de la nature lumineuse, opaque et
limpide.
4. Le premier principe dont traite
l’Ecriture possède en soi un ordre de nature en étant principe d’existence, un
ordre de sagesse en étant principe de disposition, un ordre de bonté en étant
principe d’influence; de sorte que l’ordre de la nature possède la simultanéité
et l’égalité, l’ordre de l’influence, la supériorité et
l’infériorité.
Donc, pour
insinuer l’ordre de la nature, l’Ecriture détermine comme il convenait que Dieu
opère: au commencement, avant le déroulement du temps, cette triple nature fut
produite du non-être à l’être, lorsqu’il est dit: Dans le principe, Dieu créa le
ciel et la terre et l’Esprit de Dieu planait sur les eaux. Le mot « ciel »
insinue la nature lumineuse, le mot « terre », la nature opaque, le mot « eaux
», la nature limpide sujette à la contrariété ou élevée au-dessus. La Trinité
éternelle est aussi insinuée, le Père par le mot « Dieu créateur », le Fils par
le mot « Principe », l’Esprit Saint par le mot « Esprit de Dieu » Ainsi faut-il
comprendre ce qui est dit: Celui qui vit éternellement a créé tout ensemble. Non
qu’il ait créé dans le chaos d’une confusion absolue, comme l’ont écrit les
poètes, puisqu’il a produit cette triple nature, la supérieure au sommet, la
médiane au milieu, l’inférieure en bas. Il ne l’a pas créée non plus dans l’être
dans une distinction absolue, puisque le ciel était parfait et la terre vague,
la nature moyenne comme tenant le milieu, n’ayant pas encore atteint la
distinction parfaite.
5. Pour insinuer l’ordre de la sagesse
dans la disposition des choses, l’Ecriture détermine que cette triple nature ne
fut pas en même temps distincte et ornée. Mais selon l’exigence de cette triple
nature créée, elle fut distincte en trois jours et ornée en trois autres jours.
De sorte que, comme Dieu a créé au commencement la nature triple simultanément
au début du temps, ainsi avec la succession du temps en une triple mesure
temporelle, c’est-à-dire en trois jours, Dieu a fait la triple distinction de la
triple nature créée. En trois autres jours, il a fait le triple ornement de la
triple nature distincte.
6. Pour insinuer l’ordre de la bonté dans
l’in fluence, l’Ecriture détermine que cette triple nature a été placée dans le
monde selon sa dignité et son influence. La nature lumineuse ayant la plus
grande beauté, il lui revenait d’entourer toutes choses. La nature opaque ayant
moins de beauté, il lui revenait d’être au centre. La nature limpide tenant le
mi lieu, il lui revenait d’être au milieu. Et parce que la nature limpide est
commune à la nature céleste et à la nature élémentale et qu’en outre la nature
lumineuse convient aux deux, il est donc dit juste ment que le firmament a été
créé au milieu des eaux, non parce que les eaux qui sont au-dessus des cieux
sont liquides, froides, pesantes et corruptibles, mais parce qu’elles sont
subtiles et incorruptibles, limpides et élevées au-dessus de toute contrariété
et par là de nature céleste et devant se situer parmi les natures célestes en
raison de la dignité de leur forme.
7. Ces eaux occupent cette place en
raison aussi de leur forme et de leur influence. En effet, toute action
corporelle dans les choses inférieures tire sa règle, son origine et sa force de
la nature céleste. Puisqu’il y a deux qualités actives, le chaud et le froid et
qu’il y a un certain ciel principalement influent et chaud, le ciel sidéral en
raison de sa luminosité, il convenait qu’un certain ciel influe sur le froid,
c’est le cristallin. Et comme le ciel sidéral, bien qu’il influe pour créer la
chaleur, n’est pas formellement chaud, ainsi le ciel qu’on appelle aqueux ou
cristallin, n’est pas essentiellement froid.
De là,
lorsque les saints disent que les eaux sont placées là pour réprimer la chaleur
des corps supérieurs et autres choses semblables, il faut l’en tendre non pas
formellement, mais selon l’efficience et l’influence.
La production
des créatures, selon l’ordre que nous venons de dire, correspond à l’ordre de la
sagesse créatrice et de la divine Ecriture, car elle est la science
sublime.
8. En outre, I’Ecriture est la science
salutaire. Elle ne traite donc de l’oeuvre de création qu’en vue de l’oeuvre de
réparation. Et parce que les anges ont été ainsi créés qu’ils n’ont pas été
rachetés après leur chute, comme on le dira plus loin, l’Ecriture, si on la
prend à la lettre, se tait donc sur la chute et la création des anges, car leur
chute ne devait pas être suivie de réparation.
9. Parce qu’il ne convenait pas à la
sublimité de l’Ecriture qu’elle se taise absolument sur la création de la
créature la plus sublime, elle décrit donc la création des choses comme l’exige
la science sublime et salutaire, de façon cependant que, selon le sens spirituel
de l’Ecriture, toute la création décrite par la lettre se rapporte
spirituellement à la hiérarchie angélique et ecclésiastique. Selon le sens
spirituel, dans ces trois natures sont décrites la hiérarchie angélique par le
mot « ciel », la hiérarchie ecclésiastique par le mot « terre » et la grâce qui
irrigue les deux hiérarchies par le mot « eaux ».
10. En outre, par les sept jours, on
entend l’état septiforme de l’Eglise dans le déroulement des sept âges On entend
aussi la conversion septiforme des anges, de la créature à Dieu.
Ainsi, dans
tout ce que l’on vient de dire, apparaît la suffisance et la vérité de
l’Ecriture dans les diverses opinions des saints, Augustin et autres, opinions
qui ne se contredisent pas, puisqu’elles sont vraies si on les comprend
bien.
1. faut traiter maintenant de la nature
spirituelle et incorporelle comme l’est la nature angélique au sujet de laquelle
il faut considérer la création des esprits supérieurs, la ruine des démons et la
confirmation des bons anges.
2. Enoncé
Les anges
possèdent, dès leur création, quatre qualités
— La
simplicité de l’essence,
— la
distinction des personnes,
— le don de
la raison avec mémoire, intelligence et volonté,
— et enfin le
libre-arbitre pour choisir le bien et rejeter le mal.
Ces quatre
qualités principales sont accompagnées
de quatre
autres
— la
virtuosité dans l’agir,
—
l’empressement dans le service,
— la
perspicacité dans le savoir,
—
l’immutabilité après le choix soit dans le bien, soit dans le mal.
3. Explication
Le premier
principe, par le fait qu’il est premier, a produit toutes choses à partir de
rien, non seule ment ce qui est proche de rien, mais aussi ce qui est proche de
lui-même non seulement la substance éloignée de lui comme l’est la substance
corporelle, mais aussi celle qui est proche de lui, la substance intellectuelle
et incorporelle qui, par le fait qu’elle est la plus semblable à Dieu, possède
la simplicité de la nature et la distinction des personnes afin de ressembler à
Dieu par la substance commune aussi bien qu’individuelle. Cette substance
possède aussi dans l’esprit l’image de la Trinité par la mémoire, l’intelligence
et la volonté. Elle possède enfin la liberté de la volonté afin de ressembler à
Dieu par la puissance naturelle aussi bien qu’élective, la puissance naturelle
étant marquée par l’image de Dieu, la puissance élective par la liberté de
l’arbitre.
Cette
substance ne pourrait, en effet, en aucune façon, parvenir, de façon méritoire,
à la récompense glorieuse qui rend chacun bienheureux, si elle ne possédait le
libre-arbitre de la volonté. Or, ceci ne peut être que dans une substance
rationnelle accompagnée de mémoire, d’intelligence et de volonté.
Là où est la
raison, il faut que soit, selon Boèce, « la substance individuée d’une nature
rationnelle » Il faut aussi qu’il y ait substance spirituelle et incorporelle
et, par là, simple, sans aucune dimension quantitative.
4. Une telle substance, par le fait
qu’elle est simple, possède la virtuosité dans l’agir. A cause de cette
virtuosité et de sa distinction personnelle, lui revient de servir dans une
charge distincte. Du fait de sa simplicité et de sa virtuosité, lui revient la
perspicacité dans le discernement. Par le fait qu’elle est simple et perspicace,
ayant une intelligence à l’image de Dieu, elle possède la stabilité après le
choix soit dans le bien, soit dans le mal.
Ces
conditions sont liées dans leur généralité à la création des esprits supérieurs
en général.
1. Enoncé
Dieu a fait
tous les anges bons se situant cependant entre lui, souverain bien, et le bien
relatif qui est celui de la créature: de sorte que s’ils se tournent à aimer ce
qui est au-dessus d’eux, ils s’élèvent à l’état de grâce et de gloire. Si, par
contre, ils se tournent vers le bien relatif qui est au-dessous d’eux, ils se
ruent vers le mal de la faute et de la peine, car il n’y a as de honte du péché
sans la parure de la justice.
Lucifer,
premier entre les anges, présumant d’un bien personnel, a désiré une puissance
personnelle en voulant surpasser les autres. Il tombe donc avec tous ceux qui
pensaient comme lui. En tombant, il est devenu impénitent, obstiné, aveuglé,
exclu de la contemplation de Dieu, désordonné dans l’agir, cher chant de toutes
ses forces à faire tomber l’homme par de multiples tentations.
2. Explication
Le premier
principe étant souverainement bon, ne fait rien qui ne soit bon, parce que du
bien ne procède que le bien. Cependant, ce qui est créé par lui, par ce fait,
lui est inférieur et donc ne peut être le souverain bien. L’ange fut donc créé
bon par Dieu, mais pas souverainement bon. Il pouvait cependant achever sa
perfection en tendant par amour vers le souverain bien.
3. Et parce que, par le libre-arbitre de
sa volonté, il pouvait tendre vers le souverain bien ou se tourner vers un bien
personnel, Lucifer, excité par la considération de sa beauté et de sa grandeur,
à s’aimer lui-même et à aimer son bien personnel, présuma de sa grandeur, désira
une puissance propre qu’il n’avait pas. Par là, en présumant ainsi, il se
constitua à lui-même son principe en se glorifiant lui-même; et en désirant
ainsi, il se Constitua à lui-même son souverain bien, en se reposant sur
lui-même. Comme il n’était ni le souverain principe, ni le souverain bien, il
fallait que par Cette ascension désordonnée, il tombât et, pour la même raison,
tous ceux qui pensaient comme lui.
4. Et parce qu’il n’y a pas de honte du
péché sans la parure de la justice, aussitôt donc, en tombant dans le péché et
avec lui, ses semblables, il perdit sa place souveraine, l’empyrée, descendant
au plus bas, dans l’air obscur, dans l’enfer, de sorte que sa chute dans le
péché étant l’oeuvre de son libre-arbitre, sa chute dans la peine fut l’oeuvre
du juge ment divin. Et parce qu’il possédait l’immutabilité après le choix, il
devint immédiatement obstiné dans le mal, et par là, aveuglé et ne voyant plus
le vrai, désordonné dans son action et affaibli dans sa puissance. Sa volonté
impie et son action détournée de Dieu, se tournèrent vers la haine et l’envie de
l’homme. La perspicacité de sa raison, privée de la vraie lumière, se tourna
vers les tromperies par les divinations et les impostures. Son office personnel
éloigné du vrai service se tourna vers les tentations. Sa virtuosité amoindrie
et rapetissée s’est tournée, autant qu’il est permis, vers les merveilles qu’il
opère par des transmutations secrètes sur les créatures corporelles. Or, parce
que toutes ces choses sont désordonnées par la volonté que l’orgueil a dépravée,
il les convertit toutes à exciter sa superbe, cherchant à être révéré et admiré
par les hommes à l’instar de Dieu. De là vient qu’il fait mal toutes choses
Cependant Dieu juste le permet maintenant pour le châtiment des méchants et la
gloire des bons, ainsi qu’il apparaîtra au jugement dernier.
.
Enoncé
De même que
les anges qui se détournèrent de Dieu furent aussitôt obstinés par impénitence,
ceux qui se tournèrent vers Dieu furent aussitôt confirmés par la grâce et la
gloire dans leur volonté, parfaite ment illuminés dans leur raison selon la
connaissance matutinale et vespérale, parfaitement fortifiés dans leur force de
commandement ou d’exécution et parfaitement ordonnés dans leur action de
contemplation ou de service.
Et ceci dans
une triple hiérarchie: suprême, médiane et inférieure. A la hiérarchie suprême,
appartiennent les Trônes, les Chérubins et les Séraphins. A la hiérarchie
médiane, les Dominations, les Vertus et les Puissances. A la hiérarchie
inférieure, les Principautés, les Archanges et les Anges. Parmi eux tous,
certains ont été envoyés en service et délégués à la garde des hommes qu’ils
servent en les purifiant, les illuminant et les parachevant, selon les ordres du
vouloir divin.
2. Explication
Les anges, à
cause de leur ressemblance expresse et de leur proximité au premier et souverain
principe, possèdent une intelligence déiforme et l’immutabilité après le
consentement donné par le libre-arbitre. Recevant la grâce divine, tournés vers
le souverain bien, comme ils tendaient totalement vers Dieu, ils furent
confirmés par la gloire et également rendus parfaits. Ils furent, dans leur
volonté rendus stables et heureux, dans leur raison perspicaces, au point de
connaître les choses non seulement en elles-mêmes, mais aussi dans l’art éternel
et par là, ils n’acquirent pas seulement la connaissance du soir, mais aussi
celle du matin ou peut-être du jour, à cause de la plénitude et de la pureté
absolue de cette lumière à l’égard de laque le toute créature peut être appelée,
à juste titre, ténèbre. Dans leur virtuosité, ils ont été parfaitement fortifiés
soit dans le commandement, soit dans l’exécution, qu’ils revêtent un corps ou
non Dans leur action, ils ont été parfaitement ordonnés, de sorte qu’ils ne
pouvaient plus se désordonner ni en s’élevant à la contemplation de Dieu, ni en
s’abaissant au service de l’homme, car en contemplant Dieu face à face , où
qu’ils soient envoyés, c’est toujours en Dieu qu’ils courent.
3. Ils sont créés et agissent selon un
ordre hiérarchique commencé en eux par la nature et achevé par la gloire qui, en
stabilisant l’instabilité du libre arbitre, a illuminé leur perspicacité,
ordonné leur service et renforcé leur virtuosité, selon les quatre qualités
mentionnées plus haut La perspicacité de la raison dans la contemplation se
rapporte principalement à la vénération de la majesté divine, à la compréhension
de la vérité ou au désir de la bonté.
Dans la
première hiérarchie, se trouvent trois ordres, les Trônes à qui revient la
révérence, les Chérubins à qui revient la sagesse, les Séraphins à qui revient
la bienveillance.
A la parfaite
virtuosité correspond la force de commandement, la force d’exécution et la force
de combat”. La première revient aux Dominations, la deuxième aux Vertus, la
troisième aux Puissances, dont le rôle est de repousser les puissances
contraires.
Au service
parfait, revient le gouvernement, la révélation et le relèvement. Les
Principautés gouvernent, les Archanges révèlent, les Anges soutiennent parce
qu’ils gardent ceux qui sont debout de peur qu’ils ne tombent et aident ceux qui
sont tombés à ressurgir.
Ainsi, il est évident que tout cela existe dans les anges plus ou moins, selon une gradation allant des plus hauts aux plus bas. Chaque ordre angélique doit tirer son nom de la charge plus spéciale qu’il a reçue.
1. Après avoir parlé de la nature
corporelle et de la nature incorporelle, il faut dire quelques mots de la nature
composée des deux précédentes, en traitant d’abord de l’esprit puis de la chair,
enfin de tout l’homme.
Enoncé
L’âme
raisonnable est une forme existante, vivante, intelligente et jouissant de
liberté.
Forme
existante, c’est-à-dire, n’existant ni par elle-même, ni de par la nature
divine, mais créée dans l’être par Dieu, de rien.
Forme
vivante, elle vit non par une nature extrinsèque, mais par elle-même, non d’une
vie mortelle mais d’une vie perpétuelle.
Forme
intelligente, elle connaît non seulement l’essence créée, mais aussi l’essence
créatrice à l’image de laquelle elle a été faite mémoire, intelligence et
volonté.
Forme douée
de liberté, elle est toujours libre de toute contrainte. Dans l’état
d’innocence, elle était libre de toute misère et de toute faute, elle ne l’était
plus dans l’état de nature déchue. Or, cette liberté de toute contrainte n’est
rien d’autre qu’une faculté de la volonté et de la raison, qui sont les
puissances principales de l’âme
2. Explication
Le premier
principe est souverainement bienheureux et bienveillant. Par sa souveraine
bienveillance, il communique à la créature sa béatitude, non seule ment à la
créature spirituelle proche de lui, mais aussi à la créature corporelle et
éloignée de lui. Il la communique cependant à la créature corporelle et éloignée
d’une façon médiate, car la loi de la divinité est que les choses d’en bas
retournent au sommet par les choses intermédiaires. Dieu n’a donc pas fait
capable de bonheur seulement l’esprit angélique et séparé, mais aussi l’esprit
conjoint, qui est l’esprit humain.
L’âme
raisonnable est donc une forme capable de béatitude. Or, parvenir à la
récompense de la béatitude n’est glorieux qu’en raison du mérite et il n’y a
mérite que dans ce qui est fait volontairement et librement. Il fallait donc que
le libre-arbitre soit donné à l’âme raisonnable par l’éloignement de toute
contrainte, car il est de la nature de la volonté de ne pouvoir être contrainte
en aucune façon, bien que, par sa fau te, elle se rende misérable et esclave du
péché.
3. En outre, forme apte à la béatitude,
elle est capable de Dieu par mémoire, intelligence et volonté en cela, elle est
à l’image de la Trinité à cause de l’unité dans l’essence et de la trinité dans
les puissances. Il fallait donc que l’âme puisse connaître Dieu et toutes choses
et, par là, qu’elle soit marquée à l’image de Dieu.
Or, parce
qu’aucun bienheureux ne peut perdre la béatitude, rien ne pouvait être capable
de béatitude sans être incorruptible et immortel. Il fallait donc que l’âme
raisonnable soit vivante, de par sa nature, d’une vie immortelle.
4. Enfin, parce que tout être qui attend
d’un autre la béatitude et qui est immortel, est sujet au changement dans son
être moral et incorruptible dans son être, l’âme n’est donc pas elle-même, elle
n’est pas de la nature divine — puisqu’elle est sujette au changement —; elle
n’est pas non plus produite à partir d’autre chose, ni engendrée par la nature,
puisqu’elle est immortelle et incorruptible. Ainsi, cette forme ne peut être
introduite dans l’être par génération, car tout ce que la nature engendre est
par nature corruptible De ceci il apparaît combien la fin de la béatitude impose
nécessairement les conditions indiquées à l’âme ordonnée à la
béatitude.
5. Parce qu’elle est capable de
béatitude, l’âme est immortelle. Donc, lorsqu’elle est unie à un corps mortel,
elle peut en être séparée. Par là, elle est non seulement forme, mais aussi
substance singulière. Elle n’est donc pas unie au corps seulement comme
perfection, mais comme moteur. Ainsi, elle achève par son essence ce qu’elle
meut également par sa puissance. Or, parce qu’elle ne donne pas seule ment
d’être, mais aussi de vivre, de sentir et de comprendre, elle possède donc une
puissance végétative, sensitive et intellective. Par la puissance végétative,
elle engendre, nourrit et fait croître; principe de quiddité dans la génération,
de qualité dans la nutrition, de quantité dans la croissance “. Par la puissance
sensitive, elle appréhende les choses sensibles, retient ce qu’elle a
appréhendé, compose et divise ce qu’elle a retenu; elle appréhende par les cinq
organes extérieurs des sens qui correspondent aux cinq corps principaux du
monde, elle retient par la mémoire, compose et divise par l’imagination qui est
la première puissance d’association. Par la puissance intellective, elle
discerne le vrai, repousse le mal et recherche le bien; elle discerne le vrai
par la raison, repousse le mal par l’irascible, recherche le bien par le
concupiscible.
6. En outre, parce que la connaissance
est distinction du vrai, et que l’affectivité est répulsion et attirance, l’âme
entière est divisée en connaissance et affectivité.
7. Allons plus loin. La connaissance du
vrai est double: elle est connaissance du vrai comme vrai ou du vrai comme bien,
elle est aussi connaissance du vrai éternel, supérieur à l’âme, ou temporel,
inférieur à elle. De là, la puissance de connaissance, en tant qu’intelligence
et raison, se divise ainsi: l’intelligence en intelligence spéculative et
intelligence pratique, la raison en portion supérieure et portion inférieure. Ce
sont là fonctions diverses plutôt que puissances distinctes
8. Enfin, l’appétit peut se porter vers
quelque chose de deux façons, selon un instinct naturel ou selon une
délibération et un arbitre. Ainsi, la puissance affective se divise en volonté
naturelle et en volonté élective qui est la volonté proprement dite. Parce
qu’une telle élection est indifférente aux partis qu’elle peut prendre, elle
vient donc du libre-arbitre.
Cette
indifférence vient d’une délibération à laquelle se joint la volonté. Le
libre-arbitre est donc faculté et de la raison et de la volonté, de sorte que,
comme le dit saint Augustin, il comprend toutes les puissances raisonnables que
nous avons mentionnées plus haut. Saint Augustin dit en effet: « Lorsque nous
parlons du libre-arbitre, nous ne parlons pas d’une partie de l’âme, mais de
l’âme tout entière.»
Du concours
de ces puissances, la raison faisant retour sur elle-même et de la volonté
l’accompagnant, naît l’intégrité de la liberté qui est principe de mérite et de
démérite, selon que l’on choisit le bien ou le mal.
1. Enoncé
Le corps du
premier homme a été créé et formé du limon de la terre de telle façon qu’il
était sou mis à l’âme et, à sa manière, doué de proportion. Il étaie doué de
proportion dans sa complexion harmonieuse, dans son organisation belle et
multiple et dans la droiture de sa stature. Il était soumis, obéissant sans se
rebeller, engendrant et engendrable sans sensualité, plein de vie sans
défaillance, immuable et absolument incorruptible, car la mort ne l’atteignait
pas. A cause de cela, le paradis terrestre lui fut donné comme habitation
paisible.
La femme a
été formée d’une côte de l’homme pour être sa compagne et l’aider dans la
propagation sans péché.
Il lui fut
donné aussi l’arbre de vie, dont la végétation était continue et qui le rendait
parfaitement immuable d’une immortalité perpétuelle.
2. Explication
Le premier
principe est, dans la création, tout puissant, souverainement sage et infiniment
bon et il le manifeste d’une certaine façon dans toutes les créatures. Il devait
donc par-dessus tout le manifester dans la dernière et la plus noble des
créatures, l’homme, qu’il produisit le dernier de toutes les créatures et en qui
devait apparaître et éclater la consommation des oeuvres divines.
3. Pour que dans l’homme soit manifestée
la puissance de Dieu, il fut créé à partir des natures les plus distantes, en
les unissant dans une seule personne et nature. Ce sont le corps et l’âme dont
le premier est substance corporelle, l’autre l’âme, substance spirituelle et
incorporelle. Ces deux substances sont les plus distantes dans leur genre.
4. Pour que se manifeste la sagesse de
Dieu, le corps fut créé proportionné à sa façon à l’âme. Donc, puisque le corps
est uni à l’âme comme à ce qui l’achève, le meut et l’élève à la béatitude, pour
qu’il soit conformé à l’âme vivifiante, il reçut une complexion harmonieuse non
quant au poids ou à la masse, mais dans l’égalité de la justice naturelle qui le
dispose au mode de vie le plus noble. Pour qu’il soit conformé à l’âme qui le
meut, par la multiplicité des puissances, il reçut une multiplicité d’organes
pleins de charmes, d’art et de conductibilité, comme on le voit dans le visage
et dans la main qui est l’organe des organes. Pour être conformé à l’âme qui
l’élevait vers le ciel, il reçut la station debout et la tête dirigée vers le
haut. Ainsi, la rectitude du corps témoignait de la rectitude de
l’esprit.
5. Enfin, pour que soit manifestée dans
l’homme la bonté et la bienveillance de Dieu, l’homme fut créé sans aucune tache
ni faute et sans aucun châtiment ni misère. Car, comme le premier principe est
tout en même temps souverainement bon et juste, parce qu’il est souverainement
bon, il ne peut faire l’homme que bon, et, par là, innocent et droit parce qu’il
est souverainement juste, il ne peut lui infliger de peine, car il n’avait
absolument pas péché. Ainsi, il donna ce corps à l’âme raisonnable pour qu’il
lui soit soumis et qu’il n’y ait en lui aucune lutte de rébellion, aucune
corruption de la mort. Ainsi, le corps était conforme à l’âme de sorte que,
comme l’âme était innocente et cependant pouvait tomber dans la faute, le corps
était impassible et cependant pouvait tomber dans la peine. Il pouvait donc ne
pas mourir et pouvait mourir Il pouvait posséder la suffisance et tomber dans le
besoin. Il pouvait être soumis à l’âme et pouvait aussi entrer en rébellion et
en lutte avec elle.
6. C’est pourquoi, dans cet état, le
corps était tel qu’il pouvait partager sa semence pour la propagation de la race
avec l’être du sexe féminin qui devenait également principe avec lui. Il pouvait
aussi consommer sa substance nutritive par l’action de la chaleur; il pouvait
néanmoins se restaurer en mangeant des arbres du paradis, ses humeurs
intérieures étant ainsi renouvelées ou maintenues par l’arbre de vie. Cet arbre
possédait la vertu d’être, comme le dit Augustin non seulement nourriture mais
aussi sacrement.
Donc,
l’incorruption et l’immortalité du corps d’Adam provenait: principalement de
l’âme comme d’une forme unificatrice et influente; du corps qui, par sa
complexion bonne et harmonieuse, était apte à la recevoir; de l’arbre de vie qui
le vivifiait et le nourrissait; enfin du gouvernement de la divine providence
qui le conservait du dedans et le protégeait du dehors.
1. Enoncé
Il a été
donné à l’homme
— un double
sens, intérieur et extérieur, de l’es prit et de la chair,
— un double
mouvement, impératif dans la volonté et exécutif dans le corps,
— un double
bien, visible et invisible,
— un double
précepte, de nature et de discipline. Le précepte de nature était: Croissez et
multipliez; le précepte de discipline était: Ne mangez pas de l’arbre de la
science du bien et du mal.
Selon quoi,
il a été donné à l’homme une aide quadruple, la science, la conscience, la
syndérèse et la grâce qu’il possédait en suffisance pour demeurer dans le bien
et par là avancer, et pour éviter le mal et éviter d’y tomber.
2. Explication
Le premier
principe a fait ce mode sensible pour se manifester lui-même, c’est-à-dire que
par ce monde, comme par un miroir et un vestige, l’homme doit remonter à Dieu
créateur qu’il doit aimer et louer. Selon quoi, il y a deux livres, l’un écrit
intérieurement qui est l’art et la sagesse éternelle de Dieu, l’autre écrit
au-dehors, le monde sensible. Donc, puisqu’il existait une créature douée de
sens interne pour connaître le livre intérieur, c’était l’ange, et qu’il
existait une autre créature douée du sens extérieur, c’était chaque animal, la
perfection de l’univers de mandait qu’il existât une créature douée de ce double
sens pour connaître le livre écrit à l’intérieur et au-dehors, c’est-à-dire la
sagesse et son oeuvre. Et parce que dans le Christ se trouve réunies la sagesse
éternelle et son oeuvre en une seule personne, il est appelé le livre écrit
au-dedans et au-dehors pour le salut du monde.
3. Parce qu’à chaque sens correspond un
mouvement, il a été donné à l’homme un double mouvement: le premier selon
l’impulsion de la raison dans l’esprit, le second selon l’impulsion de la
sensibilité dans la chair. Il appartient au premier de commander, au second
d’exécuter selon la rectitude de l’ordre. Quand le contraire arrive, alors la
rectitude et le gouvernement de l’âme sont jetés hors de leur condition.
4. Parce qu’à chaque mouvement et à
chaque sens correspond une tendance vers un certain bien, un double bien a été
proposé à l’homme: « le premier visible, le second invisible; le premier
temporel, le second éternel; le premier charnel, le second spirituel. De ces
biens, Dieu a donné l’un et promis l’autre, pour que le premier soit possédé
gratuitement et le second recherché par le mérite ».
5. Parce que ce bien est donné en vain
s’il n’est pas gardé, et promis en vain si l’on n’y parvient pas, un double
précepte a été donné à l’homme: le premier naturel pour garder le bien donné, le
second disciplinaire pour gagner le bien promis, qui ne peut être mérité mieux
que par la pure obéissance. L’obéissance est pure quand le précepte oblige par
lui-même et non pour une autre raison. Un tel précepte est appelé précepte
disciplinaire parce qu’il enseigne par lui-même combien est grande la puissance
de l’obéissance qui, par son mérite, conduit au ciel, et, par son mépris,
précipite en enfer. Ce précepte n’est pas donné à l’homme à cause du besoin
qu’aurait Dieu de l’hommage de l’homme, mais pour indiquer le moyen de mériter
la couronne par une pure et volontaire obéissance.
6. Parce que l’homme, en raison de sa
nature imparfaite, formée à partir de rien et non confirmée par la gloire,
pouvait tomber, le Dieu très bienveillant lui a apporté une aide quadruple: aide
double de la nature et aide double de la grâce. Dieu a insufflé une double
rectitude à cette nature: l’une pour juger droitement, c’est la conscience,
l’autre pour vouloir droitement, c’est la syndérèse dont le rôle est d’exciter
contre le mal et de stimuler pour le bien. Dieu a surajouté la double perfection
de la grâce: celle de la grâce gratis data qui était la science
illuminant l’intelligence pour se connaître elle-même, connaître son Dieu et ce
monde créé pour elle et celle de la grâce gratum faciens qui était la
charité habilitant l’affectivité à aimer Dieu par dessus tout et le prochain
comme soi-même.
Ainsi, avant
la chute, l’homme possédait une nature parfaite, survêtue aussi de la grâce
divine. Par là, il résulte manifestement que si l’homme est tombé, ce ne fut que
par sa faute, car il a méprisé l’obéissance.
1. Enoncé
.
De tout ce
que l’on vient de dire, on peut conclure que la création du monde est semblable
à un livre dans lequel éclate, est représentée et est lue la Trinité créatrice
selon un triple degré d’expression par mode de vestige, d’image et de
ressemblance. L’idée de vestige se trouve dans toutes les créatures l’idée
d’image, dans les seules créatures intelligentes ou esprits raisonnables; l’idée
de ressemblance, dans les seules créatures déiformes. Ainsi, comme par les
degrés d’une échelle, l’intelligence humaine est capable de s’élever
graduellement jusqu’au principe souverain, qui est Dieu.
2. Explication
Toutes les
créatures ont un rapport et une dépendance vis-à-vis de leur Créateur. Elles
peuvent lui être comparées d’une triple manière, soit comme au principe de
création, soit comme à l’objet qui les meut, soit comme au don qui les habite.
De la première manière, tout ce qui est fait lui est comparé, de la seconde
manière toute intelligence, de la troisième tout esprit juste et agréable à
Dieu.
Tout ce qui
est fait, si peu d’être ait-il, a Dieu pour principe. Toute intelligence, si peu
de lumière ait-elle, est capable de saisir Dieu par la connaissance et l’amour.
Tout esprit juste et saint possède le don du Saint Esprit infus en lui.
3. La créature ne peut avoir Dieu pour
principe sans lui être configurée selon l’unité, la vérité et la bonté. Elle ne
peut avoir Dieu pour objet sans le saisir par la mémoire, l’intelligence et la
volonté. Elle ne peut posséder Dieu comme don infus sans lui être configurée par
la foi, l’espérance et la charité, qui sont le triple don. Or, la première
conformité est lointaine, la deuxième proche, la troisième toute proche. On
appelle donc la première vestige de la Trinité, la deuxième image, et la
troisième ressemblance.
4. L’esprit raisonnable tient donc le
milieu entre la première et la dernière; la première est inférieure, la deuxième
intérieure, la troisième supérieure. Donc, dans l’état d’innocence, lorsque
l’image n’était pas viciée, mais rendue déiforme par la grâce, le livre de la
créature suffisait, dans lequel l’homme pouvait s’exercer lui-même à saisir la
lumière de la sagesse divine. De sorte qu’il était si sage qu’il voyait toutes
choses en lui-même, qu’il les voyait en elles-mêmes et qu’il les voyait dans
l’art éternel, par le fait que les choses ont un triple être, l’être dans la
matière, c’est-à-dire dans leur nature propre, l’être dans l’intelligence créée
et l’être dans l’art éternel, ainsi que le dit l’Ecriture, Dieu dit: « Que soit,
il fit et ce fut fait ».
5. A cause de cette triple vision,
l’homme a reçu un triple regard comme le dit Hugues de Saint Victor un regard de
chair, un regard de raison et un regard de contemplation: le regard de chair
pour voir le monde et tout ce qui est dans le monde, le regard de raison pour
voir l’esprit et tout ce qui est dans l’esprit, le regard de contemplation pour
voir Dieu et tout ce qui est en Dieu. Ainsi, par le regard de chair, l’homme
voit les choses qui sont hors de lui, par le regard de raison les choses qui
sont en lui, par le regard de contemplation les choses qui sont au-dessus de
lui. Ce regard de contemplation n’atteint la perfection de son acte que dans la
gloire, s’il perd par la faute et récupère par la grâce, la foi et la
connaissance des Ecritures. Par elles l’esprit humain est purifié, illuminé et
perfectionné pour contempler les choses célestes.
L’homme déchu
ne peut y parvenir sans d’abord reconnaître ses défauts et ses propres ténèbres.
Il ne peut le faire qu’en considérant et en observant la ruine de la nature
humaine.
.
1. Après avoir précisé certaines idées
sur la Trinité de Dieu et la création du monde, il nous faut maintenant traiter
quelque peu de la corruption du péché.
Enoncé
Le péché
n’est pas une essence, mais une défaillance et une corruption qui affecte le
mode, l’espèce et l’ordre dans la volonté créée Ainsi, la corruption du péché
est contraire au bien lui-même, elle n’a cependant d’être que dans le bien, elle
ne tire son origine que d’un bien, ce qu’est certes le libre-arbitre de la
volonté. Celui-ci n’est pas souverainement mauvais puisqu’il peut vouloir le
bien, il n’est pas souverainement bon puisqu’il peut tomber dans le
mal.
Explication
2. Le premier principe, étant l’être par
lui-même et non par un autre, doit nécessairement être sa propre fin, donc
souverainement bon, sans aucun défaut. Il n’y a pas et ne peut y avoir un mal
premier et souverain, car premier principe signifie suprême perfection, et
souverain mal signifie défaut extrême. Donc, puisque le premier principe, être
suprême et parfait, ne peut défaillir ni dans l’être ni dans l’agir, il n’est
pas le mal souverain, ni un mal quelconque, et ne peut en aucune façon être le
principe du mal.
Cependant,
étant tout-puissant, il peut conduire le bien du non-être à l’être même sans
appui d’aucune matière. Ce qu’il fit lorsqu’il forma la créature à laquelle il
donna l’être, l’intelligence et la volonté. La créature, oeuvre du souverain
bien a été créée selon une triple causalité; elle a dans sa substance et dans sa
volonté un mode, une espèce et un ordre. Elle a été faite pour accomplir ses
oeuvres par Dieu, selon Dieu et pour Dieu, selon le mode, l’espèce et l’ordre
mis en elle.
3. Créée à partir du néant et donc
déficiente, elle pouvait défaillir de son agir-pour-Dieu au point d’agir pour
elle-même et non pour Dieu, et par là même ni par Dieu, ni selon Dieu, ni pour
Dieu. Ceci est le péché qui est corruption du mode, de l’espèce et de l’ordre.
Etant un défaut, il n’a pas de cause efficiente, mais il a une cause déficiente,
le défaut de la volonté créée.
4. Le péché étant corruption n’est
corruption que du bien. Or, toute corruption se trouve dans une chose
corruptible; le péché ne se trouve donc que dans le bien. Ainsi, puisque la
volonté libre cor rompt en elle-même le mode, l’espèce et l’ordre en défaillant
du vrai bien, tout péché en tant que tel provient de la volonté comme de sa
source première et se trouve dans la volonté comme dans son propre sujet. C’est
ce que fait la volonté quand, par sa faillibilité, sa mutabilité et sa
versatilité, elle méprise le bien sans défaut et immuable et s’attache au bien
changeant.
5. De ceci résulte que le « péché n’est
pas recherche des choses mauvaises, mais abandon des choses meilleures ». Il est
donc dans l’appétit de la volonté, corruption du mode, de l’espèce et de
l’ordre, et par là « tellement volontaire que s’il n’est pas volontaire, ce
n’est pas un péché » Si l’on a compris ceci, on rejette manifestement l’opinion
impie des Manichéens qui affirmaient l’existence d’un mal souverain premier
principe de tous les maux. On voit aussi quelle est l’origine du mal et quel en
est le sujet.
1. Pour comprendre comment la corruption
du péché est entrée dans le monde, il faut considérer la chute de nos premiers
parents, la transmission de la faute originelle et l’origine ou racine du péché
actuel. Au sujet de la chute de nos premiers parents, trois aspects sont à
considérer, la tentation diabolique, la faute commise et le châtiment
infligé.
Enoncé
2. Dieu avait créé l’homme dans la
félicité du paradis, en deux sexes, le mâle et la femelle. Le diable envia
l’homme; ayant revêtu l’aspect du serpent, il aborda la femme. Il lui demanda
d’abord:
« Pourquoi
Dieu vous a-t-il prescrit de ne pas manger? Puis il affirma: « Vous ne mourrez
pas ». Enfin il fit une promesse: « Vous serez comme des dieux qui connaissent
le bien et le mal ». Par cette tentation, il voulait faire tomber la femme plus
faible et par elle ensuite terrasser le sexe mâle, ce qu’il fit avec la
permission de Dieu.
Explication
3. Le premier principe est tout-puissant
dans la création, il est aussi très droit dans le gouvernement.
« Il gouverne les choses qu’il a créées en les
laissant agir de leur propre mouvement »
Parce que
l’homme était ainsi créé qu’il devait par venir, par la victoire dans le combat,
à la récompense du repos éternel, Dieu, qui savait que l’homme succomberait à la
tentation, devait cependant permettre que l’homme soit tenté par celui qui
savait, pouvait et voulait.
Parce que le
diable, auparavant doué de science et de rectitude, était tombé par son orgueil
et était devenu rusé et envieux, il voulait tenter par envie et le savait par
astuce. Il tenta donc pour autant qu’il le put et que Dieu le permit. Ce fut par
une permission divine qu’il revêtit l’aspect du serpent pour que non seulement
on puisse connaître son astuce, mais aussi pour que, par cet aspect, la ruse
diabolique dans la tentation soit connue de tous les fils d’Adam.
4. En outre, ce fut également par
permission divine que la tentation porta sur le précepte de discipline, de sorte
que, vaincu ou vainqueur, le diable fît connaître à tous le mérite de
l’obéissance ou le démérite de la désobéissance. Mais ce fut par sa ruse qu’il
commença par la femme, car il est plus facile de faire tomber le moins fort;
comme c’est par ruse que l’ennemi entre dans la cité par le côté le moins
défendu.
5. De même, la manière dont il procéda
dans la tentation vient d’une grande ruse, car il procéda en éprouvant, en
forçant et en alléchant. Il commença l’épreuve en interrogeant, força en
affirmant, allécha en promettant. Il interrogea d’abord sur la cause du précepte
pour conduire la raison dans le doute. Le doute acquis: « de peur que par hasard
nous ne mourions »: alors il affirma pour conduire l’irascible dans le mépris.
Enfin il fit une promesse pour mettre en appétit le concupiscible. Ainsi il
opéra cette triple manoeuvre pour amener la liberté de l’arbitre à con sentir,
car le libre-arbitre est faculté de raison et de volonté qui contient également
les trois appétits, rationnel, irascible et concupiscible. Le diable allécha la
femme selon ces trois appétits par un triple objet désirable, la science que
désire l’appétit rationnel, la perfection à l’instar de Dieu que désire
l’irascible, et la douceur de l’arbre que désire le concupiscible. Ainsi il
tenta tout ce qui dans la femme était tentable par tout ce qui pouvait l’induire
en tentation; ce sont les trois objets désirables du monde, la concupiscence de
la chair, la concupiscence des yeux et la superbe de la vie L’origine de toute
tentation vient de ces trois objets, le monde, la chair ou le diable.
Enoncé
1. La femme en consentant à la tentation
du diable, désira la science et l’excellence à l’instar de Dieu, elle désira
également goûter la douceur de l’arbre défendu, elle tomba enfin dans la
transgression du précepte.
Non contente
de cela, elle offrit le fruit de l’arbre défendu et induisit l’homme en
tentation.
Celui-ci ne
voulant pas contrister ses charmes, ne blâma pas la femme, mais consentit au
mauvais conseil qu’elle lui donnait et, goûtant le fruit qu’elle lui offrait, il
se fit à son tour transgresseur du précepte divin.
Explication
2. On a dit plus haut que le premier
principe a donné à l’homme un double sens et un double appétit par rapport au
double livre et au double bien, de façon que l’homme puisse dans la liberté de
son arbitre se tourner vers l’un ou l’autre. La femme ayant entendu la
suggestion extérieure du serpent, ne recourut pas au livre intérieur qui s’offre
pour être lu au jugement droit de la raison. Mais selon son sens propre, elle
s’en tint au livre extérieur et commença de rechercher le bien extérieur. Et
parce que son sens n’atteignit pas le vrai infaillible, son appétit commença de
se tourner vers le bien changeant. Elle désira donc ce que le diable promettait
et consentit à faire ce qu’il suggérait. Désirant la science parfaite, elle
s’éleva dans l’orgueil. Elevée dans l’orgueil, elle fut du coup séduite par la
gourmandise et ainsi terrassée par la désobéissance. Le premier mouvement eut
lieu dans son esprit, le deuxième dans sa sensibilité, le troisième dans son
action.
Et de même
que la tentation, partant d’en-bas, parvint plus haut, car à partir du sens de
l’ouïe elle conduisit du désir au consentement, ainsi par un mouvement
contraire, le désordre commençant par en haut parvint jusqu’en bas et fit
consommer un unique péché, cela, pour la nature humaine, est le commencement de
tout péché et la source des maux.
3. Car la femme alléchée allécha l’homme
qui semblablement tourné vers le livre extérieur et vers le bien changeant, en
appréciant trop la compagnie de la femme et la consolation de sa présence, ne
voulut ni la blâmer, ni contrister ses charmes.
Et parce
qu’il aurait du la blâmer et ne la blâma pas, le péché de la femme lui est
imputé Et parce qu’il ne voulut pas contrister ses charmes en la repoussant, il
commença de, s’aimer trop lui-même et ainsi s’éloignant de l’amitié divine,
tomba dans la gourmandise et la désobéissance.
4. La transgression du précepte fut donc
commune à l’un et l’autre, bien que pour des raisons différentes, car la femme
fut séduite et non l’homme. Dans les deux cependant, dans l’homme et dans la
femme, il y eut désordre de haut en bas: d’abord dans l’esprit ou raison, puis
dans la sensibilité et enfin dans l’action. L’un et l’autre furent donc
terrassés par la désobéissance et alléchés par la gourmandise, car l’un et
l’autre s’étaient élevés par l’orgueil, la femme en désirant et en briguant ce
qu’elle n’avait pas encore, l’homme en aimant et en appréciant trop ce qu’il
avait déjà. D’où la femme en mangeant crut être exaltée, mais Adam s’estimant.
quelque chose de grand et d’agréable à Dieu, crut devoir être moins gravement
puni. En effet, il n’avait encore éprouvé la rigueur de la sévérité
divine
Ainsi, l’un
et l’autre s’étant élevés au-dessus de soi d’une façon désordonnée, tombèrent
misérablement en dessous de soi, de l’état d’innocence et de grâce à l’état de
faute et de misère.
Enoncé
1. L’homme et la femme, aussitôt après
leur faute, sentirent le châtiment de la rébellion et de la honte dans leur
chair et pour couvrir leurs parties sexuelles, ils se firent des
pagnes.
Après le
jugement divin, l’homme encourut le châtiment du travail et de la pauvreté, le
châtiment de la faim et de l’indigence, le châtiment de la mort et du retour à
la poussière, comme le dit l’Ecriture: "Maudit soit le sol à cause de toi,
etc."
A la femme un
double châtiment fut infligé, celui des multiples afflictions dans la conception
et des douleurs dans l’enfantement et celui de la sujétion à l’homme dans la
communauté. Ainsi ce péché fut assez gravement puni qu’ils avaient commis en
mangeant de l’arbre défendu, bien qu’il ait été inconsidérément
perpétré.
Explication
2. Le premier principe est providence
souveraine dans le gouvernement et rectitude parfaite dans la présidence. Il ne
laisse absolument rien de désordonné dans l’univers. Parce que la faute conduit
justement au châtiment, le déshonneur du péché fut immédiatement suivi, chez nos
premiers parents, de l’honneur du jugement, afin que ce qui fut désordonné en
tombant de l’ordre de la nature retombe aussitôt dans l’ordre de la justice. Car
cet ordre double enlace à ce point toutes choses que ce qui tombe de l’un
retombe dans l’autre
3. L’un et l’autre de nos parents, en
s’enorgueillissant en esprit et en cédant à la gourmandise de la chair, furent
désobéissants envers celui qui leur était supérieur. Par le juste jugement de
Dieu, ce qui leur était inférieur devint désobéissant envers eux, en particulier
ces parties du corps par lesquelles se fait l’union des sexes, les membres
servant à la puissance de génération. Et parce que cela ne provenait pas de leur
nature mais de leur propre faute, ils en rougirent et se couvrirent.
4. En outre, parce que l’homme, ayant
méprisé ce qui était souverainement délectable, rechercha la délectation dans la
chair, le juste jugement de Dieu lui infligea le travail et la peine de la faim
et de la soif.
5. Enfin, parce qu’il choisit pour le
bien de la chair de se séparer du bien de l’esprit, par le juste jugement de
Dieu l’âme contre son gré est séparée de la chair par la mort et le retour à la
poussière. Pour cela, comme Dieu avait donné à l’homme, selon l’ordre de la
nature, un corps soumis à l’âme pouvant se propager sans débauche, pouvant se
maintenir en vie sans défaillance, immuable sans que la mort intervienne, ainsi,
après le péché, tout cela, selon l’ordre de la justice, lui fut enlevé et le
contraire infligé. De la sorte la faute ne demeurerait pas impunie et
désordonnée, ce que la divine providence n’aurait absolument pu
souffrir.
6. Et parce que le péché commença par la
femme, son châtiment fut doublé. S’étant enorgueillie dans l’esprit, elle
encourut la sujétion; ayant vu et désiré l’arbre doux à manger, elle encourut la
douleur enfin ayant rompu le joug de l’obéissance, elle encourut le lien et le
poids de multiples afflictions.
Ainsi
apparaît avec quel ordre la divine providence a infligé de multiples châtiments
à l’homme et les a doublés dans la femme afin que « le déshonneur du péché ne
soit pas sans l’honneur de la justice »
1. Après avoir parlé de la chute de nos
premiers parents, il faut maintenant traiter de la transmission du péché
originel au sujet duquel il faut considérer le mode de corruption, le mode de
transmission et le mode de guérison.
2. Enoncé
Le mode selon
lequel le genre humain est corrompu par le péché originel est le suivant: Tout
être engendré par l’union de l’homme et de la femme naît par nature fils de la
colère, parce qu’il est privé de la rectitude de la justice
originelle.
L’absence de
cette rectitude nous fait encourir, quant à l’âme, un quadruple châtiment la
faiblesse, l’ignorance, la méchanceté et la concupiscence, quadruple châtiment
qui est infligé à cause du péché originel.
Ces
châtiments spirituels sont bien sûr accompagnés dans le corps par un châtiment
multiple, de multiples imperfections, de multiples travaux, de multiples
maladies et de multiples douleurs.
A ces
châtiments s’ajoutent celui de la mort et du retour à la poussière, celui de
l’absence de la vision de Dieu et de la perte de la gloire céleste, non
seulement chez les adultes, mais aussi chez les enfants non baptisés. Ceux-ci
cependant sont punis, par rapport aux autres, d' « un châtiment très adouci »
car ils ne subissent que la peine du dam, sans la peine du sens.
Explication
3. Le premier principe fait toutes choses
par lui, selon lui et pour lui. Il est donc nécessaire qu’il soit souverainement
bon et absolument droit, et par là souverainement pieux et juste. Ainsi, tous
les sentiers de Dieu sont amour et vérité ou jugement. Or si, dès le
commencement, Dieu avait créé l’homme au milieu de tant de misères, il n’y
aurait ni pitié, ni justice, parce qu’une telle misère opprimerait son oeuvre,
sans qu’auparavant il y ait eu de faute. De même, si Dieu nous avait remplis de
tant de misères ou permis que nous le soyons sans aucune faute, la divine
providence ne nous gouvernerait ni avec piété, ni selon la justice.
Donc, s’il
est très certain que le premier principe est, dans la création et dans la
providence, absolument droit et souverainement clément, il est nécessaire qu’il
ait créé le genre humain de telle façon que dès le commencement il n’y ait en
lui ni faute, ni misère; il est nécessaire aussi, qu’il l’administre de telle
façon qu’il ne permette en nous la misère qu’en raison d’une faute
préalable.
Donc, parce
qu’il est très certain que nous avons contracté, de par notre origine, une
multiple misère de châtiment, il est certain que nous naissons tous par nature,
fils de la colère, et pour cela privés de la rectitude de la justice originelle,
cette privation nous l’appelons la faute originelle
4. Toute faute signifie qu’on s’est
éloigné du bien immuable pour aller vers le bien changeant. S’éloigner du bien
immuable, c’est s’éloigner de la force, de la vérité et de la bonté souveraines;
aller vers le bien changeant c’est tendre à lui d’un amour indu; ainsi la perte
de la justice originelle conduit à la faiblesse, à l’ignorance, à la méchanceté
et à la concupiscence.
.
5. En outre, abandonner le bien immuable
pour le bien changeant, c’est se rendre indigne de l’un et de l’autre. Ainsi, en
raison de l’absence de la justice originelle, l’âme perd le repos temporel dans
le corps par une multiple corruption et par la mort, elle est enfin privée de la
vision de la lumière éternelle, perdant le bonheur de la gloire tant pour l’âme
que pour le corps.
6. Enfin, l’absence de cette justice chez
ceux qui naissent n’est pas due au mouvement de leur volonté ni à une
délectation actuelle. Ainsi, après cette vie, la peine du sens dans l’enfer
n’est pas la dette du péché originel, car la justice divine punit non au-dessus
de la mesure, mais en dessous. La miséricorde surabondante l’accompagne
toujours.
Il faut
croire que le bienheureux Augustin l’a pensé, bien que les mots dans leur lettre
semblent sonner autrement, à cause de son aversion pour l’erreur des pélagiens
qui concédaient à ces enfants une certaine félicité. Pour les ramener à une
juste mesure, il a trop abondamment glissé aux extrêmes.
1. Enoncé
Le mode de
transmission du péché originel est le suivant: Bien que l’âme ne vienne pas à
l’existence par transmission, le péché originel est cependant passé de l’âme
d’Adam dans celles de sa postérité par la médiation de la chair engendrée dans
la concupiscence. De sorte que, comme la chair d’Adam avait été infectée par
l’âme pécheresse et portée au désir désordonné, de même engendrée dans le désir
désordonné et traînant avec elle l’infection des vices, elle a infecté et vicié
l’âme.
Cette
infection dans l’âme n’est pas seulement châtiment, elle est aussi péché. Ainsi,
la personne corrompt la nature et la nature corrompue corrompt à son tour la
personne En tout ceci, la justice divine est sauve, à laquelle on ne peut
nullement imputer l’infection de l’âme, bien que Dieu en la créant l’infuse et
en l’infusant l’unit à la chair infectée.
2. Explication
Le premier
principe avait fait l’homme à son image pour s’exprimer lui-même. Il l’avait
ainsi créé dans son corps de telle sorte que tous les hommes sortiraient du
premier homme comme d’un principe radical, et dans son âme afin qu’elle fût sa
ressemblance expresse, tant dans l’être que dans la durée, tant dans
l’intelligence que dans l’amour, de sorte que tous les esprits raisonnables
émaneraient immédiatement de Dieu lui-même comme d’un principe premier et
immédiat. Et parce que l’esprit, plus excellent s’approche davantage du premier
principe, Dieu créa l’homme de façon que l’esprit commande au corps et que le
corps soit soumis à l’esprit créé aussi long temps qu’il obéirait à l’Esprit
incréé. Par contre, si l’esprit n’obéissait plus à Dieu, par le juste jugement
divin, son corps se rebellerait contre lui. Ce qui eut lieu lorsqu’Adam
pécha.
3. Donc, si Adam avait résisté, son corps
serait demeuré obéissant à l’esprit, et il l'aurait transmis tel à sa postérité,
et Dieu lui aurait infusé l’âme de sorte que, unie à un corps immortel et lui
obéissant, elle aurait possédé l’ordre de la justice et l’immunité contre tout
châtiment. Du fait qu’Adam a péché et que la chair s’est rebellée contre
l’esprit, il fallait qu’il la transmette telle à sa postérité et que Dieu infuse
l’âme comme il l’avait instituée dès l’origine. Or, l’âme, dès lors qu’elle
s’est unie à une chair rebelle, ne possède plus l’ordre naturel de la justice
par lequel elle devait régner sur tout ce qui lui est inférieur. Unie à la
chair, l’âme doit la conduire ou être conduite par elle. Puisqu’elle ne peut
plus conduire une chair rebelle, elle se laisse nécessairement conduire par
elle, et encourt la maladie de la concupiscence. Ainsi encourt-elle en même
temps l’absence de la justice due et la maladie de la concupiscence. De ces deux
châtiments comme de l’aversion et de la conversion, on dit que le péché originel
est, selon Augustin et Anselme, établi dans son intégralité.
4. Il était dans l’ordre absolu que la
nature humaine soit ainsi créée, et une fois créée ainsi propagée; et que si
elle péchait, elle soit ainsi châtiée, comme on l’a dit plus haut. Dans la
création a été sauvegardé l’ordre de la sagesse, dans la propagation l’ordre de
la nature, dans la punition l’ordre de la justice. Il apparaît qu’il n’est pas
contraire à la justice divine que le péché soit transmis à la
postérité.
5. En outre, le péché originel ne pouvait
être transmis dans l’âme que si le châtiment de la rébellion avait précédé dans
la chair. Le châtiment n’existait que si l’avait précédé la faute. La faute
procède non d’une volonté ordonnée, mais d’une volonté désordonnée et ainsi non
de la volonté divine, mais de la volonté humaine. La transmission du péché
originel vient donc du péché du premier homme et non de Dieu, non de la nature
créée, mais du vice perpétré. Ainsi, ce que dit Augustin est vrai que « ce n’est
pas la propagation mais le désir désordonné qui transmet le péché originel à la
postérité ».
1. Enoncé
Le mode de
guérison du péché originel est le suivant.
La faute est
guérie de telle façon que demeure le châtiment temporel, comme il apparaît chez
les enfants baptisés.
Il est guéri
quant à l’imputation du châtiment éternel, cependant de telle façon qu’il
demeure quant à l’acte et au mouvement de la concupiscence.
Il est guéri
chez les parents, néanmoins de telle façon que ceux-ci guéris par le baptême, le
transmettent encore à leurs enfants.
La tache du
péché originel est enlevée de telle façon que demeurent les conséquences, contre
les quelles il nous faut lutter aussi longtemps que nous vivons ici-bas, car en
personne la concupiscence n’est absolument éteinte par la grâce
commune.
Je dis cela à
cause de la bienheureuse Vierge, en qui cette concupiscence fut éteinte dans la
conception du Fils de Dieu, par une grâce singulière
2. Explication
De même que
l’infection dérive chez tous du principe créé par lequel se fait la propagation
des corps, et ce par la partie inférieure, la chair, ainsi, la guérison doit
provenir du principe incréé par lequel sont infusées les âmes et ce, par la
partie supérieure, l’es prit. Parce que, du côté de l’esprit, il y a entre les
hommes une distinction telle que selon elle, l’esprit n’est pas propagé à partir
d’un autre mais sort immédiatement de Dieu, la grâce curative infusée dans notre
esprit par Dieu concerne chacun en tant qu’il est une personne singulière et
individuelle, et non en tant que produit selon la puissance de la nature. Donc,
parce que le péché originel a infecté également la personne et la nature, la
personne dans la volonté et la nature dans la chair, la tache originelle est
guérie dans l’esprit tandis que demeure l’infection et les désordres dans la
chair.
3. Et parce que l’homme engendre non en
tant que guéri dans l’esprit, mais en tant que corrompu dans la chair, non en
tant qu’être spirituel mais en tant qu’être charnel, bien qu’il soit baptisé et
ainsi lavé en lui-même du péché originel, il transmet cependant ce péché à ses
enfants.
4. En outre, parce que l’imputation du
châtiment éternel concerne la difformité de l’esprit et de la personne, que le
mouvement concerne l’inclination de la chair et de la nature, ainsi par le
baptême, le péché originel disparaît quant à l’imputation, mais demeure
cependant quant à l’acte
5. Enfin, parce que l’affliction
temporelle con cerne la condition humaine selon la chair, et que la chair
demeure toujours sujette à une certaine infection, elle doit toujours demeurer
sujette à la pénalité. Donc, puisque la pénalité et la corruption ne sont pas
enlevées de la chair par la grâce, ces désordres, la concupiscence et la maladie
des membres peuvent subsister avec la grâce curative.
C’est
pourquoi, bien que la concupiscence soit peu à peu diminuée sans que la racine
en soit arrachée, elle n’est jamais totalement enlevée chez l’homme ici-bas,
sauf chez la bienheureuse Vierge par une grâce singulière. La Vierge, en effet,
a conçu celui qui était l’expiation de toute faute. Une grâce singulière lui a
donc été donnée par laquelle toute concupiscence fut éteinte en elle dans sa
racine pour concevoir le Fils de Dieu sans aucune souillure, ni corruption du
péché. « Car il convenait que la Vierge possédât la plus grande pureté qui
puisse se concevoir en-dessous de Dieu; cette Vierge à qui Dieu le Père avait
voulu donner le Fils unique qu’il a engendré de son coeur, égal à lui-même et
qu’il aimait comme lui-même, de telle sorte qu’il serait naturellement un seul
et même Fils commun de Dieu le Père et de la Vierge. Le Fils lui-même avait
choisi de faire substantiellement de la Vierge, sa mère. L’Esprit Saint voulait
et fit que la Vierge, conçût et mit au monde celui dont il procédait.
».
1. Après avoir parlé de la transmission
du péché originel, il faut maintenant traiter quelque peu de l’origine du péché
actuel.
Enoncé
Il faut tenir
en somme que le péché actuel prend son origine dans la volonté libre de chacun
par suggestion, délectation, consentement et accomplissement, selon ce que dit
S. Jacques: « Chacun est éprouvé par sa propre convoitise qui l’attire et le
leurre. Puis la convoitise ayant conçu, donne naissance au péché, et le péché
parvenu à son terme, enfante la mort ».
Si la
suggestion et la délectation demeurent en deçà du consentement, le péché est
véniel.
S’il y a
consentement et oeuvre accomplie en matière défendue par la loi divine, c’est un
péché mortel consommé.
Si le péché
reste entre les deux, de sorte que le consentement ne va pas jusqu’à l’acte, ou
bien parce que le voulant il ne le peut pas, alors la volonté est imputée de ce
fait et n’est pas moins coupable que si elle avait été jusqu’au fait; ou bien si
ne voulant pas aller jusqu’à l’acte il veut pourtant jouir intérieurement de la
délectation, alors la femme mange, mais non l’homme. Bien que le péché ne soit
pleinement consommé, il est cependant considéré comme un péché mortel parce que
quand la femme mange, tout l’homme a mérité d’être condamné. Cela a sur tout
lieu dans les péchés charnels.
2. Explication
Le péché
signifiant un éloignement de la volonté par rapport au premier principe, en tant
que la volonté est faite pour agir à partir de lui-même, selon lui et par lui,
tout péché est un détournement de l’esprit, c’est-à-dire de la volonté qui, par
nature, est capable de vertu ou de vice Le péché actuel est donc le détournement
actuel de la volonté. Ce détournement peut être si grand qu’il anéantit l’ordre
de la justice, c’est le péché mortel qui enlève la vie, en séparant l’âme de
Dieu vie de l’âme juste. Ou bien ce détournement est si minime que, sans
anéantir cet ordre de la justice, il le perturbe quelque peu, c’est le péché
véniel, ainsi appelé parce que nous pouvons en obtenir rapidement le pardon du
fait qu’il n’enlève pas la grâce et ne fait pas encourir l’inimitié de
Dieu.
L’ordre de la
justice veut que le bien immuable soit préféré au bien passager, le bien honnête
au bien utile, la volonté de Dieu à la volonté propre, de sorte que le jugement
de la droite raison passe avant la sensualité. La loi de Dieu prescrit cet ordre
et interdit son contraire. C’est pourquoi quand le bien changeant est préféré au
bien éternel, quand le bien utile est préféré au bien honnête, quand notre
volonté est préférée à la volonté de Dieu, quand l’appétit sensuel est préféré à
la droite raison, alors c’est le péché mortel, dont S. Ambroise dit qu’il est «
transgression de la loi divine et désobéissance aux commandements célestes ». Le
péché mortel est commis soit en omettant ce que prescrit la loi divine, soit en
faisant ce qu’elle défend. Ainsi il y a deux genres de péché, l’omission et la
transgression
3. Quand le bien changeant est ainsi aimé
plus qu’il ne doit, mais non préféré au bien immuable, quand l’utilité n’est pas
préférée à l’honnêteté, quand notre volonté est aimée plus qu’il ne faut mais
non préférée à la volonté divine, quand la chair désire mais n’est pas préférée
au jugement de la droite raison, alors ce n’est pas le péché mortel, mais le
péché véniel, car bien qu’il soit à côté de la loi , il n’est cependant pas
directement contre elle. L’appétit sensuel n’est préféré à la droite raison que
si la raison y consent. On ne peut donc commettre de péché mortel en deçà du
consentement.
4. Si cependant la sensualité est mue
d’une façon désordonnée, ce désordre inclinant au mal, bien que la raison n’y
consente pas, il y a quelque péché parce que l’ordre de la justice est lésé en
quelque façon.
Dans l’état
d’innocence, la sensualité n’était mue que selon le mouvement de la raison. Tant
que l’homme y demeurait, il ne pouvait y avoir de péché véniel.
Maintenant,
la sensualité s’oppose à la raison que nous le voulions ou non. Aussi
commettons-nous nécessairement des péchés véniels par les mouvements premiers,
qui certes peuvent être rejetés un à un mais ne peuvent être globalement évités,
car ils sont si bien péchés qu’ils sont aussi peines du péché. Ils sont donc, à
juste titre, appelés véniels car de ce fait ils méritent le pardon.
5. Mais la raison n’est pas obligée de
consentir. Si donc après la délectation elle consent à l’oeuvre, il y a plein
consentement et par là péché consommé, car il parvient jusqu’à l’homme,
c’est-à-dire jusqu’à la partie supérieure de la raison dont dépend la plénitude
du consentement.
6. Le consentement n’est pas seulement
dans l’acte, il est aussi dans la délectation; en lui, la partie inférieure de
la raison suit la sensualité. Donc si dans la délectation sensuelle la raison
succombe à la sensualité, la femme obéit au serpent, et ainsi y a-t-il boule
versement de l’ordre établi et donc de la justice. Pour cette raison on commet
un péché mortel — bien que de moindre gravité. Il n’est pas imputé seulement à
la femme, mais aussi à l’homme qui devait la retenir et l’empêcher d’obéir au
serpent. Ainsi il apparaît que dans tout péché actuel se trouve une certaine
imitation du premier péché, comme l’explique le Grand Docteur, Augustin, au
chapitre du De Trinitate.
.
Enoncé
1. Il faut maintenant descendre jusqu’à
l’origine des péchés en particulier. Parmi eux, il y a des péchés capitaux, des
péchés pénaux et des péchés finals ou irrémissibles, en d’autres termes, des
premiers, des intermédiaires et des derniers.
Aux péchés
actuels, on reconnaît un principe, une double racine, un triple foyer, une tête
septiforme ou péché capital.
Le principe
unique est l’orgueil selon qu’il est écrit Le principe de tout péché, c’est
l’orgueil.
La double
racine c’est la crainte provoquant une fausse honte et l’amour enflammant d’une
mauvaise ardeur.
Les trois
foyers sont, selon les trois concupiscences du monde, la chair, les yeux et la
superbe de la vie.
La tête
septiforme, l’orgueil, l’envie, la colère, la paresse, l’avarice, la
gourmandise, la luxure. Parmi ces péchés, les cinq premiers sont spirituels, les
deux derniers, charnels.
2. Explication
Le péché
mortel est un éloignement actu du premier principe. On ne s’éloigne du premier
principe qu’en le méprisant, soit en lui-même, soit dans son précepte. Or, le
mépris du premier principe est l’orgueil. Toute faute ou offense mortelle trouve
donc nécessairement son principe dans l’orgueil.
3. Personne ne méprise le principe
souverain ou son précepte par soi-même si ce n’est parce qu’il veut par soi-même
acquérir quelque chose d’autre ou craint de le perdre. Tout péché actuel tire
donc nécessairement son origine d’une double racine, la crainte et l’amour. Ce
sont les racines des maux, mais non également.
4. Car toute crainte tire son origine de
l’amour. Personne ne craint de perdre quelque chose sinon parce qu’il aime la
posséder. La crainte est donc nourrie par ce qui nourrit l’amour. Or l’amour est
désordonné à l’égard du bien changeant. Ce bien changeant est triple intérieur,
c’est la supériorité, extérieur, c’est la fortune, inférieur, la licence de la
chair. De là, il y a nécessairement trois foyers des péchés actuels dont il a
été parlé plus haut. Tous les péchés actuels naissent du mouvement de l’âme qui
se porte vers ces trois foyers.
5. Tout cela arrive de sept manières
différentes. Il y a donc sept péchés capitaux, source de tous les vices. Car
notre volonté est désordonnée en désirant ce qu’on ne doit pas désirer ou en
refusant ce qui n’est pas à refuser.
Quand la
volonté désire ce qui n’est pas désirable, c’est-à-dire un bien présent ou
changeant ou ayant l’apparence du bien: si ce bien est intérieur, c’est la
supériorité individuelle qu’aime l’orgueil; si ce bien est extérieur, c’est
l’aisance matérielle qu’aime l’avarice; si ce bien est inférieur, il est
délectable parce qu’il sert à la conservation de l’individu, tel l’aliment, qui
est délectable pour le goût et désiré par la gourmandise; il est délectable
parce qu’il sert à la conservation de la race, tel le coït qui est délectable
pour le toucher et désiré par la luxure. Quand la volonté est désordonnée parce
qu’elle refuse ce qu’elle ne devait pas refuser, elle le fait d’une triple façon
selon le principe de son refus. Ou bien elle refuse selon l’instinct rationnel
perverti, c’est l’envie; ou bien elle refuse selon l’instinct de défense, c’est
la colère; ou bien elle refuse selon l’instinct du désir, c’est la paresse.
Ainsi parce qu’il y a quatre choses principales désirables et trois forces
instinctivement repoussées, il n’y a que sept péchés capitaux.
6. En outre, la pensée d’une chose
désirable est accompagnée de délectation, la pensée d’une chose à refuser est
accompagnée de douleur. Ainsi, quatre péchés sont liés à la joie, les trois
autres sont liés à la tristesse et à la peine. On les appelle cependant tous
péchés capitaux parce qu’ils sont désordres principaux et principes de beaucoup
d’autres désordres, chacun influant à sa façon. De là, bien que certains d’entre
eux concernent principalement le refus, ils possèdent cependant leurs objets de
délectation. L’en vie veut posséder un bien propre sans associé, donc
intégralement; la colère le veut sans contraire, donc imperturbablement, la
paresse le veut sans aucun travail, donc infatigablement.
Et parce
qu’ils n’obtiennent pas facilement leur fin, ils traînent avec eux une grande
foule de vices pour atteindre de cette façon ce qu’ils désirent, ou pour refuser
ce qu’ils repoussent. Pour cela, on les appelle péchés capitaux, comme des
principes dont découlent tous les autres.
1. Enoncé
Bien que le
mal de la faute et le mal de la peine soient des maux différents, certains sont
cependant péchés et aussi peines du péché. D’une manière spéciale, on appelle
péchés et peines du péché ceux qui sont accompagnés de douleur et de tristesse,
comme l’envie, la paresse et d’autres semblables. D’une manière moins spéciale,
on appelle ainsi ceux qui sont accompagnés d’une pure dépravation de la nature,
ou bien de honte, comme le sont ceux au regard desquels on dit que le pécheur
est livré à son sens propre dépravé. D’une manière générale, on appelle ainsi
les péchés qui sont « entre la première apostasie et l’ultime châtiment de
l’enfer on peut les appeler aussi péchés et peines du péché » selon ce que dit
Grégoire, que « les crimes sont punis par les crimes »
Bien que l’on
parle également de péché et de peine du péché, il faut cependant savoir que
toute peine en tant que peine est juste et vient de Dieu, mais qu’aucune faute
n’est juste et ne peut provenir de Dieu, mais vient seulement du
libre-arbitre.
La peine qui
est purement peine est infligée par Dieu; celle qui est liée à la faute ou qui
incline à la faute est contractée ou produite
2. Explication
Le mal est
retrait vis-à-vis du premier principe par le fait qu’il nuit au bien. Il ne nuit
au bien qu’en l’excluant. Or le bien existe dans le mode, l’espèce et l’ordre.
Tout mal est corruption du mode, de l’espèce ou de l’ordre. Or, l’ordre est
double, ordre de la nature et ordre de la justice. L’ordre de la nature est dans
le bien naturel, l’ordre de la justice dans le bien moral. Parce que le bien
naturel se trouve dans toute nature, le bien moral existe nécessairement dans la
volonté: l’ordre de la nature existe donc dans toute nature, l’ordre de la
justice dans la volonté élective. Parce que la volonté est un « instrument se
mouvant soi-même » alors que la nature ne l’est pas, l’ordre de la justice est
un ordre non seulement fait, mais facteur, tandis que l’ordre de la nature n’est
qu’un ordre fait. Donc, parce que le mal peut écarter l’ordre de la justice et
l’ordre de la nature, le mal est donc double, mal de la faute et mal de la
peine.
3. En outre, parce que l’ordre de la
justice est un ordre volontaire, « le mal de la faute est une affection
volontaire, tandis que le mal de la peine est une affection involontaire »
4. Enfin, parce que l’ordre de la justice
qui existe dans la volonté est un ordre facteur, « le mal de la faute qui en est
la privation est un mal que nous faisons, tandis que le mal de la peine est un
mal que nous subissons ». Et parce qu’il n’y a pas de passion que ne précède
naturellement une action, et pas d’action qui ne soit suivie d’une certaine
passion, il n’y a aucune peine qui ne soit méritée par une faute antécédente, ni
aucune faute que ne suive quelque peine.
5. Parce que ce que nous faisons vient de
nous, que ce que nous subissons peut venir de nous et des autres, d’une cause
supérieure ou inférieure, toute faute vient de nous, mais toute peine ne vient
pas de nous, certaines sont faites par nous, d’autres nous sont infligées,
d’autres enfin contractées.
6. Parce qu’il est juste que celui qui
fait ce qu’il ne doit pas subisse ce qu’il doit, toute peine en tant que peine
est juste et vient de la divine providence, car elle est ordonnée à la faute et
rétablit l’ordre que le péché a détruit.
7. Parce que le fait de subir une peine
peut venir du rejet du bien naturel ou du bien moral joint au bien naturel,
certaines peines sont purement peines, certaines sont peines et fautes, car le
bien moral qui est la justice n’est rejeté que par une injustice qui est la
faute. La première peine vient de Dieu, et en tant que peine et en tant qu’elle
est, elle vient de Dieu, dis-je, non comme d’un auteur, mais comme d’un vengeur.
La seconde, puisqu’elle est faute ne vient pas de Dieu pour autant qu’elle est,
mais seulement en tant que relative à l’ordre. Elle est encourue, si elle suit
un péché actuel, elle est contractée si elle suit le péché originel.
8. Si l’on entend le mal dans son sens
propre, en tant que privation du bien naturel, affection involontaire et mal que
nous subissons, il ne coïncide pas avec le mal de la faute bien qu’il en soit
une conséquence. Si on l’entend dans son sens large, en parlant du mal que nous
subissons soit à cause de nous, soit pour d’autres causes, soit dans la nature,
soit dans la volonté, il coïncide avec le mal de la faute, mais ne s’applique
pas aux mêmes choses ni de la même façon, car ce qui est faute de soi est appelé
la peine d’un péché précédent, ou bien la faute en tant qu’action est appelée
peine en tant que passion.
Ainsi,
apparaît comment, dans quelle mesure et pourquoi la même chose peut être appelée
péché et peine de péché.
1. Enoncé
Bien qu’en
général tout péché soit dirigé contre Dieu trois et un, on parle, par
appropriation, de péché contre le Père, contre le Fils et contre l’Esprit
Saint.
On dit que ce
péché contre l’Esprit Saint est irrémissible en ce siècle et en l’autre, non
parce qu’il ne peut être remis en ce siècle, mais parce qu’il est rarement ou
presque jamais remis en ce siècle quant à la faute, et parce qu’il n’y aura
aucune ou presque aucune rémission pour ce péché dans le siècle futur, quant à
la peine.
Les péchés de
ce genre sont au nombre de six, la haine de la grâce fraternelle, l’attaque
contre la vérité reconnue, le désespoir, la présomption, l’obstination de
l’esprit et l’impénitence finale
2. Explication
Parce que le
péché est retrait vis-à-vis du premier principe trois et un, tout péché déforme
l’image de la Trinité et corrompt l’âme elle-même dans sa triple puissance,
irascible, rationnelle et concupiscible. Il provient du libre-arbitre qui porte
en soi la marque de la Trinité: du Père, parce qu’il est faculté; du Fils, parce
qu’il est raison; du Saint Esprit, parce qu’il est volonté.
3. Bien que ces trois éléments
concourrent ensemble dans toute faute, chacun d’eux peut, par son défaut, être à
l’origine du désordre des autres. Le défaut dans la faculté est impuissance, le
défaut dans la raison est ignorance, le défaut dans la volonté est méchanceté.
De là, puisque certains péchés viennent de l’impuissance, certains de
l’ignorance, certains de la méchanceté et puisque la puissance est attribuée au
Père, la sagesse au Fils et la volonté au Saint Esprit, on dit que certains
péchés sont contre le Père, d’autres contre le Fils, d’autres contre le
Saint-Esprit. Parce que, rien n’est plus dans la volonté que la volonté
elle-même et que la volonté elle-même est l’origine du péché, aucun péché n’est
plus volontaire et péché pur que celui qui provient de la corruption dans la
volonté.
Un acte peut
être involontaire de deux manières, par violence subie ou par ignorance,
c’est-à-dire par défaut de puissance ou par défaut de science quand la volonté
par sa seule corruption, bien qu’elle puisse résister et sache que ceci est mal,
choisit quel que chose, on dit alors qu’elle pèche par une méchanceté certaine
Un tel péché procède purement de la méchanceté du libre-arbitre de la volonté et
attaque directement la grâce du Saint-Esprit. Et parce que le péché procède
purement de la liberté de l’arbitre, il n’a pas la moindre excuse et à cause de
cela rien ne doit, à celui qui est puni, être pardonné dans le châtiment. Parce
qu’il attaque directement la grâce du Saint Esprit par laquelle se fait la
rémission du péché, on l’appelle irrémissible, non parce qu’il ne peut en aucune
façon être remis, mais parce que, en tant que tel, il attaque directement le
médicament et le remède par lequel est accomplie la rémission du
péché.
4. Parce que la rémission du péché est
faite par Dieu moyennant la grâce pénitentielle accordée dans l’unité de
l’Eglise, on distingue les péchés selon leur opposition à ces trois éléments.
Ils s’opposent à la grâce pénitentielle en elle-même, ou dans la relation avec
Dieu qui la donne, ou dans la relation avec l’Eglise en qui elle est
reçue.
S’ils
s’opposent à la grâce dans sa relation avec l’unité de l’Eglise, parce que
l’unité de l’Eglise est établie dans la foi et la charité, dans la grâce et la
vérité, il y a un double péché, la haine de la grâce fraternelle et l’attaque de
la vérité reconnue
S’ils
s’opposent à la grâce dans la relation avec Dieu qui la donne, puisque tous les
sentiers de Dieu, quant à la justification sont surtout amour et vérité, il y a
un double péché, celui qui s’oppose à la miséricorde, le désespoir, celui qui
s’oppose à la justice, la présomption de l’impunité.
Enfin, s’ils
s’opposent à la grâce pénitentielle en elle-même ou selon elle-même, il y a
double péché, car elle fait revenir des péchés commis et éviter ceux à
commettre. Dans le premier cas, c’est l’obstination, et dans le second cas
l’impénitence finale, ou volonté de ne pas faire pénitence. C’est là l’espèce
propre du péché contre l’Esprit Saint. L’impénitence finale signifie la
continuation du péché jusqu’à la fin, telles sont les séquelles de tous les
péchés mortels qui ne sont par remis en cette vie et surtout de tous les genres
de péchés contre l’Esprit Saint.
5. Ainsi tout péché trouve son principe
dans l’orgueil et sa consommation ou sa fin dans l’impénitence finale. Celui qui
parviendra dans cet état tombe en enfer; dont aucun de ceux qui pèchent
mortellement ne peut être délivré sinon par l’intervention de la grâce du
médiateur, le Christ. C’est pourquoi l’universalité de ceux qui doivent être
sauvés désirait son incarnation. A ce médiateur, Notre Seigneur, tout honneur et
toute gloire dans les siècles des siècles. Amen.
1. Enoncé.
Après avoir
parlé de la Trinité de Dieu, du monde créature et de la corruption du péché,
nous devons maintenant traiter brièvement de l’Incarnation par laquelle le Verbe
incarné est devenu salut et restauration du genre humain, non parce que Dieu ne
pouvait sauver ou libérer autrement le genre humain, mais parce qu’aucun autre
moyen n’était plus digne et convenable au réparateur, à celui qui devait être
réparé, à la réparation.
2. Explication.
Le principe
effectif des choses ne pouvait et ne devait être que Dieu. Or, réparer les
choses créées n’est pas moindre que les produire dans l’être, de même qu’être
ordonné au bien n’est pas moindre qu’être simplement. Il était donc très
convenable que le principe réparateur des choses soit le Dieu souverain afin
que, Dieu ayant créé toutes choses par le Verbe incréé, il les guérisse toutes
par le Verbe incarné. Donc, parce que Dieu a fait toutes choses avec puissance,
sagesse et bonté ou bienveillance, il convenait qu’il les répare pour montrer sa
puissance, sa sagesse, sa bienveillance. Quoi de plus puissant, en effet, que
d’unir les extrêmes souverainement éloignés en une seule personne? Quoi de plus
sage et de plus convenable que, pour la perfection de l’univers entier, soient
unis le premier et le dernier, le Verbe de Dieu principe de toutes choses et la
nature humaine de toutes les créatures la dernière dans le temps? Quoi de plus
bienveillant que le Seigneur, pour le salut du serviteur, ait pris la condition
d’esclave? Bien plus, ceci est le fait d’une telle bonté qu’on ne peut rien
penser de plus clément, de plus affectueux, de plus amical. Ce mode était donc
le plus convenable à Dieu réparateur pour manifester sa puissance, sa sagesse et
sa bienveillance.
3. En outre, l’homme en tombant dans le
péché s’était détourné et éloigné du principe tout-puissant, souverainement sage
et bienveillant. Il se précipita dans la faiblesse, l’ignorance et la méchanceté
et par là, de spirituel, il devint charnel, animal et sensuel. Il était donc
incapable d’imiter la vertu, de connaître la lumière et d’aimer la bonté de
Dieu. Donc, à cause de cela, il convenait tout à fait que l’homme en cet état
soit réparé de telle façon que le premier principe condescende vers lui en se
rendant pour lui connaissable, aimable et imitable. Et parce que l’homme
charnel, animal et sensuel ne connaissait, n’aimait et ne poursuivait que des
biens proportionnés ou semblables à lui-même, pour arracher l’homme à cet état,
le Verbe s’est fait chair afin que l’homme, qui lui aussi était chair, puisse le
connaître, l’aimer et l’imiter. Ainsi, l’homme en connaissant, en aimant et en
imitant Dieu est guéri de la maladie du péché.
4. Enfin, l’homme ne pouvait être
parfaitement réparé que s’il récupérait l’innocence de l’esprit, l’amitié de
Dieu et sa propre excellence par laquelle il est soumis à Dieu seul. Or, ce ne
pouvait être que par Dieu devenu serviteur. Il convenait donc que le Verbe
s’incarne. Son excellence, l’homme ne pouvait la récupérer que si le réparateur
était Dieu, car s’il avait été pure créature, l’homme aurait été alors soumis à
cette pure créature et n’aurait pas ainsi récupéré son statut d’excellence S
L’amitié de Dieu, il ne pouvait pas davantage la récupérer sinon par un
médiateur valable qui pouvait poser la main sur chacun des deux extrêmes et
était conforme aux deux, ami des deux et donc semblable à Dieu par la divinité
et semblable à l’homme par l’humanité. L’innocence de l’esprit, l’homme ne
pouvait la récupérer que si son péché était remis. Or, la justice divine ne
devait la remettre que par une satisfaction convenable. Seul Dieu pouvait
satisfaire pour tout le genre humain, seul l’homme le devait, lui qui avait
péché. Il convenait donc tout à fait que le genre humain soit réparé par un
Dieu-homme né de la race d’Adam.
L’excellence
ne pouvait être récupérée que par le réparateur le plus excellent, l’amitié ne
pouvait être restaurée que par un médiateur souverainement amical, l’innocence
ne pouvait être recouvrée que par l’auteur d’une satisfaction suffisante. Or, le
réparateur infiniment parfait ne peut être que Dieu, le médiateur souverainement
amical ne peut être qu’un homme, l’auteur d’une satisfaction suffisante doit
être à la fois Dieu et homme. L’incarnation du Verbe convient donc parfaitement
à notre réparation, de sorte que le genre humain venu à l’être par le Verbe
incréé, tombé dans le péché en délaissant le Verbe inspiré, ressurgit du péché
par le Verbe incarné.
1. Enoncé.
Au sujet du
Verbe incarné, il nous faut considérer trois questions l’union des natures, la
plénitude des charismes et le martyre des souffrances pour le rachat du genre
humain. Au sujet de l’union des natures, il faut considérer trois aspects pour
comprendre le mystère de l’Incarnation: l’oeuvre, le mode et le
temps.
2. L’incarnation est l’opération de la
Trinité dans laquelle eut lieu l’assomption d’une chair par la Déité et l'union
de la Déité avec une chair. Ainsi, ce n’est pas seulement l’assomption de la
chair sensible, mais aussi de l’esprit raisonnable avec ses puissances
végétative, sensitive et intellective. Ainsi encore, l’union n’a pas lieu dans
l’unité de la nature mais de la personne, non d’une personne humaine mais d’une
personne divine, non d’une personne assumée mais d’une personne assumante, non
de n’importe quelle personne mais de la personne du seul Verbe. L’union est
telle dans la personne que tout ce qui est dit du Fils de Dieu est dit du fils
de l’homme et vice versa, sauf cependant ce en quoi est exprimée l’union ou ce
qui renferme une négation
3. Explication.
L’oeuvre de
l’incarnation est opérée par le premier principe, non seulement en tant que
principe effectif dans la production, mais aussi en tant que principe réparateur
dans la guérison, dans la satisfaction et dans la réconciliation. Donc,
l’incarnation, en tant qu’elle signifie un certain effet est l’oeuvre du premier
principe qui fait toutes choses par sa souveraine Puissance. Or, la substance,
la force et l’opération sont absolument unes et indivises entre les trois
personnes. Il est donc nécessaire que l’oeuvre de l’incarnation découle de la
Trinité tout entière.
4. L’incarnation est aussi l’oeuvre du
premier principe, en tant q principe réparateur par la guérison. Or, tout le
genre humain était tombé et vicié, non seulement dans son âme, mais aussi dans
sa chair. Il était donc nécessaire qu’il soit assumé tout entier pour être tout
entier guéri Et parce que la partie charnelle nous est plus connue et est plus
distante de Dieu, pour que la dénomination en soit plus expressive,
l’humiliation mieux exprimée et notre sanctification plus profondément
expliquée, on nomme cette oeuvre non pas inanimation, mais
incarnation.
5. En outre, l’incarnation est l’oeuvre
du premier principe en tant que principe réparateur dans la satisfaction. Or, il
n’y a satisfaction que par celui qui le doit et le peut. L’homme seul le doit,
Dieu seul le peut. Il fallait donc que dans la satisfaction concourrent les deux
natures, la nature divine et la nature humaine. Et parce qu’il est impossible
que la nature divine concourre avec une autre nature comme partie dans la
constitution d’un tiers, parce que la nature divine ne se transforme pas dans
une autre nature et qu’une autre nature ne se transforme pas, dans la nature
divine, à cause de sa simplicité et de son immutabilité absolues, la Déité et
l’humanité ne sont pas unies dans l'unité d’une nature ou d’un accident, elles
sont unies dans l’unité d’une personne et hypostase. Et parce que la nature
divine ne peut subsister en aucun autre suppôt qu’en sa propre hypostase, cette
union peut exister non dans l’hypostase ou personne d’un homme, mais dans une
hypostase ou personne divine. Ainsi, par cette union, le premier principe dans
l’une de ses hypostases s’est fait lui-même suppôt d’une nature humaine. Il n’y
a donc ici qu’une seule personnalité et qu’une seule unité personnelle, celle de
celui qui assume.
6. Enfin, l’incarnation est l’oeuvre du
premier principe en tant que principe réparateur dans la réconciliation. En
réconciliant, il est médiateur. Or, la médiation convient en propre au Fils de
Dieu, donc aussi l’incarnation. Car le médiateur doit être le milieu entre
l’homme et Dieu pour reconduire l’homme à la connaissance, à la conformité et à
la filiation divines Nul n’est plus valable médiateur que la personne qui
produit et qui est pro duite, qui est milieu des trois personnes. Nul ne peut
mieux reconduire à la connaissance de Dieu que le Verbe, par lequel le Père se
déclare, ce Verbe qui est unissable à la chair, comme le verbe humain l’est à la
voix. Personne ne peut mieux reconduire à la conformité divine que celui qui est
l’image du Père. Personne ne peut mieux reconduire à la filiation adoptive que
le Fils par nature. Et pour cela, à nul autre ne convient de se faire fils de
l’homme qu’au Fils de Dieu lui-même
7. En raison de l’incarnation, le même
est à la fois fils de l'homme et Fils de Dieu, puisque « deux choses identiques
à une troisième sont identiques entre elles ». Il y a donc nécessairement «
communication des idiomes », à moins qu’il ne s’agisse d’un mot incluant quelque
répugnance: tels sont les mots incluant l’idée d’union d’une nature à l’autre,
comme unir, s’incarner, assumer et être assumé; en des mots incluant la négation
de quelque chose dont l’opposé appartient à l’autre nature, comme commencer
d’être, être créé, etc. mots dans lesquels s’ajoute une instance contre la règle
donnée, pour la raison que nous avons dite.
1. Enoncé.
L’ange ayant
annoncé à la bienheureuse Vierge Marie que le mystère de l’incarnation devait
s’opérer en elle, la Vierge le crut, le désira et l’accepta. L’Esprit Saint
survint en elle pour la sanctifier et la féconder. Par sa puissance, « la Vierge
conçut le fils de Dieu, Vierge elle l’enfanta et demeura Vierge après sa
naissance ».
Elle conçut
non seulement une chair, mais aussi une chair animée et unie au Verbe, pure de
tout péché et absolument sainte et immaculée, en raison de quoi on la dit mère
de Dieu et en raison de quoi elle est la très douce Vierge Marie.
2. Explication.
L’incarnation
est l’oeuvre provenant du premier principe en tant que principe réparateur selon
un mode convenable, universel et parfait. Car il convient que la sagesse de Dieu
opère convenablement, que sa libéralité opère universellement, que sa force
opère parfaitement.
3. L’incarnation est l’oeuvre du premier
principe en tant q principe réparateur selon un mode convenable. Or, il est
convenable que le médicament corresponde à la maladie, la réparation à la chute,
le remède au préjudice. Puisque le genre humain était tombé par la suggestion du
diable, par le consentement de la femme trompée, il fallait qu’ici, au
contraire, un bon Ange conseillât le bien, que la Vierge crût et consentît au
bon conseil et que la charité de l’Esprit Saint la sanctifiât et la fécondât en
vue d’une conception immaculée, afin qu’ainsi « les contraires puissent être
guéris par les contraires » De même que la femme, trompée par le diable, connue
dans la concupiscence et cor rompue par l’homme, a transmis à tous la faute, la
maladie et la mort, de même la femme, instruite par l’Ange, sanctifiée et
fécondée par l’Esprit Saint, sans aucune corruption de l’esprit ou du corps pour
rait engendrer une progéniture qui donnerait à tous ceux qui s’en approchent la
grâce, la santé et la vie.
4. En outre, l’incarnation est l’oeuvre
du premier principe en tant que principe réparateur selon un mode universel. Par
le Verbe incarné, en effet, est réparée la chute des hommes et des anges, des
êtres célestes et des êtres terrestres et des hommes dans les deux sexes. Pour
que le remède soit universel, il convenait qu’au mystère de l’incarnation
concourrent l’Ange, la femme et l’homme: l’Ange comme annonciateur, la Vierge
comme génitrice, l’homme comme enfant conçu. L’ange Gabriel était le messager du
Père éternel, la Vierge immaculée était le temple de l’Esprit Saint, l’enfant
conçu était la personne même du Verbe. Ainsi, dans la rédemption universelle le
concours a été réuni des trois de la triple hiérarchie, divine, angélique et
humaine pour faire voir non seulement la Trinité de Dieu, mais aussi la
généralité du bienfait et la libéralité du souverain rédempteur. Parce que la
libéralité est appropriée à l’Esprit Saint, l’est aussi la sanctification de la
Vierge en laquelle fut opérée la conception du Verbe, bien que cette oeuvre soit
agie par la Trinité entière. On dit cependant, par appropriation, que la Vierge
a conçu de l’Esprit Saint.
5. Enfin, l’incarnation est l’oeuvre du
premier principe en tant que principe réparateur selon un mode parfait. C’est
pourquoi la conception devait s’accomplir avec perfection dans l’enfant, dans
l’acte de concevoir et dans la force de conception. La perfection fut complète
dans l’enfant, c’est-à-dire qu’à l’instant même de la conception, il y eut non
seulement séparation d’un germe, mais aussi affermissement, configuration,
vivification par l’âme et déification par la Déité qui s’unissait. Ainsi, la
Vierge a vraiment conçu le Fils de Dieu en raison de l’union de la chair à la
Déité par le moyen de l’esprit raisonnable qui, en tant que moyen de convenance,
rendait la chair capable de cette union.
La perfection
fut aussi complète dans l’acte de concevoir, car parmi les quatre manières de
faire un homme, trois avaient déjà été utilisés: le premier, sans homme ni femme
en Adam; le deuxième, d’un homme sans femme en Eve; le troisième, d’un homme et
d’une femme, en tous les enfants nés dans la concupiscence. Il convenait pour
achever la perfection de l’univers que la quatrième manière fût introduite:
d’une femme sans semence de l’homme, par la force du souverain créateur. La
perfection fut enfin complète dans la force ou vertu, c’est-à-dire que dans la
conception du Fils de Dieu ont concouru ensemble la vertu innée, la vertu infuse
et la vertu incréée. La vertu innée a préparé la matière, la vertu infuse l’a
mise à part en la purifiant, la vertu incréée a achevé en un instant ce que la
vertu créée n’aurait pu faire que successive ment. Ainsi, la bienheureuse Vierge
Marie fut mère d’une manière absolument parfaite, en concevant le Fils de Dieu
lui-même sans le secours d’un homme, par la fécondation de l’Esprit Saint. Car
dans l’âme de la Vierge, l’amour de l’Esprit Saint brûlait de façon si
singulière que dans sa chair la force de l’Esprit Saint accomplissait des
merveilles, sa grâce excitant, aidant et élevant la nature, selon que l’exigeait
une conception aussi admirable.
1. Enoncé.
Bien que Dieu
ait pu s’incarner dès le commencement, il ne le voulut cependant qu’à la fin des
siècles, après la loi de nature et la loi figurée, après les Patriarches et les
Prophètes auxquels et par les quels l fut promise. Après eux, Dieu a daigné
s’incarner, comme à la fin et à la plénitude des temps, ainsi que le dit
l’Apôtre: « Mais quand vint la plénitude du temps, Dieu envoya son Fils, né
d’une femme, né sujet de la loi afin de racheter les sujets de la loi
»
2. Explication.
L’incarnation
est l’oeuvre du premier principe en tant que réparateur comme il convient à la
liberté de l’arbitre, à la sublimité du remède, à l’intégrité de l’univers, car
l’Artisan souverainement sage a, en agissant, considéré ces trois
choses.
La liberté de
l’arbitre requiert de n’être entraînée à rien contre son gré. Dieu devait donc
racheter le genre humain de façon que celui qui voudrait chercher le Sauveur
trouverait le salut et que celui qui ne voudrait pas chercher le Sauveur ne
trouverait par conséquent pas le salut. Personne ne cherche le médecin s’il ne
se reconnaît être malade, personne ne cherche le docteur s’il ne se reconnaît
ignorant, personne ne cherche une aide s’il ne se reconnaît impuissant. Donc,
parce que l’homme au commencement de sa chute s’enorgueillissait alors de sa
science et de sa puissance, Dieu prévoya donc le temps de la loi de nature,
durant lequel l’homme se convaincrait de son ignorance. L’ignorance une fois
reconnue, restait l’orgueil de la puissance qui faisait dire aux hommes: il y a
un Dieu qui agit, il n’y en a pas qui commande. Il ajouta donc la loi qui
enseigne par des préceptes moraux et qui accable par des préceptes rituels, afin
qu’ayant acquis la science et reconnu son impuissance, l’homme se réfugie auprès
de la miséricorde divine pour implorer la grâce qui nous est donnée dans
l’avènement du Christ. Donc, l’incarnation du Verbe devait venir après la loi de
nature et la loi de l'Ecriture.
3. En outre, la sublimité du remède
requiert d’être cru d’une foi ferme et aimé d’une charité ardente comme un
mystère secret et salutaire. Il convenait donc qu’avant la venue du Christ se
pré sentent les multiples témoignages des Prophètes, explicites dans les paroles
et implicites dans les figures pour que, de leurs témoignages multiples et
fermes, le mystère soit certain et ne laisse place à aucun doute. Il convenait
aussi que se présentent les multiples promesses et les désirs ardents pour que
l’on attende le bienfait promis, qu’attendu il soit retardé, que retardé il soit
désiré plus longtemps et que longtemps désiré, il soit aimé avec plus de
ferveur, reçu avec plus de reconnaissance et conservé avec plus de
sollicitude.
4. Enfin, l’intégrité et la perfection de
l’univers requiert que toutes choses soient ordonnées dans l’espace et dans le
temps. En cela, l’oeuvre de l’in carnation est la plus parfaite des oeuvres
divines. Donc, puisque l'on doit procéder de l’imparfait au parfait et non dans
le sens inverse, cette oeuvre devait se produire à la fin des temps afin que,
comme le premier homme qui était l’ornement du monde sensible tout entier avait
été créé en dernier, c’est-à-dire au sixième jour pour achever le monde, ainsi
le second homme, achèvement du monde racheté tout entier, dans lequel le premier
principe s’unit au dernier, « Dieu au limon », est venu à la fin des temps, au
sixième âge, qui est l’âge propre à l’exercice de la sagesse, à
l’affaiblissement de la concupiscence, au passage du trouble au repos. Tout cela
convient au sixième âge de l’histoire du monde en vue de l’incarnation du Fils
de Dieu.
5. L’avènement du Christ eut lieu au
temps de la loi de grâce, il révéla la miséricorde promise et inaugura le
sixième âge, ce qui signifie la plénitude, car la loi de grâce accomplit la loi
de l’Ecriture, la venue de la promesse l’accomplit. Le sixième âge en raison de
la perfection du sexénaire signifie la plénitude. On dit donc que l’avènement du
Fils de Dieu est la plénitude des temps, non parce qu’il clôt le temps, mais
parce qu’il accomplit les mystères du temps. Le Christ ne devait pas venir au
début du temps, c’eût été trop tôt. Il ne devait pas non plus différer jusqu’à
la fin ultime, car c’eût été trop tard. Il convenait, en effet, que le Sauveur
introduise le temps du remède entre celui de la maladie et celui du jugement. Il
convenait au médiateur de précéder certains de ses membres et d’en suivre
d’autres. Il convenait que le guide parfait se manifeste au moment favorable de
la course vers le prix. C’est donc à la fin des temps, avant le terme et près du
jugement final, afin que, stimulés par la crainte du jugement, attirés par
l’espoir de la récompense, animés par la perfection du modèle, nous suivions le
guide avec vigueur et perfection, de vertu en vertu jusqu’à atteindre au prix du
bon heur éternel.
1. Après que s’est fait connaître à nous
le Verbe incarné dans l’union des natures, il nous faut le considérer dans la
plénitude des charismes spirituels. A ce sujet, nous devons étudier en premier
la plénitude de la grâce dans l’affectivité, puis la plénitude de la sagesse
dans l’intelligence, enfin la plénitude du mérite dans l’action.
2. Enoncé.
Dans le
Christ, dès sa conception, il y eut plénitude de toute grâce en tant que grâce
de la personne singulière, en tant que grâce capitale et en tant que grâce
d’union.
Par la grâce
de la personne singulière, il possède l’immunité de toute faute, tant en acte
qu’en puissance, car il ne pécha point et ne put pécher. Par la grâce d’union,
il est digne non seulement de la félicité de la gloire, mais aussi de
l’adoration de latrie qui est le culte de révérence dû à Dieu seul. Par la grâce
capitale, il influe le mouvement et le sens à tous ceux qui viennent à lui par
la foi droite ou par les sacrements de la foi, qu’ils aient précédé sa venue ou
raient suivie. Ceux qui marchaient devant et ceux qui suivaient criaient: «
Hosanna au fils de David »
3. Explication.
La réparation
est l’opération du premier principe qui provient de lui selon la libéralité et
reconduit à lui selon la conformité. Elle s’opère donc par la grâce et la
déiformité. La grâce provient, en effet, de Dieu libéralement et rend l’homme
conforme à Dieu. Le principe rédempteur répare par la grâce. Or, toute chose est
plus pleine et parfaite dans sa source et son origine que partout ailleurs. Il
faut donc que dans notre principe réparateur le Christ Seigneur se trouve la
plénitude de toute grâce. Le principe réparateur dans la réparation est
principe, milieu et extrême, extrême dans la satisfaction, mi lieu dans la
réconciliation, principe dans l’influence. Il est donc nécessaire que dans le
Christ, se trouve la plénitude de la grâce, en tant qu’il satisfait, qu’il
réconcilie et qu’il influe. Etant extrêmement capable de satisfaire, il doit
être agréable à Dieu et par conséquent parfaitement exempt de tout péché. Dans
l’homme, cela ne peut être que par le don de la grâce divine. Dans le Christ
existe donc une grâce le sanctifiant et le confirmant, que nous appelons grâce
de la personne singulière.
4. En outre, le médiateur n’est capable
de réconcilier que s’il possède en soi l’une et l’autre nature, la supérieure et
l’inférieure, celle qu’il faut adorer et celle qui adore. Ce ne peut être que
par une union sanctifiante et gratuite. Il faut donc poser dans le Christ une
grâce au-dessus de toute grâce et objet de la plus grande vénération. On
l’appelle grâce d’union, par laquelle le Christ homme est Dieu béni au-dessus de
tout et donc objet du culte de latrie.
5. Enfin, le principe n’est capable
d’influer que s’il possède en soi la plénitude fontale et originelle, plénitude
qui n’est pas seulement de suffisance, mais aussi de surabondance. Il faut donc
que le Verbe incarné soit plein de grâce et de vérité, de sorte que tous les
justes puissent recevoir de sa plénitude, comme tous les membres reçoivent de la
tête l’in flux du mouvement et du sens. C'est pourquoi on l’appelle grâce
capitale, parce que, de même que la tête possède en elle la plénitude des sens,
qu’elle est conforme aux autres membres, les gouverne et distribue le bienfait
de son influence à ceux qui sont reliés à elle, le Christ, ayant en soi la
surabondance de la grâce, étant semblable à nous par la nature, étant saint et
juste plus que tous, distribue à tous ceux qui accèdent à lui le bienfait de la
grâce et de l’esprit par lesquels le sens et le mouvement sont donnés dans les
êtres spirituels.
6. On ne peut accéder au Christ que par
la foi ou le sacrement de la foi. Or, la foi au Christ est la même dans les
êtres passés, présents et futurs. Donc, le principe d’influence dans le Christ
concerne tous les êtres passés, présents et futurs qui croient en lui et sont
régénérés en lui, qui sont unis à lui par la foi et qui deviennent par l’influx
de sa grâce membres du Christ, temples de l’Esprit Saint et par là fils de Dieu
le Père, unis entre eux par l’indivisible lien de la charité. Ce lien, la
distance dans l’espace ne peut le rompre, l’éloignement dans le temps ne peut le
déchirer.
Ainsi, tous
les justes où qu’ils soient et quel que soit le temps où ils vécurent, forment
l’unique corps mystique du Christ, recevant le sens et le mouvement d’une seule
tête, à partir de la plénitude fon tale, radicale et originelle de toute grâce
qui habite dans le Christ comme dans une source.
1. Enoncé.
Dans le Verbe
incarné, le Christ Notre Seigneur, habite la plénitude de toute sagesse, non
seulement à l’égard du contenu de la connaissance, mais aussi à l’égard des
différents modes de connaître.
Dans le
Christ, en effet, se trouve la connaissance éternelle dans la Déité, la
connaissance sensible dans la sensibilité et la chair, la connaissance de
science dans l’âme et l’esprit. Cette dernière fut triple, par la nature, par la
grâce et par la gloire. Ainsi, le Christ a possédé la sagesse comme Dieu et
comme homme, comme bienheureux et comme pèlerin ici-bas, comme illuminé par la
grâce et bien formé par la nature. Il y a donc eu dans le Christ cinq modes de
connaissance.
Le premier
mode est conforme à la nature divine par ce mode, le Christ a connu tous les
actuels et les possibles, les finis et les infinis, d’une connaissance actuelle
et compréhensive.
Le second
mode se rapporte à la gloire: par ce mode, le Christ a connu tous les actuels et
finis d’une connaissance actuelle et compréhensive; les infinis, seulement d’une
connaissance infuse ou extatique.
Le troisième
mode se rapporte à la grâce: en ce mode, le Christ a connu tout ce qui concerne
la rédemption du genre humain.
Le quatrième
mode est conforme à sa nature intègre, comme la possédait Adam: par ce mode, le
Christ a connu tout ce qui concerne la constitution de l’univers.
Le cinquième
est conforme à l’expérience sensible: par ce mode, le Christ a connu tout ce qui
arrive aux organes des sens, mode selon lequel on dit qu’il a appris, de ce
qu’il souffrit, l’obéissance “.
2. Explication.
Le propre du
principe réparateur est de nous racheter par la libération de sa grâce, c’est
aussi de le faire par la providence de sa sagesse. Ce qui a été créé selon
l’ordre de la sagesse ne peut être réparé sans la lumière et l’ordre de la
sagesse. Et donc, comme le Christ a dû être exempté de toute faute, il a dû
aussi être libéré de toute ignorance et par là totalement rempli de la lumière
et de l’éclat de la sagesse supérieure. C’est pourquoi il jouissait d’une
connaissance parfaite selon l’une et l’autre nature dans leur propre puissance
cognitive, et selon chaque mode d’existence des êtres.
3. Les choses possèdent l’être dans l’art
éternel, dans l’esprit humain et dans leur réalité propre il fallait donc que le
Christ possède cette triple connaissance des choses. Les choses peuvent être
connues dans l’art éternel d’une double manière, par leur artisan lui-même ou
par celui qui contemple cet art. Semblablement, les choses peuvent être et être
connues dans l’esprit d’une double manière (même en dehors de toute science
acquise, dont l’imperfection ne convient pas au Christ), selon un habitus inné
ou selon un habitus infus. En conséquence, il a été nécessaire à la parfaite
plénitude de sa sagesse, que le Christ Dieu et homme possède les cinq modes de
connaissance décrits: connaissance des choses dans l’art éternel, par sa nature
divine et par la vision de gloire; connaissance dans son esprit, par habitus
naturel et inné, comme connurent Adam et les Anges, et par habitus gratuit et
infus, comme connaissent les saints de Dieu illuminés par l’Esprit Saint;
connaissance des choses dans leur réalité propre par la voie des sens, de la
mémoire et de l’expérience, par quoi, en nous-même, une chose inconnue devient
connue Mais dans le Christ une chose connue selon un de ces modes la lui fait
connaître selon un autre.
4. Parce que la substance, la force et
l’opération divine sont immenses, en conséquence, selon le premier mode qui
vient de la nature divine, le Christ comprend actuellement les infinis; car,
d’une certaine manière ineffable pour le souverain Infini, toute infinité est
finie.
5. Quant à la créature, quelque soit son
degré d’élévation, elle est limitée dans sa substance, dans sa force et dans son
opération. Toutefois l’esprit humain ne peut se reposer que dans le bien infini
sans proprement le comprendre, car l’infini n’est pas compris par le fini, si on
prend le mot compréhension dans son sens propre. En conséquence, selon le
deuxième mode de connaissance, l’âme du Christ, par la vision de gloire comprend
tout ce que peut comprendre la nature finie béatifiée par le bien infini auquel
elle est souverainement unie; et par là, elle s’étend aux finis d’une
compréhension actuelle, aux infinis seulement par un habitus infus ou même dans
l’extase. Car l’âme du Christ ne peut s’égaler au Verbe, ni en science ni en
rien d’autre.
6. En outre, la grâce concernant surtout
l’oeuvre de réparation, selon le troisième mode de connaissance, le Christ a
connu par la grâce la plus parfaite, toutes les choses qui concernent notre
rédemption, beaucoup plus parfaitement et mieux que ne l’aurait pu l’un
quelconque des Prophètes ou même des Anges.
7. De plus, la nature de l’homme étant
par faite pour être à la tête de toutes les créatures et les connaître en tant
qu’elles devraient le servir, comme il apparut dans la condition du premier
homme, selon le quatrième mode de connaissance, le Christ a donc connu tout ce
qui concerne la constitution de la machine mondiale, plus parfaitement que ne
l’aurait pu faire Adam.
8. Enfin, le sens percevant les choses
seulement comme un objet présent, selon le cinquième mode de connaissance, celui
de la connaissance sensible, le Christ ne connaissait pas toutes les choses en
même temps, mais seulement celle-ci ou celle-là, selon qu’il était opportun à la
réparation du genre humain.
1. Enoncé.
Dans le
Christ Seigneur, habitaient la perfection et la plénitude de tout
mérite.
En premier
lieu, en raison de celui qui méritait et qui était non seulement homme, mais
Dieu. En second lieu, en raison du temps durant lequel il méritait, depuis le
premier instant de sa conception jusqu’à l’heure de sa mort. En troisième lieu,
quant à ce par quoi il méritait, l’habitus parfait de charité et l’exercice
parfait de la vertu dans la prière, l’action et la souffrance. En quatrième
lieu, en raison de celui pour qui il méritait, non seulement pour lui-même, mais
aussi pour nous, bien plus pour tous les justes. En cinquième lieu, en raison de
ce qu’il a mérité pour nous, non seulement la gloire, mais aussi la grâce et le
pardon, non seulement la gloire de l’esprit, mais aussi la transfiguration du
corps et l’ouverture des portes du ciel. En sixième lieu, en raison de ce qu’il
a mérité pour lui, car bien qu’il n’ait pas mérité la glorification de son âme
qu’il possédait déjà, il a cependant mérité la glorification de son corps,
l’accélération de sa résurrection, la glorification de son nom et la dignité de
sa puissance de Juge. En septième lieu, en raison de la manière dont il a
mérité. On peut, en effet, mériter de trois manières ou bien en obtenant un
titre qu’on n’avait pas avant, ou bien en accroissant le titre que l’on avait
déjà, ou bien en obtenant à un nouveau titre ce que déjà l’on possédait. De
toutes ces manières, le Christ a mérité pour nous; mais pour lui, seule ment de
la troisième. C’était l’oeuvre de la plénitude de grâce de l’Esprit Saint, par
laquelle le Christ était à la fois bienheureux et dans l’état de mériter, de
sorte que tous nos mérites se fondent sur son mérite.
2. Explication.
Dans le
principe réparateur, le Christ Notre Seigneur, habitait nécessairement la
plénitude de la grâce et de la sagesse qui sont pour nous source d’une vie
droite et sainte. Il fallait donc que le Christ possède la plénitude et la
perfection de tout mérite selon tout mode de plénitude Car dans le Christ habite
la plénitude de la grâce d’union par laquelle il était Dieu depuis le premier
instant de sa conception, possédant la vision de gloire et le mouvement du
libre-arbitre. Il était donc nécessaire que le Christ possède la perfection du
mérite en raison de l’excellente dignité de celui qui méritait et de la
remarquable opportunité du temps.
3. En outre, il possédait la plénitude de
la grâce de la personne singulière qui l’établissait fermement dans la charité
et dans la perfection de toutes les vertus, à la fois en habitus et en acte. Il
était donc nécessaire que son mérite soit plénier en tout ce par quoi il
l’obtenait: sa charité radicale et les actes de ses multiples vertus.
4. De plus, en lui était la plénitude de
la grâce capitale, par laquelle il a exercé une pleine influence sur ses
membres. Il possédait donc la plénitude de mérite non seulement pour lui, mais
pour nous. De même qu’il a une influence sur tous nos biens spirituels en raison
de sa déité, de même, en raison de l’humanité assumée, il a mérité les biens de
la vie pré sente et ceux du bonheur éternel.
5. Enfin, la plénitude de si grands
charismes supposait nécessairement dans le Christ une souveraine et parfaite
félicité dans la partie supérieure de lui-même, bien que selon l’économie de
notre salut il était pèlerin ici-bas. Il possédait donc la perfection du mérite
en raison de ce qu’il méritait pour lui-même, non pas la gloire et la béatitude
concréées avec son âme, qui précédaient naturelle ment en lui tout mérite, mais
seulement ce qui ne pouvait normalement coexister avec l’état de pèlerin
ici-bas, par exemple la transfiguration de la chair et son exaltation à la plus
haute dignité.
6. De là vient aussi qu’il possédait la
perfection du mérite en raison de la manière de mériter. Dès le premier instant
de sa conception, il avait une plénitude parfaite, et mérita donc aussitôt tout
ce qu’il pouvait mériter pour lui-même. Il put, en cela, mériter à un nouveau
titre ce qu’il aurait pu déjà mériter autrement. Mais il ne pouvait, pour lui,
acquérir un titre qu’il n’avait pas encore ou accroître le titre qu’il avait
déjà, car il ne pouvait en aucune manière avancer dans la sainteté, étant
parfaitement saint dès le commencement. Il mérita cependant pour nous, qui, par
son mérite, sommes justifiés par sa grâce, avançons dans la justice et recevons
la couronne de la gloire éternelle.
7. Ainsi, dans le mérite du Christ
prennent racine tous nos mérites, qu’ils soient satisfactions des peines ou
qu’ils nous obtiennent la vie éternelle. Nous ne sommes dignes, en effet, d’être
absous de l’offense au souverain Bien ni de gagner l’immensité de la récompense,
qui est Dieu, que par le mérite de l’Homme-Dieu à qui nous pouvons et devons
dire: « Toutes nos oeuvres, tu les fais en nous, Seigneur ». Il est, dis-je, le
Seigneur à qui le Prophète s’adresse: « J’ai dit au Seigneur: tu es mon Dieu
parce que tu n’as pas besoin de mes biens. »
1. Après avoir considéré l’union des
natures dans le Verbe incarné et la plénitude de ses charismes, il faut
maintenant parler de la souffrance des passions au sujet de laquelle nous
verrons l’état du patient, le mode et les fruits de la passion.
2. Enoncé.
Le Christ n’a
pas assumé seulement une nature humaine, il en a aussi assumé les défauts. Il a
assumé, en effet, les peines corporelles, comme la faim, la soif et la
lassitude; il a assumé aussi les peines spirituelles comme la tristesse, les
gémissements et la crainte; mais il n’assuma pas toutes les pénalités
corporelles, comme le sont les défauts des multiples maladies; ni toutes les
pénalités spirituelles comme le sont l’ignorance et les rébellions de la chair
contre l’esprit; il n’assuma pas n’importe comment ces défauts, car il reçut la
nécessité de souffrir de telle façon qu’il ne pouvait rien souffrir contre son
gré, que ce soit le gré de la Déité ou le gré de la raison, bien que la passion
fut contre la volonté de la sensualité et de la chair, comme l’exprime la prière
du Sauveur: « Non comme je le veux, mais comme tu veux »
3. Explication.
Le principe
réparateur remplit nécessairement l’office de médiateur dans la réconciliation.
Il est donc nécessaire qu’il ait une convenance avec les deux extrêmes, non
seulement quant à la nature, mais aussi quant aux conditions de cette nature.
Donc, puisque Dieu est juste et bienheureux, impassible et immortel, puisque
l’homme tombé est pécheur et misérable, passible et mortel, il était nécessaire
que le Christ fût médiateur de Dieu et des hommes, pour pouvoir reconduire
l’homme à Dieu, communier avec Dieu dans la justice et la béatitude, avec
l’homme dans la passibilité et la mortalité de sorte que, possédant « la
mortalité passagère et la béatitude permanente » il reconduisit l’homme de la
misère présente à la vie bienheureuse, comme au contraire, l’ange mauvais,
possédant l’immortalité avec la misère et l’injustice, fut le médiateur faisant
tom ber l’homme dans la faute et la misère par sa sug gestion. Donc, puisque le
Christ médiateur a dû posséder l’innocence et la béatitude céleste en même temps
que la mortalité et la passibilité, il dut être en même temps pèlerin ici-bas et
citoyen du ciel.
Il eut en lui
quelque chose de chacun de ces états, selon qu’il est dit avoir assumé de l’état
d’innocence l’immunité du péché, de l’état de nature déchue la mortalité, de
l’état de gloire la béatitude de la jouissance parfaite.
4. En outre, parce, que les pénalités
dues au péché, comme le sont ces quatre pénalités infligées à cause du péché
originel, l’ignorance, l’infirmité, la méchanceté et la concupiscence ne peuvent
subsister avec la parfaite innocence: en conséquence, le Christ ne devait pas
les assumer et ne les assuma pas. Par contre, les peines qui sont exercice de la
vertu parfaite et témoignage d’une humanité vraie et non feinte, sont surtout
celles qui concernent la nature en général, comme la faim et la soif en
l’absence d’aliment, la tristesse et la crainte en présence d’un préjudice en
conséquence, le Christ devait les assumer et les assuma.
5. Enfin, aucun innocent ne doit endurer
une peine contre son gré, car ce serait contre l’ordre de la justice divine;
aucun mortel ne veut mourir et souffrir selon le désir de la nature, qui fuit
naturellement la mort. Le Christ devait endurer ces pénalités sans cependant
souffrir contre le gré de sa raison, non seulement à cause de la béatitude et de
la Déité toute-puissante unie à lui, par laquelle il pouvait toutes les chasser,
mais aussi à cause de sa parfaite innocence qui, selon l’ordre de la justice
naturelle, lui permettait de ne rien souffrir contre son gré; ainsi,
souffrait-il, mais bien contre l’inclination et l’appétit naturel qui est dans
la sensibilité et dans la chair.
C’est
pourquoi quand le Christ pria selon la raison, il exprimait la volonté de sa
chair par laquelle il fuyait la passion, lorsqu’il disait « Que ce calice
s’éloigne de moi. » Il conforma cependant la volonté de sa raison à la volonté
du Père et la posa avant l’appétit de sa chair, lorsqu’il disait: « Non ma
volonté, mais la tienne. »
Donc, une
volonté n’était pas contraire à l’autre, car « il voulait selon la volonté
divine ce qui était juste, il consentait selon la volonté de la raison à la
justice, mais il récusait la peine selon la volonté de sa chair, sans cependant
accuser la justice. Chaque volonté opérait son oeuvre et suivait son objet: la
volonté divine la justice, la volonté de chair la nature". Il n’y avait donc
dans le Christ aucune lutte ni combat, mais un ordre paisible et une
tranquillité ordonnée.
1. Enoncé
Le Christ a
souffert d’une souffrance générale, d’une souffrance dure, d’une souffrance
ignominieuse, d’une souffrance à la fois mortelle et vivifiante.
Le Christ a
souffert d’une souffrance générale, quant à sa nature humaine, non seulement
dans tous ses membres corporels, mais aussi dans toutes les puissances de son
âme, bien qu’il ne pouvait rien souffrir selon sa nature divine.
Il a souffert
d’une souffrance dure, non seulement en éprouvant de la douleur par la
souffrance des plaies, mais aussi en compatissant, à cause de nos
péchés.
Il a souffert
d’une souffrance ignominieuse, à cause du gibet de la croix qui était un
supplice des plus abjects et à cause de la compagnie des méchants, les larrons
parmi lesquels il a été compté.
Il a souffert
d’une souffrance mortelle par la séparation de l’âme et du corps, étant
cependant sauve l’union de l’une et de l’autre avec la Déité. Car est anathème
qui dit que le Fils de Dieu a, pendant un temps, quitté la nature qu’il avait
assumée.
2. Explication
Le principe
réparateur, ayant produit le genre humain dans l’ordre, a dû aussi le réparer
dans l’ordre. Il doit donc le réparer de façon que soit sauve la liberté de
l’arbitre, sauf aussi l’honneur de Dieu, sauf enfin l’ordre du gouvernement
universel.
Donc, parce
qu’il a dû réparer en sauvegardant la liberté de l’arbitre, il a réparé en
donnant l’exemple le plus efficace l’exemple le plus efficace est celui qui
invite et conduit au sommet des vertus. Or, rien ne conduit mieux l’homme à la
vertu que l’exemple de subir la mort à cause de la justice et de l’obéissance
divine, la mort, dis-je, pas n’importe laquelle, mais la mort la plus pénible.
Rien ne peut mieux inciter à la vertu qu’une telle bonté par laquelle le Fils de
Dieu très haut, a livré son âme pour nous, sans aucun mérite de notre part, mais
plutôt de nombreux démérites. Cette bonté nous est montrée d’autant plus qu’il a
souffert et voulu souffrir pour nous des peines plus lourdes et plus abjectes.
Dieu n’a pas voulu épargner son propre Fils, mais il l’a livré pour nous tous;
comment avec lui ne nous accordera-t-il pas toute faveur? Par quoi nous sommes
invités à l’aimer et en l’aimant à l’imiter.
3. En outre, parce qu’il a dû réparer en
sauve gardant l’honneur de Dieu, le Christ a réparé en offrant un sacrifice de
satisfaction. « C’est satisfaire que de payer à Dieu l’honneur qui lui est dû ».
Or, l’honneur soustrait à Dieu par l’orgueil et la désobéissance à l’égard de
quoi l’homme est tenu, n’est restitué que par l'humiliation et l’obéissance à ce
à quoi l’homme n’est aucunement tenu. Donc, parce que le Christ Jésus en tant
que Dieu était égal au Père dans la forme de Dieu, en tant qu’homme innocent il
n’était nullement débiteur de la mort; lorsqu’il s’anéantit lui-même et devint
obéissant jusqu’à la mort il remboursa Dieu de ce qu’il ne lui avait pas
arraché, par le sacrifice d’une satisfaction parfaite et offrit le sacrifice
très agréable pour une expiation parfaite envers Dieu,
4. Enfin, parce qu’il a dû réparer en
sauvegardant l’ordre du gouvernement universel, le Christ a donc réparé par un
remède convenable. Or, il est très convenable que les contraires Soient guéris
par les contraires L’homme voulait être aussi sage que Dieu. Il pécha en voulant
se délecter de l’arbre défendu de sorte qu’il tomba dans la débauche et s’éleva
dans la présomption et que tout le genre humain a été infecté, a perdu
l’immortalité et encouru la mort. Pour que l’homme soit racheté par un remède
convenable, Dieu-fait-homme a voulu s’humilier et souffrir sur le bois de la
croix contre l’universelle infection, il a souffert d’une souffrance générale,
contre la débauche d’une souffrance dure, contre la présomption d’une souffrance
ignominieuse, contre la mort méritée et non voulue, il a voulu souffrir une mort
non méritée mais volontaire.
5. La corruption générale avait infecté
en nous non seulement le corps et l’âme, mais aussi toutes les parties du corps
et toutes les puissances de l’âme. Le Christ a donc souffert dans toutes les
parties de son corps et dans toutes les puissances de son âme et dans la portion
supérieure de sa raison qui se délectait souverainement en Dieu en tant que
raison et à cause de son union à ce qui lui était supérieur, mais qui souffrait
souverainement en tant que nature et à cause de son union à ce qui lui était
inférieur, car le Christ était tout à la fois pèlerin ici-bas et citoyen du
ciel.
6. En outre, parce que la débauche avait
infecté violemment en nous l’âme et la chair, nous induisant aux péchés charnels
et aux péchés spirituels, le Christ a souffert d’une souffrance dure dans la
chair et compati d’une souffrance amère dans son âme. Et parce que sa chair
avait une complexion parfaitement équilibrée et une parfaite vivacité des sens,
parce que son âme possédait une charité suprême envers Dieu et une piété
souveraine envers le prochain il était normal que la douleur de l’une et de
l’autre ait été très intense.
7. De plus, parce que l’enflure de
l’orgueil surgit parfois intérieurement par la présomption, par fois
extérieurement par l’ostentation et la flatterie, pour racheter toute superbe,
le Christ a donc souffert ces deux genres d’ignominie en souffrant en lui-même
et dans la compagnie qu’il eût dans sa passion.
8. Enfin, parce que toutes ces
souffrances n’atteignaient pas la nature divine impassible mais seulement la
nature humaine, dans la mort du Christ la division de l’âme et de la chair s’est
donc opérée de façon que soit sauve l’unité de la personne et l’union tant de la
chair que de l’âme avec la Déité.
L’union de
l’âme avec le corps fait un homme et le fait vivant. Le Christ n’était plus
homme durant les trois jours de sa mort, bien que son âme et sa chair soient
demeurées unies au Verbe. Parce que la mort dans la nature humaine ne pouvait
entraîner la mort dans la personne qui a toujours été vivante: la mort est donc
morte dans la vie, et par la mort du Christ, la mort a été absorbée dans la
victoire et le prince de la mort a été vaincu, et par là, l’homme a été délivré
de la mort et de la cause de la mort par le mérite de la mort du Christ comme
par le moyen le plus efficace.
1. Enoncé
Il faut tenir
fermement que l’âme du Christ, après la Passion, est descendue aux enfers ou
limbes, pour libérer non pas tous les hommes, mais ceux qui, parmi les membres
du Christ, étaient morts dans la foi vivante ou dans les sacrements de la
foi.
L’âme du
Christ ressuscita des morts le troisième jour en reprenant le corps qu’elle
avait vivifié, mais non plus tel qu’il était auparavant, car auparavant il était
passible et mortel; après qu’il eût ressuscité, il était impassible et immortel,
vivant pour toujours.
Après
quarante jours, il monta aux cieux où, exalté au-dessus de toute créature, il
est assis à la droite du Père On doit comprendre ceci non quant à la
localisation, ce qui ne convient pas à Dieu le Père, mais quant à l’excellence
des biens, car le Christ réside dans les biens supérieurs du Père.
Enfin, après
un intervalle de dix jours, il envoya sur les Apôtres l’Esprit Saint promis, par
lequel l’Eglise des nations a été rassemblée et ordonnée selon les diverses
distributions d’offices et de grâces.
2. Explication
Parce que le
Christ, en tant que Verbe incréé a formé parfaitement toutes choses, de même, en
tant que Verbe incarné, il dut les réformer parfaitement. Car il convient que le
principe parfait ne laisse pas descendre son oeuvre en dessous de la perfection.
Le principe réparateur devait donc mener le remède de la rédemption humaine à la
perfection. Pour être parfait, ce remède devait donc être suffisant et
efficace.
3. Parce que suffisant, ce remède
s’étendit donc au ciel, à la terre et aux enfers. Par le Christ les enfers ont
été récupérés, la terre guérie, le ciel réintégré, de sorte qu’il récupéra les
enfers par le pardon, guérit la terre par la grâce, réintégra le ciel par la
gloire ainsi, après la passion, l’âme du Christ descendit aux enfers pour
libérer ceux qui y étaient morts dans les péchés; il monta aux cieux en ramenant
les captifs pour réintégrer la Jérusalem céleste; il envoya l’Esprit Saint pour
édifier la Jérusalem terrestre. Toutes ces choses sont une conséquence
nécessaire exigée pour que la rédemption humaine soit suffisante.
4. En outre, parce que ce remède fut
efficace tant pour ceux qui précédèrent la venue du Christ que pour ceux qui la
suivent et qui ont accédé au Christ et y accèdent et furent et sont ses membres
— tels sont ceux qui adhèrent à lui par la foi, l’espérance et la charité —; ce
remède devait donc avoir une efficacité, en premier lieu, pour ceux qui
croyaient dans le Christ, qui, en croyant, espérèrent et, en espérant, aimèrent;
et par là, le Christ devait donc immédiatement descendre aux enfers pour les
libérer. Le Christ, par sa passion, ouvrit les portes du ciel, lui qui, en
satisfaisant, écarta le glaive de feu et, en changeant la sentence divine,
écarta tous ses membres de l’enfer.
5. Ce remède devait aussi avoir une
efficacité excellente pour ceux qui suivent la venue du Christ, afin qu’en les
attirant à la foi, à l’espérance et à la charité, il les ramène enfin à la
gloire céleste. Donc, pour édifier dans la foi, par laquelle aussi nous croyons
qu’il a voulu nous racheter par sa mort et qu’il a pu nous ramener à la vie par
sa résurrection; il a donc voulu ressusciter à la vie immortelle, après
cependant un espace de temps convenable, c’est-à-dire trente-six heures. Il a
montré par là qu’il était vrai ment mort; et il ne devait pas aller plus vite de
peur que, s’il ressuscitait trop tôt, on crût qu’il n’était pas vraiment mort et
qu’il avait feint d’être mort; il ne devait pas non plus attendre plus
longtemps, de peur qu’en demeurant toujours dans la mort, on le crût impuissant
et qu’il ne puisse rappeler personne à la vie: il ressuscita donc le troisième
jour.
6. De plus, pour élever dans l’espérance,
il monta vers la gloire céleste que nous espérons. Mais parce que l’espérance ne
naît que de la foi en l’immortalité future, il ne monta pas immédiatement, mais
après un intervalle de quarante jours, pendant lequel, par de multiples miracles
et arguments, il prouva sa vraie résurrection, par laquelle l’esprit est
consolidé dans la foi et emporté vers l’espérance de la gloire céleste.
7. Enfin, pour enflammer dans la charité,
le Christ envoya le feu de l’Esprit Saint au jour de la Pentecôte. Et parce que
personne ne peut être rempli de ce feu s’il ne prie, ne cherche et ne frappe
avec une espérance instante et importune; il ne l’envoya donc pas immédiatement
après son ascension, mais après un intervalle de dix jours, durant lequel les
disciples en jeûnant, en priant et en gémissant, se disposèrent à recevoir
l’Esprit Saint.
Ainsi, comme
il avait respecté l’heure de sa passion, il respecta l'heure de sa résurrection,
de son ascension et de l’envoi de l’Esprit Saint, pour fonder les trois vertus
et en raison de nombreux mystères impliqués dans ces temps.
8. Et parce que l’Esprit Saint, qui est
charité et que l’on possède par la charité est l’origine de tous les charismes,
lorsqu’il descendit, la plénitude des charismes fut répandue pour embraser le
corps mystique du Christ. Et parce que dans un corps par fait, il doit y avoir
divers membres, divers offices et activités de ces membres et divers charismes
en vue de ces offices, en conséquence « à l’un, c’est une parole de sagesse qui
est donnée par l’Esprit; à tel autre une parole de science; à un autre la foi; à
tel autre le don de guérir; à tel autre la puissance d’opérer des miracles; à
tel autre les diversités des langues; à tel autre le don de les interpréter.
Mais tout cela c’est le seul et même Esprit qui l’opère, distribuant ses dons à
chacun en particulier, comme l’entend », selon sa providence et sa libéralité
providentielle.
1. Après le traité de l’Incarnation du
Verbe, origine et source de tout don gratuit, il nous faut parler de la grâce de
l’Esprit Saint. Nous aborderons cette étude sous quatre aspects: en premier
lieu, en tant que don de Dieu; en second lieu, dans son rapport avec le
libre-arbitre; en troisième lieu, dans son rapport avec les vertus; en quatrième
lieu, dans son rapport avec les oeuvres méritoires.
Enoncé
En tant que
don venant de Dieu, la grâce est un don qui est donné et infusé par Dieu, sans
intermédiaire; car, avec elle et en elle est donné l’Esprit Saint qui est le don
incréé, excellent et parfait, descendant du Père des lumières par le Verbe
incarné, selon que Jean, dans l’Apocalypse, vit un fleuve splendide, semblable à
du cristal, jaillir du trône de Dieu et de l’Agneau.
Elle est
aussi un don, par lequel l’âme acquiert la perfection et la dignité d’épouse du
Christ, de fille du Père éternel et de temple du Saint Esprit; ce qui ne peut
s’obtenir d’aucune façon sinon par la bienveillante condescendance et la
condescendante bienveillance de la Majesté éternelle par le don de sa
grâce.
Elle est
enfin un don qui purifie l’âme, l’illumine et la parfait, ce don qui la vivifie,
la réforme et la stabilise; l’élève, l’assimile et l’unit à Dieu et ainsi la
rend acceptable. C’est pourquoi un tel don est appelé, à juste titre, et doit
être appelé grâce gratum faciens.
3. Explication
Le premier
principe créateur, dans sa souveraine bienveillance, a fait l’esprit raisonnable
capable de la béatitude éternelle. Le principe réparateur a réparé pour le salut
cette capacité rendue caduque par le péché. Or, la béatitude éternelle consiste
dans la possession du souverain Bien. Ce bien est Dieu, bien infiniment
supérieur au service humain le plus éminent. Nul homme n’est digne d’accéder à
ce bien souverain qui transcende toutes les limites de la nature, à moins que
Dieu, dans sa condescendance, ne l’élève au-dessus de lui-même.
Or, Dieu ne
condescend pas par son essence immuable, mais par une influence émanant de lui.
L’esprit n’est pas élevé au-dessus de lui-même en un endroit dans l’espace, mais
par une qualité déiforme. Il est donc nécessaire à l’esprit raisonnable, pour
devenir digne de l’éternelle béatitude, de participer à cette influence
déiforme. Or, cette influence déiforme, parce qu’elle est de Dieu, selon Dieu et
pour Dieu, rend l’image de notre esprit semblable à la bienheureuse Trinité, non
seulement quant à son mode d’origine, mais aussi en ce qui concerne la droiture
du choix et la quiétude de la, jouissance. Qui possède cela est immédiatement
ramené à Dieu, comme il lui est immédiatement rendu semblable. C’est pourquoi ce
don est donné immédiatement par Dieu, principe influent.
Tant et si
bien que de même qu’émane immédiate ment de Dieu l’image de Dieu, ainsi émane
immédiatement de Dieu la similitude de Dieu, qui est la perfection déiforme de
l’image divine. On peut donc l’appeler l’image de recréation.
4. En outre, parce que celui qui jouit de
Dieu possède Dieu, avec la grâce qui, par sa déiformité, dispose à la jouissance
de Dieu, est donné le don incréé qui est l’Esprit Saint. Quiconque la possède,
possède Dieu.
5. Et parce que nul ne possède Dieu qu’il
ne soit très spécialement possédé par lui, nul ne possède et n’est possédé par
Dieu qu’il ne l’aime par-dessus tout et incomparablement et ne soit aimé par lui
comme l’épouse par l’époux, nul n’est ainsi aimé qu’il ne soit adopté comme fils
pour l’héritage éternel, la grâce sanctifiante rend donc l’âme temple de Dieu,
épouse du Christ et fille du Père éternel.
Cela ne
pouvant se réaliser que par la souveraine bienveillance et condescendance de
Dieu, cette réalisation ne vient pas d’un habitus quelconque naturellement
présent en nous, mais seulement d’un don divin, gratuitement infus. C’est
l’évidence pour qui pèse ce qu’il en est d’être temple de Dieu, fils de Dieu,
uni indissolublement et comme matrimonialement à Dieu par le lien de l’amour et
de la grâce.
6. Enfin, parce que notre esprit ne peut
être rendu conforme à la bienheureuse Trinité que selon la droiture de
l’élection, que par la force de la vertu, la splendeur de la vérité et la
ferveur de la charité: la force de la vertu purifie l’âme, la stabilise et
l’élève; la splendeur de la vérité l’illumine, la réforme et l’assimile à Dieu;
la ferveur de la charité la perfectionne, la vivifie et l’unit à Dieu. Et à
cause de tout cela, l’homme plaît à Dieu et en est agréé; cette influence
déiforme renferme donc les dix actes précédemment indiqués tout en portant un
nom qui correspond au dernier, le plus parfait: on l’appelle, en effet, grâce
gratum faciens, car celui qui la possède est rendu agréable à Dieu
puisqu’elle est non seulement donnée gratuitement par Dieu, mais qu’elle est
aussi selon Dieu et pour Dieu. En cela, l’oeuvre émanant de Dieu fait retour à
Dieu en qui s’achève, à la manière d’un cercle intelligible, la consommation de
tous les esprits raisonnables.
1. En second lieu, il nous faut
considérer la grâce de l’Esprit Saint par rapport au libre-arbitre et cela sous
deux aspects: la grâce est d’abord aide pour le mérite, elle est ensuite remède
contre le péché.
2. Enoncé
Le mot «
grâce » présente trois significations quand on parle de la grâce comme aide pour
le mérite, on doit se rappeler que ce terme peut s’employer dans un triple sens:
général, spécial et propre. Dans un sens général, il désigne le secours divin
libéralement et gratuitement départi à la créature pour tout acte sans
distinction, quelle que soit la nature de l’acte de cette créature. Sans un tel
secours, nous ne pouvons ni faire quelque chose, ni durer dans l’être. Dans son
sens spécial, la grâce est une aide que Dieu donne pour préparer à recevoir le
don de l’Esprit Saint par lequel il accède ainsi à l’état de mérite. On appelle
cette aide, grâce gratis data. Sans elle, nul ne peut faire en suffisance ce
qu’il peut pour se préparer au salut.
Dans son sens
propre, la grâce est une aide que Dieu nous donne pour mériter; on l’appelle
grâce gratum faciens. Sans elle, nul ne peut mériter, ni avancer dans le
bien, ni parvenir au salut éternel. Cette grâce, en effet, comme racine du
mérite, précède tout mérite. Pour cela, il est dit qu’elle « prévient la volonté
pour qu’elle veuille et qu’elle l’accompagne pour qu’elle ne veuille pas en vain
».
Personne donc
ne peut la mériter en justice, mais « c’est elle qui mérite son accroissement
par Dieu ici-bas, afin qu’ayant augmenté, elle mérite d’être consommée » au ciel
et dans la gloire sans fin par Dieu lui-même auquel appartient d’infuser,
d’augmenter et de consommer la grâce selon la coopé ration de notre volonté et
selon le dessein ou bon plaisir de la prédestination éternelle.
3. Explication
Le premier
principe, par sa vertu toute-puissante et sa magnanime libéralité a produit à
l’être toute créature à partir du néant. La créature a donc de soi le non-être,
elle reçoit tout son être d’un autre. Elle fut ainsi créée pour que, par son
indigence, elle ait toujours besoin de son principe et pour que le premier
principe, par sa bonté, ne cesse de se communiquer à elle. Donc, puisque
l’esprit raisonnable, par le fait même qu’il est tiré du néant, est en soi
imparfait puisque, du fait de sa nature limitée et indigente, l’esprit
raisonnable est replié sur lui-même et aime son propre bien; du fait qu’il doit
tout à Dieu, il est totalement dépendant de Dieu. Imparfait, il tend de soi au
non-être; replié sur lui-même, il ne peut par lui-même s’élever jusqu’à la
rectitude de la parfaite justice; totalement dépendant de Dieu, et Dieu n’ayant
pas besoin de ses biens, il ne peut rien faire de lui-même et par sa propre
vertu qui constituât Dieu son débiteur surtout à l’égard de la récompense
éternelle qui est Dieu, si ce n’est par la divine condescendance. Donc, pour
être sauvé dans l’être, étant imparfait, il a besoin perpétuelle ment de l’aide
de la présence, du soutien et de l’influence de Dieu par laquelle il est
maintenu dans l’être. Bien que cette influence soit universelle dans toutes les
créatures, on l’appelle cependant grâce, car elle ne procède pas d’une dette,
mais de la libéralité de la bonté divine.
Donc aussi,
pour se préparer au don de la grâce d’en haut, l’esprit raisonnable, étant
replié sur lui même, a besoin surtout après la chute, du don d’une autre grâce
gratis data, afin d’être habilité aux actes moralement bons qui sont bons en
vertu des circonstances. Ces actes ne peuvent aucunement être appelés bons que
s’ils procèdent d’une intention droite, c’est-à-dire s’ils sont faits non pour
nous mais en vue du souverain Bien vers lequel notre esprit replié sur lui-même
ne s’élève que si Dieu le prévient par quelque grâce gratis
data.
Donc enfin,
pour faire des oeuvres méritant la récompense éternelle, l’esprit raisonnable
étant totalement dépendant de Dieu et son entier débiteur, a besoin du don de la
grâce gratum faciens par laquelle Dieu condescend jusqu’à lui, en
acceptant son image et sa volonté avant d’accepter l’oeuvre qui en émane. Car, «
la cause étant plus noble que l’effet », nul ne peut se rendre meilleur, ni
faire oeuvre agréable qui plaise à Dieu, à moins de se complaire d’abord à ce
que Dieu le regarde lui-même avant de regarder ses offrandes. Et c’est pourquoi
le mérite s’enracine dans la grâce gratum faciens dont le propre est de
rendre l’homme digne de Dieu. Aussi bien nul ne peut-il la mériter en justice,
mais seulement en convenance.
4. Une fois possédée, la grâce mérite son
propre accroissement ici-bas par son bon usage et le mérite en justice. En
effet, Dieu seul étant le principe et la source de cette grâce, il est le seul
principe de son accroissement en l’infusant, la grâce en est aussi le principe
en le méritant et s’en rendant digne, le libre-arbitre en coopérant et en
méritant, dans la mesure où il coopère à la grâce et fait sien ce qui est
l’oeuvre de grâce.
5. Ainsi, le libre-arbitre, par la grâce,
mérite en justice non seulement l’accroissement de cette grâce ici-bas, mais
aussi en toute justice, son achèvement dans l’état de gloire et cela à cause de
la sublimité de don de l’Esprit Saint chez celui qui coopère au mérite; à cause
de la vérité du Dieu qui l’a promis à cause du caractère instable du
libre-arbitre consentant et persévérant jusqu’à la fin; à cause de la difficulté
de l’état de mérite; à cause de la dignité du Christ médiateur, lui notre chef
qui doit être glorifié avec ses membres; à cause de la libéralité du Dieu
rémunérateur qui ne peut décemment rétribuer avec parcimonie l’hommage d’une
obéissance fidèle; à cause de la supériorité de l’oeuvre procédant de la
charité, qui au regard du juge pèse autant que l’amour dont elle émane, amour
qui préfère incomparablement Dieu à toutes les créatures et ne peut donc être
récompensé en suffisance et en convenance si ce n’est par Dieu souverain
Bien.
Pour ces sept
raisons, la grâce septiforme ne fait pas mériter la gloire éternelle seulement
en convenance, mais aussi en justice.
1. Enoncé
Le
libre-arbitre, bien que « tout-puissant sous la main de Dieu », peut néanmoins
se précipiter par lui-même dans le péché. Mais il ne peut absolument pas se
relever sans le secours de la grâce divine appelée grâce gratum
faciens.
Cette
grâce, bien que remède suffisant contre le péché, n’est cependant donnée à
l’adulte que si son libre-arbitre y consent. D’où l’on peut conclure que la
justification de l’impie requiert le concours de quatre éléments
le don de la grâce
l’expulsion de la faute
la contrition
le
mouvement du libre-arbitre.
La faute est
expulsée par le don de Dieu, non par le libre-arbitre, mais cependant pas sans
lui. Car il est du rôle de la grâce gratis data de rappeler le libre-arbitre du
mal et de l’exciter au bien; il est du rôle du libre-arbitre de consentir à
cette grâce ou de la rejeter; celui qui y consent reçoit la grâce et la recevant
coopère avec elle afin de parvenir enfin au salut.
2. Explication
Le premier
principe, par le fait qu’il est premier et tout-puissant, est la cause de tout
ce qui a lieu dans l’univers, sauf des péchés qui sont des « transgressions de
la loi divine et des désobéissances aux commandements célestes ». Rien ne lui
est rebelle, injurieux et offensant sinon le péché qui, en méprisant le précepte
de Dieu et en nous détournant du bien immuable, offense Dieu, déforme le
libre-arbitre, détruit le don gratuit et enchaîne au supplice éternel. Or, la
déformation de l’image et la destruction de la grâce est comme un anéantissement
dans l’être du bien, de l’état et de la vie de la grâce; l’offense faite à Dieu
a autant de poids que Dieu lui-même est grand, comme la peine éternelle possède
un aspect infini, il est donc impossible que l’homme se relève de sa faute s’il
n’est pas recréé dans la vie surnaturelle, si l'offense ne lui est remise, s’il
n’est pas gracié de la peine éternelle. Seul celui qui fut le principe créateur
est aussi principe re-créateur, le Verbe éternel du Père qui est le Christ
Jésus, médiateur entre Dieu et les hommes, qui créant tout à partir du néant,
crie par lui-même sans aucun intermédiaire.
3. Parce qu’il recrée en reformant par
l’habitus de grâce et de justice celui que le mal de la faute a déformé, en
absolvant par une satisfaction de justice celui qui a été condamné à la peine,
c’est dire qu’il nous répare en supportant pour nous la peine dans la nature
humaine qu’il a assumée et en infusant la grâce réformatrice qui, en nous
unissant à son origine, nous fait membres du Christ. Par là, de l’âme pécheresse
qui avait été ennemie de Dieu, prostituée du diable et esclave du péché, la
grâce fait l’épouse du Christ, le temple de l’Esprit Saint et la fille du Père
éternel. C’est là l’oeuvre de l’infusion gratuite et condescendante du don de la
grâce.
4. En outre, Dieu reformant sans infirmer
les lois inscrites dans la nature, il donne donc cette grâce au libre-arbitre de
telle manière qu’il ne force pas mais laisse libre son consentement. Et donc,
pour que la faute soit expulsée, il est non seulement nécessaire que la grâce
soit introduite mais aussi que le libre-arbitre de l’adulte — car chez les
enfants, la foi de l’Eglise et le mérite du Christ suffit, et leur impuissance
obtient l’impunité — il faut, dis-je, que le libre-arbitre se conforme à
l'expulsion de la faute en détestant tous les péchés c’est ce que nous appelons
contrition. Il est nécessaire aussi que l’adulte se conforme à l’introduction de
la grâce en goûtant et en acceptant le don divin: c’est ce que nous appelons le
mouvement du libre-arbitre. Ainsi, le concours de ces quatre éléments est
nécessaire à la justification de l’impie.
5. Enfin, la prédisposition à une forme
complémentaire devant lui être conforme, pour que le libre-arbitre se dispose à
la grâce gratum faciens, il a besoin de l’appui d’une grâce gratis data.
Parce qu’il est du rôle de la grâce de ne pas forcer le libre-arbitre mais de la
prévenir et de passer ensemble à l’acte, dans notre justification concourrent
l’acte du libre-arbitre et celui de la grâce, harmonieuse ment et avec ordre, de
sorte que le rôle de la grâce est d’exciter le libre-arbitre, celui du
libre-arbitre est de consentir à cette excitation ou de la rejeter. S’il y
consent, il se prépare à la grâce gratum faciens, car c’est là faire ce
qui est en lui; ainsi disposé, la grâce gratum faciens lui est infusée à
laquelle il peut coopérer s’il le veut, alors il mérite, ou qu’il peut
contrarier par le péché, alors il démérite. S’il coopère jusqu’à la fin, il
mérite de parvenir au salut éternel.
6. Est donc vrai ce que dit Augustin que
« celui qui t’a créé sans toi ne te justifie pas sans toi ». Est vrai aussi que
ce n’est pas l’oeuvre de celui qui veut ou qui concourt, mais de Dieu qui fait
miséricorde. Est vrai aussi que nul ne peut s’enorgueillir de ses mérites car
Dieu ne couronne rien d’autre en nous que ses dons. Dieu s’est, en effet,
réservé de distribuer libéralement les dons de sa grâce afin que l’homme
apprenne à n’être pas ingrat et à ne pas se glorifier en lui-même comme s’il
n’avait rien reçu, mais à se glorifier dans le Seigneur.
Est vrai
aussi que, bien que le libre-arbitre ne puisse par lui-même accomplir la loi, ni
produire en lui la grâce, il est -cependant inexcusable s’il ne fait pas ce
qu’il peut, car la grâce gratis data est toujours prête à la prévenir, par
l’appui de laquelle il peut faire ce qui est en lui. Quand il le fait, il
possède la grâce gratum faciens. Lorsqu’il a obtenu cette grâce, il
accomplit la loi divine et fait la volonté de Dieu. Lorsqu’il l’a faite, il
parvient enfin à la béatitude éternelle à cause des oeuvres méritoires qui sont
totalement oeuvres de la grâce et totalement oeuvres du libre-arbitre, bien que
la grâce en soit la cause principale, comme le dit saint Augustin: « La grâce
est au libre-arbitre comme le cavalier au cheval. » Comme un cavalier, la grâce
dirige, mène et conduit le libre-arbitre jusqu’au port de la félicité éternelle
en nous exerçant dans les oeuvres de la vertu parfaite selon le don de cette
grâce septiforme.
1. En troisième lieu, il reste à traiter
de la grâce dans son rapport avec les habitus des vertus. A ce sujet, il nous
faut considérer trois choses: 1° comment la grâce une se ramifie dans les
habitus des vertus, 2° comme elle se ramifie dans les habitus des dons, 3° comme
elle se ramifie dans les habitus des béatitudes.
2. Enoncé
Bien que la
grâce gratum faciens soit une, il y a pourtant sept vertus gratuites qui
dirigent la vie humaine: trois vertus théologales, la foi, l’espérance et la
charité; quatre vertus cardinales, la prudence, la tempérance, la force et la
justice. Celle-ci, en un sens, est vertu générale, en un autre sens, une vertu
spéciale et propre.
Ces sept
vertus, bien que distinctes et possédant leur excellence propre, sont cependant
connexes et égales entre elles au regard du même objet. Bien qu’informées
gratuitement par la grâce, les vertus gratuites peuvent cependant devenir
informes par la faute, à l'exception de la charité seule. Elles peuvent être à
nouveau informées par la pénitence lorsque survient la grâce qui est l’origine,
la fin et la forme des vertus.
3. Explication
De même que
le principe créateur, par sa perfection suprême, en donnant la vie de la nature
non seulement donne de vivre quant à l’acte premier, mais aussi quant à l’acte
second qui est l’agir, il est de même nécessaire que le principe réparateur
donne la vie à l’esprit dans l’être gratuit quant à l’être et quant à l’agir. Et
parce que, d’un vivant selon la vie première, multiples sont les opérations
vitales pour la parfaite manifestation de cette vie, puisque les actes se
diversifient par leur objet et que la diversité des actes requiert la
distinction des habitus, bien qu’il n’existe qu’une seule grâce vivifiante, elle
doit cependant se ramifier dans divers habitus à cause des diverses
opérations.
Certaines
oeuvres morales sont premières comme croire, certaines intermédiaires comme
comprendre le donné de la foi, certaines enfin sont dernières comme voir les
choses comprises. Dans les premières, l’âme est rectifiée, dans les secondes,
elle est équipée, aidée dans ses opérations par les seconds, et élevée enfin à
la perfection par les derniers, dans les troisièmes, elle est consommée. La
grâce gratum faciens doit donc se ramifier en habitus des vertus qui
rectifient l’âme, en habitus des dons qui l’équipent [pour la rendre plus
souple, plus opérante] et en habitus des béatitudes qui la
consomment.
4. En outre, parce que la rectitude
parfaite de l’âme requiert d’être rectifiée dans sa double face, supérieure et
inférieure et par rapport à la fin et par rapport à ce qui conduit à la fin, il
est donc nécessaire que, dans sa face supérieure en qui réside l’image de la
Trinité, l’âme soit rectifiée par les trois vertus théologales. De cette façon,
comme l’image de création consiste dans la trinité des puissances en l’unité
d’essence, ainsi l’image de recréation consiste dans la trinité des habitus en
l’unité de grâce par lesquels l’âme est portée en droite ligne vers la
souveraine Trinité selon les appropriations des trois personnes. Ainsi, la foi
conduit à croire et à assentir à la vérité souveraine, l’espérance à prendre
appui sur la grandeur suprême et à attendre tout d’elle, la charité à désirer et
à aimer le Bien souverain.
5. Il est nécessaire aussi que l’âme,
quant à sa face inférieure, soit rectifiée par les quatre vertus cardinales. Car
la prudence rectifie le rationnel, la force l’irascible, la tempérance le
concupiscible, la justice rectifie toutes ces puissances dans leur rapport avec
autrui. Et parce que cet « autrui » peut être d’une façon déterminée le
prochain, un même homme peut être rapporté à soi-même en tant qu’autrui, cet
autrui peut être aussi Dieu lui-même, la justice englobe ainsi toutes les
puissances. Elle est non seule ment vertu cardinale, mais aussi vertu générale
embrassant la rectitude de toute l’âme puisqu’elle est appelée « rectitude de la
volonté ». De là vient qu’elle ne comprend pas seulement les vertus ordon nées
au prochain, comme l’équité et la libéralité, mais aussi les vertus ordonnées à
soi-même comme la pénitence et l’innocence et enfin les vertus ordon nées à Dieu
comme l’adoration, la piété et l’obéissance.
6. Enfin, parce que toute rectitude des
vertus, selon l’être gratuit découle de la grâce comme de son origine et de sa
racine, et selon l’être méritoire elle se réfère à la charité comme à son
origine, à sa forme et à sa fin, les autres vertus gratuites sont connexes quant
à leur habitus et égales quant aux actes méritoires. De là aussi, les autres
habitus des vertus peuvent être informes, la charité seule exceptée qui est la
forme des vertus. Lorsqu’on les possède sans la grâce et la charité qui sont la
vie des vertus, alors elles sont informes. Lorsque la grâce s’y surajoute, alors
elles sont formées, ornées et rendues acceptables par Dieu. Comme les couleurs
sont invisibles sans la lumière, lorsque celle-ci survient, elles deviennent
alors lumineuses, belles et plaisantes à l’oeil. Ainsi, de même que la lumière
et les couleurs ne font qu’une seule chose au point de départ et qu’une seule
lumière suffit à rendre visibles de multiples couleurs, ainsi en est-il de la
grâce et des habitus informes: lorsqu’ils sont formés, ils ne font qu’un sous
l’angle du mérite et de la grâce, et une seule grâce suffit néanmoins à informer
et à sanctifier les divers habitus.
1. Enoncé
Les dons de
la grâce gratuite sont nombreux et, dans un sens général il n’est pas absurde
d’affirmer que tous les habitus donnés par Dieu peuvent être appelés dons de
Dieu. Cependant, il existe, dans un sens spécial et propre, sept dons du Saint
Esprit qu’Isaïe énumère et nomme, en parlant de la fleur qui naît de la tige de
Jessé, c’est-à-dire du Christ dont il est dit que repose sur lui l’Esprit du
Seigneur, esprit de sagesse et d’intelligence, esprit de conseil et de force,
esprit de science et de piété et que le remplit l’esprit de crainte du Seigneur.
Dans cette énumération, il procède en descendant du sommet et en les unissant
afin de montrer la distinction, la connexion, l’origine et l’ordre des
dons.
2. Explication
Le principe
réparateur, par sa souveraine libéralité, ne donne pas seulement la grâce pour
rectifier l’âme par les vertus contre les entraves des vices, mais aussi pour
l’équiper par les dons contre les obstacles dus aux séquelles des vices. Les
dons gratuits se multiplient donc selon qu’il est nécessaire à un équipement
suffisant. Puisque l’âme a besoin d’être équipée de sept manières, pour sept
raisons, les dons du Saint Esprit doivent être au nombre de sept. Car il faut
que l’âme soit équipée contre les entraves des vices, pour l’exercice des
facultés naturelles, comme pour le développement des vertus gratuites, dans la
souffrance, dans l’action, dans la contemplation, dans la vie active et la vie
contemplative.
3. En premier lieu, pour repousser
facilement les entraves des vices, les sept dons du Saint Esprit nous sont
donnés, la crainte contre l’orgueil, la piété contre l’envie, la science contre
la colère qui est comme une folie, la force contre la paresse qui rend l’esprit
incapable du bien, le conseil contre l’avarice, l'intelligence contre la
gourmandise, la sagesse contre la luxure.
4. En second lieu, pour équiper les
facultés naturelles, les dons de l’Esprit Saint doivent être sept. L’appétit
irascible a, en effet, besoin d’être équipé pour accomplir de bonnes actions
tant dans la prospérité que dans l’adversité: dans la prospérité il est équipé
par la crainte, dans l’adversité par la force. L’appétit concupiscible a besoin
d’être préparé à aimer le prochain, ce que fait la piété et à aimer Dieu, ce que
fait le goût de la sagesse. L’appétit rationnel a besoin d’être aidé c la
contemplation, l’élection et l’accomplissement de la vérité, Le don de
l’intelligence l’aide dans la contemplation du vrai, le don de conseil dans le
choix du vrai, le don de science dans l’accomplissement de ce qui a été choisi.
Par le don de science, nous nous comportons droite ment au sein d’une génération
dévoyée et perverse.
5. En troisième lieu, pour nous aider à
accomplir les offices des sept vertus, il faut sept dons de l’Esprit Saint. La
crainte, en effet, aide la tempérance en crucifiant la chair, la piété aide la
vraie justice, la science aide la prudence, la force aide la patience, le
conseil aide l’espérance, l’intelligence aide la foi, la sagesse aide la
charité. Ainsi, de même que « la charité est mère et consommation de toutes les
vertus », la sagesse l’est aussi des dons, de sorte que le Sage parle en toute
vérité en disant que « avec elle me sont venus tous les biens et par ses mains
d’innombrables richesses ».
6. En quatrième lieu, les dons sont au
nombre de sept pour aider à souffrir en conformité avec le Christ. Or, le Christ
fut conduit à souffrir par la volonté du Père, la nécessité humaine et le zèle
de sa vertu. La volonté divine l’a conduit en tant que connue par
l’intelligence, en tant qu’aimée par la sagesse, en tant que révérée par la
crainte. Notre nécessité l’a conduit, car pour la découvrir, il faut la science
et pour y compatir s’y ajoute la piété. Enfin, la générosité de la puissance l’a
conduit, en tant que prévoyante dans le choix par le conseil, en tant que ferme
dans l’exécution par la force. Ainsi les dons sont-ils au nombre de sept.
7. En cinquième lieu, pour aider
l’action, sept dons nous sont octroyés par l’Esprit Saint. Car pour aider
l’action, il est nécessaire que nous soyons prêts à éviter le mal, c’est
l’oeuvre de la crainte. La pour suite du bien nous est facilitée de deux façons
s’il s’agit d’un bien nécessaire la science et la piété nous y aident, l’une
dirigeant et l’autre accomplissant; s’il s’agit d’un bien surérogatoire, le
conseil nous dirige et la force achève. Il faut aussi que nous reposions dans le
meilleur quant à l’intelligence du vrai et quant à l’amour du bien: le don de
l’intelligence nous aide à la première, au second, le don de sagesse en lequel
est le repos.
8. En sixième lieu, pour nous aider à la
contemplation, les dons de l’Esprit Saint sont au nombre de sept. La vie
hiérarchique et contemplative exige que l’âme soit purifiée, illuminée et
parachevée. Elle doit être purifiée de la concupiscence, de la méchanceté, de
l’ignorance, de la faiblesse ou impuissance. C’est là l’oeuvre respective de la
crainte, de la piété, de la science, de la forte. Nous avons besoin d’être
illuminés dans les oeuvres de restauration et de condition première: c’est
l’oeuvre du conseil et de l’intelligence. Nous atteignons la perfection par
l’accession au sommet qui consiste en une seule réalité, c’est l’oeuvre de la
sagesse. Ainsi l’arche de la contemplation se rétrécit depuis la large base
jusqu’au sommet étroit d’une coudée.
9. En septième et dernier lieu, pour
aider simultanément à l’action et à la contemplation, il faut sept dons de
l’Esprit Saint. La vie contemplative doit, à cause de notre conversion à la
Trinité, posséder trois dons qui l’aident: la crainte dans le respect de la
majesté, l'intelligence dans la compréhension de la vérité, la sagesse dans la
dégustation de la bonté. La vie active qui est tournée vers l’action et le
support des adversités doit en posséder quatre, la piété pour agir, la force
pour supporter et pour diriger les deux, la science et le conseil. De là,
puisqu’une direction est nécessaire qui rend l’action plus aidée, il y a
coordination des dons. Il y a aussi plusieurs dons qui se rapportent à
l’intelligence car la lumière de la connaissance aide efficacement à guider nos
pas dans le droit chemin.
Il y a sept
béatitudes que le Sauveur énumère dans le Sermon sur la montagne, la pauvreté en
esprit, la douceur, les larmes, la faim et la justice, la miséricorde, la pureté
du coeur et la paix.
1. Enoncé
A ces
béatitudes, à cause de leur perfection et de leur plénitude se rattachent douze
fruits de l’Esprit et cinq sens spirituels. Ce ne sont pas de nouveaux habitus
mais un état de jouissance et un usage des spéculations spirituelles qui
remplissent et consolent les esprits des justes.
Explication
Le principe
réparateur étant parfait et parfaite ment réparateur et reformateur par le don
gratuit, le don de la grâce émanant de lui avec libéralité et abondance doit
donc se ramifier jusqu’aux habitus des perfections qui, parce qu’elles sont
proches de la fin reçoivent, à juste titre, le nom de béatitudes. De l’intégrité
de la perfection, des modes de perfection et des dispositions à la perfection,
on comprend leur suffisance, leur nombre et leur ordre.
3. En premier lieu, l’intégrité de la
perfection exige nécessairement une retraite complète devant le mal, une
progression à fond dans le bien et une parfaite stabilité dans le mieux. Parce
que le mal procède de l’enflure de l’orgueil, de la rancoeur de la méchanceté ou
de la langueur de la concupiscence, pour s’éloigner au mieux de ce triple genre
de mal, trois béatitudes sont nécessaires, à savoir la pauvreté en esprit
éloignant du mal de l’orgueil, la douceur éloignant du mal de la rancoeur et les
larmes éloignant du mal de la sensualité et de la langueur de la
concupiscence.
Puisque le
parfait progrès dans le bien est tendu dans l’imitation de Dieu et toutes les
voies du Seigneur étant miséricorde et vérité, il existe donc une double
béatitude selon ces deux voies, la faim ou zèle de la justice et l’amour de la
miséricorde. La stabilité dans le mieux vient d’une connaissance claire ou d’un
amour paisible. Il existe donc deux béatitudes ultimes, la pureté du coeur pour
voir Dieu et la paix de l’esprit pour jouir parfaitement de lui.
4. En second lieu, si l’on considère les
modes de perfection, il faut sept béatitudes. Car c’est la perfection de la
religion, du gouvernement et de la sainteté intérieure. La perfection de la
religion requiert nécessairement le renoncement au bien privé, la considération
du bien fraternel et le désir du bien éternel: la première est l’affaire de la
pauvreté en esprit, la seconde de la douceur de l’amour, la troisième de
l’amertume des larmes. La perfection du gouvernement requiert nécessairement
deux béatitudes, le zèle de la justice et l’amour de la miséricorde, car la
miséricorde et la vérité gardent le roi. Le gouvernement dans l’Eglise militante
doit être organisé selon ces deux béatitudes.
La perfection
de la sainteté intérieure requiert nécessairement la pureté de la conscience et
la tranquillité de toute l’âme par la paix divine sur passant tout ce que
l’homme peut penser.
5. En troisième lieu, si l’on considère
les dispositions préalables, il doit exister sept béatitudes. Car la crainte
doit éloigner du mal et de l’occasion du mal. La racine de tous les maux étant
la cupidité, la crainte dispose donc à la pauvreté en esprit dans laquelle
l’humilité se joint à la pauvreté pour qu’ainsi l'homme parfait soit éloigné de
la source de toute faute, c’est-à-dire de l’orgueil et de la cupidité. La
pauvreté en esprit est donc le fondement de toute perfection évangélique. Il
doit d’abord partir de ce fondement, celui qui veut parvenir au sommet de toute
perfection évangélique, selon ce que dit Matthieu au ch. 19: « Si tu veux être
parfait, va, vends tout ce que tu possèdes »: c’est là l’humilité qui fait que
l’homme, en se renonçant, prend sa croix et suit le Christ qui est le principal
fondement de toute perfection.
La crainte
dispose donc à la pauvreté en esprit. La piété dispose à la douceur, car celui
qui aime quelqu’un ne l’irrite pas et n’est pas irrité par lui. La science
dispose aux larmes, parce que nous savons par la science que nous sommes écartés
de l’état de béatitude dans cette vallée de misère et de larmes. La force
dispose à la faim de la justice, car celui qui est fort tient si avidement à la
justice qu’il préfère se séparer de la vie corporelle plutôt que de la justice.
Le conseil dispose à la miséricorde et place cet acte au-dessus de tous les
holocaustes.
L’intelligence dispose à la
pureté du coeur, car la spéculation de la vérité purifie notre coeur de toutes
les imaginations. La sagesse dispose à la paix? Car la sagesse nous unit au vrai
et au bien souverain dans lesquels se trouvent la fin et la tranquillité de tout
notre appétit rationnel.
6. Lorsque cette paix est acquise, il
s’ensuit nécessairement une délectation spirituelle surabondante qui est
contenue dans les douze fruits pour insinuer la surabondance des délectations.
Le nombre douze est, en effet, surabondant qui insinue l’exubérance des
charismes spirituels par lesquels l’âme sainte jouit et se délecte. Alors,
l’homme est apte à la contemplation, à la vision et à l’embrassement de l’époux
et de l’épouse, lesquels surviennent quand il possède les sens spirituels par
lesquels il voit la souveraine harmonie sous l’aspect du Verbe, il goûte la
souveraine douceur sous l’aspect de la Sagesse comprenant les deux précédents
aspects, le Verbe et la Splendeur, il sent le parfum souverain sous l'aspect du
Verbe inspiré dans le coeur, il étreint la souveraine suavité sous l’aspect du
Verbe incarné habitant en nous corporellement et se laissant par nous toucher,
embrasser, étreindre par l’ardente charité qui, par l’extase et le transport,
fait passer notre esprit de ce monde au Père.
7. De là découle manifestement que les
habitus des vertus disposent principalement à l’exercice de la vie active, les
habitus des dons au loisir de la vie contemplative, les habitus des béatitudes à
la perfection des deux.
Les fruits de
l’Esprit qui sont la charité, la joie, la paix, la patience, la longanimité, la
bonté, la bénignité, la mansuétude, la confiance, la modestie, la continence, la
chasteté, désignent les délectations qui suivent les oeuvres
parfaites.
Les sens
spirituels désignent les perceptions mentales de la vérité contemplée. Cette
contemplation exista chez les Prophètes par révélation dans une triple vision
corporelle imaginative et intellectuelle, chez les autres justes, elle part de
la spéculation qui commence dans le sens et parvient à l’imagination et passe de
l’imagination à la raison, de la raison à l’entendement, de l’entendement à
l’intelligence, de l’intelligence à la sagesse ou connaissance excessive qui
commence en cette vie et s’achève dans la gloire éternelle.
8. Dans ces degrés consiste l’échelle de
Jacob dont le sommet touche le ciel et le trône de Salo mon sur lequel est assis
le Roi très sage, vraiment pacifique et plein d’amour comme l’époux très beau et
tout désirable que les anges désirent contempler et vers lequel soupire le désir
des âmes saintes comme le cerf désire les fontaines des eaux. Ce désir fer vent,
à la manière d’un feu, rend notre esprit non seulement agile pour monter mais
aussi, par une certaine docte ignorance, il l’élève au-dessus de lui-même dans
la ténèbre et l’extase pour qu’il dise non seulement avec l’épouse: « Nous
courons à l’odeur de tes parfums », mais aussi avec le prophète: « La nuit est
ma lumière au milieu des délices ». Cette lumière nocturne et délicieuse,
personne ne l’a vue hormis celui qui l’éprouve, personne ne l’éprouve que par la
grâce divine qui n’est donnée qu’à celui qui s’y exerce. Il faut donc considérer
maintenant les oeuvres méritoires.
L Il reste à
considérer en quatrième lieu la grâce dans ses rapports avec l’exercice des
mérites.
L’exercice de
la grâce dans les vérités à croire comme le sont les articles de foi,
L’exercice
de la grâce dans les objets à aimer comme l’est tout ce qui est de l’ordre de la
charité,
L’exercice
de la grâce dans les oeuvres à accomplir comme le sont les préceptes de la loi
divine,
L’exercice
de la grâce dans l’objet de notre prière comme le sont les demandes de l’oraison
dominicale.
Enoncé
Bien que, par
la foi, nous soyons astreints à croire bien des choses qui dépassent la raison,
et, dans un sens général, tout ce qui est contenu et énoncé dans le canon de la
sainte Ecriture, cependant dans un sens spécial et propre, on appelle articles
de foi ceux qui sont contenus dans le symbole apostolique. Ils sont au nombre de
douze, si l’on se place au point de vue de ceux qui publièrent le symbole, mais
dont le nombre est de quatorze, si nous considérons les vérités à croire comme
les fondements de tout l’objet de notre foi.
3. Explication
En lui-même,
le premier principe souverainement vrai et bon est, dans son oeuvre,
souverainement juste et miséricordieux. Au vrai souverain est dû un assentiment
ferme, au bien souverain un amour fervent, au juste souverain une soumission
totale, au souverain miséricordieux une prière confiante. Or, la grâce ordonne
notre esprit au culte dû au premier principe. La grâce dirige donc et règle les
exercices dûs et méritoires dans ce qu’il y a à croire, à aimer, à suivre et à
demander comme le requiert la vérité, la bonté, la justice et la miséricorde
souveraine dans la Trinité bienheureuse.
4. Il faut croire la vérité, croire plus
encore une vérité plus haute et par conséquent croire souverainement la
souveraine vérité. Or la vérité du premier principe est infiniment plus grande
que toute vérité créée et plus lumineuse que toute lumière de notre
intelligence. Aussi étant donné la réalité vers laquelle est bien tourné
justement notre esprit dans la foi, il faut qu’il croie plus la vérité
souveraine qu’elle ne se croit elle-même et se soumette à l’obéissance du
Christ, et par conséquent qu’il croie non seulement ce qui est conforme à la
raison mais aussi ce qui la dépasse et va contre l’expérience des sens. S’il s’y
refuse, il ne rend pas à la souveraine vérité l’hommage qui lui est dû puisqu’il
préfère le jugement de sa propre science à la révélation de la lumière
éternelle. Cela ne peut se faire sans l’enflure de l’orgueil et de
l’arrogance.
5. En outre, la vérité qui dépasse la
raison ou est hors de sa portée n’est pas une vérité qui saute aux yeux ou
apparente, mais une vérité plutôt enveloppée de mystère très difficile à croire.
Il faut donc pour la croire fermement que la lumière de la vérité élève l’âme et
que le témoignage l’affermisse.
Le premier
effet est l’oeuvre de la foi infuse, le second de l’Ecriture sainte. Les deux
découlent de la vérité souveraine par Jésus-Christ, qui est Splendeur et Verbe,
et par l’Esprit Saint qui montre et enseigne la vérité et aussi amène à croire.
L’autorité apporte donc un appui à la foi et la foi donne son assentiment à
l’autorité. Or, l’autorité réside principale ment dans la sainte Ecriture qui a
été composée par l’Esprit Saint toute entière, pour diriger la foi catholique.
La vraie foi ne s’écarte donc pas de l’Ecriture mais plutôt y assentit d’un
assentiment vrai.
6. Enfin, la vérité à laquelle nous
sommes astreints de croire par la foi et dont traite principalement la sainte
Ecriture n’est pas n’importe quelle vérité, mais vérité de Dieu, soit comme elle
est dans sa nature propre, soit comme elle est dans sa nature assumée. — car
dans la connaissance de cette vérité consiste la récompense du ciel et le mérite
ici-bas —. Les articles de foi, fondements de la foi, regardent donc la divinité
ou l’humanité. Or il faut considérer la divinité dans les trois personnes, le
Père engendrant, le Fils engendré et l’Esprit Saint procédant, et dans une
quadruple opération: la création dans l’être de nature, la réparation dans
l’être de grâce, la résurrection dans la réparation de la vie et la
glorification dans le don de la gloire. Il y a donc sept articles qui regardent
la divinité.
De même, il
nous faut considérer l’humanité du Christ comme conçue de l’Esprit Saint, née de
la Vierge, souffrant sur la croix, montant aux cieux et venant au jugement
dernier. Il y a donc sept articles qui concernent l’humanité, ce qui fait en
tout quatorze à la manière des sept étoiles et des sept candélabres d’or au
milieu desquels marchait le Fils de l’homme.
7. Parce que le Christ est un dans sa
nature divine et sa nature humaine, une est seulement la vérité souveraine qui
est la raison de croire unique, première, souveraine, que le temps ne modifie
pas. Donc de tous les articles de foi mentionnés ci-dessus, une est seulement la
foi en une seule et même réalité, immuable dans le présent comme dans le passé
et comme dans l’avenir, bien qu’elle soit plus claire et explicite dans les
temps qui ont suivi le Christ que dans ceux qui ont précédé sa venue, comme le
Nouveau est plus clair que l’Ancien des deux testaments dans lesquels sont
contenus les articles de foi.
8. L’Esprit Saint ayant réuni par les
douze Apôtres comme par les témoins les plus solides, ces articles de foi
contenus dans la profondeur des Ecritures, ces articles ont donc été rassemblés
en un seul symbole des apôtres. On peut donc dire que ces articles sont au
nombre de douze comme les apôtres, car chaque apôtre a posé un article comme une
pierre vivante dans l’édification de la foi. L’Esprit Saint l’a justement
préfiguré dans les douze hommes qui ont tiré douze pierres du lit du Jourdain
pour construire l’autel du Seigneur.
1. Enoncé
Toutes les
oeuvres divines sont très bonnes, mais nous devons cependant aimer de charité
proprement dite quatre objets:
Dieu éternel,
ce que nous sommes, notre prochain, notre corps.
Dans cette
charité, il faut garder l’ordre et la mesure de telle sorte que
— Dieu soit
aimé le premier, par-dessus tout et pour lui-même, en second lieu, ce que nous
sommes, en Dieu et pour Dieu, en troisième lieu, notre prochain comme
nous-mêmes, enfin notre corps, moins que nous et moins que le prochain, comme un
bien moins important.
Pour nous
rendre capable de cet amour, nous sont donnés un habitus de charité et un double
commandement qui contient toute la loi et les prophètes, non seulement de
l’Ancien Testament mais aussi du Nouveau.
2. Explication
Le premier
principe étant premier est souverain. Etant souverain, il est souverainement
bon. Etant souverainement bon, il est souverainement bienheureux et
souverainement béatifique. Etant souverainement béatifique, il est jouissance
inépuisable. Etant jouissance inépuisable, il mérite qu’on adhère à lui par
amour et qu’on se repose en lui comme en notre fin.
Or l’amour
droit et ordonné qu’on appelle charité se porte en premier lieu sur ce bien dont
il jouit et en lequel il se repose. Ce bien est la raison d’aimer. La charité
aime donc en premier lieu ce bien comme béatifique, elle aime ensuite les autres
biens qui sont aptes à être béatifiés par lui. Or le prochain étant fait pour
parvenir à la béatitude avec nous et notre corps étant, lui aussi, créé pour
parvenir à la béatitude avec l’esprit, il n’existe donc que quatre objets à
aimer de charité, Dieu, notre prochain, notre esprit et notre corps.
3. En outre, Dieu étant au-dessus de nous
comme le Bien suprême, notre esprit étant en nous comme un bien intrinsèque,
notre prochain étant à côté de nous comme notre bien apparenté, notre corps
enfin étant un bien au-dessous de nous comme un bien assujetti, il faut, dans
l’amour, observer l’ordre suivant: Dieu aimé le premier, par-dessus tout et pour
lui-même, en second lieu notre esprit en Dieu au-dessus de tout bien caduc, en
troisième lieu notre prochain près de nous comme un bien semblable, enfin notre
corps au-dessous de nous comme le bien inférieur, et après notre corps le corps
du prochain, car l’un et l’autre sont bien inférieurs par rapport à notre
esprit.
4. Enfin, l’amour étant le poids de
l'esprit et l’origine de toute affection mentale qui facilement se retourne sur
soi et tend difficilement vers le prochain et plus difficilement encore s’élève
jusqu’à Dieu, bien que la charité ait quatre objets, un double commandement nous
est donné: l’un nous dirige vers Dieu, l’autre vers le prochain.
5. Or, tous les commandements se
rapportent à Dieu ou au prochain comme à leur fin et à ce qui y conduit, dans
ces deux commandements est donc enfermée la totalité des préceptes et la
compréhension de toutes les Ecritures.
La charité
est elle-même racine, forme et fin des vertus, les reliant toutes à la fin
ultime et les unis sant toutes ensemble, entre elles et avec ordre, elle est
donc le poids de toute inclination ordonnée et le lien de l’union parfaite, elle
garde l’ordre dans les divers objets à aimer quant à l’affectivité et quant aux
oeuvres; elle possède l’unité dans l’habitus en n’ayant qu’une seule fin et un
unique et principal aimé, ce qui constitue la raison d’aimer tous les autres
objets qui par le lien de l’amour sont ordon nés à être réunis en un seul Christ
tête et corps, qui contient en lui-même l’universalité des sauvés.
Cette unité
commence maintenant ici-bas, mais elle se consomme dans la gloire éternelle,
selon la prière du Seigneur: « Qu’ils soient un, comme nous sommes un, moi en
eux et toi en moi, pour qu’ils soient consommés dans l’unité. » Lorsque, par le
lien de la charité, cette unité sera consommée, Dieu sera tout en tous dans
l’éternité certaine et la paix parfaite, tout étant commun par l’amour, tout
sera disposé avec ordre par la bienveillance, tout sera en étroite relation par
cette disposition et tout sera indissolublement lié par cette
cohésion.
1. Enoncé
Dans la loi
mosaïque, se trouvent des préceptes judiciaires, figuratifs et moraux. Ce sont
les dix préceptes du décalogue consignés dans les deux tables par le doigt de
Dieu.
La loi
évangélique modère en supprimant les préceptes judiciaires, libère en
accomplissant les préceptes figuratifs, rend parfait en augmentant les préceptes
moraux. Elle ajoute des exemples édifiants, des promesses d’encouragement et des
conseils de perfection,
ainsi, les
conseils de pauvreté, d’obéissance et de chasteté à l’accomplissement desquels
le Christ Notre Seigneur invite celui qui veut être parfait.
2. Explication
Le premier
principe, souverainement bon en lui même, est souverainement juste dans son
oeuvre et dans la disposition du gouvernement universel.
Le comble de
la justice est de la chercher avide ment non seulement en soi, mais aussi dans
autrui; la justice consistant à se conformer aux règles du droit, il appartient
donc à la justice divine d’inculquer et de signifier à l’homme les règles de la
justice, non seulement en les édictant sous la forme d’une vérité
d’enseignement, mais aussi en les prescrivant et en les ordonnant sous la forme
d’une volonté de commandement. La grâce rendant notre volonté conforme à la
divine volonté: il lui appartient donc de nous disposer à obtempérer et à nous
soumettre à ces règles de justice selon l’ordre de la loi donnée par Dieu.
3. En outre, on peut obtempérer aux
commandements divins pour deux motifs, par crainte de la peine ou par amour de
la justice; le premier motif est celui des imparfaits, le second des parfaits.
Dieu a donc donné à l’homme une double loi: l’une de crainte et l’autre d’amour,
l’une engendrant la servitude et l’autre conduisant à l’adoption des enfants de
Dieu.
Ainsi,
puisqu’il convient à ceux qui sont dans la crainte et l’imperfection d’être
terrifiés par des jugements, conduits par des signes et également dirigés par
des préceptes: la loi mosaïque, qui est loi de crainte, contient des préceptes
judiciaires, figuratifs et moraux.
Mais il
convient à ceux qui sont dans la perfection et dans l’amour de recevoir le clair
enseignement des exemples, la large promesse des récompenses et la haute
perfection des conseils: la loi évangélique contient donc ces trois
éléments.
La loi
mosaïque diffère de la loi évangélique en ceci: celle-là est loi de figure,
celle-ci de vérité; celle-là est loi de peine, celle-ci de grâce; celle-là est
la lettre, celle-ci l’esprit; celle-là conduit à la mort, celle-ci fait vivre;
celle-là est loi de crainte, celle-ci d’amour; celle-là est loi de servitude,
celle-ci de liberté; celle-là est un fardeau, celle-ci toute
facilité.
4. Enfin, les règles qu’imposent la
nécessité de la justice sont contenues dans les divins préceptes or, il est de
la justice de « rendre à chacun son dû »; il est donc nécessaire d’avoir
certains préceptes moraux qui nous ordonnent à Dieu, certains au prochain selon
le double précepte de la charité, ce que l’Esprit Saint a voulu insinuer par ce
mystère des deux tables que l’on dit pour cela écrites par le doigt de
Dieu.
Or, Dieu
étant trois, le Père, le Fils et l’Esprit Saint, il convient d’adorer sa
souveraine majesté, de professer sa souveraine vérité et d’accepter sa
souveraine charité, selon les trois puissances irascible, rationnelle et
concupiscible par l’acte de l’oeuvre, de la bouche et du coeur: le commandement
de la première table est donc triple, qui correspond aux trois prémices,
l’adoration soumise, la profession véridique et l’observance du sabbat.
5. Le prochain étant image de la Trinité:
à lui, en tant qu’il porte l’image du Père est due la piété en tant qu’il porte
l’image du Fils, la véracité; en tant qu’il porte l’image de l’Esprit Saint, la
bonté. Les commandements de la seconde table sont donc au nombre de sept: deux
regardent la piété, le premier qui ordonne la piété prescrivant d’honorer son
père, l'autre qui interdit l’impiété en interdisant de tuer; en ce qui regarde
la véracité qui consiste principalement dans la parole, son commandement
interdit de porter un faux témoignage; quatre commandent la bonté, à laquelle
s’opposent la cupidité et la concupiscence qui peuvent l’une et l’autre être
dans l’action ou dans le coeur tu ne commettras pas l’adultère, tu ne désireras
pas la femme, tu ne voleras pas et tu ne désireras pas le bien d’autrui. Or, ces
préceptes s’ordonnent selon les torts plus ou moins grands qui peuvent être
portés à la justice. Ainsi les règles concernant la nécessité de la justice
doivent-elles être contenues dans les dix préceptes.
6. La justice atteint à la perfection en
s’éloignant parfaitement du mal et dans la faute et dans sa cause; or, tout mal
provient d’une triple racine, la concupiscence de la chair, la concupiscence des
yeux et la superbe de la vie: il y a donc trois conseils évangéliques qui nous
éloignent parfaitement de cette triple racine. Ce sont des conseils car, pour
éloigner parfaitement du mal, ils ne séparent pas seule ment des choses
illicites, mais aussi des choses licites et permises mais pouvant être occasion
de mal; par là, ils ne contiennent pas seulement la suffisance de la justice,
mais aussi son abondance, ainsi qu’il convient à la perfection de la loi
évangélique et à l’exercice de la grâce de perfection.
1. Enoncé
Bien que Dieu
soit très libéral et plus prompt à donner que nous à recevoir, il veut cependant
être prié par nous, afin d’avoir l’occasion de distribuer les dons de la grâce
de l’Esprit Saint.
Il veut être
prié non seulement d’une prière mentale qui est « l’élévation de l’esprit vers
Dieu », mais aussi d’une prière vocale qui est « la demande à Dieu de ce qui
convient », non seulement par nous-mêmes mais aussi par les saints comme par des
coadjuteurs que Dieu nous donne, afin que ce que nous sommes peu dignes de
demander par nous mêmes, nous puissions le demander par les saints.
Puisque nous
ne savons que demander pour prier comme il faut, de peur que nous n’errions dans
l’incertitude, Dieu nous a transmis une formule dans la prière qu’il a composée.
Celle-ci condense, en sept demandes, tout ce que nous devons
demander.
2. Explication
Souverainement vrai et bon en
lui-même, le premier principe est aussi miséricordieux et juste dans son oeuvre.
Miséricordieux, il condescend très volontiers à la misère humaine par l’infusion
de a grâce. Egalement juste, il ne donne le don parfait qu’à celui qui le
désire, la grâce, à celui qui le remercie, sa miséricorde, à celui qui reconnaît
sa misère. Ainsi la liberté de l’arbitre est sauve, la noblesse du don n’est pas
galvaudée et le culte de l’honneur de Dieu demeure intègre.
Et puisque
celui qui prie le fait pour quêter le secours de Dieu, alléguer sa propre misère
et rendre grâce pour le bienfait donné gratuitement, la prière dispose à
recevoir les divins charismes. Dieu veut être prié pour répandre ses dons.
3. En outre, pour que le désir tende
efficace ment vers le ciel, il faut, pour obtenir les dons de Dieu, que notre
amour soit fervent, notre pensée recueillie et notre attente certaine et ferme.
Et comme notre coeur est fréquemment tiède, souvent dispersé et souvent aussi
effrayé par le remords du péché et n’ose pas de lui-même comparaître devant la
face de Dieu, le Seigneur a voulu que nous ne priions pas seulement mentalement,
maïs aussi vocalement pour exciter notre coeur par des paroles et pour
recueillir nos pensées par le sens des mots.
Il a voulu
aussi que nous le priions par les saints et que les saints prient pour nous,
pour donner confiance aux timides: afin que ceux qui n’osent ou ne peuvent pas
demander par eux-mêmes, soient exaucés grâce à des intercesseurs qualifiés.
Ainsi, l’humilité de la prière est sauve chez ceux qui prient.
Sa grandeur
est proclamée dans les Saints intercesseurs, sa charité et son unité éclatent:
en effet ceux qui sont en bas recourent avec confiance à ceux qui sont en haut
et ceux qui sont en haut condescendent libéralement à ceux qui sont en
bas.
4. Enfin, Dieu juste et miséricordieux ne
doit exaucer que les prières qui tendent à son honneur et à notre salut; les
demandes qui concernent la récompense du ciel et le secours ici-bas sont de cet
ordre; les premières sont au nombre de trois, les secondes au nombre de quatre:
les demandes de l’oraison dominicale qui nous enseignent ce que nous devons
demander utilement sont donc au nombre de sept.
Celles qui
concernent l'honneur de Dieu et la récompense du ciel sont au nombre de trois,
l’intelligence de la vérité, le respect de la majesté et l’accord de la volonté:
autrement dit, la vision du vrai souverain qui ne peut être vu que des coeurs
purs et saints; on la demande en disant: Que ton nom soit sanctifié,
c’est-à-dire que la connaissance de ton nom soit accordée aux coeurs parfaits,
saints et purs; la possession de la grandeur suprême qui fait les rois et par
lequel est fondé le royaume; on la demande en disant: que ton règne arrive; la
jouissance du bien suprême que seuls reçoivent ceux dont la volonté est conforme
à la volonté de Dieu; on la demande en disant: que ta volonté soit faite sur la
terre comme au ciel. Les demandes qui concernent le passage dans cette vie
regardent le don d’un bien profitable ou la fuite d’un mal nuisible. Le don d’un
bien profitable est demandé dans le pain quotidien ou supersubstantiel, dans
lequel on demande tout ce qui est nécessaire à la conservation de la vie
présente de l’esprit ou du corps. La fuite du mal nuisible est demandée dans les
trois dernières phrases car le mal est passé, futur ou présent. Autrement dit,
il est mal du péché, de la tentation ou de la peine. On demande que s’éloigne le
premier dans le pardon des offenses, le second dans la victoire sur les
tentations, le troisième dans la délivrance de l’oppression des maux.
Ainsi, il y a
en tout sept demandes dans les quelles se trouve tout ce que l’on doit demander.
Cela est ainsi afin que les sept demandes correspondent aux sept charismes et
dons de la grâce septiforme.
5. faut noter que la sainte Ecriture nous pro
pose la considération d’un septuple septénaire
1° des péchés capitaux
2° des
sacrements
3° des vertus
4° des
dons
5° des béatitudes
6° des
demandes
7° et des
récompenses glorieuses, trois spirituelles et quatre corporelles, comme on le
dira plus loin,
— le premier
septénaire des péchés: tout ce dont nous devons nous éloigner,
— le second
septénaire des sacrements: les moyens de progresser,
— le dernier
septénaire des récompenses: les biens à désirer,
—
l’avant-dernier septénaire des demandes: les choses à demander,
— le
septénaire intermédiaire des vertus, des dons et des béatitudes: les étapes à
franchir.
Ainsi, sept
fois le jour, louant le nom du Seigneur et le priant, demandons la grâce
septiforme des vertus, des dons et des béatitudes, par laquelle nous vaincrons
la tentation septiforme des péchés capitaux et nous parviendrons à l couronne
septiforme des récompenses glorieuses, en nous aidant en outre de la médecine
septiforme des sacrements donnés par Dieu pour la réparation du genre
humain.
1. Après avoir traité de la Trinité
divine, du monde créature de Dieu, de la corruption du péché, de l’Incarnation
du Verbe et de la grâce de l’Esprit Saint, il nous faut maintenant, en sixième
lieu traiter des remèdes sacramentels. A ce propos, sept questions sont à
considérer: l’origine, la variation, la distinction, l’institution,
l’administration, la réitération et l’intégrité de chacun des
sacrements.
Enoncé
2. Les sacrements sont des signes
sensibles, insti tués par Dieu comme remèdes, dans lesquels « opère secrètement,
sous l’enveloppe du sensible, une force divine » de telle sorte « qu’ils
représentent par similitude, signifient par institution, confèrent par
sanctification une certaine grâce spirituelle ». Par elle, l’âme est guérie de
la faiblesse des vices. C’est à cela principalement que les sacrements sont
ordonnés comme à leur fin ultime; toutefois, ils servent aussi à rendre humble,
à instruire, à éprouver. Ce sont là des fins secondaires ordonnées à la fin
principale.
Explication
3. Le principe réparateur qui est le
Christ crucifié, c’est-à-dire le Verbe Incarné, dispense toutes choses avec une
suprême sagesse parce qu’il est Dieu et guérit de façon très clémente parce que
divine ment incarné. Il doit donc restaurer et guérir le genre humain malade, de
la manière qui convient au malade lui-même, à la maladie, à son occasion et à la
guérison de la maladie elle-même. Or, le médecin est le Verbe Incarné, Dieu
invisible dans une nature visible. L’homme malade n’est pas seule ment esprit ni
seulement chair, mais esprit dans une chair mortelle. La maladie est la faute
originelle qui infecte l’esprit par l’ignorance et la chair par la
concupiscence. L’origine de cette faute, attribuable principalement au
consentement de la raison, n’en trouve pas moins son occasion dans les sens
charnels.
Pour que le
remède corresponde à toutes ces circonstances, il fallait donc qu’il ne soit pas
seulement spirituel, mais qu’il participe aussi des signes sensibles. Ainsi, le
sensible, ayant été pour l’âme occasion de chute, lui fournirait l’occasion de
se relever. Les signes sensibles, comme tels, n’ont pas une orientation efficace
à la grâce, même si, de par leur nature, ils en offrent une lointaine
représentation. Cela explique la nécessité pour l’auteur de la grâce de les
instituer pour signifier et de les bénir pour sanctifier. Ils pouvaient ainsi
représenter par similitude naturelle, signifier par l’apport de l’institution,
sanctifier par la bénédiction qui vient s’y adjoindre. Ils pouvaient aussi
préparer à la grâce par laquelle notre âme doit être soignée et guérie.
4. En outre, la grâce de guérison n’est
pas accordée aux orgueilleux, aux incrédules ni aux dédaigneux. Ces signes
sensibles devaient donc être don nés par Dieu non seulement pour sanctifier,
donner la grâce et par là guérir, mais encore pour enseigner par leur
signification, rendre humble par leur réception, exercer par leur diversité. De
telle sorte qu’une fois la paresse chassée du concupiscible par l’exercice,
l’ignorance chassée de la raison par l’enseignement, l’orgueil chassé de
l’irascible par l’humilité, l’âme toute entière serait rendue guérissable par la
grâce du Saint Esprit, qui nous réforme selon ces trois puissances, à l’image de
la Trinité et du Christ.
5. Enfin, comme c’est par le moyen de ces
signes sensibles, institués par Dieu, que la grâce du Saint Esprit est reçue et
que c’est en eux que la trouvent ceux qui s’approchent de ces mêmes signes, ces
sacrements sont appelés récipients et cause de la grâce. Ce n’est pas que la
grâce soit contenue en eux substantiellement ou produite de façon causale,
puisqu’on ne doit la placer que dans l’âme seule et qu’elle ne peut être
produite que par Dieu seul. Ces appellations leur viennent du fait que c’est en
eux et par eux que, par un décret divin, on doit puiser la grâce de guérison du
souverain médecin, le Christ, « bien que Dieu n’ait pas lié sa puissance aux
sacrements ».
6. De ce qui précède, on voit donc non
seulement l’origine des sacrements, mais encore leur usage et leur fruit. A leur
source, il y a le Christ Seigneur; leur usage exerce, instruit et rend humble;
leur fruit est la guérison et le salut des hommes. On voit aussi quelle est leur
cause efficiente, à savoir, l’institution divine; leur cause matérielle,
c’est-à-dire la représentation du signe sensible; leur cause formelle, la
sanctification gratuite; leur cause finale, la guéri son médicinale des hommes.
Si l’on tient compte du fait que « la dénomination vient de la forme et de la
fin » il s’ensuit qu’on appelle les sacrements des remèdes de sanctification.
C’est par eux en effet que l’âme est ramenée de la souillure des vices à la
sanctification parfaite. En conséquence, bien que les sacrements soient
corporels et sensibles, on doit cependant les vénérer comme saints, car ils
signifient des mystères sacrés, préparent aux charismes sacrés et sont donnés
par le Dieu très sacré; ils ont reçu la consécration divine par une institution
et une bénédiction sacrées; ils sont constitués pour le culte très sacré de Dieu
dans l’Eglise sacrée. Ils méritent donc à juste titre d’être appelés
sacrements.
.
Enoncé
1. Les sacrements ont été institués dès
le commencement pour la guérison de l’homme, ils ont toujours accompagné sa
maladie et dureront jusqu’à la fin des siècles. Mais il y en eut certains dans
la loi de nature, d’autres dans la loi écrite, d’autres enfin sous la grâce.
Parmi tous ceux-ci, les derniers venus ont plus de clarté en signification et
ont une dignité plus haute par la grâce qu’ils produisent. Dans la loi de
nature, il y eut des oblations, des sacrifices et des dîmes. Dans la loi écrite,
la circoncision fut intro duite, l’expiation apparut et, à ce qui existait
auparavant, vint s’ajouter une grande diversité d’oblations, de dîmes et de
sacrifices. Puis, dans la loi nouvelle, « furent établis des sacrements moins
nombreux, plus utiles, plus efficaces » et plus dignes en excellence. Ces
derniers ont à la fois accompli et annulé tous les sacrements
précédents.
Explication
2. Le Verbe Incarné, principe de notre
restau ration, source et origine des sacrements est très clément et très sage.
Parce que très clément, il n’a pas permis que la maladie du péché demeurât sans
le remède du sacrement; parce que très sage, se conformant au décret de son
immuable sagesse, qui gouverne tout de façon parfaitement ordonnée, il a mis en
oeuvre des remèdes nombreux et variés selon la vicissitude des temps. Aussi,
étant donné que « dès le commencement, dans le cours des temps et à l’approche
de plus en plus imminente de la venue du Christ, grandissait toujours davantage
l’effet de salut et la connaissance de la vérité, il était convenable que les
signes de salut eux-mêmes varient les uns après les autres, avec la succession
des temps. Ainsi, l’effet de la grâce divine croîtrait en résultat salutaire et
en même temps la signification apparaîtrait toujours plus clairement dans les
signes visibles eux-mêmes.» Il a donc « été statué d’organiser le sacre ment de
l’expiation et de la justification d’abord par l’oblation, ensuite par la
circoncision et enfin par le baptême. En effet, la forme et la similitude de
cette même purification se trouvent d’une manière cachée dans l’oblation,
s’expriment avec plus de clarté dans la circoncision et apparaissent de façon
encore plus manifeste dans le baptême ». De là vient que « les sacrements des
premiers temps selon l’expression de Hugues, furent comme l’ombre de la vérité,
ceux de l’âge intermédiaire comme leur figure ou image, ceux des derniers temps,
c’est-à-dire de l’époque de la grâce, comme leur corps » parce qu’ils
contiennent en eux-mêmes la vérité et la grâce de la guérison qu’ils rendent
présentes et parce qu’ils confèrent de façon actuelle ce qu’ils
promettent.
3. En outre, étant donné que la présence
de la vérité et de la grâce qui se manifestent dans la loi de grâce, ne pouvait,
en raison de leur excellence et de leur variété, en oeuvre et en pouvoir, être
exprimée comme il le fallait par un seul signe, il en résulte qu’en tout temps
et sous toute loi il y eut plusieurs sacrements pour exprimer cette vérité et
cette grâce. Toutefois, c’est principalement sous la loi figurative, dont le
propre est de préfigurer, que des signes nombreux et variés précédèrent qui, par
leur diversité, devaient exprimer de plusieurs façons la grâce du Christ et la
faire valoir plus parfaitement. La mettant en valeur de façon multiple, ces
mêmes signes devaient nourrir les petits enfants, exercer les imparfaits, briser
les rigides en les surchargeant, les dompter en vue du joug de la grâce et en
quelque sorte les amollir.
4. En dernier lieu, avec l’arrivée de la
vérité, l’ombre s’efface et la figure annonciatrice atteint son but; l’ayant
obtenu, son usage et son acte doivent cesser. De là, s’explique qu’avec la venue
de la grâce, les sacrements et les signes anciens ont été accomplis en même
temps qu’annulés, car ils étaient des signes qui annonçaient l’avenir et un peu
comme de lointains présages Les nouveaux sacrements ont également été institués
comme indiquant la grâce présente et rappelant d’une certaine manière la passion
du Seigneur, qui est source et origine de la grâce de guérison, en nous comme en
ceux qui ont précédé la venue du Christ. Pour ceux cependant qui ont précédé
cette venue, la passion est comme un paie ment promis; pour ceux qui la suivent,
comme un paiement acquitté. Et puisque la grâce n’est due à la promesse du
paiement qu’en raison de son accomplissement et qu’elle doit être plus abondante
une fois le paiement acquitté que lorsqu’il est seulement promis, il s’ensuit
que la passion du Christ sanctifie de façon plus immédiate les sacrements de la
loi nouvelle et découle en eux par une grâce plus abondante. Ainsi les
sacrements anciens ont préparé les nouveaux et conduit vers eux comme le chemin
conduit au but, le signe au signifié, la figure à la réalité et comme
l’imparfait mène au parfait et le prépare.
Enoncé
1. Il y a sept sacrements, selon la
correspondance avec la grâce septiforme qui, par le septénaire du temps, nous
ramène au principe, au repos et au cercle de l’éternité, comme au huitième âge
de la résurrection universelle Or, la porte de ces sacrements est le baptême.
Viennent ensuite la confirmation, l’eucharistie, la pénitence,
l’extrême-onction, l’ordre et le mariage. Celui-ci, bien que placé le dernier, à
cause de la maladie de la concupiscence qui s’y attache, fut cependant introduit
au paradis avant tous les autres, même avant le péché.
Explication
2. Notre principe réparateur, le Christ
Seigneur, Verbe Incarné, est puissance et sagesse de Dieu et notre miséricorde.
Il doit pour cette raison, sous la loi de grâce, instituer ses sacrements avec
puissance, sagesse, clémence et convenance pour qu’absolument rien ne manque à
notre guérison, autant que cela convient à la vie présente. Mais les trois
choses sui vantes concourent à la guérison parfaite d’une maladie: l’expulsion
de la maladie, l’introduction de la santé et la conservation du salut commencé.
En premier lieu, l’expulsion de la maladie. Pour la guérison parfaite, il faut
expulser parfaitement et totalement la maladie. Or, celle-ci revêt sept formes
trois de culpabilité, c’est-à-dire la faute originelle, la faute mortelle et la
faute vénielle et quatre de pénalité, c’est-à-dire l’ignorance. la malice, la
faiblesse et la concupiscence. Comme dit S. Jérôme « ce qui guérit le talon ne
guérit pas l’oeil ». Il a donc fallu employer sept médicaments pour mieux
chasser cette maladie septiforme: contre le péché originel, le baptême; contre
le péché mortel, la pénitence; contre le péché véniel, l’extrême-onction; contre
l’ignorance, l’ordre; contre la malice, l’eucharistie; contre la faiblesse, la
confirmation et contre la concupiscence, le mariage qui la tempère et
l’excuse.
3. En second lieu, la guérison parfaite
ne peut exister sans que soit rendue la santé complète. Cette dernière, par
rapport à l’âme, consiste dans l’usage des sept vertus, à savoir les trois
théologales et les quatre cardinales. Il a donc fallu, pour restaurer leur sain
usage, instituer les sept sacrements. Le baptême, en guérissant, dispose à la
foi, la confirmation à l’espérance, l’eucharistie à la charité, la pénitence à
la justice, l’extrême-onction à la persévérance, complément et sommet de la
force, l’ordre à la prudence, le mariage à la tempérance à conserver, car elle
est attaquée surtout par la faiblesse de la chair, mais guérie par l’honnêteté
des noces.
4. Enfin, la guérison parfaite ne peut
exister sans la conservation du salut commencé. Celui-ci, par ail leurs, ne peut
être conservé dans le choc de la bataille à moins qu’on ne s’aligne dans l’armée
de l’Eglise, terrible comme une armée prête au combat. Comme ce résultat
s’obtient par l’armure de la grâce sep tif orme, il était donc nécessaire qu’il
y ait sept sacrements. Car, pour que cette armée soit parfaitement et
continuellement pourvue, formée qu’elle est de parties corruptibles, elle a
besoin de sacrements qui fortifient, qui relèvent et qui renouvellent: qui
fortifient ceux qui combattent, qui relèvent ceux qui tombent, qui renouvellent
les mourants. Le sacrement qui fortifie, le fait soit pour ceux qui entrent dans
la lutte: c’est le baptême, soit pour ceux qui sont déjà dans le combat: c’est
la confirmation, soit pour ceux qui en sortent: c’est l’extrême-onction. Quant
au sacrement qui relève, il le fait soit par rapport à la faute vénielle et
c’est l’eucharistie ou par rapport à la faute mortelle et c’est la pénitence.
Les sacrements qui renouvellent peuvent le faire soit dans l’être spirituel et
nous avons alors le sacrement de l’ordre dont le propre est d’administrer les
sacrements, soit dans l’être naturel et nous avons le mariage qui, renouvelant
la multitude dans l’être de nature, base de tout le reste, fut introduit en
premier, avant tous les autres. Toute fois, à cause de la maladie de la
concupiscence qui lui est jointe et parce qu’il est le moindre au point de vue
de la sanctification, malgré qu’il soit, par la signification, un grand
sacrement, il est placé le dernier parmi les remèdes spirituels et la dernière
place lui revient. Du fait que le baptême est le sacre ment de ceux qui entrent
dans la lutte, la confirmation celui des combattants, l’eucharistie celui de
ceux qui refont leurs forces, la pénitence le sacrement de ceux qui
resurgissent, l’extrême-onction celui des mourants, l’ordre le sacrement de ceux
qui embauchent de nouveaux soldats, le mariage le sacrement de ceux qui les
préparent, cela fait apparaître clairement la suffisance et l’ordre des remèdes
et des armes sacramentels.
Enoncé
1. Le Christ a institué les sept
sacrements de la loi de grâce comme médiateur du Nouveau Testament et principal
auteur de la loi par laquelle il a appelé aux promesses éternelles, donné des
préceptes directeurs et institué les sacrements qui sanctifient. Il les a
institués sur la base de paroles et d’éléments pour rendre évidente leur
signification et efficace leur sanctification, de telle sorte qu’ils signifient
toujours la vérité, mais ne possèdent pas toujours l’efficacité curatrice, non
par un défaut de leur part, mais à cause de celui qui les reçoit. Il les insti
tua de diverses manières certains par confirmation, approbation et achèvement,
comme le mariage et la pénitence; d’autres par insinuation et en présidant à
leur début, comme la confirmation et l’extrême-onction; d’autres enfin en
présidant à leur début, en les achevant et en les recevant lui-même, comme le
baptême, l’eucharistie et l’ordre. Ces trois derniers, il les a institués
pleinement, et même, il a été le premier à les recevoir.
Explication
2. Notre principe réparateur, le Christ
crucifié, Verbe Incarné, est, parce que Verbe, égal et consubstantiel au Père.
Il possède une puissance, une vérité, une bonté souveraines et, de ce fait, une
souveraine autorité. Il lui revient donc en propre d’inaugurer le Nouveau
Testament et c’est encore à lui qu’il appartient de donner une loi intégrale et
suffisante, conformément aux exigences d’une puissance, d’une vérité et d’une
bonté souveraines. En raison de sa souveraine bonté, il a proposé des promesses
béatifiantes; en raison de sa vérité suprême, il a donné des préceptes
directeurs; en raison enfin de sa puissance souveraine, il a établi des
sacrements secourables. Ainsi, par les sacrements, notre vertu pouvait être
réparée, lui permettant de s’acquitter des préceptes directeurs et, par eux, on
pouvait parvenir aux promesses éternelles, tout cela étant obtenu, dans la loi
évangélique, par l’action du Verbe Eternel, le Christ Seigneur, en tant qu’il
est voie, vérité et vie.
3. En outre, le principe réparateur n’est
pas seulement le Verbe en tant que Verbe, mais encore le Verbe en tant qu’il
s’est incarné Ce Verbe, par le fait même de son Incarnation, s’offre à tous pour
leur faire connaître la vérité et se présente à tous ceux qui s’approchent de
lui dignement, avec la grâce de la guérison. De là vient que le Verbe Incarné,
en tant que rempli de grâce et de vérité et pour que les sacrements aient une
signification plus claire et une plus grande efficacité sanctificatrice, les a
voulus constitués à la fois d’éléments et de paroles. Ainsi, alors que les
éléments s’offriraient aux yeux et les paroles aux oreilles, deux sens qui sont
au plus haut point cognoscitifs, ces éléments et ces paroles rendraient évidente
la signification exprimée. De plus, lès paroles viendraient sanctifier les
éléments pour que l’efficacité de la guérison humaine devienne plus accomplie.
Cette guérison n’est pas accordée à celui
qui s’y
oppose et qui lutte dans son coeur contre la source de la grâce. C’est pourquoi
les sacrements ont été institués de façon à signifier toujours et
universellement, mais à ne sanctifier que ceux qui les approchent dignement et
avec une entière sincérité
4. Enfin, même si le Verbe Incarné est
source de la grâce sacramentelle, il y eut cependant une certaine grâce
sacramentelle avant l’Incarnation, une autre qui ne fut donnée qu’après la
mission du Saint Esprit et une autre enfin qui se place entre les deux. Il a
donc fallu que les sacrements soient institués de façon diverse. Car avant
l’Incarnation, la componction pénitentielle et la génération matrimoniale
étaient nécessaires; c’est pourquoi le Verbe n’a pas institué à nouveau ces deux
sacrements mais, les prenant déjà institués par lui et comme inscrits dans la
conscience par la loi naturelle, il les a achevés et confirmés dans la loi
évangélique quand il prêcha la pénitence, qu’il assista aux noces et qu’il
approuva la loi du mariage, comme il ressort de maints endroits de l’Evangile.
Avant la mission du Saint Esprit, ce dernier ne fut pas donné pleinement pour la
confirmation et pour la confession publique du nom du Christ. Il n’y eut pas non
plus d’onction plénière de l’âme pour la sortie de ce monde. C’est pourquoi ces
deux sacrements, à savoir la confirmation et l’extrême-onction, le Christ
lui-même n’en fut l’auteur que de façon initiale et ne fit que les insinuer la
confirmation, en imposant les mains sur les enfants et en annonçant à l’avance
que ses disciples seraient baptisés dans le Saint Esprit; l’extrême-onction, en
envoyant ses disciples guérir par l’onction d’huile, comme il est rapporté dans
Marc. Dans l’époque intermédiaire, il y eut la régénération, l’organisation de
l’Eglise et la nutrition spirituelle. C’est pourquoi le Christ a institué
complètement et claire ment ces trois sacrements: le baptême, l’eucharistie et
l’ordre. Le baptême d’abord, en le recevant, en lui donnant sa forme et en le
faisant connaître aux autres; l’ordre, en donnant d’abord le pouvoir de lier et
de délier les péchés du genre humain puis celui de confectionner le sacrement de
l’autel; l’eucharistie, en se comparant au grain de froment, en confectionnant
et en donnant à ses disciples, dans l’imminence de sa passion, le sacrement de
son corps et de son sang. C’est pourquoi ces trois sacrements ont dû être
institués distinctement et intégralement par le Christ et figurés dans la loi
ancienne de multiples façons comme sacrements substantiels du Nouveau Testament
et revenant en propre au Législateur, c’est-à-dire au Verbe Incarné.
Enoncé
1. Ce pouvoir ne revient régulièrement
qu’au seul genre humain. Dans l’administration de tous les sacrements,
l’intention est nécessaire chez celui qui administre. Dans quelques sacrements,
en plus de l’intention, l’ordre sacerdotal ou pontifical est une nécessité.
L’ordre pontifical est requis dans l’administration de la confirmation et de
l’ordre, tandis que l’ordre sacerdotal est nécessaire pour administrer
l’eucharistie, la pénitence et l’extrême-onction. Quant au baptême et au
mariage, bien qu’ils reviennent au prêtre, ils peuvent être administrés de fait
en dehors de l’ordre sacerdotal, surtout dans le cas de nécessité. Ceci étant,
les sacrements peuvent être administrés par les bons et les mauvais, par les
fidèles et les hérétiques, dans l’Eglise et hors d’elle, mais en tenant compte
que dans l’Eglise, ils sont administrés validement et fructueusement tandis
qu’en dehors d’elle, ils sont administrés sans fruit bien que
validement
Explication
2. Notre principe réparateur, le Verbe
Incarné, étant donné que c’est en tant que Dieu et en tant qu’homme qu’il a
institué les sacrements pour le salut de l’homme, a réglé, comme il convenait,
qu’ils seraient administrés aux hommes, par le ministère des hommes, pour que
soit conservée la conformité du ministre au Christ Sauveur et à l’homme lui-même
à sauver. Parce que le Christ Sauveur a sauvé l’humanité selon que l’exigeaient
l’équilibre de la justice, la dignité de l’ordre et la sécurité du salut — en
effet, il a opéré notre salut de façon juste, ordon née et certaine — il
s’ensuit que c’est selon ces trois exigences qu’il a confié aux hommes
l’administration des sacrements. Tout d’abord, l’équilibre du droit exige que
les oeuvres de l’homme, en tant qu’homme ne se fassent pas avec précipitation.
Il exige encore que les oeuvres de l’homme, en tant que ministre du Christ, s’y
rapportent de quelque façon; que les oeuvres de l’homme, en tant que ministre du
salut, se réfèrent de quelque manière au salut, soit en général soit en
particulier. Or, l’administration des sacrements est une oeuvre de l’homme, en
tant que raisonnable, en tant que ministre du Christ et en tant que ministre du
salut. De là vient la nécessité d’administrer avec intention, celle de quelqu’un
qui entend faire ce que le Christ a institué pour le salut de l’homme, ou du
moins, faire ce que fait l’Eglise, en quoi est renfermée l’intention générale en
question car l’Eglise elle-même administre les sacrements pour le salut des
fidèles de la façon dont elle les a reçus du Christ.
3. Ensuite, la dignité de l’ordre exige
que les grandes choses soient confiées aux grands, les petites aux petits et les
intermédiaires à ceux de moyenne importance. Or, il y a des sacrements qui
regardent principalement la perfection de la puissance ou de la dignité, comme
la confirmation et l’ordre; certains ont rapport à la nécessité, comme le
baptême et le mariage; ce dernier engendre et l’autre régénère à une existence
qui s’impose. Certains autres tiennent le milieu, tels l’eucharistie la
pénitence et l’extrême onction. On infère de tout cela que les premiers, en tant
que les plus élevés, ne peuvent être administrés que par les évêques et les
pontifes, en tant que cela relève du droit commun; les autres, en tant que moins
élevés, peuvent être administrés par n’importe quels ordres et personnes
inférieurs, surtout dans le cas de nécessité, ce que je dis en pensant au
baptême; les sacrements intermédiaires, enfin, ne peuvent être administrés que
par les seuls prêtres, eux qui, pour ainsi dire, tiennent le milieu entre les
évêques et les personnes inférieures.
4. Enfin la sécurité du salut exige que
les choses se passent de telle sorte qu’il n’y ait pas de place pour le doute;
or, personne n’est sûr de la bonté et de la foi du ministre qui, en soi, n’est
pas sûr lui-même d’être digne d’amour ou de haine. Si donc les sacrements ne
pouvaient être administrés que par les bons, personne ne pourrait être certain
de les avoir reçus. Il faudrait ainsi les renouveler sans cesse et la méchanceté
de l’un porterait préjudice au salut de l’autre. En outre, il n’y aurait aucune
stabilité dans les degrés de la hiérarchie de l’Eglise militante dont le rôle
principal consiste à administrer les sacrements. Il convenait donc que
l’administration des sacrements fût confiée à l’homme non pas en raison de la
sainteté qui varie avec la volonté, mais en raison de l’autorité qui, en tant
que telle, demeure toujours. A cause de cela, il fallait que cette autorité
s’étende aux bons et aux mauvais, à ceux qui sont dans l’Eglise et à ceux qui
sont en dehors d’elle. Toutefois, étant donné que personne ne peut être sauvé en
dehors de l’unité de foi et de charité, unité qui nous constitue fils et membres
de l’Eglise, les sacrements ne procurent pas le salut s’ils sont reçus en dehors
de l’Eglise, bien que ce soient de vrais sacrements. Ils peuvent toutefois
devenir utiles si la personne revient à la mère Eglise, unique épouse du Christ,
cet époux qui ne reconnaît comme dignes de l’héritage éternel que les fils de
cette même Eglise. De là ce que dit Augustin Contre les Donatistes. « La
comparaison de l’Eglise au paradis nous indique que les hommes peuvent recevoir
son baptême, même hors d’elle, mais que personne, en dehors d’elle, ne peut
recevoir ou posséder le bienheureux salut. Car de la fontaine du paradis, au
dire de l’Ecriture, des fleuves s’écoulaient abondamment, même à l’extérieur. On
les mentionne chacun par son propre nom et tous savent par quelles régions ils
coulent et qu’ils s’étendent hors du paradis. Ce n’est pourtant pas en
Mésopotamie ou en Egypte, où ces fleuves parvenaient, que se trouve la félicité
de la vie dont on nous rapporte l’existence au paradis. Il arrive donc ceci:
alors que l’eau du paradis est en dehors de lui, la béatitude ne se trouve
toutefois qu’à l’intérieur. Ainsi donc, le baptême de l’Eglise peut se trouver
en dehors d’elle; le don de la vie bienheureuse par contre ne se trouve qu’à
l’intérieur d’elle, laquelle aussi a été fondée sur le roc et a reçu le pouvoir
de lier et de délier. Elle est seule à tenir et à posséder tout le pouvoir de
son époux et Seigneur. Par ce pouvoir conjugal, elle peut même, de servantes,
engendrer des fils qui auront part à l’héritage s’ils demeurent dans l’humilité,
mais qui resteront dehors s’ils deviennent orgueilleux. Bien plus, puisque nous
luttons pour l’honneur et l’unité de l’Eglise, n’allons pas attribuer aux
hérétiques ce que chez eux nous reconnaissons lui appartenir, mais
enseignons-leur par des arguments que ce qu’ils ont de par l’unité ne vaut pour
le salut que s’ils viennent à cette même unité ».
Enoncé
1. Même si c’est un aspect commun à tous
les sacrements de ne pas être renouvelés sur la même personne et la même matière
quand il s’agit d’une même raison, et cela, pour qu’il n’y ait pas outrage au
sacrement toutefois, de façon spéciale, il y a trois sacrements qui ne peuvent
jamais être réitérés le baptême, la confirmation et l’ordre. Car ces trois
sacrements impriment chacun un caractère intérieur qui ne s’efface pas. De ces
caractères, celui du baptême est le fondement des autres. Ces derniers ne
peuvent être imprimés sans que d’abord celui du baptême le soit. Il en résulte
que si un non-baptisé est ordonné, absolument rien ne se produit, mais tout est
à reprendre. En effet, « quand il est clair qu’une chose n’a pas eu lieu, on ne
peut la considérer comme réitérée »
2. Notre principe réparateur,
c’est-à-dire le Verbe Incarné, en raison de sa puissance, de sa sagesse et de sa
bonté souveraines, ne fait rien d’inefficace, de déraisonnable et d’infructueux.
Or, il doit surtout agir ainsi dans ses oeuvres les plus nobles telles que
celles qui restaurent le genre humain. Mais comme les sacrements appartiennent à
cette catégorie d’oeuvres divines, il s’ensuit qu’on leur fait outrage, d’une
certaine manière, lorsqu’on les réitère sur la même matière, la même personne et
pour une même rai son. Cette manière de faire laisse entendre, en effet, que ce
qui avait été administré d’abord était inefficace, déraisonnable et infructueux.
Cela va contre les exigences de la puissance, de la sagesse et de la bonté
souveraines du principe réparateur lui-même. Car ces attributs sont toujours
présents pour agir dans ces sacrements et par eux.
Explication
3. De plus, parmi ces sacrements
réparateurs qui contiennent tous l’efficacité de la puissance divine pour
restaurer le genre humain, il y en a qui ont été institués seulement comme
remèdes pour les maladies et d’autres qui l’ont été non seulement à cette fin,
mais aussi pour fixer, discerner et ordonner les degrés hiérarchiques dans
l’Eglise. Ajoutons que les maladies peuvent varier, guérir et revenir; les
degrés de l’Eglise par contre doivent être fermes, solides et inébranlables. Il
s’ensuit que les sacrements, concernant les maladies qui peuvent renaître, ont
des effets transitoires et de ce fait peuvent être réitérés pour une nouvelle
cause. Il est nécessaire au contraire que les sacrements qui concernent les
degrés hiérarchiques et des situations de foi déterminées confèrent, en plus des
effets curatifs, certains effets permanents en vue d’une distinction fixe et
stable des degrés et des conditions dans l’Eglise. Et comme cela ne peut se
produire par des moyens naturels ni par des dons gratuits de l’ordre de la grâce
sanctifiante, il est nécessaire que cela se fasse par certains signes, imprimés
gratuitement et de manière indélébile, sur une substance incorruptible, à savoir
l’âme incorruptible, à partir d’un principe incorruptible et en harmonie avec
l’incorruptibilité. Ces signes, on les appelle caractères. Comme ils ne sont
jamais effacés, ils ne peu vent ainsi être réitérés, pas plus que les sacrements
qui les impriment.
4. Finalement, il y a une triple
situation de foi qui permet de poser des distinctions dans le peuple chrétien,
c’est-à-dire dans l’armée de la hiérarchie ecclésiastique, à savoir la situation
de la foi engendrée, de la foi raffermie et de la foi multipliée. Selon la
première situation, on distingue les fidèles des incrédules; par la deuxième, on
distingue les forts des faibles et par la troisième, les clercs des laïcs. De là
vient que ces sacrements, qui regardent la triple situation dont on vient de
parler, impriment des caractères qui, imprimés de façon indélébile permettent à
ces sacrements de toujours distinguer. De ce fait, ils ne peuvent jamais être
réitérés. Le baptême concerne la situation de foi engendrée dans laquelle le
peuple de Dieu se distingue des incrédules comme les Israélites se distinguaient
des Egyptiens; la confirmation a rapport à la situation de foi raffermie, par où
le peuple fort se distingue des faibles, comme les lutteurs se distinguent de
ceux qui ne sont pas aptes au combat; l’ordre regarde la situation de foi
multipliée, par quoi les clercs se distinguent des laïcs, comme les lévites se
distinguaient des autres tribus. C’est la raison pour laquelle des caractères ne
sont imprimés que dans ces trois sacrements.
5. Du fait que la distinction entre «
peuple » et « non-peuple » est première et radicale, vient que le caractère
baptismal est le fondement de tous les autres. En conséquence, si ce caractère
n’est pas d’abord posé en fondement rien ne pourra être édifié au-dessus. Il
faut alors recommencer. Si au contraire il existe, les autres peuvent être
imprimés et ne doivent jamais plus être réitérés. De plus, les trois sacrements
qui impriment ces caractères ne doivent pas être réitérés pour n’importe quelle
raison. Une peine grave doit être imposée à ceux qui de fait se le permettent, à
cause de l’outrage envers le divin sacrement. Pour les quatre autres, avec des
raisons diverses, ils peuvent être renouvelés sans qu’il y ait cet
outrage.
1. Il nous reste maintenant, en septième
lieu, à considérer l’intégrité de chaque sacrement. Puisqu’il y en a sept, on
doit parler d’abord de l’intégrité du baptême qui est la porte des autres
sacrements.
Enoncé
2. Pour qu’une personne soit baptisée
vraiment et en plénitude, l’expression de la forme vocale insti tuée par le
Seigneur est requise, à savoir « Je te baptise au nom du Père et du Fils et du
Saint Esprit, Amen ». On ne doit pas omettre de paroles, ni en intercaler, ni
invertir l’ordre des mots donnés plus haut, ni changer les noms sus-indiqués.
Est requise aussi l’immersion ou l’ablution de l’eau sur tout le corps ou au
moins sur une partie plus digne et, d’une manière telle, que l’expression (des
paroles) et l’immersion se fassent par un seul et même sujet et en même temps.
Ceci étant, s’il n’y a pas fiction dans le baptisé, lui est conférée la grâce
qui régénère, qui rectifie et qui purifie de toute faute. Pour obtenir de
meilleurs effets, on fait au préalable, comme actes préparatoires, le catéchisme
et l’exorcisme, tant auprès des enfants que des adultes. A remarquer toutefois
que chez les adultes la foi personnelle est requise tandis que pour les enfants
la foi d’autrui suffit.
Explication
3. Notre principe réparateur, le Verbe
Incarné, en tant que principe très parfait et parfaitement suffisant, doit
restaurer le genre humain par les remèdes des sacrements, de telle sorte qu’il
n’y ait en eux rien de superflu, de désordonné, rien même de diminué; ainsi, il
a dû faire en sorte que le sacrement de baptême et les autres fussent intègres,
selon que l’exigeaient sa puissance, notre salut et aussi notre maladie. Mais
puisque la puissance qui nous restaure appartient à la Trinité tout entière en
laquelle la sainte Mère Eglise croit de coeur, qu’elle confesse en parole et
qu’elle proclame en signes, en distinguant les trois personnes et en affirmant
leur propriété, leur ordre et leur origine naturelle; comme aussi cette
puissance est encore celle de la passion du Christ qui est mort, a été enseveli
et est ressuscité le troisième jour, il fallait alors, pour exprimer cela dans
le sacrement qui est le premier de tous et dans lequel, d’abord et
principalement, cette puissance opère, que la Trinité fût exprimée par une
dénomination distincte, propre et ordonnée, en ce qui regarde la forme commune.
A remarquer cependant qu’au temps de l’Eglise primitive cette expression a pu se
faire au nom du Christ en qui la Trinité est incluse. Il fallait aussi qu’on
mentionne, de façon propre et ordonnée, le mot baptiser, en même temps que se
fait la triple immersion, dans la mesure où cela convient, immersion qui exprime
la mort du Christ, sa sépulture et sa résurrection après trois jours. Et parce
que ces deux puissances opèrent ensemble et dans le seul Christ Sauveur, chacune
de ces deux choses (l’expression de la formule et l’immersion) doit se faire par
un seul et même sujet, simultanément, pour conserver l’unité du sacrement et
pour signifier l’unité dans notre Médiateur.
4. En plus, notre salut exigeait de
commencer par la régénération ou rénovation dans l’être de grâce qui confère
l’être spirituel, en lavant ce qui est impur, en chassant les ténèbres et en
refroidissant la concupiscence qui, de façon universelle, souille tout homme qui
descend d’Adam par génération. Pour ces raisons, le premier sacrement, celui qui
régénère, a dû être constitué par un élément qui fût, de par ce qu’il représente
naturellement, en conformité avec le triple effet susdit de la grâce qui
commence notre salut. Car l’eau, par sa pureté, nettoie; par sa transparence
elle est porteuse de lumière, par sa froideur elle refroidit. Il faut ajouter
que parmi tous les liquides elle est l’élément le plus commun. Pour ces raisons,
le sacrement de notre régénération a dû être réalisé par de l’eau, quelle
qu’elle soit — car n’importe quelle eau est toujours de la même espèce — et
aussi pour que personne ne puisse risquer son salut à cause d’un défaut de
matière.
5. Enfin, notre maladie, contre laquelle
principalement existe le baptême, est le péché originel. Il prive l’âme de la
vie de la grâce et de la rectitude qui habilite à toutes les vertus; il
l’incline d’une certaine façon à tout genre de faute. Ce péché se transmet par
une source extérieure et « rend l’enfant capable de concupiscence et l’adulte
concupiscent de fait. »; il réduit aussi à la servitude diabolique et au pouvoir
du prince des ténèbres. En conséquence, pour que soit apporté par ce sacrement,
sous forme d’action contraire, un remède suffisant, il convenait qu’en lui
soient données la grâce de régénération à l’encontre de la privation de la vie
gratuite, la grâce qui rectifie sous forme des sept vertus à l’en contre de la
privation de la vertu habilitante, la grâce qui purifie de toute faute à
l’encontre de la tendance à tout désordre vicieux.
6. Comme le péché originel se contracte
par une source extérieure et rend l’enfant apte à la concupiscence et l’adulte
concupiscent de fait, une foi et une pénitence personnelles sont nécessaires à
l’adulte. Pour l’enfant au contraire suffisent la foi et la pénitence des
autres, à savoir celle qui se trouve dans l’ensemble de l’Eglise. Et puisque le
baptême doit arracher de la servitude diabolique et de la puissance du prince
des ténèbres aussi bien les enfants que les adultes, il s’ensuit que les uns et
les autres doivent être exorcisés pour chasser la puissance contraire. Ils
doivent de même être catéchisés: les adultes, pour qu’une fois expulsée
l’obscurité de l’erreur, ils soient formés à la foi; les enfants pour que les
parrains sachent ce qu’ils doivent leur enseigner, afin qu’une déficience
humaine ne vienne pas empêcher le sacrement de baptême d’atteindre sa
fin.
Enoncé
1. Pour son intégrité, est requise la
forme vocale qui, selon l’usage le plus commun, est ceci: Je te signe du signe
de la croix, je te confirme du chrême du salut, au nom du Père et du Fils et du
Saint-Esprit. Amen. Est requis aussi le chrême, fait d’huile d’olives et de
baume. Lorsque, avec ce chrême, le signe de croix est imprimé au front par la
main de l’évêque, qui se sert de la formule de la confirmation, le sacrement est
reçu. Par lui, l’homme est confirmé comme combattant pour confesser le nom du
Christ avec audace et publiquement.
Explication
2. Notre principe réparateur, le Verbe
Incarné, a été conçu éternellement dans le coeur du Père et est apparu en chair
à l’homme, dans le temps et de façon sensible. Ainsi, il ne restaure personne à
moins que Lui-même ne soit conçu par une foi qui vient du coeur et, cru
désormais, à moins d’être professé comme il convient par une profession
extérieure. Est de ce genre, une profession véridique, pleine de vérité, qui
n’est pas seulement une vérité spéculative, mais aussi pratique. Cette dernière
est celle en qui il n’y a pas seulement « l’adéquation de l’intellect, de la
parole et de la chose », mais où tout l’homme est modelé sur la vérité selon la
connaissance de la raison, la complaisance de la volonté et l’adhésion
vertueuse, pour que cela se fasse par tout le coeur, par toute l’âme et par tout
l’esprit; que ce soit d’un coeur pur, avec une bonne conscience et une foi non
feinte. Une telle profession est intègre, capable de plaire et intrépide:
intègre, en raison de celui qui en est l’objet; agréable, en raison de celui
devant qui elle est faite; intrépide, en raison de celui qui doit la faire. Ce
but, un homme pusillanime n’est pas capable de l’atteindre, à moins d’être
confirmé par la grâce d’en-haut. C’est donc pour cela que le sacre ment de
confirmation fut institué par Dieu comme venant immédiatement après le
baptême.
3. Mais comme la fin rend nécessaire les
moyens qui y sont ordonnés ce sacrement sera intègre par l’exigence de la
profession mentionnée et par ses conditions, à savoir les trois dont on a parlé.
En premier lieu, parce que la profession doit être intègre et que cette
intégrité n’existe que si l’on confesse le Christ vrai homme, crucifié pour les
hommes et vrai Fils de Dieu incarné, en tout égal au Père et au Saint Esprit
dans la Trinité, il s’ensuit que la for me vocale n’exprime pas seulement l’acte
de confirmer, mais aussi le signe même de la croix et le nom de la bienheureuse
Trinité.
4. De plus, la profession doit être
capable de plaire en raison de celui devant qui elle est faite; elle doit l’être
devant Dieu et devant les hommes. Elle ne peut plaire à Dieu que s’il y a la
lumière de l’intelligence et la pureté de la conscience; elle ne peut plaire au
prochain que s’il y a l’odeur d’une bonne réputation et d’une vie honnête. C’est
pour quoi, pour désigner ces réalités dans l’élément extérieur, on fait un
mélange d’huile d’olives qui est pure et de baume qui est odoriférant. On veut
signifier pas là que la profession, à laquelle ce sacrement ordonne et dispose,
doit être accompagnée de la pureté de conscience et d’intelligence, jointe à
l’odeur suave tant de la vie que de la réputation, afin qu’il n’y ait aucune
opposition entre le langage et la conscience ou entre le langage et la
réputation. Cette opposition ferait qu’une telle profession ne serait pas
acceptée de l’homme ni approuvée par le Christ.
5. Enfin, une telle profession doit être
intrépide, de sorte que personne n’omette, par honte ou par crainte, de dire la
vérité, ni que personne n’ait peur ou honte, en temps de persécution, de
confesser publiquement la mort ignominieuse du Christ en croix. par ce fait
surtout qu’on serait effrayé à la pensée de tomber dans une peine et une
ignominie semblables à celles de la passion. Cette crainte et cette honte
apparaissent surtout sur la figure et particulièrement sur le front. En
conséquence, pour chasser toute honte et toute crainte, une main pleine
d’autorité est imposée et elle confirme; une croix est imprimée sur le front
pour qu’on n’ait pas honte de confesser la foi publiquement et qu’on n’ait pas
peur de soutenir n’importe quelle peine et ignominie, s’il en est besoin, pour
confesser le nom du Christ, comme un vrai combat tant oint pour le combat et
comme un soldat vaillant qui porte au front le signe de son roi et l’étendard
triomphal de sa croix, prêt avec lui à pénétrer avec assurance les formations
ennemies Car on ne peut prêcher librement la gloire de la croix si on en craint
la peine et l’ignominie, selon ce que disait S. André « Si j’étais effrayé par
l’ignominie de la croix, je n’en prêcherais pas la gloire. »
Enoncé
1. Dans ce sacrement, le vrai corps et le
vrai sang du Christ ne sont pas seulement signifiés, mais aussi contenus
vraiment sous les deux espèces, à savoir celles du pain et du vin, comme sous un
seul et non sous un double sacrement. Il en est ainsi après la consécration
sacerdotale qui se fait en prononçant la formule vocale instituée par le
Seigneur sur le pain ceci est mon corps; sur le vin ceci est le calice de mon
sang. Par ces paroles, prononcées par le prêtre avec l’intention de
confectionner le sacre ment, chaque élément est changé, selon la substance. au
corps et au sang de Jésus-Christ. Les espèces sensibles demeurent et dans
chacune d’elles est contenu tout le Christ, totalement, non de façon
circonscriptive, mais sacramentellement. Sous ces espèces, le Christ nous est
encore proposé en nourriture. Celui qui la reçoit dignement, par une manducation
non seulement sacramentelle, mais encore spirituelle, faite de foi et de
charité, est incorporé davantage au Corps Mystique du Christ, il se restaure et
se purifie. Au contraire, celui qui s’approche indignement, mange et boit sa
propre condamnation, agissant sans discernement à l’égard du très saint corps du
Christ.
Explication
2. Notre principe réparateur, le Verbe
Incarné, a une puissance surabondante et un jugement rempli de sagesse. Aussi,
nous a-t-il donné les sacrements selon que l’exigent sa sagesse et sa
surabondance. Parce que surabondant, en octroyant les remèdes aux maladies et
les dons de grâce, il ne s’est pas contenté d’instituer un sacrement qui nous
engendrerait dans l’être de grâce, à savoir le baptême, et un autre qui nous
ferait croître et nous fortifierait, une fois engendrés, comme la confirmation,
mais aussi un sacrement qui nous nourrirait après avoir été engendrés et avoir
grandi et c’est l’eucharistie. C’est pourquoi ces trois sacrements sont donnés à
tous ceux qui accèdent à la foi. Mais notre nourriture, en ce qui regarde l’être
de grâce, se propose, pour chacun des fidèles, de conserver la dévotion envers
Dieu, l’amour envers le prochain et la délectation au-dedans de soi. Or, la
dévotion envers Dieu s’exerce par l’offrande du sacrifice, l’amour du prochain
par la communion à un seul sacrement et la délectation au-dedans de soi même par
la réfection du viatique. Cela explique pour quoi notre principe réparateur a
donné ce sacrement de l’eucharistie comme un sacrifice d’oblation, un sacrement
de communion et un viatique de réfection.
3. Comme notre principe réparateur n’est
pas seulement surabondant, mais qu’il possède en outre la suprême sagesse, à qui
il revient de tout faire avec ordre, il a donc agi ainsi: il a décidé de nous
pro poser un sacrifice, un sacrement et un viatique, selon qu’il convient au
temps de la grâce révélée, à l’état de pèlerin et à notre capacité. Et d’abord,
parce que le temps de la grâce révélée exige qu’on n’offre point une oblation
quelconque, mais une oblation pure, agréable et plénière; et nulle autre n’est
telle sinon celle qui fut offerte sur la croix, à savoir le corps et le sang du
Christ, de là vient qu’il faut nécessairement qu’en ce sacrement soit contenu,
non pas seulement de façon figurative, mais aussi en vérité, le corps du Christ
en tant qu’oblation adaptée à ce temps. Semblablement, parce qu’il est conforme
au temps de grâce que le sacrement de la communion et de l’amour ne se contente
pas de les signifier, mais qu’il y enflamme pour qu’il « produise ce qu’il
signifie »
comme par
ailleurs ce qui nous enflamme le plus à l’amour mutuel et qui unit le plus les
membres, c’est l’unité du Chef à partir duquel s’écoule en nous l’amour mutuel,
par la force diffusive, unitive et transformante de l’amour, de là vient que ce
sacrement contient le vrai corps du Christ et sa chair immaculée, en tant qu’il
se diffuse en nous, qu’il nous unit les uns aux autres et nous transforme en lui
par l’ardente charité avec laquelle il s’est donné à nous, s’est offert pour
nous, s’est redonné à nous et demeure avec nous jusqu’à la fin du monde. De
cette manière aussi, la réfection qui convient à l’ère de la grâce est une
réfection spirituelle, commune et salutaire. Or, la réfection de l’esprit est le
Verbe de vie. De ce fait la réfection spirituelle d’un esprit vivant dans la
chair est le Verbe Incarné ou la chair du Verbe qui est une nourriture commune
et salutaire. En effet, même si elle est unique, tous cependant se sauvent par
elle. Puis donc qu’il n’y a pas d’autre aliment spirituel, commun et salutaire,
que le vrai corps du Christ lui-même, il y a nécessité pour ce corps d’être
contenu vraiment dans ce sacrement, comme l’exige la perfection du sacrifice
propitiatoire, du sacrement unitif et du viatique de réfection, conformément à
ce qui doit être au temps du Nouveau Testament, de la grâce révélée et de la
vérité du Christ.
4. En outre, il n’appartient pas à l’état
de pèlerin ici-bas de voir le Christ à découvert, en raison du voile de
l’énigme, et pour que la foi soit méritoire. Il ne convient pas non plus que la
chair du Christ soit touchée avec les dents, à cause de l’horreur que nous avons
de la chair crue ° et de l’immortalité de ce corps lui-même. C’est pourquoi il
était nécessaire que le corps et le sang du Christ soient livrés sous les voiles
de symboles très saints et de similitudes adaptées et expressives. Et comme
aucune nourriture et aucun breuvage ne sont plus aptes à la réfection que le
pain et le vin, rien n’est plus capable non plus de signifier l’unité du corps
du Christ, réel et mystique, que le pain, fait de grains sans tache, et le vin,
exprimé des grains de raisins très purs réunis ensemble. Il fallait donc que ce
fût sous ces espèces plutôt que sous d’autres que le sacrement fût présenté. Et
comme le Christ devait se trouver sous ces espèces, non selon un changement qui
l’affectât lui-même, mais plutôt les espèces, c’est pourquoi, au moment où sont
proférées les deux formules rapportées plus haut, qui insinuent la présence du
Christ sous ces espèces, s’opère la conversion de chaque substance au corps et
au sang, que demeurant que les seuls accidents comme signes qui contiennent le
corps lui-même et aussi qui l’expriment.
5. Parce que le corps bienheureux et
glorieux du Christ ne peut être divisé en ses parties, ni séparé de l’âme, non
plus que de la souveraine Divinité, c’est pourquoi, sous chacune des espèces, se
trouve le seul Christ, tout entier et indivisé, c’est-à-dire le corps, l’âme et
Dieu. Et par là aussi, il n’y a sous les deux espèces qu’un seul et très simple
sacrement qui con tient tout le Christ. Et parce que chaque partie d’une espèce
signifie le corps du Christ, il s’ensuit qu’il est tout entier aussi bien dans
toute l’espèce que dans chacune de ses parties, qu’elle soit entière ou divisée.
Ainsi, il n’est pas là en tant que circonscrit, comme occupant un lieu, ayant
une position, étant perceptible par quelque sens corporel et humain, mais se
dérobant à toute perception pour permettre à la foi d’exister et d’être
méritoire. Pour qu’en plus ce corps ne soit pas saisi, les accidents continuent
de se comporter comme auparavant, bien qu’ils soient sans sujet aussi longtemps
qu’ils demeurent dans leurs propriétés naturelles et qu’ils sont aptes à
nourrir.
6. Enfin, puisque notre capacité de
recevoir efficacement le Christ ne vient pas de la chair mais de l’âme, non du
ventre mais de l’esprit; comme aussi l’esprit n’atteint le Christ que par la
connaissance et l’amour, par la foi et la charité, en sorte que la foi illumine
en vue de la réflexion et que la charité enflamme à la dévotion, ainsi faut-il
que celui, qui veut s’approcher dignement du corps du Christ, le mange
spirituellement, pour ainsi le mâcher par la réflexion de foi et se l’assimiler
par la ferveur de l’amour. Par là, il ne transforme pas le Christ en soi, mais
c’est lui-même plutôt qui est comme projeté dans son Corps Mystique. Il en
ressort manifestement que celui qui s’approche avec tiédeur, sans dévotion et
avec légèreté, mange et boit sa propre condamnation, car il outrage un si grand
sacrement. Il est donc conseillé à ceux qui ne se sentent pas assez purs d’âme
et de corps, ou même sans dévotion, de différer la réception, jusqu’à ce que,
préparés à manger le véritable agneau sans tache, ils s’en approchent avec
dévotion et respect.
7. C’est pourquoi aussi il est prescrit
que ce sacrement soit célébré avec une particulière solennité, quant au lieu, de
même qu’au temps, quant aux paroles et aux prières, quant aux vêtements dans la
célébration de la messe, de sorte que tant les prêtres eux-mêmes qui célèbrent
que ceux qui reçoivent ce sacrement, recueillent le don de la grâce qui les
purifie, les illumine, les perfectionne, les restaure, les vivifie et les
transforme, de la façon la plus ardente, au Christ lui-même, par un amour
excessif.
Enoncé
1. Ce sacrement est « la seconde planche
de salut après le naufrage ». Peut y recourir celui qui fait naufrage par le
péché mortel, tant qu’il est dans cette vie, tant et autant de fois qu’il voudra
implorer la clémence divine. Ses parties intégrantes sont la contrition du
coeur, la confession orale et la satisfaction par les oeuvres. A partir de là,
la pénitence est complète lorsque le pécheur abandonne de fait toute faute
mortelle commise, l’accuse verbalement, la déteste de coeur et se propose de ne
jamais plus pécher. Lorsque ces éléments se rencontrent de la manière qui
convient avec l’absolution, qui est don née par celui qui possède l’ordre, le
pouvoir et la juridiction, l’homme est absous du péché, réuni à l’Eglise et
réconcilié avec le Christ moyennant le pouvoir sacerdotal. De ce jugement, ne
relève pas seulement l’absolution, mais encore l’excommunication et la remise
des peines, ce qui revient en propre à l’évêque, en tant qu’il est l’époux de
l’Eglise.
Explication
2. Notre principe réparateur, le Verbe
Incarné, par le fait même qu’il est Verbe, est la source de la vérité et de la
sagesse; par le fait qu’il est Incarné, il est la source de la bonté et de
l’indulgence. C’est pourquoi il doit restaurer le genre humain par les remèdes
sacramentels et surtout contre la maladie principale, qui est le péché mortel,
comme il convient à un pontife rempli de pitié à un médecin expérimenté et à un
juge équitable, pour qu’apparaissent ainsi dans notre guérison la clémence, la
prudence et la justice souveraines du Verbe Incarné.
3. En premier lieu, notre guérison du
péché mortel par la pénitence, doit manifester la souveraine clémence du Christ
lui-même, pontife plein de pitié; par ailleurs, la souveraine clémence du
Pontife sur passe tous les péchés de l’homme, de quelque sorte et aussi nombreux
qu’ils soient et autant de fois qu’ils aient été commis. Il suit de là qu’il
revient au Pontife très clément lui-même de recevoir les pécheurs au pardon, non
une fois ou deux, mais autant de fois qu’ils imploreront d’une manière
suppliante la clémence de Dieu. Or, cette clémence est implorée vraiment et de
façon suppliante quand interviennent les gémissements de la pénitence. L’homme
peut s’y convertir aussi longtemps qu’il est dans cette vie car il a le pouvoir
de s’incliner vers le bien et vers le mal. On en conclut: quels que soient la
gravité, le moment et le nombre de ses fautes, le pécheur peut trouver refuge
dans le sacrement de pénitence qui lui remet ses péchés.
4. En outre, dans notre guérison, doit se
manifester la souveraine prudence du Christ lui-même, le médecin expert. La
prudence du médecin apparaît dans l’application des remèdes contraires qui
suppriment non seulement la maladie mais aussi la cause. Et comme le péché
contre Dieu vient de la délectation, du consentement et de l’accomplissement
c’est-à-dire du coeur, de la bouche et de l’action, le médecin souverainement
prudent a fixé les dispositions sui vantes: contre le désordre du pécheur, qui
se fait selon la triple puissance, à savoir l’affective, la dis cursive et
l’opérative, désordre qui s’actue par la complaisance occulte de la délectation,
il y aurait réforme du pénitent selon la triple puissance sus dite: la pénitence
douloureuse conçue dans le coeur par la componction, exprimée de bouche par la
confession et consommée dans les oeuvres par la satisfaction. Et parce que tous
les péchés mortels détournent du Dieu unique, s’opposent à la grâce unique et
pervertissent la seule principale rectitude de l’homme, il est nécessaire, pour
que le remède de la pénitence soit suffisamment complet dans ses parties, que la
pénitence porte sur tous les péchés, quant au passé par le déplaisir au sujet
des péchés commis, quant au présent en cessant de les commettre et quant au
futur par le propos de ne récidiver ni dans le même péché ni dans quelque
autre
C’est en
s’éloignant ainsi totalement de la faute par la pénitence qu’on recevra la grâce
divine et qu’on obtiendra par elle le pardon de tous les péchés.
5. Enfin, notre guérison doit manifester
l’équitable justice du Christ juge. Or, il ne lui revient pas en personne de
juger avant le jugement dernier et final. Pour cette raison, il a dû constituer
des juges pour les jugements particuliers qui précèdent la fin. Et puisque ces
juges sont comme des intermédiaires entre Dieu offensé et l’homme qui offense,
intermédiaires proches du Christ et chefs du peuple; comme aussi ceux-là surtout
sont proches du Seigneur et ses familiers en raison de leur charge, qui ont été
consacrés principalement pour son ministère, c’est-à-dire les prêtres, c’est
pourquoi est conférée, à tous ceux qui sont constitués dans l’ordre sacerdotal
et à eux seuls, le pouvoir des deux clefs, à savoir la clef de la science pour
discerner et la clef qui donne le pouvoir de lier et de délier pour porter un
jugement et accorder le bienfait de l’absolution.
6. Pour éviter la confusion, on ne place
pas n’importe qui à la tête de n’importe quel autre dans l’Eglise militante,
puisque la hiérarchie ecclésiastique elle-même doit être ordonnée selon le
pouvoir judiciaire; or, ce pouvoir de lier et de délier a d’abord été concédé au
seul premier et souverain prêtre, à qui a été conféré, en tant que chef suprême,
le pou voir universel. Ensuite, selon les Eglises particulières, le pouvoir se
divise en diverses parties, de telle manière qu’il descend du chef unique,
d’abord dans les évêques, puis dans les prêtres. C’est pourquoi même si chaque
prêtre possède l’ordre et le pouvoir des clefs, ce pouvoir cependant ne s’étend
qu’à ceux qui leur sont soumis de façon ordinaire, à moins qu’un pouvoir plus
étendu leur soit concédé par celui qui a la juridiction ordinaire. Mais comme
cette juridiction réside principalement dans le chef suprême, ensuite dans
l’évêque et enfin dans le prêtre qui a charge d’âme, elle peut être confiée à un
autre par n’importe lequel de ceux-ci, de façon certes suffisante par celui qui
est de degré inférieur, davantage par l’évêque et en plénitude par le chef
suprême.
7. Une telle juridiction réside dans le
souverain Pontife et même dans les évêques, non seulement pour juger entre Dieu
et l’homme au for interne, mais aussi au for externe entre homme et homme. Cela
leur revient comme à ceux à qui ont été confiés le gouvernement et la garde de
l’Eglise, comme l’épouse est confiée à l’époux. De là vient que les prélats ont
le glaive qui leur permet de frapper, en faveur de la défense du droit, par
l’excommunication et aussi le pouvoir de prodiguer les trésors des mérites de
l’Eglise, mérites qu’ils ont en dépôt et en garde et qui viennent tant de la
tête que des membres. Cela se fait en déliant. De sorte que, comme de vrais
juges chargés par Dieu, ils possèdent le pouvoir entier de lier et de délier par
lequel ils peuvent frapper les impénitents, réprimer les rebelles et toutefois
absoudre les vrais pénitents et les réconcilier avec Dieu et avec la sainte Mère
Eglise.
Enoncé
1. Elle est le sacrement de ceux qui
quittent cette vie. Elle prépare et dispose à la santé parfaite. Elle a aussi la
capacité de détruire les péchés véniels et de rendre la santé corporelle si cela
est utile au malade. A l’intégrité de ce sacrement sont requis: de l’huile pure
mais consacrée, l’expression vocale des prières, l’onction du malade sur sept
parties déterminées, à savoir sur les yeux, les oreilles, les narines, les
lèvres, les mains, les pieds et les reins. Ce sacre ment ne doit être donné
qu’aux adultes et à ceux qui le demandent, qu’en péril de mort. Il doit être
conféré par la main et le ministère du prêtre. On en déduit qu’entre ce
sacrement et la confirmation il y a sept différences: dans l’efficacité, la
matière, la forme, dans le su jet, dans celui qui administre le sacrement, dans
le lieu et le temps
Explication
2. Voici la raison explicative de ce qui
précède. Notre principe réparateur, le Verbe Incarné, nous res taure en tant que
médiateur entre Dieu et les hommes, l’homme Jésus-Christ; en tant que Jésus, il
a à sauver; en tant que Christ, oint, il doit faire dériver dans les autres la
grâce de l’onction. Il lui revient donc, dans ses sacrements, d’accorder
l’onction salutaire. Mais pour que l’âme soit parfaitement guérie elle a besoin
d’un triple genre de santé, c’est-à-dire pour la vigueur de l’action, la suavité
de la contemplation et la félicité de la saisie immédiate. La première est la
santé de ceux qui entrent dans l’armée de l’Eglise, la seconde appartient à ceux
qui y président, à qui il revient d’instruire les autres, le troisième enfin
appartient à ceux qui en sortent par la mort. De là vient que le Seigneur a
institué non seulement une onction sacramentelle dans la confirmation, mais une
autre qui tient le milieu, dans l’ordre pontifical et une dernière lorsqu’il y a
péril de mort.
3. Mais comme « la fin rend nécessaire ce
qui y est ordonné », il s’ensuit que ce sacrement doit opérer, être intègre,
être reçu et administré selon l’exigence de cette fin. Et d’abord, comme
l’opération de ce sacrement doit se régler sur la fin et que celle-ci consiste
pour lui en ce qu’il a été institué pour atteindre plus facilement et plus
promptement le salut du bonheur perpétuel; comme par ailleurs ce but est atteint
par la dévotion qui élève l’âme et par la décharge des fautes vénielles et
autres séquelles qui la poussent vers ce qui est en bas, il suit que ce
sacrement possède l’efficacité d’exciter à la dévotion, de remettre les péchés
véniels et de détruire plus facilement les scories du péché. De plus, il est
expédient pour plusieurs malades de vivre encore pour accumuler de nouveaux
mérites. De là vient que ce sacrement soulage même fréquemment de la maladie en
revigorant l’âme dans le bien et en la déchargeant du mal. C’est ce que dit le
bienheureux Jacques: la prière de la foi sauvera le malade et s’il a commis des
péchés, ils lui seront remis.
4. De plus, l’institution de ce sacrement
doit correspondre à l’exigence de la fin. Celle-ci est l’acquisition du salut en
esprit par la rémission des fautes. Le salut à son tour regarde la santé et la
pureté de la conscience intérieure, selon laquelle le juge céleste porte son
jugement. C’est la raison pour laquelle doit se trouver dans ce sacrement de
l’huile pure et consacrée, car elle désigne la sainteté et l’éclat qui résident
dans le sanctuaire de la conscience. Mais comme l’homme mortel n’a pas de
pouvoir sur ce salut, c’est pour cela que la prière et la formule vocale
s’expriment par des paroles déprécatives pour obtenir le don de la grâce. Et
parce que l’âme contracte des maladies spirituelles dans le corps, selon les
quatre puissances qui le régissent, à savoir le sensible, l’interprétative, la
générative et la progressive, c’est pour cela que les membres qui sont au
service de ces puissances reçoivent une onction. Or, il y a cinq sens, à savoir
les yeux pour la vue, les oreilles pour l’ouïe, les narines pour l’odorat, les
mains pour le toucher et la bouche pour le goût et aussi pour une autre
puissance, l’interprétative. De plus. les pieds servent pour la marche et les
reins pour la génération — il est indigne et honteux, en effet, de toucher et
même de nommer les parties génitales. Pour ces raisons, l’onction doit être
faite aux sept endroits indiqués pour qu’ainsi l’homme soit disposé par ce
sacrement à recevoir la plénitude de la santé par la destruction de toute faute
vénielle.
5. Enfin, la réception de ce sacrement
dépend de sa fin. Celle-ci consiste en un passage plus rapide au ciel par
l’enlèvement du fardeau des péchés véniels et la conversion de l’esprit à Dieu.
C’est pourquoi, elle ne doit être donnée qu’aux adultes, qui pèchent
véniellement et à ceux seulement qui la demandent et qui, par la dévotion, sont
tournés vers les choses d’en-haut. Elle ne doit encore être donnée qu’à ceux qui
sont en péril de mort et pour ainsi dire en pas sage vers un autre état. Et
comme ce sacrement est pour ceux qui sont en péril et que malgré cela il a une
matière sainte, l’huile consacrée, c’est pour cela que pour éviter un péril, il
doit être communément confié aux prêtres et, à cause de la consécration de
l’huile, il ne doit être touché que par des mains consacrées.
6. En conclusion, de la diversité de la
fin dans la confirmation et l’extrême-onction provient leur diversité dans
l’efficacité, dans la matière et la forme, dans le lieu et le temps, dans le
sujet et le ministre: dans l’efficacité, car le sacrement de confirmation
dispose à mieux lutter tandis que l’extrême-onction dispose à s’envoler plus
rapidement; dans la matière, car la confirmation use d’huile mêlée de baume
tandis que l’extrême-onction se sert d’huile pure; dans la forme, car pour la
confirmation elle est indicative, tandis que pour l’extrême-onction elle est
déprécative. Quant au lieu, la confirmation est administrée sur le front et
l’extrême-onction l’est en plusieurs endroits; pour le temps, la confirmation
est reçue quand on est en santé et l’extrême-onction quand on est malade; quant
au sujet, la confirmation est donnée non seule ment aux adultes mais encore aux
enfants, tandis que l’extrême-onction est réservée aux adultes; quant au
ministre, la confirmation est donnée par les évêques, tandis que
l’extrême-onction l’est par n’importe quel prêtre. Toute cette diversité
provient de la fin. En effet, comme la chose est apparue clairement, la
diversité dans les fins prochaines introduit la diversité dans les réalités qui
doivent finalement s’ordonner à ces fins.
Enoncé
1. « L’ordre est un signe par lequel un
pouvoir spirituel est accordé à l’ordonné » Bien que l’ordre soit un des sept
sacrements, il est toutefois constitué de sept degrés. Le premier est celui des
portiers, le second des lecteurs, le troisième des exorcistes, le quatrième des
acolytes, le cinquième des sous-diacres, le sixième des diacres et le septième
des prêtres. Sous ces degrés, comme par mode de préparation, se place la tonsure
cléricale et aussi le psalmistat. Au-dessus de ces degrés par mode de
complément, se placent l’épiscopat, le patriarcat et la papauté. De ces derniers
dépendent les autres ordres qui doivent être conférés par des signes déterminés,
tant sous le rap port de la vue que de l’ouïe, en observant toutefois la
solennité qui s’impose quant au temps, au lieu, à la charge et à la
personne.
Explication
2. Notre principe réparateur, le Verbe
Incarné, comme Dieu et comme homme. a institué les remèdes sacramentels pour le
salut des hommes, avec ordre,
distinction
et puissance selon l’exigence de sa bonté, de sa sagesse et de sa puissance. De
là vient qu’il a confié aux hommes des remèdes sacramentels, à dis penser non
pas n’importe comment, mais de la manière qu’exigent l’ordre, la distinction et
la puissance. Il a donc fallu distinguer et mettre à part, pour remplir ce genre
d’office, certaines personnes à qui serait confié, de droit ordinaire, un tel
pouvoir. Comme un tel choix ne pouvait se faire que par des signes sacrés, comme
sont les sacrements, il a donc fallu qu’il y ait un sacrement qui fût un signe
sacré, ordinatif, distinctif et potestatif, pour conférer les autres sacrements
d’une manière distinctive, potestative et ordinative. C’est pourquoi l’ordre se
définit:
« un certain
signe par lequel un pouvoir spirituel est conféré à l’ordonné ». De sorte que
dans sa défi nition sont renfermés en même temps les trois éléments énumérés
plus haut et qui groupent en somme ce qui est exigé par l’intégrité de
l’ordre.
3. D’abord, parce que l’ordre est un
signe qui distingue et qui sépare de tout le peuple, afin que le sujet soit
totalement consacré au culte divin, il suit qu’une certaine distinction précède
les ordres, par la tonsure et la couronne, qui signifient le retranchement des
appétits temporels et l’élévation de l’es prit vers les choses éternelles. On
veut montrer par là que le clerc tout entier est député au culte divin. C’est
pourquoi il dit en recevant la couronne: Le Seigneur est la part de mon
héritage, etc. Et comme il doit être instruit dans les louanges divines, qui
consistent surtout dans les psaumes, le psalmistat pré cède, comme un préambule,
les autres ordres. Isidore le met toutefois, en parlant dans un sens large, au
nombre des ordres
4. En second lieu, parce que l’ordre est
un signe ordinatif et ordonné également dans son être même; parce qu’aussi
l’ordre consiste en une disparité et une distinction complète des degrés, selon
que l’exige la grâce septiforme, à la dispensation de laquelle le sacrement de
l’ordre est principalement ordonné, de là vient qu’il y a sept ordres disposés
par degrés jus qu’au sacerdoce en qui se trouve leur perfection. Car il lui
revient de consacrer le sacrement du corps du Christ en qui réside la plénitude
de toutes les grâces. Les six autres ordres sont donc comme des sous-services du
sacerdoce et comme des degrés par lesquels on monte au trône de Salomon Ils sont
six à cause de la perfection du nombre, pour cette raison que « six » est le
premier nombre parfait et également parce que l’exigent ainsi la perfection de
cet office et ce qui est nécessaire pour le remplir. Car il doit y en avoir qui
servent comme de plus loin, d’autres, de façon plus rapprochée, d’autres enfin
de façon très voisine, afin que rien ne manque à un ministère ordonné. Et parce
que n’importe lequel de ces ministères se dédouble selon l’acte purgatif et
illuminatif, il s’ensuit qu’il y a six ordres ministériels, et un septième, de
tous le plus parfait, par lequel est réalisé le Sacrement de l’autel et qui
reçoit son achèvement dans un ordre unique, comme dans un terme ultime et
complet.
5. Enfin, l’ordre est un signe de
pouvoir, non seulement par rapport à l’administration des autres sacrements,
mais encore par rapport à lui-même. Or, un pouvoir qui s’exerce sur un autre est
un pouvoir excellent. Pour cette raison, il ne lui revient pas seulement un
pouvoir simple, comme c’est le cas pour un ordre simple, mais encore l’éminence
du pouvoir telle qu’elle se trouve dans ceux à qui revient la fonction
d’administrer les ordres de façon ordinaire. Or, l’excellence se dilate d’autant
plus qu’elle descend plus bas et elle s’unifie d’autant plus qu’elle s’élève
plus haut. De là vient qu’il y a plusieurs évêques, moins d’archevêques, très
peu de patriarches et un seul père des pères, qui a juste titre est appelé pape,
en tant qu’il est l’unique, le premier et le souverain père de tous les pères,
bien plus, de tous les fidèles. Il est aussi le hiérarque principal, l’époux
unique, chef sans partage, Pontife suprême, vicaire du Christ, source, origine,
et règle de tous les principats ecclésiastiques. De lui dérive comme du sommet,
jus qu’aux plus humbles membres de l’Eglise, le pou voir ordonné, comme l’exige
la dignité éminente de la hiérarchie ecclésiastique.
6. Comme cette dignité réside
principalement dans l’ordre, il ne faut conférer ce sacrement qu’avec grand
discernement et grande solennité, et donc, il ne faut pas que ce soit par
n’importe qui, à n’importe qui, n’importe où et à n’importe quel moment. Mais
ces ordres doivent être donnés à des personnes instruites, honnêtes et exemptes
de toute irrégularité. Ceux qui le reçoivent doivent être à jeun. Ce doit être
dans un lieu sacré, durant la messe et aux temps prescrits par le droit
ecclésiastique. Ils doivent être dispensés par les évêques, à qui reviennent de
conférer les ordres, de confirmer par l’imposition des mains, de consacrer les
moniales et les abbés et de faire la dédicace des églises. Car toutes ces
réalités, en raison de leur importance, ne peuvent être conférées que par ceux
qui possèdent la prééminence du pouvoir.
Enoncé
1. « Le mariage est l’union légitime de
l’homme et de la femme, dans un genre de vie inséparable » Cette union n’a pas
existé seulement après le péché, mais même avant. Le sacrement de mariage fut
d’abord institué comme une fonction; maintenant, il n’a pas seulement ce rôle,
mais il est aussi un remède à la maladie de la volupté. Au début, il signifiait
l’union de Dieu et de l’âme; maintenant, il signifie en plus l’union du Christ
et de l’Eglise et celle des deux natures dans l’unité de la personne. Cette
union se réalise par le libre consentement des volontés de la part des deux
personnes, consentement extérieurement exprimé par un signe sensible. Elle
reçoit son achèvement dans l’union charnelle. En effet, on dit que le mariage a
son point de départ dans la pro messe, qu’il est ratifié par les paroles de la
célébration, mais qu’il trouve son accomplissement final dans l’union charnelle.
Ce sacrement comporte trois biens: « la fidélité, l’enfant et le sacrement ». Il
y a en plus douze empêchements qui entravent sa réception et qui l’annulent une
fois contracté. Ils sont contenus dans les vers qui suivent:
Erreur,
condition, voeu, parenté, crime,
Disparité
de culte, violence, ordre sacré, lien, honnêteté;
Si tu es
parent par alliance, si par hasard tu es impuissant;
Tout cela
interdit le mariage et l’annule
S'il est
contracté.
Explication
2. Notre principe réparateur, le Verbe
Incarné, du fait qu’il est Verbe de Dieu, est source de sagesse dans les cieux;
du fait même qu’il est incarné, il est source de clémence sur terre. C’est
pourquoi, du fait même qu’il est Verbe incréé, il a formé le genre humain par
une suprême sagesse; par le fait même qu’il est incarné, il le réforme par une
souveraine clémence. Il répare donc le genre humain par clémence parce que
d’abord il l’a fait réparable par sagesse. Elle exigeait, en raison de son ordre
souverain, que le Verbe crée le genre humain capable de persévérer, capable de
tomber, capable aussi d’être relevé, comme on l’a montré précédemment Puis que
le Verbe de Dieu, dans sa sagesse, a fait l’homme capable de persévérer, de
tomber et de se relever, comme cela convenait, de là vient qu’il a réglé la
propagation du genre humain de telle sorte que la manière même de se propager
lui fournît ce qu’il fallait pour persévérer, pour se relever, comme aussi, dans
cette propagation, il y a quelque chose, à savoir la concupiscence qui vient du
péché, qui transmet la maladie. Or, la persévérance de l’homme lui venait de
l’union de son âme à Dieu par l’amour unitif, et cela de façon très chaste,
singulière et individuelle. Le remède, lui, venait de l’union de la nature
divine avec la nature humaine, dans l’unité, de l’hypostase et de la personne,
unité introduite par la grâce divine en tant que singulière et individuelle.
C’est pour cela que Dieu a décrété dès l’origine que la propagation se ferait
par l’union de l’homme et de la femme, union individuelle et singulière qui,
avant le péché, signifierait l’union de Dieu et de l’âme, ou de Dieu et de la
hiérarchie sub-céleste. Après le péché, par contre, elle signifierait l’union de
Dieu et de la nature humaine, ou du Christ et de l’Eglise. C’est pourquoi cette
union est un sacrement dans les deux cas, à savoir avant et après, bien que de
façon différente, quant à la signification et à l’usage. Comme le mariage était
déjà un sacrement avant que sur vienne la maladie, la concupiscence venant
ensuite par le péché est excusée par le mariage plutôt qu’elle ne le vicie. Car
ce n’est pas la maladie qui corrompt le médicament, mais c’est ce dernier qui
doit guérir la maladie De ce qui précède, apparaissent claire ment la nature du
mariage et le comment de son institution divine.
3. Ajoutons que chacune des unions
spirituelles susdites, signifiées dans le sacrement de mariage, est l’union de
deux êtres dont l’un agit et influe et l’autre est patient et reçoit. De plus,
cette union est pro duite par le lien de l’amour qui procède de la pure volonté.
De là vient que le mariage doit être l’union de deux personnes, différentes sous
l’aspect de l’action et de la passion, c’est-à-dire de sexe masculin et féminin,
et cette union s’opère par le seul consente ment. Et parce que la volonté
n’apparaît à l’extérieur que par des signes qui l’expriment, il faut que le
consentement mutuel s’exprime à l’extérieur Le consentement, en tant qu’il porte
sur l’avenir, n’est pas à proprement parler un consentement, mais la promesse de
consentir: comme par ailleurs le consentement porté avant l’union charnelle ne
produit pas l’union plénière, car il n’y a pas encore une seule chair, il suit
que les paroles portant sur l’avenir font que le mariage est commencé, celles
qui regardent le présent le confirment, mais c’est l’union charnelle qui lui
donne son achèvement. En effet, les époux ne font plus alors qu’une seule chair
et un seul corps. Par cette union, le mariage signifie pleinement celle qui
existe entre nous et le Christ, car alors, le corps de l’un est pleinement
communiqué au corps de l’autre, selon le pouvoir que chacun a sur son conjoint
en vue de la procréation.
4. C’est pourquoi, dans le mariage il y a
trois biens: le sacrement, à cause du lien indissoluble, la fidélité en raison
de l’acquittement du devoir conjugal et l’enfant comme une conséquence de deux
biens précédents.
5. Enfin, comme cette union matrimoniale
doit procéder du libre consentement en vue d’unir des personnes distantes dans
la loi unique du mariage et que cela peut être empêché de douze manières, il
s’ensuit qu’il y a douze empêchements de mariage. En voici la preuve. Pour qu’il
y ait consentement matrimonial, on requiert la liberté dans le consentement, la
liberté dans celui qui le donne et l’idonéité à l’union. Mais la liberté dans le
consentement est enlevée par deux choses, selon les deux parties de
l’involontaire: l’ignorance et la violence. De là viennent deux empêchements:
l’erreur et la violence. La liberté dans celui qui consent est supprimée par le
fait que quelqu’un est uni à un autre, Soit à Dieu, soit à l’homme. Si c’est à
Dieu, cela peut se faire par un voeu exprès ou par quelque chose qui comporte un
voeu. Le premier cas se réalise dans le voeu, le second dans l’ordre sacré. Si
c’est à l’homme, cela peut se faire de deux manières: ou par un lien existant ou
par un lien précédent. Le premier cas arrive quand quelqu’un est uni à une
femme; le second se rencontre dans un crime, quand un ou une adultère a commis
le meurtre du conjoint, ou bien, alors que celui-ci était encore vivant, a
promis de contracter mariage. On a donc ainsi quatre empêchements: le voeu,
l’ordre sacré, le lien et le crime. L’idonéité à l’union réside dans une
distance convenable entre les personnes. Elle est supprimée par une trop grande
proximité ou par un trop grand éloigne ment. La trop grande proximité vient de
la génération ou de quelque chose de semblable, comme la parenté légale ou
spirituelle. Elle vient encore de l’union des sexes ou par le fait d avoir
contracté des fiançailles. Ainsi, on arrive à trois empêchements: la parenté,
l’affinité et l’honnêteté de droit public. La trop grande distance est
considérée soit du point de vue naturel, comme lorsque l’union charnelle est
impossible, soit du point de vue du sort, alors qu’il s’agit de choses sur
lesquelles on ne peut rien, comme cela est clair dans le cas où l’un est esclave
et l’autre libre, soit encore du point de vue de la religion chrétienne, comme
lorsque l’un est baptisé et l’autre pas. On arrive ainsi à trois empêchements:
l’impuissance, l’erreur sur la condition et la disparité de culte. Il y a donc
au total douze empêchements qui, sous l’inspiration du Saint Esprit, ont été
introduits dans l’Eglise. Bien que tous les sacrements lui aient été confiés,
elle a reçu commission spéciale de réglementer le sacrement de mariage, à cause
des nombreux cas divers qui peuvent se présenter à son sujet et aussi à cause de
la maladie qui l’accompagne, maladie suprêmement infectieuse et qui ne connaît
pas de mesure. C’est pourquoi, il revient à l’Eglise elle-même de limiter les
degrés de parenté, comme il lui semble expédient selon les temps de juger de la
légitimité ou de l’illégitimité des personnes et d’effectuer les séparations.
Mais elle ne doit ni ne peut jamais annuler un mariage contracté légitimement,
car l’homme, quelque grande que soit sa puissance, ne peut séparer ceux que Dieu
a unis, car tous demeurent soumis au jugement de Dieu lui-même.
1. Après avoir brièvement parlé de la
Trinité de Dieu, de la création du monde, de la corruption du péché, de
l’incarnation du Verbe, et de la médecine Sacramentelle, il reste maintenant en
septième et dernier lieu à traiter de l’état du jugement final.
Enoncé.
Il est sûr
que le Jugement universel aura lieu; Dieu le Père y jugera les vivants et les
morts, les bons et les méchants, par Jésus-Christ Notre Seigneur, et il rendra à
chacun selon l’exigence de ses mérites.
Dans ce
jugement aura lieu l’ouverture des livres le livre des consciences s’ouvrira, et
les mérites comme les démérites de tous seront connus de tous et de chacun, par
la puissance du livre de vie, le Verbe incarné.
Car sous sa
forme divine, le Verbe incarné apparaîtra aux seuls bons; mais sous sa forme
humaine, il promulguera la sentence, et il apparaîtra aux bons comme aux
méchants, « apparence terrifiante pour les méchants, aimable pour les justes
»
2. Explication
Le premier
Principe, parce que le premier est par soi, selon soi, pour soi; ainsi, il est
efficience, forme et fin, il produit, il gouverne et il achève l’univers. Il
produit selon la sublimité de sa puissance, il gouverne selon la rectitude de la
vérité, il consomme l’univers selon la plénitude de sa bonté.
La sublimité
de la puissance exigeait la production de la création comme vestige, mais aussi
comme image; créature sans raison et créature raisonnable; créature soumise au
mouvement de l’élan naturel, et créature douée de volonté libre.
Or la
créature à l’image de Dieu, parce que capable de Dieu, est capable de béatitude;
la créature raison nable est capable d’une discipline, la créature douée de
volonté libre peut s’ordonner ou se désordonner par rapport à la loi de
justice.
Dès lors, la
rectitude de la vérité devait imposer à l’homme une loi qui l’invite à la
béatitude, l’instruise de la vérité, l’oblige à la justice, sans pour autant
contraindre la libre volonté, qui peut, à son gré, suivre ou abandonner la
justice; Dieu en effet « gouverne les choses qu’il a créées en les laissant agir
selon leurs mouvements propres »
Comme
néanmoins la plénitude de la bonté réa lise la consommation de l’univers selon
les exigences de la souveraine puissance et de la droite vérité, la bonté
suprême accorde la consommation de la béatitude à ceux qui ont observé la
justice imposée par la rectitude de la vérité, à ceux qui ont accepté la
discipline, à ceux enfin qui ont préféré aux biens transitoires le bonheur
suprême et sans fin.
Puisque
certains agissent ainsi et que d’autres font le contraire, au gré variable des
volontés, qui, dans l’état de voie, demeurent secrètes et libres de leur choix,
le jugement universel est nécessaire pour manifester la sublimité de la
puissance, la rectitude de la vérité, la plénitude de la bonté.
Alors aura
lieu la juste rétribution des récompenses, la déclaration ouverte des mérites et
l’irrévocable promulgation des sentences. Dans la juste rétribution des
récompenses se manifestera la plénitude de la bonté, dans la déclaration des
mérites apparaîtra la rectitude de la vérité et l’irrévocable promulgation des
sentences montrera la sublimité de la vertu et de la puissance
souveraine.
La juste
rétribution tout d’abord concerne la faute et sa dette pénale, la justice et son
prix de gloire. Or tous les fils d’Adam possèdent l’une et l’autre, la faute ou
la justice. Il est donc nécessaire que tous soient jugés d’un jugement de
rétribution qui glorifie les justes et condamne les impies.
3. La déclaration ouverte des mérites
ensuite exige l’apparition simultanée de ce qu’il fallait faire et de ce qui a
été fait ou omis, selon les circonstances variées, par la libre volonté
humaine.
L’ouverture
du livre des consciences sera l’apparition des mérites, l’ouverture du livre de
vie sera la manifestation de la justice, norme d’approbation ou de désaveu des
mérites.
Or dans le
livre de vie, tous (les mérites) sont écrits simultanément et clairement et dans
les consciences ils (les mérites) sont écrits réellement. Ainsi la confrontation
des deux livres ouverts publiera la déclaration de tous les mérites, et
dévoilera à soi-même et aux autres les secrets des coeurs. Comme le veut
Augustin; ce livre est « la force qui merveilleusement rappellera toutes choses
à la mémoire de chacun », pour la claire manifestation de l’équité des jugements
divins dans l’éclatante lumière de la vérité.
4. Enfin la sentence irrévocable doit
être promulguée par quelqu’un que l’on puisse voir et entendre et dont
l’autorité soit sans appel.
Mais tout le
monde ne pourra voir la lumière souveraine, elle échappera aux regards
ténébreux; sans la déiformité de l’esprit et la fruition du coeur la vision face
à face est impossible. Le juge devra donc apparaître sous le visage de la
créature.
Comme d’autre
part une simple créature ne possède pas une autorité suprême et sans appel,
notre juge devra être Dieu pour trancher par autorité suprême, et homme pour
contester visiblement avec les pécheurs.
L’unique voix
de l’arbitre suprême terrifiera les coupables et rassurera les innocents; ainsi
son seul visage suffira à réjouir les justes et atterrer les impies.
2. Enoncé
1. Dans la perspective de l’état final,
il faut distinguer spécialement ce qui précède, ce qui accompagne et ce qui suit
le jugement. La peine du purgatoire et les suffrages de l’Eglise sont comme deux
préambules au jugement
Le feu du
purgatoire est un feu corporel qui afflige l’esprit des justes, dans la mesure
où ils n’ont pas, en cette vie, accompli la pénitence et la satisfaction
proportionnée à leur culpabilité, dans la mesure où ils ont contracté (des
scories) à consumer.
Le tourment
du purgatoire est moins grave qu’en enfer mais plus lourd qu’en ce monde;
toutefois, les âmes du purgatoire gardent toujours l’espérance et elles savent
qu’elles ne sont pas en enfer; et pourtant en raison de l’intensité de leur
peine, il leur arrive peut-être de ne pas y penser.
Ce feu
corporel infligé aux esprits les purifie des dettes, des souillures et des
séquelles du péché; et lorsque leur purification est suffisante, ils prennent
immédiatement leur essor et sont introduits dans la gloire du paradis
3. Explication
Le principe
premier, parce que premier, est infini ment bon et parfait, et c’est pourquoi il
aime infiniment le bien et déteste souverainement le mal; or la bonté infinie ne
tolère pas que le bien demeure sans récompense, elle ne doit pas tolérer
davantage que le mal demeure impuni.
Lorsqu’il
arrive à des hommes justes de décéder sans avoir totalement accompli leur
pénitence en cette vie, sous peine de troubler l’harmonie de l’ordre universel,
leur mérite de la vie éternelle ne peut rester sans récompense et le vice de
leur faute ne peut rester dans l’impunité; il est donc nécessaire qu’ils soient
finalement récompensés, nécessaire également qu’ils soient temporairement punis
à la mesure de leur dette et de leur culpabilité.
Toute faute
commise offense la divine majesté, fait tort à l’Eglise, et déforme l’image
divine, inscrite en notre esprit; ce (triple désordre) affecte surtout la faute
mortelle, mais le péché véniel y dispose.
Or toute
offense requiert châtiment, le dommage exige satisfaction et la difformité
appelle la purification. La peine requise sera donc punition juste, satisfaction
équitable et purification suffisante.
4. Tout d’abord cette peine devra punir
juste ment. Dès lors, l’esprit qui dédaigne le bien éternel et suprême pour se
soumettre à un bien infime devra se voir soumis à des réalités inférieures; il
recevra ainsi la peine des êtres qui occasionnèrent la faute; à cause d’eux, en
effet, il a dédaigné Dieu et il s’est avili lui-même.
Par
conséquent, l’ordre de la justice exige que l’esprit soit puni par un feu
matériel. Puisque l’ordre de la nature unit l’âme au corps pour lui influer la
vie, l’ordre de justice unira l’âme au feu matériel; digne de châtiment, l’âme
recevra la punition du feu.
Cependant
l’homme juste, en état de grâce, mérite seulement une peine transitoire. Sa
peine sera proportionnée à la gravité de son péché et à la légèreté de sa
pénitence passée. C’est pourquoi la peine temporaire du feu matériel sera plus
ou moins longue, plus ou moins vive en fonction de la dette exigée par
l’offense. « Il est nécessaire, affirme l’admirable docteur Augustin, que la
douleur consume autant que l’amour adhérait » Plus l’amour mondain avait
d’adhérence dans l’intime des fibres du coeur, plus la purification est
difficile.
5. La peine, en outre, devra être
satisfactoire. La satisfaction implique la liberté du vouloir et l’état de voie,
or le purgatoire n’est pas un état de mérite et sa peine est très peu
volontaire. Le manque de liberté dans la volonté qui souffre sera donc suppléé
par l’acuité de la souffrance.
Toutefois
ceux qui sont purifiés possèdent la grâce et ils ne peuvent plus la perdre,
c’est pourquoi ils ne peuvent ni ne veulent être totalement absorbés par la
tristesse, ils ne peuvent sombrer dans le désespoir ou se révolter dans le
blasphème. Leur châtiment certes est lourd, mais il est tout autre que le
tourment de l’enfer et plus léger; car ils savent indubitablement que leur état
diffère de l’enfer où les damnés sont torturés sans rémission.
6. Cette peine enfin doit être purifiante
et cette purification est spirituelle. Partant, ou bien le feu possède une vertu
spirituelle qui lui est divinement donnée, ou bien, comme j’incline à le croire,
la vertu même de la grâce intérieurement présente est aidée par la peine
extérieure, et ainsi l’âme déjà punie pour ses offenses, exonérée de ses dettes,
subit une purification suffisante, il ne reste plus en elle aucune difformité
pour faire obstacle à la gloire.
Dès l’instant
où l'esprit en sa fine pointe est disposé à recevoir l’influence déiforme de la
gloire, lorsque sa purification est consommée et que la porte est ouverte, il
prend son essor, le feu de la charité le soulève, plus rien ne l’appesantit, ni
l’impureté de l’âme, ni la dette du péché. Il ne con vient pas à la miséricorde
ou à la justice divine de différer le don de la gloire lorsqu’elle trouve une
demeure appropriée. Le retard de la récompense serait en effet une grande peine,
et un esprit déjà purifié ne doit pas être puni davantage.
1. Enoncé
Les suffrages
de l’Eglise sont utiles aux morts, et j’entends par suffrages ce que l’Eglise
fait en faveur des morts: sacrifices, jeûnes, aumônes, ainsi que les prières et
les peines volontairement assumées pour accélérer et faciliter l’expiation de
leurs fautes.
Les suffrages
aident les morts, non pas tous, mais ceux qui sont au purgatoire, « les
moyennement bons ». Les suffrages sont inutiles pour les « très mauvais », ceux
qui sont en enfer; inutiles également pour les « très bons », ceux qui sont au
ciel. Bien plus, les bienheureux aident l’Eglise militante de leurs mérites et
de leurs prières, et ils obtiennent de nombreux bienfaits à ses
membres.
L’efficacité
des suffrages dépend plus ou moins des mérites personnels des défunts d’une part
et de la charité des vivants, d’autre part, dont la sollicitude s’applique plus
à certains défunts qu’à d’autres. Cette efficacité porte sur l’adoucissement des
peines ou pour accélérer la libération, selon qu’en dispose la providence
divine, au mieux des âmes.
2. Explication
Le principe
premier, parce qu’infiniment bon, doit être d’une extrême rigueur à l’encontre
du mal, il doit être aussi d’une extrême douceur à l'égard du bien. Si les
justes, en raison d’une rigoureuse justice, souffrent au purgatoire pour la
dette de leurs péchés, il est normal qu’ils soient soulagés, aidés et
réconfortés, en raison de la bonté miséricordieuse, car ils sont installés dans
la misère, et ils ne peu vent en sortir ni par leurs oeuvres, ni par leurs
mérites.
L’application
des suffrages par ceux qui en ont le pouvoir est conforme à l’économie
providentielle. Toutefois, les droits de la justice demeurent et la douceur de
la miséricorde ne peut s’y opposer ou s’en séparer.
Or la
rectitude de la justice doit maintenir l’honneur divin, le gouvernement de
l’univers et la qualité humaine du mérite. C’est pourquoi la souveraine
providence a disposé que les suffrages sont valables au bénéfice des âmes du
purgatoire, selon l’harmonie de la miséricorde et de la justice, c’est-à-dire de
manière à sauvegarder la dignité de l’honneur divin, l’ordre de l’univers et la
qualité humaine du mérite.
3. L’application des suffrages doit
respecter la justice qui vise par-dessus tout le maintien de l’honneur divin.
Or, l’honneur de Dieu exige, pour le moins, que la dette des fautes soit
acquittée par des oeuvres satisfactoires et pénales. Les oeuvres où la
compensation satisfait à l’honneur de Dieu prendront, au plus haut point, valeur
de suffrages. Le jeûne, la prière, l’aumône constituent trois oeuvres de
satisfaction particulièrement valables, mais le sacrifice de l’autel l’emporte;
c’est surtout à la messe qu’est rendu à Dieu l’honneur qui lui est dû: nul en
effet n’est plus agréable à Dieu que celui qui est offert en
sacrifice.
Ainsi les
oeuvres satisfactoires constituent les suffrages de l’Eglise, mais le meilleur
suffrage est dans la célébration de la messe. D’ailleurs, saint Grégoire, au
livre IV des Dialogues insinue que certains défunts ont été rapidement
délivrés de grandes peines par l’application de messes.
La pompe des
obsèques, le raffinement des funérailles, et les choses de ce genre n’entrent
pas dans la catégorie des suffrages. C’est pourquoi saint Augustin écrit dans
son livre De cura pro mortuis agenda: « Le raffinement des funérailles,
la richesse de la sépulture et la pompe des obsèques sont beaucoup plus une
consolation pour les survivants qu’un secours pour les morts. »
4. La justice sauvegarde l’ordre et le
gouvernement de l’univers; par conséquent, dans la communication des influences,
l’ordre et la convenance doivent être respectés, dans l’émanation des influences
entre les êtres, il doit y avoir un ordre de relations entre l’origine et le
terme de réception. L’inférieur ne peut influer sur le supérieur ou sur un être
éloigné à tous égards par la disproportion. Les suffrages de l’Eglise ne peuvent
donc avoir d’efficacité pour ceux qui sont en enfer, puisqu’ils sont totalement
séparés du corps mystique du Christ. Aucune influence spirituelle n’atteint les
damnés ou ne leur est utile, pas plus que l'influence de la tête n’atteint des
membres amputés.
Les suffrages
de l’Eglise n’ont pas d’utilité pour les bienheureux, puisqu’ils vivent dans un
état absolument supérieur, et que parvenus au terme, ils ne peuvent monter plus
haut. Bien au contraire, les bienheureux nous sont utiles par leurs prières — ce
qu’ils ont d’ailleurs mérité dans leur chair — il est donc conforme à l’ordre
divin que nos prières soient offertes aux saints pour que ceux-ci à leur tour
intercèdent en notre faveur et nous obtiennent les bienfaits de Dieu.
Les suffrages
finalement servent aux seuls justes qui sont au purgatoire. Soumis à la peine et
incapables de s’aider, ils sont inférieurs aux vivants, mais en raison de leur
justice ils sont conjoints aux autres membres de l’Eglise, c’est donc à juste
titre, en raison de l’ordre et de la convenance, que les mérites de l’Eglise
peuvent les secourir.
5. La justice enfin doit être observée
pour peser l’exigence des mérites les suffrages qui s’adressent aux défunts en
général sont utiles pour tous et chacun des bons selon sa mesure, ils sont
cependant plus efficaces pour ceux qui ont mérité davantage cette utilité et
cette efficacité, lorsqu’ils étaient en état de voie.
Les suffrages
appliqués spécialement pour certains défunts correspondent à une intention
droite et qui vient de Dieu, ils correspondent aussi à une institution
ecclésiastique qui assurément n’est pas vaine. Ces suffrages ont donc plus de
valeur pour ceux qui sont spécialement désignés, et pourtant, les autres y
communient d’une certaine manière. Toutefois, bien qu’ils soient spirituels, les
suffrages n’aident pas les autres autant que la personne principalement désignée
En effet, pour une plus grande faute la justice divine exige une plus forte
amende, et pour plusieurs fautes plusieurs amendes. L’exemple de la lumière qui
éclaire également les convives d’une même table ne convient pas ici. Il faut
assimiler les suffrages aux rançons des captifs plutôt qu’à la diffusion et à
l’influx lumineux.
Quelle est
maintenant, d’une manière déterminée, l’efficacité des suffrages pour chacun en
particulier ? Celui-là seul le sait définitivement, qui seul apprécie le poids,
le nombre et la mesure dans les dettes, les fautes et les
intercessions.
1. Ajoutons ensuite ce qui accompagne le
juge ment: la conflagration des feux et la résurrection des corps.
Le feu qui
brûlera la face de la terre précèdera l’apparition du juge: ainsi la figure de
ce monde périra sous la conflagration des feux, comme au déluge sous l’action de
l’eau.
Dire que la
figure de ce monde passera ne signifie pas une destruction totale de l’univers
sensible. Sous l’action du feu, les végétaux et les animaux seront consumés, les
éléments seront purifiés et rénovés, surtout l’air et la terre, les justes
seront purifiés et les réprouvés brûlés.
Alors, le
mouvement du ciel s’arrêtera, et dans les éléments du monde corporel se
réalisera une rénovation et une quasi glorification, lorsque le nombre des élus
sera au complet.
2. Enoncé
.
Le principe
de l’ordre universel est infiniment sage. En toutes ses actions il observe
l’ordre de la sagesse, mais il doit par-dessus tout respecter cet ordre dans le
domaine de la consommation finale. Il n’y aura pas discordance entre le
commencement et le milieu, entre le milieu et la fin. Dans l’univers tout entier
harmonieusement ordonné, apparaîtra la sagesse ordinatrice, la bonté et la
grandeur du principe premier.
Conformément
à l’ordre de la sagesse, Dieu a créé le monde sensible, le macrocosme en vue du
microcosme, c’est-à-dire l’homme situé au milieu entre le monde inférieur et
Dieu. Toutes les parties de l’univers doivent s’harmoniser, et l’habitation doit
s’accorder à l’habitant: à l’homme créé bon correspondait un monde bon et en
repos; lorsque l’homme chute, le monde se détériore; la perturbation pro fonde
de l’homme retentit dans le monde; leur purification, leur rénovation
correspondent; et lorsque l’homme enfin est consommé, l’univers doit rentrer
dans le repos.
4. La perturbation de l’univers doit
répondre à celle de l’homme, comme la stabilité et l’effondre ment
correspondaient à l’état d’innocence de l’homme et à sa chute. Or, le jugement
futur manifestera la sévérité du juge; tous les coeurs seront terrifiés mais
cette terreur touchera surtout les pécheurs qui ont méprisé le Seigneur de
l'univers. Ainsi toute la création subira l’ardeur jalouse de Dieu, elle se
conformera à son auteur mais aussi à celui qui l’habite, dans un horrible
ébranlement des pôles terrestres.
3. Explication
Pour
provoquer cette commotion des éléments, rien n’est plus intense, plus rapide et
plus terrifiant que le feu jaillissant de toutes parts. Le feu précèdera donc la
face du juge; il ne jaillira pas d’un seul endroit mais de partout à la fois; il
y aura un rassemblement général du feu élémentaire et terrestre, du feu du
purgatoire et du feu de l’enfer. Le feu infernal brûlera les réprouvés, le feu
du purgatoire purifiera les justes, le feu terrestre consumera les végétaux et
les animaux, le feu élémentaire affinera les éléments et les disposera à leur
transfiguration.
Dans le même
temps, toutes les autres créatures seront bouleversées, les hommes et les
démons; les anges eux-mêmes seront terrifiés du spectacle.
5. En outre, comme l’homme a besoin
d’être purifié, le monde en a besoin aussi. Dans la situation de la fin des
temps, l’homme aura besoin d’être purifié des scories, de l’avarice et de la
méchanceté, comme dans les premiers temps, il avait fallu le purifier de la boue
de la luxure. Or, cette purification finale devra être rapide, intime et
parfaite.
Le monde au
commencement fut détruit et comme purifié de l'ardeur et la fange de la luxure
par la fraîcheur de l’eau; à la fin des temps, le refroidisse ment de la
charité, le froid de la malice et de l’avarice envahiront le monde vieilli; il
faudra donc le détruire et le purifier par le feu. A raison de la profondeur
extrême des adhérences, l’action purifiante devra être intime, violente et
rapide. Seul parmi les éléments, le feu comporte ces qualités d’action. La face
du monde consumée par le feu correspondra ainsi à l’inondation du
déluge.
6. La rénovation du monde doit ensuite
correspondre à la rénovation de l’homme; mais le renouvellement sous une forme
nouvelle ne va pas sans la perte de la forme ancienne et sans une nouvelle
prédisposition; or, le feu possède le pouvoir d’expulser la forme étrangère, il
possède un pouvoir de subtilité apparenté à la nature céleste. Il opère donc du
même coup la purification et la rénovation, double efficacité, relative à la
venue du juge qu’elle précède et qu’elle suit.
La
transformation établira une nouveauté sans vieillissement ultérieur; ce
renouvellement n’est donc pas au pouvoir de la créature; aussi bien, dans la
purification et la rénovation le feu agira selon sa nature pour enflammer,
purifier, dilater, évaporer, mais un pouvoir qui dépasse la nature accompagnera
l’action du feu, pour déclencher la conflagration et compléter ses effets.
7. La consommation enfin du monde
correspondra à celle de l’homme. L’homme sera consommé lorsque le nombre des
élus dans la gloire sera au complet; toutes choses tendent à cet état comme à la
fin ultime et à la plénitude. Lorsque le nombre des élus sera au complet, le
mouvement de la nature céleste s’arrêtera et entrera dans le repos, les
changements des éléments prendront fin, la génération dans les animaux et les
plantes cessera. Tous ces êtres sont ordonnés à la plus noble des formes qui est
l’âme raisonnable; la stabilité des âmes entraîne la stabilité et l’achèvement
dans les autres êtres.
On parle de
récompense à propos des corps célestes, parce qu’ils possèdent la plénitude de
la lumière et le repos. Les éléments qui n’ont plus le pouvoir de se multiplier
par échanges mutuels sont dits morts, mais cette mort dans l’activité et la
passivité, affecte surtout les qualités actives sans toucher à la substance. Les
végétaux et les êtres doués de sensibilité n’ont pas une puissance de vie
perpétuelle et de durée sempiternelle. Or, la durée perpétuelle caractérise
l’état de noblesse finale, végétaux et animaux seront donc consumés dans leur
nature propre, ils seront pourtant préservés dans leurs principes et, pour ainsi
dire, dans leur semblable, l’homme, qui possède une ressemblance avec toute
créature p conséquent, on peut avancer que dans la rénovation et la
glorification de l’homme toute la création sera rénovée et glorifiée.
A la
résurrection générale les corps de tous les hommes ressusciteront; entre eux, la
résurrection ne marquera aucune différence dans l’ordre du temps, mais elle en
comportera beaucoup dans l’ordre de dignité.
1. Enoncé
Les méchants
ressusciteront avec les difformités et les pénalités, les misères et les défauts
qu’ils ont amassés dans l’état de voie.
Chez les
bons, « la nature sera conservée et le vice enlevé », et tous ressusciteront
dans l’intégrité du corps, dans la maturité de l’âge, et l’équilibre harmonieux
des membres; ainsi tous les saints arriveront à l'homme parfait, à la mesure de
la pleine maturité du Christ.
Bons ou
mauvais, les corps ressusciteront selon l’identité numérique qui les constituait
auparavant et ils seront composés des mêmes parties. La réalité de leur nature
sera conservée, non seulement dans les principaux membres et l’humeur radicale,
mais encore dans les cheveux et les autres membres qui concourent à la beauté du
corps. « Dispersée aux quatre vents et aux quatre coins du monde, la poussière
du corps humain fera retour à l’âme qui, antérieurement, l’avait animée, lui
avait donné vie et croissance »
2. Explication
Le principe
premier, parce que premier et suprême, est absolument universel et suffisant. Il
est donc le principe de la nature, de la grâce et de la rétribution ou encore
principe infiniment puissant, clément et juste. Pour parler selon une certaine
appropriation, la constitution des natures se rattache à la toute-puissance, le
don de la grâce à la clémence et à la rétribution à la justice souveraine.
Toutefois, la puissance, la clémence et la justice ne peuvent absolument pas se
séparer entre elles, chacune est dans chacune des autres. C’est pourquoi
l’oeuvre de la rétribution doit nécessairement se conformer aux exigences de la
droite justice, de la grâce qui réforme et de la nature à compléter.
Or la justice
exige que l’homme soit puni ou récompensé dans son âme et dans son corps, car il
n’a pas mérité ou démérité dans son âme seule ou dans son corps seul, mais à la
fois dans son âme et dans son corps.
La grâce de
restauration exige que le corps tout entier soit assimilé à sa tête le Christ;
le cadavre du Christ restait inséparablement uni à sa Divinité, il devait donc
nécessairement ressusciter.
L’achèvement
de la nature exige que l'homme soit composé, à la fois d’une âme et d’un corps,
comme d’une matière et d’une forme, doués d’un mutuel désir et d’une mutuelle
inclination.
Ainsi la
constitution de la nature, l’infusion de la grâce et la rétribution de la
justice qui ordonnent l’univers entier, exigent la résurrection future des
corps.
Sous ces
trois aspects, le monde entier proclame que l’homme ressuscitera, ceux qui se
rendent sourds à cette vérité de foi sont sans excuse, et c’est à juste titre
que l’univers entier se soulèvera contre eux.
3. La résurrection est exigée selon
l’ordre de la justice divine. Or, la justice divine rend à chacun ce qui lui
revient de son séjour temporel; et toute âme une fois unie à un corps, ne
serait-ce qu’un instant, est, dans ce corps en état de faute ou en état de
grâce; il est donc nécessaire que tous ressuscitent.
Cependant
l’état de rétribution est distinct de l’état de voie et la résurrection
appartient à l’état de rétribution. Il ne doit pas y avoir de confusion dans
l’ordre de l’univers, car la foi doit garder le mérite de croire à ce qu’elle ne
voit pas; d’autre part, l’équité de la justice divine doit apparaître avec la
plus grande certitude et la plus grande clarté et enfin, la consommation et la
rétribution finale doit se faire simultanément pour les anges et pour les
hommes; pour toutes ces raisons de justice, tous ressusciteront en même temps,
pour ce qui est de la loi commune. Ce que je précise à cause du Christ et de sa
bienheureuse Mère, la glorieuse Vierge Marie.
Toutefois,
les méchants méritent la peine et la misère, les bons méritent la gloire; et,
bien qu’ils ressuscitent en même temps, leur condition sera très dissemblable.
Comme les méchants ne ressusciteront pas pour la vie mais pour le supplice, ils
ressusciteront avec leurs infirmités, leurs difformités et leurs défauts.
4. La résurrection, en outre, doit avoir
lieu selon les exigences de la consommation de la grâce. La grâce parfaite nous
rend conforme à notre chef, le Christ; en lui ne se trouvait nul défaut
corporel, mais l’âge accompli, la stature requise, et la beauté du visage. Il
convient donc que les bons ressuscitent dans les meilleures conditions,
c’est-à-dire que leurs défauts soient supprimés et leur nature
préservée.
Un membre
manquant sera remplacé; une excroissance sera ôtée; les déviations seront
corrigées l’enfant, par la vertu divine, parviendra à l’âge du Christ ressuscité
(il ne s’agit pas pourtant d’une égalité de poids); le vieillard décrépit
reviendra au même âge du Christ; le géant ou le nain auront une taille
harmonieuse. Ainsi tous arriveront intègres et parfaits à l’homme accompli, à
l’âge de la plénitude du Christ.
5. Enfin la résurrection doit se réaliser
conformément aux exigences de la perfection de la nature. Un esprit raisonnable
exige par nature de vivifier son propre corps, car « l’acte propre doit
s’accomplir dans sa matière propre » Sans l’identité numérique du corps, il n’y
aurait donc pas de vraie résurrection.
L’âme
raisonnable est immortelle et, comme elle est douée d’un être perpétuel, elle
exige, par nature, de posséder un corps pour lui influer perpétuelle ment la
vie. Du fait qu’un corps est uni à une âme, de par l’union même, il est ordonné
à l’incorruption perpétuelle. Il s’agit d’une ordination nécessaire pour ce qui
constitue la substance du corps tout entier, comme les principaux membres,
l’humeur radicale et la chair spécifique. L’ordination est seulement de
convenance pour la chair du point de vue matériel, et pour les parties
accidentelles du corps.
Les premières
parties sont donc ordonnées à la résurrection selon un ordre nécessaire et
toutes les autres selon un ordre de convenance.
C’est Dieu
qui a imprimé cet ordre au sein de la nature et la nature est incapable de le
réaliser, car la nature ne peut ressusciter un mort, et pourtant la providence
divine n’a rien opéré en vain; il est donc nécessaire que le corps soit restauré
dans son identité numérique, immortel et constitué de toutes ses parties, de
manière à sauvegarder toute entière la vérité de la nature.
Mais tout
cela n’est pas dans le pouvoir de la nature, c’est seulement dans son désir. La
nature ne peut pas restaurer dans son identité numérique un corps détruit, car
elle n’a pas pouvoir sur la substance totale de l’être; elle ne peut davantage
rendre un corps immortel, car tout ce qui est soumis à la génération est soumis
par nature à la corruption, la nature ne peut enfin rassembler ce qui es
dispersé.
La
résurrection ne dépend ni des raisons séminales, ni des causes naturelles, elle
dépend donc nécessaire ment de la cause première; elle se réalisera donc dans un
déroulement admirable et surnaturel selon l’ordre de la divine
volonté.
1. A la suite du jugement, nous
traiterons de la peine de l’enfer et de la gloire du ciel
2. Enoncé
La peine de
l’enfer est subie dans un lieu corporel et inférieur où tous les réprouvés,
hommes et démons, seront éternellement torturés.
Le même feu
corporel tourmentera et brûlera les esprits et les corps — cependant ce feu qui
sans cesse affligera les corps ne les consumera jamais — et l’intensité de la
peine sera en proportion des démérites de chacun.
A la peine du
feu s’ajoutera le tourment de toute la sensibilité, la peine du ver et la
privation de la vision divine; il y aura donc diversité dans ces peines, et
diversité dans l’acuité, et perpétuité dans l’acuité, ainsi la fumée des
tourments s’élèvera dans les siècles des siècles pour le supplice des
réprouvés.
3. Explication
Le principe
premier, parce que premier est suprême, et tout ce qu’il possède, il le possède
à un degré infini; il est donc infiniment juste. Il agira donc dans la
rétribution conformément à son infinie rectitude car il ne peut ni agir contre
soi, ni se renier, ni contester sa justice. Conformément à sa droiture, il
punira le péché selon la grandeur de la faute et il punira surtout ceux qui ont
méprisé la loi de miséricorde et sont tombés par leur impénitence sous le coup
de la plus stricte justice.
Or, dans sa
rigueur, la justice apprécie non seule ment la faute en sa racine mais encore
dans les circonstances aggravantes; c’est pourquoi il est normal que le juste
exige des impies jusqu’au dernier centime de leurs dettes: « la laideur du péché
ne se tolère pas sans la beauté de la justice. »
La puissance
se manifeste dans la création, la sagesse dans le gouvernement, la clémence dans
restauration de l’univers, de même la justice se manifeste dans le châtiment du
péché. La justice divine punira donc l’impiété du pécheur selon les exigences de
la culpabilité. Or l'impénitence finale succède à la faute mortelle, qui
constitue un désordre perpétuel, voluptueux et divers; à ce désordre
correspondra une pénalité éternelle, douloureuse et multi forme.
4. A un désordre perpétuel correspondra
une peine qui durera toujours. Le péché commis perdure dans l’âme s’il n’est
jamais regretté; il sépare l’âme de Dieu, c’est-à-dire de la vie éternelle, et
il procède de la volonté qui voudrait jouir toujours de son péché. Sans doute ce
plaisir transitoire est momentané, mais le désordre lui-même contient une raison
de durée perpétuelle. Pour répondre au désordre, la peine doit priver l’homme de
sa fin. Puisque l’homme n’a pas mis fin à sa permanente volonté de désordre en
se retirant du péché, il est normal que Dieu, en sa volonté éternelle, ne cesse
pas de la punir. Il a péché contre l’infini, il obtient une peine infinie. Il ne
s’agit pas certes d’une peine infinie en intensité, mais d’une durée sans fin.
Après la mort, l’âme adhère toujours au mal et sans repentir possible, et de
même, Dieu châtie sans commutation de sentence, car la permanence du désordre
dans les damnés le requiert.
5. Le désordre de la jouissance exige une
peine afflictive. Tout plaisir est puni par le déplaisir contraire. Dans le
péché, l’esprit se tourne vers un bien privé, momentané et partiel, pour en
jouir égoïstement, et par là, il méprise le pouvoir et la seigneurie de Dieu.
Pour châtier parfaitement ce plaisir vicieux, où la jouissance est liée au
mépris, il est normal que le pécheur, homme ou ange, soit précipité dans un lieu
inférieur, loin de l’état de gloire, c’est-à-dire au plus profond de
l’enfer.
Il est normal
aussi qu’il soit soumis à l’action afflictive de la nature inférieure. Ce n’est
pas une substance spirituelle qui le fera souffrir, mais bel et bien une
substance corporelle et inférieure, la du monde corporel. Il croupira dans la
fange brûlera dans le soufre et le feu.
Par nature,
l’esprit est préposé au corps, et il lui communique l’influx vital et le
mouvement; or, la faute pervertit la dignité de la nature spirituelle et la
soumet en quelque sorte à la bassesse et au néant du péché. Il rentre dans
l’ordre de justice que le pécheur, homme ou pur esprit, soit lié au feu
corporel, non certes pour lui communiquer l’influx vital mais au contraire pour
en subir le châtiment décrété par Dieu. La torture du pécheur sera atroce car
indissolublement lié au feu, il en éprouvera toute l’horreur d’une répulsion
naturelle et sensible, et d’une appréhension que Dieu intimera.
L’action de
ce feu est proportionnée aux dispositions du péché, de la dette et de la
souillure qui résulte du plaisir désordonné. Or ce désordre n’est pas égal pour
tous; les uns brûlent plus, les autres moins, comme brûlent différemment le bois
et la paille au contact du même feu
L’action du
feu se règle sur le degré de culpabilité d’un pécheur à un autre, mais la
culpabilité ne varie pas chez un même sujet, elle n’est plus soumise à la
croissance, à la diminution ou au changement. C’est pourquoi, par ordre et
disposition divine, le feu brûle toujours sans jamais consumer, il afflige sans
détruire, car il n’agit pas de manière à s’étendre, mais de manière à troubler
la paix de l’âme en son corps et de l’esprit en lui-même. Il ne s’agit pas d’une
nouvelle perte, mais de la continuité dans la perte de la paix. Dès lors, dans
la même peine, la rigueur ne supprime pas l’éternité et l’éternité ne supprime
pas la rigueur.
6. La diversité du désordre entraîne
enfin la diversité de la peine. Tout péché mortel actuel est constitué par une
aversion déréglée vis-à-vis de la lumière et la bonté infinies, et par une
conversion déréglée vers le bien transitoire, et enfin par un désordre de la
volonté contraire aux impératifs de la conscience En raison de ce triple
désordre, ceux qui commettent un péché actuel et qui tomberont sous le coup de
la réprobation, seront soumis à une triple pénalité: privation de la vision à
cause de l’aversion, peine du feu à cause de la conversion, et peine du ver à
cause de la révolte de la volonté contre la raison. Frappés d’une peine
multiple, les damnés subiront une torture variée, aigu éternelle, et la fumée de
leurs tourments s’élèvera dans les siècles des siècles. Amen.
1. Enoncé
La gloire
céleste est constituée en elle-même d’une récompense substantielle,
consubstantielle et accidentelle.
La récompense
substantielle consiste dans la vision, la fruition et la possession de l’unique
bien suprême qui est Dieu. Les bienheureux le verront face à face, c’est-à-dire
à nu et sans voile.
Ils s’en
réjouiront avec ardeur et délectation.
Et enfin ils
le posséderont pour toujours.
Ainsi se
vérifiera la parole de saint Bernard « Dieu sera plénitude de lumière pour la
raison, abondance de paix pour la volonté et continuelle éternité pour la
mémoire. »
La récompense
consubstantielle consiste dans la gloire corporelle (dite « seconde étoile »).
Lime tend plus parfaitement vers « le ciel suprême », lorsqu’elle a reçu la
glorification de son corps qui se définit par les quatre dots: clarté,
subtilité, agilité, impassibilité. Les degrés dans les dots varieront avec les
degrés dans la charité.
La récompense
accidentelle ou auréole, consiste dans un certain surcroît de beauté spéciale.
L’opinion des docteurs la confère à trois espèces d’oeuvres: le martyre, la
prédication et la continence virginale.
Il faut noter
que la hiérarchie et la distinction dans les trois aspects de la gloire sera
conforme aux exigences des mérites.
2. Explication
Le principe
premier, parce que premier, possède l’infini d’unité, de vérité et de bonté et
du même coup la puissance, la sagesse, la clémence et la justice suprêmes. Il
est normal que Dieu manifeste dans ses oeuvres ses perfections invisibles. Comme
principe de l’univers sensible, Dieu le produit, le gouverne, le restaure, le
récompense et le consomme; mais il fait éclater sa puissance dans la production,
sa sagesse dans le gouvernement, sa clémence dans la restauration et sa justice
dans la rétribution consommée.
Pour
manifester sa puissance et susciter la louange, la gloire et l’honneur, il a
créé toutes choses à partir de rien, il a fait la matière corporelle proche du
néant, et la substance spirituelle proche de lui-même et en même temps, il a
réuni dans l’unité de l’homme, dans l’unité de sa nature et de sa personne,
l’âme raisonnable et la matière corporelle. Pour manifester sa sagesse, il
gouverne toutes choses selon l’ordre extrême de ses prévisions. C’est lui-même
qui dirige l’homme en sa partie supérieure, à savoir l’esprit en l’illuminant;
il dirige aussi la partie inférieure de l’homme, c’est-à-dire le corps, par le
libre arbitre de la volonté; ainsi le corps et son domaine sont soumis aux
directives de l’esprit, l’esprit est soumis à la direction de Dieu. Pour
manifester sa clémence, il a restauré l’homme déchu en assumant la nature de
l’homme, en acceptant les condamnations, et enfin en subissant la peine. Ainsi,
la souveraine miséricorde rendait le miséricordieux semblable au misérable, non
seulement dans la dignité de sa nature créée, mais jusque dans les défauts de sa
nature déchue, afin de le relever de son état de misère.
Pour
manifester sa justice, il rend à chacun selon les exigences de ses mérites, aux
méchants la peine et aux justes la gloire éternelle. Ainsi l’exige la
rétribution équitable, la restauration gratuite, le gouvernement ordonné, et la
production puissante; car la consommation de tout cela est dans la fin.
3. La glorification des justes doit se
conformer aux exigences d’une juste rétribution et d’une production puissante.
Or dans sa puissance, Dieu a produit l’esprit raisonnable, proche de Dieu,
capable de Dieu, capable de la bienheureuse Trinité elle-même selon le dynamisme
inné de l'image. Dans les justes en effet, c’est à la Trinité que l’esprit tout
entier de l’homme s’est consacré selon l’intégrité de l’image.
Par
conséquent nul autre que Dieu ne peut récompenser, accomplir ou achever la
capacité de l’esprit raisonnable. Ainsi la récompense donnée sera la déiformité
de la gloire, qui rend l’esprit conforme à Dieu, de telle sorte qu’il le voit
clairement par sa raison, qu’il l’aime pleinement par sa volonté et qu’il le
retienne pour toujours dans sa mémoire. Alors l’âme toute entière vivra, toute
entière elle recevra la dot des trois puissances de l’esprit, elle sera toute
configurée à Dieu, elle lui sera toute unie, elle se reposera toute en lui,
trouvant en lui comme en tout bien la paix, la lumière et l’éternelle satiété
l’âme sera constituée « dans l’état parfait de tous les bien rassemblés » et,
vivant d’une vie éternelle, elle sera proclamée bienheureuse et même
glorieuse.
4. La récompense doit concorder avec les
exigences d’une juste rétribution d’une production puissante mais aussi d’un
gouvernement ordonné.
Dans sa
production. Dieu a lié le corps à l’âme et il les a unis l’un à l’autre par une
tendance mutuelle et naturelle. Il a soumis le corps à la direction de l’âme et
il l’a créé dans l’état de mérite. Pour s’exercer à mériter, l’esprit doit
condescendre et porter son attention à diriger le corps.
Or, en raison
de son désir naturel, l’âme ne sera pleinement bienheureuse qu’à l’instant où
son corps lui sera restitué, car elle possède une tendance naturelle et innée à
le reprendre.
D’autre part,
il est dans l’ordre de gouvernement que le corps restitué à l’esprit lui soit
soumis et conforme en tous points, autant du moins qu’un corps puisse se
conformer à un esprit.
Si l’esprit
est éclairé par la vision de la lumière éternelle, un très grand éclat de
lumière doit en rejaillir sur le corps.
Si l’âme est devenue extrêmement spirituelle par l’amour de l’Esprit souverain, le corps doit posséder une subtilité, une spiritualité correspondante.
Puisque la
possession de l’éternité rend l’esprit absolument impassible, il est normal que
l’impassibilité totale, interne et externe, appartienne au corps.
Puisqu’enfin
tout cela donne à l’esprit une extrême promptitude à tendre vers Dieu, la même
agilité doit se retrouver dans le corps glorieux.
Ces autres
propriétés accordent et soumettent le corps à l’esprit. On dit que le corps est
doté de ces quatre propriétés principales, car il devient par là capable de
suivre l’esprit et le loger dans la région céleste qui est le domaine des
bienheureux. Il est également assimilé aux corps célestes par les quatre
propriétés qui graduellement éloignent le corps céleste des quatre
éléments.
Ainsi la
quadruple dot des corps rend le corps parfait en lui-même, conforme à sa demeure
céleste et conforme à l’esprit béatifié. C’est en effet par la médiation de
l’esprit que la plénitude de la douceur et l’ivresse de la béatitude peut
rejaillir et, autant qu’il est possible, dériver depuis le sommet et la tête qui
est Dieu jusqu’à l’extrémité du vêtement, qui est le corps
5. Enfin la récompense doit correspondre
à une juste rétribution, une production puissante, un gouvernement ordonné et
aussi une restauration glorieuse.
Or, chez les
divers membres du Christ, le charismes de la grâce se diversifient selon les
dons intérieurs, mais aussi selon les activités extérieures, dans les habitus
internes et dans les états de vie externe, selon la perfection de la charité
dans l’esprit et selon la beauté et la splendeur de la perfection dans
l’activité corporelle.
Il est donc
normal que certains membres, en plus de l’étole de l’âme avec ses trois dots et
de l’étole du corps avec ses quatre dots, héritent d’une certaine excellence
d’honneur et de joie proportionnée à l’excellence de leur perfection et de leur
splendeur dans l’activité vertueuse.
Or, le triple
genre d’opérations qui l’emportent en perfection, en beauté et en spéciale
splendeur correspond au triple dynamisme de l’âme. Au dynamisme de la raison
correspond la prédication de la vérité qui achemine les autres au salut; au
dynamisme du désir correspond le refus parfait des désirs égoïstes par
l’intégrité perpétuelle de la continence virginale; au dynamisme de l’effort
correspond le support de la mort pour l’honneur du Christ. Ainsi les
prédicateurs, les vierges et les martyrs recevront l’auréole, cette excellence
de la récompense accidentelle. Car l’auréole affectera la beauté de l’âme mais
aussi celle du corps puisqu’elle n’est pas conférée à la volonté seule mais en
raison de l’activité extérieure qui s’approprie le mérite et la récompense de la
charité. La récompense de la charité consiste d’ailleurs dans la dot septiforme,
triple pour l’âme et quadruple pour le corps; toute la consommation y est
contenue, c’est-à-dire l’intégrité et la plénitude de tous les biens qui
concernent l’achèvement de la gloire.
6. Pour exposer la qualité et la grandeur
de ces biens, je laisserai la parole au bienheureux Anselme. Il dit, en effet,
en fin du Proslogion: « Eveille-toi maintenant, mon âme, élève toute ton
intelligence, et médite, dans la mesure du possible, la qualité et la grandeur
de ce bien. Si tous les biens pris un à un sont délectables, pense attentivement
combien doit être délectable ce bien qui contient l’agrément de tous les biens,
non pas tel que nous l’éprouvons dans les choses créées, mais aussi différent
que le Créateur diffère de la créature. Si la vie créée est bonne, combien plus
la vie créatrice. Si le salut opéré est agréable, combien plus le salut qui
opère tout salut. Si la sagesse dans la connaissance de l'univers est digne
d’amour, combien plus la sagesse qui a créé l’univers à partir du néant. Enfin
s’il y a de grandes et nombreuse jouissances dans les objets de plaisir, quelle
sera la magnificence de la jouissance en celui qui a créé les objets mêmes de
plaisir. »
7. « Celui qui jouira de ce bien » que
possédera-t-il et que lui manquera-t-il? Tout ce qu’il voudra, certes, il
l’aura, et il n’aura pas ce qu’il ne voudra pas. Car là se trouveront les biens
du corps et les biens de l’âme, tels que l’oeil n’en a jamais vu, l'oreille n’en
a jamais entendu, et que le coeur de l’homme n’en a jamais conçu. Pourquoi donc,
petit homme, t’égares-tu à travers la multiplicité pour chercher les biens de
ton âme et de ton corps? Aime un seul bien, en qui sont tous les biens et cela
suffit. Désire le bien simple, qui est tout bien et c’est assez. Qu’aimes-tu, ma
chair, que désires-tu, mon âme? Il y a là tout ce que vous aimez, tout ce que
vous désirez. Si la beauté vous plaît, les justes auront l’éclat du soleil.
Est-ce la vélocité, la force, la liberté d’un corps, à quoi rien ne fait
obstacle, ils ressembleront aux anges de Dieu, car on sème un corps animal, mais
il ressuscite un corps spirituel, par la puissance certes et non par la nature.
Est-ce une vie longue et saine, ils trouveront là une saine éternité, une
éternelle santé, car les justes vivront à jamais et le salut des justes vient du
Seigneur. Est-ce la satiété, ils seront rassasiés quand apparaîtra la gloire de
Dieu. Est-ce l’ivresse, l’abondance de la maison de Dieu les enivrera. Est-ce la
musique, là-bas les choeurs des anges chantent sans fin la louange de Dieu.
Est-ce non pas l’impure, mais la pure volupté, tu les abreuveras, Dieu, au
torrent de ta volupté. Aiment-ils la sagesse, la sagesse même de Dieu se
montrera à eux. Désirent-ils l’amitié, ils aimeront Dieu plus qu’eux-mêmes, ils
aimeront les autres comme eux-mêmes, et Dieu les aimera plus qu’ils ne
s’aimeront eux-mêmes, car ils aimeront Dieu et eux-mêmes et les autres par Dieu
même, et Dieu les aimera eux et les autres par lui-même. Cherchent-ils la
concorde, ils auront tous une seule volonté, car il n’y en aura pas d’autre que
la volonté de Dieu. Aspirent-ils à la puissance, leurs volontés seront
toutes-puissantes comme celle de Dieu. De même que Dieu, en effet, peut ce qu’il
veut par lui-même, par lui, ils pourront ce qu’ils voudront, car ils ne voudront
que ce que Dieu voudra et Dieu voudra tout ce qu’ils voudront. Aiment-ils
l’honneur et la richesse, Dieu établira ses serviteurs bons et fidèles sur de
grands biens; bien plus, on les appellera fils de Dieu et dieux, et ils le
seront et là où sera son Fils, ils seront eux-mêmes, héritiers de Dieu et
cohéritiers du Christ. S’ils aspirent à la véritable sécurité, ils possèderont
la certitude que jamais et en aucune façon ces biens ou plutôt ce bien ne leur
manquera, car ils seront sûrs de ne pas le perdre de leur propre gré, ils sont
sûrs que Dieu leur ami ne l'enlèvera pas à ses amis malgré eux, et ils sont
certains que rien de plus puissant que Dieu ne pourra, contre leur gré, les
séparer eux-mêmes et Dieu. »
8. « Quelle intensité de joie
résultera-t-il d’un bien d’une telle qualité et d’une telle grandeur? Coeur
humain, coeur indigent, coeur habitué aux malheurs, bien plus, submergé dans le
malheur, combien tu te réjouirais si tu possédais l’abondance de ces biens?
Demande à l’intime de toi-même si tu peux saisir la joie d’une telle béatitude
personnelle. Or bien sûr, si un autre, si quelqu’un que tu aimes à l’égal de
toi-même possède la même béatitude, ta propre joie sera doublée, car tu te
réjouirais autant pour lui que pour toi-même. Si maintenant, deux ou trois ou
beaucoup plus possédaient le même bonheur, tu te réjouirais autant pour chacun
d’eux que pour toi-même, puisque tu aimerais chacun d’eux comme toi-même. Ainsi
dans la parfaite charité de l’innombrable multitude des Anges et des hommes
bienheureux, où nul n’aime l’autre moins que soi-même, chacun se réjouira autant
pour chacun des autres que pour lui-même. Si le coeur de l’homme peut à peine
concevoir sa propre joie d’un si grand bien, comment concevra-t-il des joies si
nombreuses et si grandes? Et certes, dans la mesure où l’on aime quelqu’un, on
se réjouit de son bonheur; c’est pour quoi, dans cette parfaite félicité chacun,
sans comparaison, aimera plus Dieu que lui-même et tous les autres avec lui;
ainsi, au-delà de toute mesure, il se réjouira plus du bonheur de Dieu que de
son propre bonheur et de celui de tous les autres avec lui. Mais s’ils aiment
ainsi Dieu de tout leur coeur, de tout leur esprit, de toute leur âme, et que
néanmoins tout le coeur, tout l’esprit, toute l’âme ne suffise pas à égaler la
valeur de l'amour, il est sûr qu’ils se réjouiront de tout leur coeur, de tout
leur esprit, de toute leur âme, et que pourtant tout le coeur, tout l’esprit,
toute l’âme ne suffira pas à épuiser la plénitude de la joie. »
9. « Je n’ai donc pas encore exprimé ou conçu, Seigneur, à quel point tes Bienheureux se réjouiront. Bien sûr, ils se réjouiront autant qu’ils aimeront, ils aimeront autant qu’ils connaîtront. Mais encore à quel degré pourront-ils te connaître et t’aimer? En cette vie, certes, l’oeil n’a pas vu, l’oreille n’a pas entendu, et le coeur humain n’a jamais soupçonné à quel point ils te connaîtront et t’aimeront en l’autre vie. Je t’en supplie, mon Dieu, que je te connaisse, que je t’aime, pour que je me réjouisse en toi; et si ce n’est pas pleinement possible en cette vie que, du moins, je progresse chaque jour, jusqu’à l'instant où viendra cette plénitude; ici-bas que ta connaissance se développe en moi et que là-haut elle s’épanouisse; que ton amour ici-bas s’accroisse et que là-haut il arrive à la plénitude; que ma joie, ici-bas, soit grande en espérance et que là-haut elle soit plénière en réalité. Seigneur, par ton Fils tu nous commandes, ou plutôt à qui tu nous conseilles de demander et tu nous promets de recevoir, de telle sorte que notre joie soit totale. Dieu fidèle, je recevrai comme je te le demande, que ma joie soit parfaite. Je te demande, Seigneur, ce que tu nous conseilles par notre Conseiller admirable: et je recevrai; ce que tu nous promets par ta Vérité, c’est-à-dire que ma joie soit parfaite. En attendant, mon esprit méditera, ma langue parlera, mon coeur aimera ce bonheur, ma bouche l’exprimera, mon âme sera affamée, ma chair assoiffée, toute ma substance éprise de désirs, jusqu’au moment où j’entrerai dans la joie de mon Seigneur, le Dieu trine et un, qui est béni dans les siècles des siècles. »
Amen.
.
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