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Saint Bonaventure
Breviloquium
BREVILOQUIUM (BREF DISCOURS)

Résumé de la foi catholique

Par saint Bonaventure, de l'ordre des Frères mendiants, Docteur de l'Eglise

PROLOGUE.. 3

§ 1. La Largeur de la sainte Ecriture5

§ 2. La Longueur de la sainte Ecriture6

§ 3. La Hauteur de la sainte Ecriture7

§ 4. La Profondeur de la sainte Ecriture8

§ 5. Les modes de procéder de la sainte Ecriture.9

§ 6. Comment enseigner la sainte Ecriture.10

PARTIE I: LA TRINITE DE DIEU.. 11

Chapitre 1: Les sept parties de la théologie12

Chapitre 2: Ce qu’il faut admettre sur la trinité des personnes et l’unité de l’essence.13

Chapitre 3: L’intelligence sensée de cette foi.14

Chapitre 4: L’expression catholique de cette foi15

Chapitre 5: L’unité de la nature divine dans ses multiples apparitions17

Chapitre 6: L’unité de la nature divine dans ses multiples appropriations.19

Chapitre 7: La toute-puissance de Dieu20

Chapitre 1: La sagesse, la prédestination et la prescience de Dieu21

Chapitre 9: La volonté et la providence de Dieu24

PARTIE II: LE MONDE CRÉATURE DE DIEU.. 25

Chapitre 1: La production du monde comme un tout25

Chapitre 2: La nature corporelle dans sa genèse26

Chapitre 3: La nature corporelle dans son être28

Chapitre 4: La nature corporelle dans son agir et dans son influence29

Chapitre 5: La manière dont la sainte Ecriture décrit la création30

Chapitre 6: La création des esprits supérieurs32

Chapitre 7: L’apostasie des démons33

Chapitre 8: La confirmation des bons anges34

Chapitre 9: La création de l’homme dans son âme35

Chapitre 10: La création de l'homme dans le corps37

Chapitre 11: La création de l’homme corps et âme38

Chapitre 12: L’accomplissement et l’ordonnance du monde achevé40

PARTIE III: LA CORRUPTION DU PÉCHÉ.. 41

Chapitre 1: L’origine du mal en général41

Chapitre 2: La tentation de nos premiers parents42

Chapitre 3: La transgression de nos premiers parents43

Chapitre 4: La punition de nos premiers parents44

Chapitre 5: La corruption du péché originel45

Chapitre 6: La transmission du péché originel47

Chapitre 7: La guérison du péché originel48

Chapitre 8: L’origine des péchés actuels49

Chapitre 1: L’origine et la distinction des péchés capitaux51

Chapitre 10: L’origine et la qualité des péchés pénaux52

Chapitre 11: L’origine des péchés finals qui sont les péchés contre le Saint Esprit54

PARTIE IV: L'INCARNATION DU VERBE.. 55

Chapitre 12: La raison pour laquelle il fallait ou il convenait que le Verbe de Dieu s’incarne55

Chapitre 1: L’union des natures dans l’Incarnation57

Chapitre 3: Le mode de l’Incarnation58

Chapitre 4: La plénitude des temps de l’Incarnation60

Chapitre 5: La plénitude des charismes dans l’affectivité du Christ61

Chapitre 6: La plénitude de la sagesse dans l’intelligence du Christ62

Chapitre 7: La perfection du mérite dans l’agir du Christ64

Chapitre 8: La souffrance du Christ65

Chapitre 9: Comment le Christ a souffert67

Chapitre 10: Le fruit de la passion du Christ69

PARTIE V: LA GRACE DU SAINT ESPRIT.. 70

Chapitre 1: La grâce, don de Dieu70

Chapitre 2: La grâce aide pour le bien méritoire72

Chapitre 3: La grâce remède du péché74

Chapitre 4: La ramification de la grâce dans les habitus des vertus75

Chapitre 5: La ramification de la grâce dans les habitus des dons77

Chapitre 6: La ramification de la grâce dans les habitus des béatitudes et par voie de conséquence dans les habitus des fruits et des sens79

Chapitre 7: L’exercice de la grâce dans les vérités à croire81

Chapitre 8: L’exercice de la grâce dans les objets à aimermmm.. 82

Chapitre 9: La grâce, les préceptes et les conseils84

Chapitre 10: L’exercice de la grâce dans l’objet de notre prière85

PARTIE VI: LES REMÈDES SACRAMENTELS87

Chapitre 1: L’origine des sacrements87

Chapitre 2: La variation des sacrements89

Chapitre 3: Le nombre et la distinction des sacrements90

Chapitre 4: L’institution des sacrements92

Chapitre 5: L’administration des sacrements93

Chapitre 6: La réitération des sacrements95

Chapitre 7: La constitution et l’intégrité du baptême96

Chapitre 8: L’intégrité de la confirmation98

Chapitre 9: L’intégrité de l’eucharistie99

Chapitre 10: L’intégrité de la pénitence102

Chapitre 11: L’intégrité de l’extrême-onction103

Chapitre 12: L’intégrité de l’ordre105

Chapitre 12: L’intégrité du mariage.107

PARTIE VII: LE JUGEMENT DERNIER.. 109

Chapitre 1: L’état du jugement final109

Chapitre 2: Le Purgatoire111

Chapitre 3: Les suffrages de Eglise112

Chapitre 4: La conflagration des feux114

Chapitre 5: La résurrection des corps116

Chapitre 6: La peine de l’enfer118

Chapitre 7: La gloire du Paradis120

PROLOGUE

1. Je fléchis les genoux devant le Père de Notre Seigneur Jésus-Christ, de qui toute paternité au ciel et sur terre, tire son nom. Qu’il vous accorde, selon les richesses de sa gloire, la puissance d’être fortifiés par son Esprit dans l’homme intérieur, que le Christ habite en vos coeurs par la foi; enracinés et fondés dans la charité, il vous sera alors possible de comprendre avec tous les saints, ce qu’est la Largeur, la Longueur, la Hauteur et la Profondeur, de connaître la charité du Christ qui surpasse la connaissance, et ainsi vous serez remplis jusqu’à toute la plénitude de Dieu.

Le grand docteur des nations, grand prédicateur de vérité, rempli du divin Esprit, comme un vase choisi et sanctifié, explique dans ce texte, l’origine, le développement et l’aboutissement de la sainte Ecriture qui est appelée théologie. Il insinue que l’origine de l’Ecriture est à chercher dans l’influence de la bienheureuse Trinité, que son développement est proportionné à l’exigence de la capa cite humaine, que son aboutissement enfin ou son fruit consiste dans la surabondance de la débordante félicité.

2. Car l’origine de l’Ecriture ne se situe pas dans la recherche humaine, mais dans la divine révélation qui provient du Père des lumières, de qui toute paternité au ciel et sur terre tire son nom. De lui, par son Fils Jésus-Christ s’écoule en nous l’Esprit Saint. Par l’Esprit Saint, partageant et distribuant ses dons à chacun de nous selon sa volonté, la foi nous est donnée et par la foi, le Christ habite en nos coeurs. Telle est la connaissance de Jésus-Christ de laquelle découle comme de sa source, la fermeté et l’intelligence de toute la sainte Ecriture.

Il est donc impossible d’entrer dans la connaissance de l’Ecriture sans d’abord posséder la foi infuse du Christ, comme la lumière, la porte et aussi le fondement de toute l’Ecriture. Car la foi, aussi longtemps que nous vivons en exil loin du Seigneur, est elle-même le fondement stable, la lumière directrice et la porte d’entrée dans toutes les illuminations surnaturelles. Selon la mesure de cette foi, doit être mesurée la sagesse qui nous est donnée par Dieu, afin de ne pas goûter plus qu’on ne doit, mais de goûter avec sobriété et selon la mesure de foi que Dieu départit à chacun. Par la médiation de cette foi, la connaissance de la sainte Ecriture nous est donnée selon l’influence de la bienheureuse Trinité, comme l’indique expressément l’Apôtre dans la première partie du texte cité.

3. Le développement de la sainte Ecriture n’est pas enfermé dans les lois des raisonnements, des définitions et des divisions selon les règles des autres sciences, il n’est pas non plus restreint à une partie de l’universalité. Bien plutôt, puisque la sainte Ecriture procède selon une lumière surnaturelle pour donner à l’homme ici-bas une connaissance suffisante des choses, comme l’exige son sa lut, tantôt par des paroles claires, tantôt par des paroles mystérieuses, elle décrit le contenu de tout l’univers comme dans une somme, et par là nous comprenons sa Largeur; elle en décrit le déroule ment, et par là nous comprenons sa Longueur; elle décrit l’excellence de ceux qui seront finalement sauvés, et par là nous comprenons sa Hauteur; elle décrit enfin la misère de ceux qui seront damnés, en cela consiste la Profondeur, non seulement de cet univers, mais aussi du jugement divin.

La sainte Ecriture décrit ainsi tout l’univers dans la mesure où cette connaissance est utile au salut, selon sa Largeur, sa Longueur, sa Hauteur et sa Profondeur. Elle garde encore elle-même dans son développement, ces quatre dimensions, comme on l’expliquera plus loin, car ainsi l’exigeait le caractère de la capacité humaine. Celle-ci, par nature, saisit magnifiquement et d’une façon multiple de grandes et nombreuses choses, à la façon d’un miroir parfait dans lequel l’universalité des choses du monde est destinée à être décrite dans l’ordre naturel comme dans l’ordre surnaturel. Ainsi, le développement de la sainte Ecriture doit s’accorder à l’exigence de la capacité humaine.

4. L’aboutissement ou le fruit de la sainte Ecriture n’est pas quelconque, ç’est la plénitude de l’éternelle félicité. Car elle est l’Ecriture dans laquelle sont les paroles de la vie éternelle, elle est donc écrite, non seulement pour que nous croyions, mais aussi pour que nous possédions la vie éternelle dans laquelle nous verrons, nous aimerons et où nos désirs seront universellement comblés. Alors, nos désirs étant comblés, nous connaîtrons vraiment la charité qui surpasse la connaissance et ainsi nous serons remplis jusqu’à toute la plénitude de Dieu. C’est à cette plénitude que la divine Ecriture s’efforce de nous introduire selon le sens vrai du texte de l’Apôtre. C’est donc en vue de cette fin, c’est dans cette intention que la sainte Ecriture doit être étudiée, enseignée et entendue.

5. Pour que nous parvenions à ce fruit et à ce terme directement en progressant par la route droite des Ecritures, il faut commencer par le commencement, c’est-à-dire, accéder d’une foi pure au Père des lumières, en fléchissant les genoux de notre coeur, afin que par son Fils dans son Saint Esprit, il nous donne la vraie connaissance de Jésus-Christ et, avec sa connaissance, son amour. Le connaissant et l’aimant et comme consolidés dans la foi et enracinés dans la charité, il nous sera alors possible de connaître la Largeur, la Longueur, la Hauteur et la Profondeur de la sainte Ecriture et, par cette connaissance, de parvenir à la connaissance entière et à l’amour extatique de la bienheureuse Trinité. Là tendent les désirs des saints, là se trouvent l’aboutissement et l’achèvement de tout vrai et de tout bien.

6. Après avoir désiré et recherché la fin de la sainte Ecriture, après avoir cru et invoqué le principe, il faut en considérer le développement dans sa Largeur, sa Longueur, sa Hauteur et sa Profondeur, selon la voie et l’ordre que nous enseigne l’Apôtre. Sa Largeur consiste dans la multitude de ses parties, sa Longueur dans la description des temps et des âges, sa Hauteur dans la description des hiérarchies graduellement ordonnées, sa Profondeur dans la diversité des sens mystiques et des interprétations.

§ 1. La Largeur de la sainte Ecriture

. Si donc nous voulons considérer la Largeur de la sainte Ecriture, de prime abord l’Ecriture se pré sente à nous divisée en deux testaments, l’ancien et le nouveau

L’Ancien Testament présente de multiples livres les livres légaux, historiques, sapientiaux et prophétiques. Les premiers sont au nombre de cinq, les deuxièmes au nombre de dix, les troisièmes au nombre de cinq et les quatrièmes au nombre de six, ce qui fait en tout vingt-six.

Le Nouveau Testament possède semblablement des livres correspondant à ces quatre formes. Aux légaux correspondent les Evangiles, aux historiques les Actes des Apôtres, aux sapientiaux les Epîtres des Apôtres et surtout de Paul, aux prophétiques l’Apocalypse. Ainsi y a-t-il une admirable conformité entre l’Ancien et le Nouveau Testament non seulement quant au contenu des sens, mais aussi quant à la quadruple forme des parties. En figure et signification de ceci, Ezéchiel a vu les roues des quatre visages et les roues au milieu l’une de l’autre, car l’Ancien est dans le Nouveau et inversement. Dans les livres légaux et les évangiles est la face du lion, à cause de l’éminence de l’autorité; dans les livres historiques, la face du boeuf, à cause des exemples de puissance; dans les livres sapientiaux la face de l’homme, à cause de la sage prudence; dans les livres prophétiques la face de l’aigle, à cause de l’intelligence perspicace.

2. La sainte Ecriture est à juste titre divisée en Ancien et Nouveau Testament et non en théorique et pratique, comme la philosophie. Car, puisque l’Ecriture est fondée en propre sur la connaissance de foi qui est vertu et fondement des moeurs et de la justice et de toute vie droite, la connaissance des choses ou des données de la foi ne peut en elle être séparée de la connaissance des moeurs. Il en est autrement de la philosophie qui traite non seule ment de la vérité des moeurs, mais aussi du vrai considéré dans la pure spéculation. Donc, parce que l’Ecriture est connaissance poussant au bien et détournant du mal et ceci par crainte et amour, elle est divisée en deux testaments dont «toute la différence est la crainte et l’amour ».

3. Or, on peut être poussé au bien et détourné du mal de quatre manières différentes, par les préceptes de la toute-puissante majesté, par les enseignements de la vérité très sage, par les exemples et les bienfaits de la bonté sans faille ou par toutes ces choses rassemblées. Donc, dans le Nouveau comme dans l’Ancien Testament, nous sont donnés sous quatre formes les livres contenait la sainte Ecriture, en conformité des quatre prémisses. Les livres légaux nous entraînent par les préceptes de la toute-puissante majesté, les livres historiques par les exemples de la bonté sans faille, les livres sapientiaux par les enseignements de la vérité providentielle, les livres prophétiques par le rassemblement de toutes ces formes, ainsi qu’il y apparaît. Ils sont donc comme les mémoriaux de toute la sagesse et de toute la doctrine de la loi.

4. L’Ecriture est donc semblable à un large fleuve qui s’accroît sans cesse de l’apport d’eaux nombreuses au fur et à mesure qu’il coule. Il y eut d’abord dans l’Ecriture les livres légaux, puis survint l’eau de la sagesse des livres historiques, ensuite la doctrine du très sage Salomon, puis la doctrine des saints Prophètes. Enfin, la doctrine évangélique a été révélée, proférée par la bouche corporelle du Christ, consignée par les Evangélistes, divulguée par les Apôtres. Il faut y ajouter les enseignements que l’Esprit Saint en venant sur eux nous a, par eux, enseignés, de sorte qu’ainsi conduits vers la vérité tout entière, par l’Esprit Saint selon la promesse divine, ils donnent à l’Eglise du Christ la doctrine de toute vérité salutaire et répandent en parachevant la sainte Ecriture, la connaissance de la vérité.

§ 2. La Longueur de la sainte Ecriture

1. La sainte Ecriture possède aussi une Longueur consistant dans la description des temps et des âges, depuis l’origine du monde jusqu’au jour du jugement. Elle décrit en effet le cours du monde en trois temps: celui de la loi de nature, celui de la loi écrite et celui de la loi de grâce dans ces trois temps, la sainte Ecriture distingue sept âges. Le premier va d’Adam à Noé, le deuxième de Noé à Abraham, le troisième d’Abraham à David, le quatrième de David jusqu’à l’exil de Babylone, le cinquième de l’exil au Christ, le sixième du Christ à la fin du monde, le septième court en même temps que le sixième et va du repos du Christ dans le sépulcre à la résurrection universelle. Alors commencera le huitième âge, celui de la résurrection.

Ainsi, l’Ecriture est d’une grande longueur, car son exposé commence à l’origine du monde et du temps, au début de la Genèse, et se termine à la fin du monde et du temps, à la fin de l’Apocalypse.

2. A juste titre, le temps universel qui s’écoule sous les trois lois, la loi donnée intérieurement, la loi donnée extérieurement et la loi inspirée d’en-haut parcourt les sept âges et se consomme à la fin du sixième, pour qu’ainsi le déroulement du monde corresponde à son origine, que le déroule ment du macrocosme corresponde au déroulement de la vie du microcosme, c’est-à-dire de l’homme pour lequel il a été créé.

Le premier âge du monde durant lequel eut lieu sa formation, la chute des démons et la confirmation des anges correspond, en effet, au premier jour où fut créée la lumière et où la lumière fut séparée des ténèbres Le deuxième âge durant lequel, par l’eau et le déluge, les bons furent sauvés et les méchants anéantis, correspond au deuxième jour où, par le firmament, les eaux furent séparées d’avec les eaux. Le troisième âge, durant lequel Abraham fut appelé et la synagogue commença, qui devait porter du fruit en engendrant une progéniture pour le culte de Dieu, correspond au troisième jour où apparut la terre et où elle produisit la verdure. Le quatrième âge durant lequel fleurit la royauté et le sacerdoce, car le roi David rehaussa le culte divin, correspond au quatrième jour où furent créés les luminaires et les étoiles. Le cinquième âge durant lequel les exilés furent ballottés et tourmentés au milieu de nombreux peuples correspond au cinquième jour où les eaux grouillèrent de poissons. Le sixième âge durant lequel le Christ est né sous les traits de l’homme, lui qui est vrai ment l’image de Dieu, correspond au sixième jour où fut créé le premier homme. Le septième âge qui est le repos sans fin des âmes correspond au septième jour où Dieu se reposa après tout l’ouvrage qu’il avait fait.

3. Ces sept âges se distinguent ainsi par les choses remarquables qui y furent faites en leur début, en raison desquelles ils correspondent aux jours de la création du monde. Le premier âge est appelé petite enfance car, comme toute l’enfance sombre dans l’oubli, ainsi ce premier âge a été enseveli par le déluge. Le deuxième, c’est l’enfance car, comme dans la jeunesse, nous commençons à parler, ainsi, dans ce second âge, eut lieu la distinction des langues. [ troisième âge, c’est l’adolescence car, de même qu’alors la force génératrice commence à agir, ainsi Abraham fut appelé et la circoncision lui fut proposée et la promesse d’une postérité lui fut donnée. Le quatrième âge, c’est la jeunesse car, comme dans la jeunesse s’épanouit l’homme, ainsi au quatrième âge la synagogue fleurit sous les rois. Le cinquième âge, c’est la vieillesse car, comme dans la maturité les forces diminuent et la beauté se dégrade, ainsi en fut-il du sacerdoce des juifs durant l’exil. Le sixième âge, c’est la sénilité, car de même que la sénilité est liée à la mort et possède cependant une grande lumière de sagesse, ainsi le sixième âge du monde se termine avec le jour du jugement et dans son déroulement fleurit la sagesse par la doctrine dû Christ.

4. Ainsi donc, tout ce monde est décrit par l’Ecriture dans un déroulement ordonné s’écoulant depuis le début jusqu’à la fin, à la manière d’un magnifique poème bien réglé où l’on peut contempler dans le déroulement du temps la variété, la multiplicité et l’équité, l’ordre, la rectitude et la beauté des nombreux jugements divins procédant de la sagesse de Dieu qui gouverne le monde Comme personne ne peut voir la beauté d’un poème que si son regard se porte sur l’ensemble, ainsi personne ne voit la beauté de l’ordre et du gouvernement de l’univers s’il ne le contemple dans sa totalité. Or, personne ne vit assez longtemps pour que ses yeux de chair en perçoivent le cours total et personne ne peut par soi-même prévoir l’avenir. L’Esprit Saint y pourvoit en nous donnant le livre de la sainte Ecriture dont la longueur se mesure au déroulement du gouvernement de l’univers.

§ 3. La Hauteur de la sainte Ecriture

1. La sainte Ecriture possède en outre dans son développement, une Hauteur consistant dans la description des hiérarchies ordonnées en degrés, la hiérarchie ecclésiastique, la hiérarchie angélique et la hiérarchie divine, appelées encore hiérarchies subcéleste, céleste et supracéleste, de sorte qu’elle décrit la première de ces hiérarchies en toute clarté, la seconde d’une manière un peu voilée, la troisième d’une manière secrète. La sainte Ecriture reçoit de la première une certaine hauteur, de la seconde une hauteur plus grande, de la troisième la hauteur suprême, de sorte que nous pouvons dire le mot du Prophète: «Prodige de savoir qui me dépasse, hauteur où je ne puis atteindre.»

2. Et ceci à juste titre car, étant donné que les choses possèdent l’être dans leur matérialité, qu’elles possèdent l’être dans notre âme par la connaissance acquise, qu’elles i’y possèdent aussi par la grâce et par la gloire, qu’elles possèdent enfin l’être dans l’art éternel, la philosophie certes traite des choses de la nature, soit que l’âme en ait une connaissance innée, soit qu’elle en ait une connaissance acquise. Mais la théologie, comme science fondée sur la foi et révélée par l’Esprit Saint, traite des choses relevant de la grâce, de la vision de gloire et de la sagesse éternelle. Aussi, la théologie, mettant à sa disposition la connaissance philosophique et assumant des natures des choses autant qu’elle en a besoin pour for mer le miroir qui lui permet de représenter les réalités divines, dresse comme une échelle qui, par le bas, touche la terre, et atteint au sommet le ciel. Elle accomplit ceci par l’unique hiérarque, Jésus-Christ,, qui, non seulement en raison de la nature humaine assumée est hiérarque de la hiérarchie ecclésiastique, mais aussi de la hiérarchie angélique et personne médiane dans la hiérarchie supracéleste de la bienheureuse Trinité. De la sorte, par lui, la grâce d’onction descend du souverain chef Dieu, non seulement sur la barbe, mais aussi sur le col des tuniques, car elle atteint non seulement la Jérusalem céleste, mais aussi militante.

3. La beauté est grande dans le monde, elle est encore plus grande dans l’Eglise ornée de la beauté des charismes des saints, elle est plus grande encore dans la Jérusalem céleste, elle est suprême dans la Trinité souveraine et bienheureuse.

L’Ecriture ne possède donc pas seulement une matière très haute par laquelle elle délecte, elle surélève la pointe de l’esprit jusqu’en haut, elle est aussi pleine de séduction et délecte notre intelligence d’une manière admirable et, en la délectant de plus en plus, elle l’habitue aux visions et aux contemplations des divins spectacles.

§ 4. La Profondeur de la sainte Ecriture

L’Ecriture possède enfin une Profondeur consistant dans la multiplicité des intelligences mystiques. Car, outre le sens littéral, elle doit être exposée en divers endroits d’une façon triple, allégoriquement, moralement et anagogiquement. Il y a allégorie lorsque, par un fait, est indiqué un autre fait selon lequel nous devons le croire. Il y a tropologie ou moralité lorsque, par ce qui est fait, nous est donné autre chose qu’il faut faire. Il y a anagogie, comme une invitation à s’élever, lorsqu’il est donné d’entendre ce qu’il faut désirer, à savoir la félicité éternelle des bienheureux 

2. C’est à juste titre sue doit se trouver dans l’Ecriture un triple sens en plus du sens littéral car il est parfaitement adapté au sujet, à l’auditeur ou élève, à l’origine et à la fin de l’Ecriture. Cette triple intelligence, dis-je, convient au sujet de l’Ecriture, car elle est la doctrine sur Dieu, sur le Christ, sur les oeuvres de la rédemption et sur le donné de foi. Quant à la substance, le sujet de l’Ecriture est Dieu lui-même; quant à sa force, le Christ: quant à l’opération, l’oeuvre du salut; quant à toutes ces réalités, le donné de foi. Or, Dieu est trois et un, un dans l’essence et trois dans les personnes. L’Ecriture qui vient de Dieu possède donc, sous l’unité de la lettre, un sens triple. Le Christ étant le Verbe unique, toutes choses sont dites avoir été faites par lui et brillent en lui de sorte que sa sages se est à la fois multiforme et une Les oeuvres du salut étant multiples, se réfèrent toutes au sacrifice premier du Christ. Le donné de la foi, en tant que tel, brille diversement selon les états différents des croyants. En conformité avec toutes ces prémisses, la sainte Ecriture engendre donc une intelligence multiple sous une lettre unique.

3. Cette triple intelligence convient aussi à l’auditeur, car personne ne l’entend valablement que s’il est humble, pur, fidèle et studieux S Sous l’écorce de la lettre est donc cachée une intelligence mystique et profonde pour comprimer l’orgueil afin que, par sa profondeur cachée sous l’humilité de la lettre, les orgueilleux soient abaissés, les impurs rejetés, les imposteurs détournés, les négligents excités à l’intelligence des mystères. Et parce que l’auditeur de cette doctrine n’est pas d’un genre unique, mais de tous les genres, et qu’il importe que tous ceux qui doivent être sauvés connaissent quelque chose de cette doctrine, l’Ecriture possède donc une intelligence multiple, afin de saisir tout esprit, de condescendre à tout esprit, de dépasser tout esprit, d’illuminer et d’embrasser tout esprit qui prête une diligente attention à cette doctrine, par la multitude de son rayonnement.

4. La triple intelligence de l’Ecriture convient aussi au principe dont elle provient. Car elle vient de Dieu par le Christ et l’Esprit Saint parlant par la bouche des Prophètes et des autres qui ont écrit cette doctrine. Dieu ne parle pas seulement par des paroles, mais aussi par des faits, car pour lui, dire c’est faire et faire c’est dire. Or, toutes les choses créées, en tant qu’effets de Dieu, suggèrent leur cause Donc, dans l’Ecriture donnée par Dieu, non seulement les mots.doivent avoir un sens, mais aussi les faits. Le Christ docteur, bien qu’il fut humble dans sa chair était cependant très haut dans sa déité. Il convenait donc qu’il ait, lui et sa doctrine, l’humilité en parole et la profondeur de la pensée afin que, comme le Christ fut enveloppé de langes, ainsi la sagesse de Dieu dans l’Ecriture soit enveloppée dans d’humbles figures. L’Esprit Saint illuminait diversement et faisait des révélations dans le coeur des Prophètes. Aucune intelligence ne peut lui échapper et il était envoyé pour enseigner toute vérité. Il convenait donc à sa doctrine que dans une seule parole, de multiples sens se cachent.

5. La triple intelligence de l’Ecriture convient enfin à sa fin, car l’Ecriture a été donnée pour diriger l’homme vers ce qu’il faut savoir et ce qu’il faut faire afin de parvenir à ce qu’il faut désirer. Or, toutes les créatures ont été faites pour servir l’homme qui tend vers la patrie céleste. L’Ecriture assume donc les diverses images de ces créatures afin de nous enseigner, par elles, la sa gesse qui nous dirige vers les choses éternelles. Or, l’homme ne se dirige vers les choses éternelles que si sa puissance de connaître saisit la vérité à croire, que si sa puissance d’agir accomplit le bien à faire et que si sa puissance d’aimer aspire à voir Dieu, à l’aimer et à goûter en lui toute joie.

Donc, l’Ecriture sainte donnée par l’Esprit Saint assume le livre de la créature en le rapportant à sa fin selon une triple intelligence, afin que par la tropologie nous ayons la connaissance de ce qu’il faut faire avec courage, par l’allégorie, de ce qu’il faut croire en toute vérité, par l’anagogie, de ce qu’il faut désirer avec délectation.

Ainsi purifiés par l’opération des vertus, illuminés par une foi radieuse et rendus parfaits par une ardente charité, nous parviendrons enfin à la récompense éternelle.

§ 5. Les modes de procéder de la sainte Ecriture.

1. Dans une telle multiplicité de sagesse qui est contenue dans la Largeur, la Longueur, la Hauteur et la Profondeur de la sainte Ecriture, il n’est qu’un seul mode de procéder, à savoir un mode authentique dans lequel sont contenus la narration, le précepte, la défense, l’exhortation, la prédication, la menace, la promesse, la prière et la louange. Tous ces modes reposent, à juste titre, sur un seul mode authentique.

2. Car le but de cette doctrine est de nous rendre bons et de nous sauver. Or, ceci ne peut se faire par la pure considération, mais bien plutôt par l’inclination de la volonté. L’Ecriture divine a donc été donnée dans le mode le plus propre à mieux nous incliner. Or, l’affectivité est mue par les exemples mieux que par les arguments, par les promesses mieux que par les raisonnements, par les dévotions mieux que par les définitions. Cette Ecriture ne devait donc pas suivre un mode de définition, de division et de synthèse pour prouver certaines qualités d’un sujet comme le font les autres sciences Mais il fallait qu’elle possède ses modes propres selon les inclinations diverses des esprits, afin que s quelqu’un n’est pas entraîné par les préceptes et les défenses, qu’il le soit par le récit des exemples; s’il ne l’est pas par des exemples, qu’il le soit par les bienfaits qu’on lui montre. S’il n’est pas entraîné par cela, qu’il le soit par de sages monitions, par des promesses véridiques, par des menaces terribles, en sorte qu’il soit au moins excité à la dévotion et à la louange de Dieu dans laquelle il reçoit la grâce, par laquelle il est dirigé vers des actions vertueuses.

3. Ces modes narratifs ne peuvent procéder par voie de certitude rationnelle, car les faits particuliers ne peuvent être démontrés. De peur que cette Ecriture ne vacille comme douteuse et risque ainsi de moins entraîner, Dieu a donc donné à cette Ecriture, au lieu de la certitude rationnelle, la certitude de l’autorité, certitude si grande qu’elle surpasse toute la perspicacité de l’esprit humain. Or, l’autorité n’est pas certaine de qui peut tromper ou se tromper. Personne n’existe qui ne puisse se tromper et ne puisse tromper, hormis Dieu et l’Esprit Saint. Donc, pour que l’Ecriture sainte soit à sa manière parfaitement authentique, elle ne doit pas être transmise par une recherche humaine, mais par la révélation divine.

Rien donc en elle ne doit être condamné comme inutile, rien n’est à rejeter comme faux, rien n’est à répudier comme impie par le fait que l’Esprit Saint, son auteur infiniment parfait n’a pu rien dire de faux, rien de superflu, rien d’inférieur. C’est pourquoi le ciel et la terre passeront, mais les paroles de l'Ecriture sainte ne passeront pas qu’elles ne soient accomplies. Car, avant que le ciel et la terre ne passent, pas un iota, pas un accent ne passera de la loi que tout ne soit réalisé, le Sauveur en est témoin. Celui donc qui déliera ce qu’enseigne l'Ecriture et l’enseignera ainsi aux hommes, sera tenu pour le moindre dans le royaume des cieux; celui qui l’exécutera et l’enseignera, celui-là sera tenu pour grand dans le royaume des cieux.

§ 6. Comment enseigner la sainte Ecriture.

1. Comme cette Ecriture a un mode spécial de procéder, elle doit être, selon ce mode, d’une manière spéciale, comprise et exposée. Puisqu’elle cache sous une lettre unique un sens multiple, celui qui l’expose doit amener au jour ce qui était caché et manifester ce qui est ainsi mis en lumière par un autre texte plus clair. Ainsi, si j’exposais ce verset de psaume: « Prends armure et bouclier et te lève à mon aide», et si je voulais expliquer ce que sont les armes divines, je dirais que c’est la vérité et la bonne volonté et je le prouverais par un texte très clair de l’Ecriture. Car il est écrit ailleurs: « Tu nous couvres du bouclier de ta bonne volonté », et encore: « Il te couvre du bouclier de sa vérité. »

On ne peut atteindre aisément à ceci, que si l’on confie à sa mémoire le texte et la lettre de la Bible par une lecture assidue. Autrement, on ne pourrait jamais être capable d’exposer les Ecritures. Ainsi, comme celui qui dédaigne d’apprendre les premiers éléments dont est composé le discours n’arrivera jamais à connaître le sens des paroles ni la loi correcte des constructions, de même celui qui méprise la lettre de la sainte Ecriture ne s’élèvera jamais à ses intelligences spirituelles.

2. Celui qui expose l’Ecriture doit savoir que l’allégorie n’est pas requise partout et que tous les textes ne sont pas à exposer mystiquement. C’est pourquoi il faut noter que l’Ecriture sainte a quatre parties. La première dans laquelle la lettre traite des choses naturelles de l’univers et, par elles, signifie notre salut, comme il apparaît dans le récit de la formation du monde. La deuxième dans la quelle la lettre traite des actes et des événements de l’histoire du peuple d’Israël et signifie par eux la rédemption du genre humain. La troisième dans laquelle, en paroles claires, la lettre signifie et exprime ce qui regarde notre salut quant à la foi et aux moeurs. La quatrième dans laquelle la lettre annonce le mystère de notre salut, partie en paroles claires, partie en paroles énigmatiques et obscures. C’est pourquoi l’Ecriture ne peut, dans ces différents passages, être l’objet d’une exposition uniforme.

3. Celui qui expose, doit diriger son exposition de l’Ecriture selon une triple règle qui peut être tirée des paroles du bienheureux Augustin, dans son livre De doctrina christiana.

Première règle. Partout dans cette Ecriture où le sens premier des mots signifie la réalité de la création ou les actes singuliers de la vie humaine, les choses signifiées par les mots sont signifiées en premier, et ensuite seulement les mystères de notre salut. Là où le premier sens des mots exprime la foi ou la charité, il ne faut chercher aucune allégorie.

Deuxième règle. Là où les mots de cette Ecriture signifient la réalité de la création ou la vie du peuple d’Israël on peut chercher dans un autre texte de l’Ecriture ce que chaque chose signifie et ensuite tirer son sens par les mots signifiant clairement la vérité de la foi ou l’honnêteté des moeurs. Par exemple, si l’on dit: « Les brebis engendrent des jumeaux », il faut montrer que « brebis » signifie ici les hommes et « jumeaux » la double charité.

Troisième règle. Quand un texte scripturaire possède un sens littéral et un sens spirituel, celui qui expose doit déterminer si cette attribution convient au sens historique ou au sens spirituel, si par hasard les deux sens ne conviennent pas. Si les deux sens conviennent, alors on doit affirmer le sens littéral et le sens spirituel. Si l’un seulement con vient, on doit l’entendre spirituellement. Ainsi, le sabbat de la Loi est perpétuel, le sacerdoce éternel, la possession de la terre éternelle et le pacte de la circoncision éternel: tout ceci est à entendre dans un sens spirituel.

4. Pour pénétrer, en scrutant et en exposant avec sûreté la forêt des saintes Ecritures, il faut tout d’abord connaître la vérité de cette sainte Ecriture par des paroles explicites, c’est-à-dire observer comment l’Ecriture décrit l’origine, le développe ment et la consommation des deux corps qui s’affrontent en s’opposant, le corps des bons qui s’humilient ici-bas pour être exaltés éternellement dans le ciel et le corps des méchants qui s’exaltent ici-bas et seront éternellement abattus. Ainsi l’Ecriture traite de l’univers entier quant au sommet et au fond, quant au premier et au dernier et quant au déroulement intermédiaire, sous la forme d’une croix intelligible dans laquelle on peut décrire et, en un certain sens, voir par la lumière de l’esprit, toute la création universelle. Pour la comprendre, il faut connaître le principe des choses, Dieu, leur création, leur chute, la rédemption par le sang de Jésus-Christ, la réformation par la grâce, la guéri son par les sacrements et enfin la rétribution par la peine et la gloire éternelle.

5. Et parce que cette doctrine, tant dans les écrits des saints que dans ceux des docteurs, est transmise d’une manière si diffuse que pour ceux qui accèdent à la sainte Ecriture pour l’entendre, elle ne peut être vue et, entendue durant longtemps — à cause de quoi les jeunes théologiens fréquemment prennent en dégoût l’Ecriture sainte elle-même, comme incertaine et désordonnée, comme une forêt obscure.

Prié par des confrères de dire avec notre pauvre petite science quelque chose de bref, dans une somme, sur la vérité de la théologie, et cédant à leurs prières, j’ai consenti à écrire un Breviloquium, dans lequel j’ai traité brièvement non pas toutes les vérités à croire, mais seulement les plus utiles, y ajoutant quelques explications selon les circonstances.

6. Parce que la théologie traite de Dieu et du premier principe, parce que, comme la science et la doctrine la plus élevée, elle résout toutes choses en Dieu comme dans le principe premier et souverain, dans l’assignation des raisons, en tout ce qui est contenu dans ce petit traité, je me suis efforcé de chercher l’explication dont le premier principe pour montrer ainsi que la vérité de la sainte Ecriture vient de Dieu, traite de Dieu, est conforme à Dieu, a Dieu pour fin, de façon que justement cette science apparaisse une, ordonnée et, non à tort, nommée théologie.

Si l’on trouve en cet opuscule quoi que ce soit d’imparfait, d’obscur, de superflu ou de moins correct, qu’on m’en accorde le pardon à cause de mes occupations, de mon manque de temps et de la pauvreté de ma science. Si l’on y trouve quelque chose de correct, qu’on en rende à Dieu seul l’honneur et la gloire.

Pour que la suite apparaisse plus clairement, j’ai pris soin de présenter d’abord les titres particuliers des chapitres, afin d’en faciliter la mémoire et d’en rendre plus claire une vue d’ensemble. Ces chapitres sont groupés en sept parties et sont au nombre de soixante-douze.

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PARTIE I: LA TRINITE DE DIEU

Chapitre 1: Les sept parties de la théologie

Enoncé

1. Il faut comprendre pour commencer que la sainte doctrine, c’est-à-dire la théologie, qui parle principalement du premier principe, Dieu trois et un, traite dans son universalité de sept sujets:

1. La Trinité de Dieu.

2. Le monde créature de Dieu.

3. La corruption introduite par le péché.

4. L’incarnation du Verbe.

5. La grâce de l’Esprit Saint.

6. Les remèdes sacramentels.

7. L’aboutissement du jugement final.

Explication

2. La sainte Ecriture ou théologie est la science qui donne une connaissance suffisante du premier principe pour l’homme ici-bas, selon que l'exige son salut. Or, Dieu n’est pas seulement le principe des choses et l’exemplaire effectif de la création, il est aussi principe et exemplaire réparateur dans la rédemption, principe et exemplaire perfectif dans la rétribution.

La théologie ne traite donc pas seulement de Dieu créateur, mais aussi de la création et de la créature. La créature raisonnable qui est d’une certaine façon, fin de toutes les autres créatures, n’a pas maintenu son état originel, mais en raison de sa chute a eu besoin d’être réparée; la théologie traite donc aussi de la corruption du péché, puis du médecin, de la santé et de la médecine, et enfin de la guérison parfaite qui sera donnée dans la gloire, tandis que les impies seront rejetés dans le châtiment.

La théologie est donc, et elle seule, la scier parfaite, puisqu’elle commence au commencement, qui est le premier principe, et parvient jusqu’au terme, la récompense éternelle. Elle commence au sommet, le Dieu très haut, créateur de toutes choses, et s’étend jusqu’au plus bas, le supplice de l’enfer.

3. Elle seule est la sagesse parfaite, car elle commence à la cause suprême, en tant que principe de tout ce qui a une cause, — là où se ter mine précisément la connaissance philosophique —, elle passe par la cause suprême qui est aussi remède des péchés, et retourne à la cause suprême en tant que celle-ci est la récompense des mérites et la fin des désirs.

Dans cet acte de connaissance se trouvent la par faite saveur, la vie, et le salut des âmes. C’est à s’y appliquer que doit donc s’enflammer le désir de tous les chrétiens.

4. Ainsi est-il manifeste que la théologie, qui traite de questions si nombreuses et diverses, ne constitue pourtant qu’une seule science, dont le sujet, tour à tour: 

— est Dieu, de qui viennent tous les êtres,

— est le Christ, par qui tous passent,

— est l’oeuvre rédemptrice, vers laquelle tendent, est l’unique lien de la charité qui enserre et unit tous les êtres, célestes ou terrestres, est le donné de la foi en tant que tel, tout entier contenu dans les livres canoniques,

— est le donné de la foi en tant qu’il est intelligible, c’est ce dont traitent les livres des commentateurs comme le dit saint Augustin dans son traité De utilitate credendi: « ce que nous croyons, nous le devons à l’autorité, mais l’exercice de notre intelligence sur notre foi, nous le devons à notre raison »

Chapitre 2: Ce qu’il faut admettre sur la trinité des personnes et l’unité de l’essence.

1. Au sujet de la Trinité de Dieu, trois points sont à considérer: comment l’unité de substance et de nature s’accorde avec la pluralité des personnes, comment elle s’accorde avec la pluralité des apparitions, comment elle s’accorde avec la pluralité des appropriations.

Enoncé

2. Sur la pluralité des personnes dans l’unité de nature, la foi droite nous dit que dans une unique nature il y a trois personnes, le Père, le Fils et l’Esprit Saint. La première ne tient son origine d’aucune autre, la deuxième vient de la première par génération, la troisième de la première et de la deuxième par spiration ou procession. Mais la Trinité des personnes n’exclut pas de l’essence di vine une unité, une simplicité, une immensité, une éternité, une immutabilité, une nécessité, et encore une primauté souveraine. Qui plus est, elle inclut au plus haut point, fécondité, charité, libéralité, égalité, parenté, conformité et inséparabilité. La foi saine comprend que tout ceci se trouve dans la bienheureuse Trinité.

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Explication

3. La foi, parce qu’elle est principe du culte de Dieu et fondement de « la doctrine conforme à la piété », exige que l’on ait de Dieu un sens très haut et très pieux. On n’aurait pas de Dieu un sens très haut si l’on ne croyait pas que Dieu peut se communiquer souverainement. On n’aurait pas de lui un sens très pieux en croyant qu’il le pour rait et ne le voudrait pas. Ayant donc de Dieu un sens très haut jet très pieux, on dira qu’il se communique souverainement en ayant éternellement un aimé et un « autre-aimé-ensemble ». Ainsi Dieu est Un et Trine.

4. De cette foi qui veut un sens très pieux de Dieu, témoigne toute la sainte Ecriture, doctrine conforme à la piété. Car elle déclare que Dieu a un Fils qu’il aime souverainement, le Verbe égal à lui, « qu’il a engendré de toute éternité et dans lequel il a disposé toutes choses », par lequel il a produit toutes choses et les gouverne. Par lui fait chair, à cause de sa souveraine bonté, il a racheté les hommes de son sang précieux et a nourri l’homme racheté. Par lui, à la fin du monde, communiquant sa miséricorde souveraine, il libèrera de toute misère afin que par le Christ tous les élus soient les fils du Père souverain en qui toute piété sera consommée, celle de Dieu envers nous et la nôtre envers Dieu.

5. De cette foi en tant qu’elle veut un sens très haut de Dieu, non seulement la sainte Ecriture témoigne, mais aussi toute créature, selon ce que dit Augustin au livre XV De Trinitate, chapitre: « Non seulement l’autorité des livres divins professe que Dieu est, mais aussi toute la nature qui nous entoure et à laquelle nous appartenons, proclame qu’elle a un créateur munificent qui nous a donné un esprit et une raison naturelle par laquelle nous jugeons préférables les vivants aux non-vivants, les êtres doués de sens à ceux qui n’en ont pas, les êtres intelligents à ceux qui ne le sont pas, les êtres immortels aux mortels, les êtres doués de puissance aux impuissants, les justes aux injustes, les êtres beaux aux difformes, les bons aux mauvais, les incorruptibles aux êtres sujets à la corruption, les êtres immuables aux êtres changeants, les choses invisibles aux visibles, les êtres incorporels aux corporels, les bienheureux aux misérables.

Et ainsi, puisque sans l’ombre d’un doute, avant les êtres créés nous plaçons le créateur, il faut que nous proclamions qu’il vit en plénitude, qu’il pense et comprend toutes choses, qu’il ne peut ni mourir ni se corrompre, ni changer, qu’il n’a pas de corps mais est un esprit tout puissant, très juste, très beau et très heureux »

Voici incluses dans ces douze termes les très hautes prérogatives de l’être divin. Saint Augustin montre ensuite que ces douze se réduisent à trois:

l’éternité, la sagesse et la béatitude, et ces trois se réduisent à une seule, la sagesse qui comprend un esprit engendrant, le Verbe engendré, et l’Amour reliant l’un et l’autre; en eux, la foi le déclare, se tient la Trinité bienheureuse. Et parce que la souveraine sagesse suppose la Trinité, elle suppose en même temps toutes les nobles conditions précédemment énumérées, l’unité, la simplicité et les autres. Il est nécessaire que toutes les prérogatives susdites de l’être divin s’accordent avec la bien heureuse Trinité.

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Chapitre 3: L’intelligence sensée de cette foi. 

Enoncé

1. Pour l’intelligence sensée de cette foi, la théologie enseigne qu’en Dieu, il y a

— deux émanations

— trois hypostases

— quatre relations

— cinq notions

— et seulement trois propriétés personnelles.

Explication

2. Le premier et souverain principe, par le seul fait qu’il est premier, est absolument simple. Par le fait qu’il est souverain, il est très parfait. Donc il se communique parfaitement parce que parfait, et conserve une indivision absolue puisque souverainement simple. Etant sauve l’unité de nature, il y a donc en lui des modes parfaits d’émanation. Or il n’existe que deux modes parfaits d’émanation, selon la nature et selon la volonté. Le premier est la génération, le second la spiration ou procession. Ces deux modes se trouvent donc en Dieu.

3. Par ces deux émanations substantielles, émanent nécessairement deux hypostases; il est nécessaire aussi de poser une première hypostase qui, produisant en premier, n’émane d’aucune autre — sinon il faudrait remonter à l’infini. Il existe donc en Dieu trois hypostases.

4. A chaque émanation répond une double relation. Il y a donc en Dieu quatre relations, la paternité, la filiation, la spiration et la procession.

5. Par ces relations, les hypostases divines se font connaître à nous. Mais la première hypostase en qui se trouve la raison première de toute origine, se fait connaître à nous par le fait qu’elle n’a pas elle-même d’origine. C’est là sa propre excellence. Nous comptons ainsi cinq notions: les quatre relations susdites et en plus, l’innascibilité.

6. Chaque personne possède une propriété par laquelle elle est principalement connue. Il n’y a donc que trois propriétés personnelles qui sont exprimées proprement et principalement par les noms Père, Fils, et Saint-Esprit.

7. Le propre du Père est d’être innascible ou inengendré, d’être principe sans principe, et d’être Père. L’innascibilité le désigne négativement, bien que conséquemment le sens en soit positif, car elle suppose dans le Père la plénitude fontale. Principe sans principe désigne le Père positivement et négativement. Père le désigne proprement, d’une manière complète et déterminée, par une affirmation positive qui dit en même temps une relation.

8. De même, le Fils est Image, Verbe et Fils. Image désigne la personne comme similitude exprimée,

Verbe comme similitude expressive,

Fils comme similitude hypostatique,

Image comme similitude conforme,

Verbe comme similitude intellectuelle,

Fils comme similitude connaturelle

9. L’Esprit Saint est proprement le Don, il est le lien ou charité des deux, il est aussi l’Esprit Saint. Don le désigne comme étant volontairement donné, Charité ou lien, comme étant donné volontairement et à titre de principe, Esprit Saint, comme donné volontaire, principal et hypostatique.

De là, ces trois noms, Père, Fils, Saint Esprit nous conduisent aux propriétés personnelles des trois personnes. Tel est ce qu’il faut tenir pour l’intelligence sensée de la foi à la Trinité.

Chapitre 4: L’expression catholique de cette foi

Enoncé

1. Voici, selon les documents des saints docteurs, l’expression catholique de cette foi: quand on parle des personnes divines,

— il y a deux modes de prédication, soit quant à la substance, soit quant à la relation; trois modes de supposition on vise l’essence, ou la personne, ou la notion;

— quatre modes de désignation de la substance, par le nom d’essence, par le nom de substance, par le nom de personne, et par le nom d’hypostase;

— cinq modes de parler, quis (la personne), qui (le suppôt), quae (la notion), quod (la substance) et quid (la quiddité).

— trois modes de différenciation: différence dans la façon d’exister (c’est-à-dire selon l’origine), différence dans la situation (relative ou non), différence dans la connaissance que nous en avons.

Explication

2. Le premier principe est parfait en même temps que très simple. Tout ce qui implique une perfection doit être affirmé de lui proprement et vraiment. Mais on ne peut affirmer à son sujet quoi que ce soit qui comporte quelqu’imperfection, à moins que cette affirmation ne concerne la nature humaine assumée (par le Verbe), ou qu’on ne veuille parler dans un sens métaphorique.

Il y a dix catégories, la substance, la quantité, la relation, la qualité, l’action, la passion, le lieu, le temps, la situation et l’avoir Les cinq dernières, parce qu’elles concernent en propre les choses corporelles ou sujettes au changement, ne peu vent être attribuées à Dieu sinon par transposition et par manière de figure. Mais les cinq premières sont attribuées à Dieu en ce qu’elles signifient sa perfection sans cependant contrarier sa simplicité divine. C’est pourquoi ces catégories sont identiquement ce dont elles sont affirmées; et ainsi, par comparaison avec le sujet en qui elles sont, on dit qu’elles passent dans la substance en s’identifiant avec elle, sauf cependant la relation. Celle-ci en effet a deux termes de comparaison, le sujet en qui elle se trouve et le terme auquel elle se rapporte. Elle passe, en effet, dans la substance pour ne pas y introduire de composition, et néanmoins de meure pour fonder la distinction. C’est pourquoi (selon Boèce) « l’unité réside dans la substance, et la Trinité trouve son nombre dans la relation ».

En conséquence, il ne reste ici que deux modes différents de prédication, dont on peut donner la règle Suivante:

— ce qui est affirmé selon la substance est affirmé par le fait même de toutes les personnes, une

à une, ensemble ou isolément.

— ce qui est affirmé selon la relation n’est pas affirmé des trois personnes, et i on l’affirme de plus d’une, pluralement, c’est en tant qu’elles sont relatives, distinctes, semblables, égales, à cause de leur relation intrinsèque.

— Quant au nom de Trinité, il comprend à la fois les deux modes de prédication, selon la substance et selon la relation

3. Et parce qu’il peut y avoir plusieurs relations dans une seule personne comme il y a plu sieurs personnes dans une seule nature, la distinction des notions n’implique pas la diversification de la personne dont on parie, pas plus que la distinction des personnes n’entraîne la multiplication de la nature. Et c’est pourquoi ne convient pas à l’essence ce qui convient à la notion ou à la personne, ni inversement. En conséquence de quoi, il y a trois façons de « supposer » dont on a coutume de donner la règle suivante:

— Si l’on suppose l’essence, on ne suppose pas en même temps la notion ni la personne;

— si l’on suppose la notion, on ne suppose pas en même temps l’essence ni la personne;

— si l’on suppose la personne, on ne suppose pas en même temps l’essence ni la notion; comme le montrent les exemples.

4. Tandis que l’essence demeure unique, on trouve une vraie distinction dans les suppôts de la substance. Il faut donc qu’ici la substance soit désignée de plusieurs façons, soit en tant qu’elle est communicable, soit en tant qu’incommunicable.

En tant qu’elle est communicable, on la désigne dans l’abstrait par le nom d’essence, et dans le concret par le nom de substance; en tant qu’in communicable, soit par le nom d’hypostase, si elle est susceptible de distinction, soit par le nom de personne, si elle est effectivement distincte. Ou bien, en d’autres termes, si elle est distincte de quelque façon, c’est l’hypostase, si elle est claire ment et parfaitement distincte, c’est la personne. Voici des exemples tirés de la créature: humanité, homme, un certain homme, Pierre. Le premier mot dit l’essence, le deuxième la substance, le troisième l’hypostase, le quatrième la personne.

5. Dans la personne qui est distinguée, on ne considère pas seulement celui qui est distingué, mais aussi ce par quoi il est distinct. C’est la propriété ou notion. Il y a donc nécessairement cinq manières de parler ou de s’enquérir des personnes divines: quis pour la personne, qui pour l’hypostase parce qu’elle est, sans plus de précision, le suppôt de la substance, quae pour la notion, quod pour la substance, quid ou quo pour l’essence.

6. Tous ces modes s’enracinent dans l’unité de l’essence divine, car tout ce qui est en Dieu est Dieu lui-même seul et un Ces modes ne posent donc ici de différence ni selon l’essence, ni selon l’être.

C’est pourquoi il y a en Dieu que trois manières de se différencier, selon les modes d’être ou d’émaner, ainsi une personne diffère-t-elle d’une personne; selon les modes d’être en relation, ainsi la personne diffère de l’essence car une personne se réfère à une autre, elle en est donc distinguée, mais l’essence ne se réfère pas à une autre, il n’y a donc pas lieu à distinction; enfin selon les modes dont nous pensons Dieu, ainsi une propriété substantielle diffère d’une autre, par exemple la bonté et la sagesse.

La première différence est la plus grande qui puisse être trouvée en Dieu, c’est celle qu’il y a entre les suppôts, au point que l’un ne peut être nommé pour l’autre. La deuxième différence est plus petite car elle est entre les attributs, bien que l’un d’eux puisse être affirmé d’un autre, comme la personne peut l’être de l’essence, quelque chose cependant est affirmé de l’un qui ne l’est pas de l’autre, par exemple: la personne est distincte et relative à une autre personne, l’essence non.

La troisième différence, celle qui est dans les connotés, est la plus petite. Car même si l’on peut employer l’un pour l’autre et réciproquement, et dire la même chose de l’un et de l’autre, cependant la même chose n’est pas connotée de part et d’autre et tout te qui est signifié par deux connotés ne peut pas être compris à la lumière d’un seul.

Du premier mode de différenciation sort la pluralité des personnes; du deuxième mode, la pluralité des affirmations concernant la substance et les relations; du troisième mode, la pluralité des propriétés essentielles et des notions, soit de toute éternité, soit dans le temps, soit proprement, soit métaphoriquement, soit communément, soit par appropriation Les exemples en sont manifestes. Si l’on comprend ceci, alors apparaît ce qu’il faut penser et comment il faut parler de la souveraine Trinité des personnes divines.

Chapitre 5: L’unité de la nature divine dans ses multiples apparitions

Enoncé

1. On doit tenir selon la divine doctrine que:

— Dieu est sans limite, invisible et immuable;

— Néanmoins, -il habite spécialement dans les hommes sanctifiés;

— Il -a apparu aux Patriarches et aux Prophètes;

— Il est descendu des cieux;

— Il a envoyé son Fils et son Esprit Saint pour le salut du genre humain.

Bien qu’en Dieu la nature, la puissance et l’opération de la Trinité soient indivises, cependant la mission ou l’apparition de l’une des personnes n’est pas la mission ou l’apparition d’une autre.

Bien qu’aussi demeure en Dieu une souveraine égalité, cependant seul le Père envoie sans être envoyé, l’Esprit Saint est seulement envoyé par rap port aux deux autres personnes, encore que parfois on dise de lui qu’il envoie l’homme assumé; mais le Fils envoie et est envoyé, comme on peut le lire dans l’Ecriture

Explication

2. Bien que le premier principe soit immense et sans limites, bien qu’il soit incorporel et invisible, bien qu’il soit éternel et immuable, il est ce pendant le principe des choses spirituelles et corporelles, naturelles et surnaturelles, et par là des choses sujettes au changement, des choses sensibles et limitées. Par elles, il se rend manifeste et se fait connaître, bien qu’il soit lui-même immuable, insensible, et sans limites. Il se rend manifeste et se fait connaître en général par l’universalité des effets émanant de lui dans lesquels il est si l’on peut dire par son essence, sa puissance et sa présence, ce qui s’étend à toutes les choses créées. Il se fait spécialement connaître par certains effets qui conduisent spécialement à lui, en raison des quels il est dit habiter, apparaître, descendre, être envoyé et envoyer.

— Habiter désigne un effet spirituel auquel ré pond une acceptation, comme l’est l’effet de la grâce sanctifiante qui rend semblable à Dieu, conduit à Dieu et nous fait posséder Dieu et nous fait en Dieu possédés: par là Dieu habite en nous. Par ce que l’effet de la grâce est commun à toutes les personnes, l’une d’elles n’habite pas sans les autres, c’est toute la Trinité qui habite en nous.

3. — Apparaître désigne un effet sensible avec une signification exprimée, comme l’Esprit Saint apparaissant sous la forme d’une colombe. Or les personnes divines sont distinctes, elles peuvent donc être distinguées par des signes et des noms. Donc chaque personne peut apparaître par elle-même et toutes ensemble, ou chacune d’elles peut faire l’objet d’une apparition. Ainsi quand on dit que l’Esprit Saint a apparu sous la forme de langues de feu ou d’une colombe, ce n’est pas à cause d’un nouveau lien ou d’un effet spécial, mais à cause de l’union qui existe entre celui qui est signifié et le signe à lui assigné conformément au mode et à l’origine.

4. — Descendre signifie chacun des deux effets précédents en y incluant une idée de commence ment. Car Dieu est toujours présent aux anges bienheureux dans les cieux, car il habite toujours en eux et leur apparaît. Mais aux pécheurs sur cette terre, il est comme absent quant à la grâce et quant à la connaissance qu’ils ont de lui. Donc, lorsqu’il a commencé d’apparaître ou d’habiter, de présent dans les cieux et comme absent à nous, il devient présent sur terre. Bien qu’il n’y ait en lui aucune mutation, cependant, pour nous, il est dit descendre.

5. — Etre envoyé signifie les effets précédents avec l’idée de production éternelle. Car lorsque le Père envoie le Fils en le rendant présent à nous par la connaissance ou la grâce, il insinue que le Fils procède de lui. Et parce que le Père ne procède de personne, il ne peut donc jamais être dit envoyé Le Fils, par contre, produit et est produit, il envoie donc et est envoyé. Quant à l’Esprit Saint, il est éternellement produit mais il ne produit que dans le temps. Il est donc proprement envoyé, mais en voyer ne lui revient qu’à l’égard de la créature.

D’où il apparaît que les propositions suivantes sont impropres et à rejeter: l’Esprit Saint s’envoie lui-même, l’Esprit Saint envoie le Fils, le Fils s’en voie lui-même, sauf si l’on veut parler du Fils en tant que né de la Vierge.

Il est clair aussi qu’envoyer et être envoyé ne conviennent pas à tous, car ces mots qui signifient un effet dans la créature expriment d’abord une relation intrinsèque de sorte qu’envoyer signifie l’autorité, être envoyé la « sous-autorité » quant à la procession éternelle intrinsèque.

Chapitre 6: L’unité de la nature divine dans ses multiples appropriations.

Enoncé

Selon l’enseignement de la sainte Ecriture, que toutes les propriétés essentielles conviennent également et indifféremment aux trois personnes,

— L’unité est cependant appropriée au Père, vérité au Fils, la bonté à l’Esprit Saint;

— A partir de là on tire, selon saint Hilaire, une seconde série d’appropriations: « l’éternité au

Père, la beauté à l’Image, la jouissance au Don ».

— Et de là une troisième série: au Père d’être la raison même de toute principiation, au Fils d’être la raison de toute exemplarité, au SaintEsprit d’être la raison de tout achèvement.

— Enfin une quatrième série: au Père la toute-puissance, au Fils l’omniscience, au Saint Esprit la bienveillance.

On dit que ces attributs sont appropriés ion parce qu’ils deviennent propres alors qu’ils demeurent communs, mais parce qu’ils nous conduisent à l’intelligence et à la connaissance des propriétés, c’est-à-dire; des trois personnes.

Explication

2. Le premier principe est noble et parfait. Les conditions de l’être, les plus nobles et les plus générales sont donc suprêmement en lui. Ce sont l’un, le vrai, le bien qui n'affectent pas l’être selon les suppôts mais selon notre raison. Car l’un désigne l’être en tant qu’il est connumérable, du fait qu’en lui-même il n’est plus susceptible de division; le vrai en tant qu’il est connaissable, parce qu’il n’est pas susceptible d’être divisé de sa propre espèce; le bien en tant que communicable parce qu’il n’est pas susceptible d’être divisé de sa propre espèce; Or, cette triple indivision comporte un ordre logique de sorte que le vrai présuppose l’un, et le bien présuppose l’un et le vrai. Ces conditions sont attribuées au premier principe, souverainement, par ce qu’elles sont parfaites et générales. Elles sont appropriées aux trois personnes parce qu’ordonnées l’une à l’autre. L’un souverain est approprié au Père, origine des personnes; le vrai souverain au Fils, qui vient du Père en tant que Verbe; Te bien souverain à l’Esprit Saint, qui vient des deux en tant qu’Amour et Don.

3. L’un souverain est souverainement premier parce qu’il manque de tout commencement, le vrai souverain est souverainement égal et beau, le bien souverain est souverainement utile et profitable. De là vient la seconde appropriation de saint Hilaire, l’éternité dans le Père qui n’a pas de commence ment mais est absolument premier, la beauté dans l’Image, c’est-à-dire dans le Verbe car il est souverainement beau, la jouissance dans le Don, c’est-à-dire dans l’Esprit Saint, parce qu’il est souveraine ment profitable et communicatif. Augustin insinue la même chose en termes différents: Dans le Père l’unité, dans le Fils l’égalité, dans l’Esprit Saint la concorde de l’unité et de l’égalité »

4. Ce qui est souverainement un et premier possède la raison d’être le principe et l’origine. Ce qui est souverainement beau possède la raison d’exprimer et d’être exemplaire; ce qui est souverainement profitable et bon possède la raison d’être la fin, car le bien et la fin sont une seule et même chose. Donc, ressort la troisième raison d’appropriation: l’efficience au Père, l’exemplarité au Fils, la finalité à l’Esprit Saint.

5. Du principe premier et souverain découle tout pouvoir, du premier et souverain exemplaire tout savoir, de la fin souveraine tout vouloir Il est donc nécessaire que le premier soit tout-puissant, omniscient et bienveillant. L’unité première et souveraine, revenant sur elle-même par un retour complet et parfait est toute-puissante, de même la vérité revenant sur elle-même est omnisciente et la bonté revenant sur elle-même atteint la plus haute bienveillance. Ces attributs sont appropriés parce qu’ils insinuent un ordre. Car la volonté donne d’entrer préalablement dans la connaissance, la volonté et la connaissance présupposent une puissance et une vertu, car « pouvoir savoir, c’est un pouvoir»

Ce raisonnement manifeste les appropriés, les personnes auxquelles ils sont appropriés et la raison de ces appropriations. Les derniers attributs, puissance, sagesse et volonté sont surtout ceux par lesquels la sainte Ecriture glorifie la souveraine Trinité. II faut donc en parler maintenant brièvement.

Chapitre 7: La toute-puissance de Dieu

Enoncé

1. Dieu est tout-puissant de telle sorte cependant que ne lui sont pas attribués les actes coupables, comme mentir ou vouloir le mal, ni les actes pénaux, (c’est-à-dire consécutifs au péché originel) comme craindre et souffrir, ni l actes corporels ou matériels, comme dormir et marcher, sinon par métaphore, ni les actes contradictoires, comme pouvoir faire plus grand que soi, ou un autre Dieu égal à soi, ou un infini en acte, et autres choses semblables car, comme dit Anselme: « tout ce qui ne convient pas, fût-ce quelque chose de minime, est impossible en Dieu ». Bien qu’il ne puisse faire ces choses, Dieu est cependant tout-puissant proprement et parfaitement.

Explication

2. Le premier principe est puissant d’une puissance qui est pure et simple. C’est pourquoi l’adjectif distributif qu’on y ajoute « tout » (toute puissance) concerne toutes ces choses pour les quelles pouvoir est pouvoir purement et simple ment. Ces choses sortent d’une puissance à la fois complète et ordonnée.

J’appelle puissance complète celle qui ne peut défaillir ni succomber ni manquer de quoi que ce soit. Or la puissance défaille en péchant, succombe en souffrant, inclut l’indigence dans les actions corporelles. La puissance divine, parce que souveraine et parfaite, ne vient donc pas du néant, n’est subordonnée à rien et n’a besoin de rien d’autre, et par là elle ne peut opérer d’actes coupables, ni d’actes pénaux ni d’actes matériels. Et ceci parce qu’elle est puissance complète.

3. Il y a trois aspects selon lesquels la puissance peut être dite ordonnée

— selon l’acte

— selon l’aptitude du côté de la créature

— selon l’aptitude du côté de la seule incréée.

Ce qui est possible à la puissance sous le premier aspect est non seulement possible mais actuel.

Ce qui est possible à la puissance sous le deuxième aspect et non sous le premier, est possible pure ment et simplement bien que non actuel.

Ce qui est possible à la puissance sous le troisième aspect, et non sous le premier et le deuxième, est possible à Dieu mais impossible à la créature.

Ce qui n’est possible sous aucun des aspects précédents, comme par exemple ce qui répugne directement à l’ordre selon les raisons et les causes primordiales et éternelles est impossible purement et simplement: que Dieu fasse un infini en acte, qu’il fasse qu’un être Soit en même temps qu’il n’est absolument pas, qu’il fasse que ce qui a été n’ait pas été, et autres choses semblables. Pouvoir ainsi est contre l’ordre et la perfection de la puissance divine.

De ceci apparaît tout ce qui a trait à la puissance divine. Il apparaît aussi ce qui doit être appelé possible purement et simplement, et impossible purement et simplement. Il apparaît enfin que l’impossibilité de faire certaines choses ne contredit pas la vraie toute-puissance.

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Chapitre 1: La sagesse, la prédestination et la prescience de Dieu

1. La sagesse divine connaît clairement toutes les choses bonnes et mauvaises, passées, présentes et futures, actuelles et possibles et par là les choses qui nous sont incompréhensibles et les infinies. Elle les connaît cependant de telle sorte qu’en Dieu la sagesse n’est nullement diversifiée bien qu’elle soit assortie de divers noms.

Enoncé

En effet, en tant qu’elle connaît tous les possibles, on l’appelle science ou connaissance,

En tant qu’elle connaît tout ce qui arrive dans l’univers, on l’appelle vision,

En tant qu’elle connaît tout ce qui est bien, on l’appelle approbation,

En tant qu’elle connaît tout ce qui arrivera, on l’appelle prescience ou prévision,

En tant qu’elle connaît tout ce que Dieu fera, on l’appelle disposition,

En tant qu’elle connaît tout ce qui est digne de récompense, on l’appelle prédestination,

En tant qu’elle connaît tout ce qui mérite d’être condamné, on l’appelle réprobation.

2. Or, elle n’est pas seulement connaissance, mais aussi raison du connaître. Donc, en tant qu’elle est raison de connaître toutes les choses connues, on l'appelle lumière.

En tant qu’elle est raison de connaître les choses vues et approuvées, on l’appelle miroir.

En tant qu’elle est raison de connaître les choses prévues et disposées, on l’appelle exemplaire.

En tant qu’elle est raison de connaître les choses prédestinées et réprouvées, on l’appelle livre de vie.

Le livre de vie se rapporte donc aux choses en tant qu’elles retournent à Dieu.

l’exemplaire, en tant qu’elles sortent de lui, le miroir, en tant qu’elles se passent devant la lumière se rapporte à toutes les choses.

A l’exemplaire se rapporte l’idée, le verbe, l’art et la raison l’idée selon l’acte qui prévoit, le verbe selon l’acte qui propose, l’art selon l’acte qui réalise,

la raison selon l’acte qui achève, parce que s’y ajoute l’intention de la fin.

Mais parce que tous ces actes sont un en Dieu, l’un est fréquemment pris pour un autre.

3. Et bien que la sagesse divine en raison de la diversité des objets de connaissance soit assortie de divers noms, elle n’est cependant pas diversifiée pour une raison intrinsèque. Car elle connaît infailliblement les contingents, immuablement les choses sujettes au changement, les futurs comme étant présents, éternellement les choses temporelles, les choses dépendantes d’une manière indépendante, les choses créées d’une connaissance incréée, les choses autres qu’elle-même, en elle-même, et par elle-même.

Et puisque la sagesse divine connaît les contingents infailliblement, la liberté et la possibilité qu’a la volonté créée de changer ses décisions existent en même temps que la prédestination et la prescience.

Explication

4. Le premier principe, par le fait qu’il est premier et souverain, possède une connaissance à la fois simple et parfaite.

Parce que cette connaissance est parfaite, elle connaît toutes choses distinctement sous toutes les conditions que les choses ont ou peuvent avoir. Elle connaît donc les futures comme futures, les présentes comme présentes, elle sait les choses bonnes qui doivent être récompensées et les mauvaises réprouvées. De là, elle est assortie de divers noms selon qu’il a été dit plus haut.

5. Mais la perfection de la sagesse subsiste avec la souveraine simplicité. De là, elle connaît toutes les choses autres qu’elle-même, en elle-même et par elle-même.

Il suit de là qu’elle connaît les choses créées d’une manière incréée, les choses qui dépendent d’autres, d’une manière indépendante,

les choses temporelles dans l’éternité,

les futures dans le présent,

les choses sujettes au changement, immuablement,

les contingents infailliblement.

6. Ainsi les contingents, demeurant contingents, n’en sont pas moins infailliblement prévus par la sagesse divine, tant les contingents qui sont soumis à la nature que ceux qui sont soumis à la liberté de la volonté humaine.

De là, celui qui veut comprendre vraiment comment demeurent en même temps la liberté de la volonté créée et l’infaillibilité de la prédestination éternelle, doit commencer à résoudre le dernier degré puis remonter les sept degrés susmentionnés jusqu’à la première proposition que nous avons établie, à savoir que le premier principe connaît parfaitement toutes choses par lui-même, ce qui est certainement vrai. A partir de cette proposition, se conclut par un raisonnement infaillible tout ce qui a été dit plus haut.

7. De même que la certitude de la connaissance divine coexiste avec la contingence des choses connues, parce que la sagesse divine est à la fois simple et parfaite, ainsi, pour la même raison, l’unité de la sagesse divine demeure en même temps que la diversité des raisons et des idées. En effet, la sagesse divine est parfaite, elle connaît donc distinctement toutes choses et chacune, les représente toutes distinctement et parfaitement. On dit donc qu’elle possède de chacune, des raisons et des idées comme similitudes parfaitement expressives de ces choses.

Parce que la sagesse divine est simple, toutes ces similitudes sont une en elle. Il s’ensuit que de même que Dieu, par sa puissance une, produit dans le temps, tous les êtres selon leur parfaite intégrité, ainsi en une unique vérité exprime-t-il toutes choses éternellement. Et de même qu’en Dieu très-haut et tout-puissant, une est l’opération active considérée en elle-même, cependant on dit qu’il y a plusieurs productions à cause de la pluralité des choses produites; ainsi une est la vérité de l’acte unique d’intelligence en Dieu et cependant on distingue plusieurs similitudes, idées et raisons, à cause de la pluralité des choses pensées ou existantes, ou futures ou possibles. Ces raisons ou idées, bien qu’elles soient une vérité, une lumière et une essence, ne sont pas cependant appelées une seule raison, ou une seule idée. En effet, dans l’ordre de la connaissance, la raison ou l’idée est ainsi appelée pour autant qu’elle se rapporte à un objet, car elle désigne la similitude de la chose connue. Cette similitude est réellement en Dieu, bien que dans l’ordre de la connaissance elle semble appartenir au monde idéal.

8. Si l’on recherche quelque chose de semblable dans la créature, on devra y renoncer, car il faut dire que cela est propre à cet exemplaire divin. Comme on l’a dit, il est à la fois simple, infini et parfait. Cela étant compris, tout le reste suit par voie de conséquence. Car parce que cet exemplaire est simple et parfait, il est donc acte pur. Et parce qu’il est infini et immense, il est donc en dehors de tout genre. C’est pourquoi cet exemplaire, alors qu’il est un, peut devenir la similitude expressive de tous les autres êtres.

Chapitre 9: La volonté et la providence de Dieu

Enoncé

1. La volonté de Dieu est droite de sorte qu’elle ne peut dévier en aucune manière. Elle est efficace au point que rien ne peut l’entraver. Elle est une, de telle sorte cependant qu’elle puisse être signifiée de multiples façons.

2. La volonté divine, qui est volonté de bon plaisir, est signifiée par la volonté de l’un de ces cinq signes différents qui sont: l’ordre, la défense, le conseil, l'accomplissement et la permission. Tout ce qui arrive dans l’univers est disposé par la volonté de bon plaisir selon ces cinq signes, « car la volonté de Dieu est cause première et souveraine de toutes les formes et motions. Rien n’arrive visiblement et sensiblement dans cette vaste et immense république de la création qui ne soit ou ordonné ou permis depuis la cour intérieure et invisible et intelligible de l’empereur suprême, selon l’ineffable justice des récompenses et des peines, des grâces et des rétributions» .

3. Et parce que cette volonté, réglée par la rai-. son est appelée providence, tout ce qui arrive dans l’univers est fait et réglé par la divine providence qui est par-dessus tout irrépréhensible parce qu’elle n’ordonne, ne défend ou ne conseille rien que de juste, ne fait rien que de bon, ne permet rien d’in juste.

Explication

4. Le premier principe, souverainement noble, possède une volonté et la possède de manière noble. Or, de soi, la volonté signifie ce par quoi, dans les êtres qui agissent selon leur propos, est observée la règle de la rectitude et est obtenu l’efficace de l’opération. Donc, la volonté en Dieu est droite et efficace. Elle est droite parce qu’en Dieu volonté et vérité sont une seule et même chose. Elle est efficace, parce qu’en Dieu volonté et puissance sont aussi une seule et même chose.

La volonté divine ne peut faillir à la vérité. Elle est donc non seulement droite, mais elle est règle de rectitude.

Elle ne peut non plus manquer de puissance. Elle est donc non seulement efficace, mais source et origine de toute efficacité. Ainsi, rien sans elle ne peut être fait, rien ne peut arriver contre elle, rien n’existe qui puisse l’entraver.

5. Elle est droite. Rien donc ne peut être droit qui ne lui soit conforme”. Mais rien ne peut lui être conformé si cette volonté ne se fait connaître. Il a donc fallu que la volonté divine nous soit connue comme règle de rectitude.

Or, il est une rectitude de nécessité, celle qui fait le bien nécessaire et évite le mal. Il est une rectitude de perfection, celle qui surajoute à ce qui est dû. Cette rectitude nous est connue par un triple signe, l’ordre, la défense et le conseil. Cela signifie que le bon plaisir divin accepte comme juste ce qui arrive selon le précepte divin, ce qui est omis en raison de la défense divine, ce qui est accompli selon le conseil divin. Ces signes sont les infaillibles signes de la volonté divine en tant qu’elle est la règle de toute rectitude.

6. La volonté divine est efficace. Personne ne peut absolument rien faire sans qu’elle opère et agisse en même temps. Personne ne peut défaillir ou pécher sans en être abandonné justement. En ce sens, deux signes existent, l’accomplissement, qui est signe de la volonté efficiente et la permission qui est signe de la volonté à bon droit délaissante. Elle délaisse justement car il est juste qu’elle ad ministre les choses qu’elle a créées sans pour au tant enfreindre les lois qu’elle a édictées. Ainsi coopère-t-elle « aux choses qu’elle a créées en les laissant agir de leurs propres mouvements ». Donc, si elle laisse faillir dans le mal le libre-arbitre capable de se tourner par la loi de nature vers le bien ou le mal, elle ne le permet qu’en toute justice.

7. En outre, si la volonté divine prévient et sou tient par la grâce, elle ne fait injure à personne. Elle n’agit donc pas injustement ni en justice absolue selon l’exigence des mérites, car les mérites n’y suffisent pas, mais gratuitement et avec miséricorde et de quelque façon avec justice, en tant que cela provient de la convenance de sa bonté.

Donc, lorsqu’elle damne et réprouve, elle opère selon la justice, lorsqu’elle prédestine, elle opère selon la grâce et la miséricorde qui n’exclut pas la justice car tous, appartenant à la masse de perdition, devaient être damnés. Plus nombreux sont les réprouvés que les élus, pour montrer que le salut vient d’une grâce spéciale et la damnation de la justice commune. Nul donc ne peut se plaindre de la volonté divine, car elle fait tout avec rectitude. Bien plus devons-nous rendre grâces et honneur à l’ordonnance de la providence divine.

Si quelqu’un se demande pourquoi la grâce est donnée plus largement à un pécheur qu’à un autre, il faut imposer silence à la loquacité humaine et s’exclamer avec l’Apôtre: « O abîme de la riches se, de la sagesse et de la science de Dieu! Que ses décrets sont insondables et ses voies incompréhensibles! Qui en effet a jamais connu la pensée du Seigneur? Qui en fut jamais le conseiller? Ou bien qui l’a prévenu de ses dons pour devoir être payé de retour? Car tout est de lui et par lui et pour lui. A lui soit la gloire éternellement! Amen »

PARTIE II: LE MONDE CRÉATURE DE DIEU

Chapitre 1: La production du monde comme un tout

1. Après nous être fait une idée sommaire de la Trinité de Dieu, il faut parler quelque peu du monde, créature de Dieu.

Enoncé

La totalité de la machine du monde a été produite dans l’être, dans le temps, et de rien, par un unique premier Principe, seul et souverain, dont la puissance, bien qu’incommensurable a disposé « toutes choses dans un certain poids et nombre et mesure ».

2. Il faut entendre dans leur sens général, ces affirmations touchant la production des choses: à partir d’elles peut se conclure la vérité et se dissiper l’erreur.

En disant: dans le temps, on exclut l’erreur de ceux qui professent l’éternité du monde.

En disant: de rien, on exclut l’erreur de ceux qui professent l’éternité de la matière.

En disant: par un unique principe, on exclut l’erreur des Manichéens qui proposent la pluralité des principes.

En disant: seul et souverain, on exclut l’erreur de ceux qui professent que Dieu a produit les créatures inférieures par le ministère des intelligences.

En ajoutant: dans un certain poids et nombre et mesure, on montre que là créature est l’oeuvre de la Trinité sous une triple causalité: efficiente, d’où la créature reçoit l’unité, le mode et la mesure exemplaire, par laquelle se trouve dans la créature, la vérité, la beauté et le nombre; finale, par laquelle se trouve dans la créature, la bonté, l’ordre et la pesanteur.

Et tout cela se retrouve dans toutes les créatures comme vestiges du Créateur, soit dans les choses corporelles, soit dans les choses spirituelles, soit dans les choses à la fois corporelles et spirituelles.

3. Explication

Pour que l’ordre des choses soit parfait et définitif, il faut que toutes choses soient reconduites à un seul principe. Ce principe doit être le premier pour donner aux autres leur existence, il doit être le plus parfait pour les conduire à leur achèvement.

Or ce premier principe en qui se trouve l’existence ne peut être qu’unique. S’il crée le monde, il ne peut le créer à partir de lui-même, il le crée donc de rien.

De plus, la production « de rien » signifie l’être après le non-être pour ce qui est produit et, pour le principe, l’infinité de la puissance créatrice. Parce que cela n’appartient qu’à Dieu seul, le monde a été nécessairement produit dans le temps par cette puissance sans limite, agissant par elle-même et immédiatement.

4. En outre, parce que le principe parfait dont découle la perfection de toutes choses, agit nécessairement par lui-même, selon lui-même et pour lui-même — il n’a besoin de rien en agissant hors de lui —, il faut qu’il ait à l’égard de toute créature un dessein selon la triple causalité efficiente, exemplaire et finale. Il faut aussi que toute créature puisse être comparée à la cause première selon cette triple causalité. Toute créature, en effet, est constituée dans l’être par la cause efficiente, elle est conformée à l’exemplaire, elle est ordonnée à une fin.

Par là, elle est une, vraie et bonne; conforme, belle et ordonnée; mesurée, distincte et pesante (la pesanteur est, en effet, une tendance ordonnée). Tout ceci s’applique en général à toute créature corporelle, incorporelle, ou composée de corps et d’esprit comme l’est la nature humaine.

Chapitre 2: La nature corporelle dans sa genèse

1. Il nous faut considérer la nature corporelle dans sa genèse, dans son être et dans son agir.

Enoncé

La nature corporelle a été produite en six jours, de sorte qu’au commencement, avant tout temps, Dieu créa le ciel et la terre Le premier jour a été formée la lumière; le deuxième jour, le firmament a été créé au milieu des eaux; le troisième jour, les eaux ont été séparées de la terre et amassées en un seul lieu; le quatrième jour, le ciel a été orné de luminaires; le cinquième jour, les airs et les eaux ont été peuplés d’oiseaux et de poissons; le sixième jour, la terre a été peuplée d’animaux et d’hommes; le septième jour, Dieu se reposa, non pas de son travail et de son oeuvre, car il continue toujours d’agir, mais il s’arrêta de produire de nouvelles espèces. Il avait fait toutes choses, soit dans leur prototype, ainsi les choses qui se propagent par génération, soit dans leur raison séminale, ainsi les choses qui viennent à l’être autrement.

2. Explication

Les choses viennent du principe premier et par fait. Or, ce principe est tout-puissant, infiniment sage et souverainement bienveillant. Il fallait donc que les choses viennent à l’être de façon que dans leur création éclate cette triple perfection. L’opération divine a donc revêtu une triple forme dans la production du monde:

la création qui, par appropriation, répond à la toute-puissance, la distinction qui répond à la sagesse,

l’ornement qui répond à la bonté très généreuse.

Et parce que la création est à partir de rien, elle a donc été au commencement, avant tout temps, comme fondement de toutes les choses et de tous les temps.

3. En outre, parce que la distinction des corps peut être considérée selon un triple aspect, elle a donc été accomplie en trois jours. Elle est, en effet, distinction de la nature lumineuse, de la nature limpide et de la nature opaque: ceci eut lieu le premier jour, dans la division de la lumière et des ténèbres. Elle est aussi distinction entre les natures limpides: ceci eut lieu le deuxième jour, dans la division des eaux avec les eaux. Elle est enfin distinction entre la nature limpide et la nature opaque: ceci eut lieu le troisième jour, dans la division des eaux et de la terre. Ainsi comprend-on implicitement la distinction entre les cieux et les éléments, comme on l’expliquera plus loin. Ainsi donc, cette distinction a dû se faire en trois jours.

4. L’ornement correspond à la distinction. Il a donc été semblablement achevé en trois jours. Il est, en effet, ornement de la nature lumineuse: ceci eut lieu le quatrième jour dans la formation des étoiles, du soleil et de la lune. Il est aussi ornement de la nature limpide: ceci eut lieu le cinquième jour, lorsque les eaux produisirent les poissons et les oiseaux pour l’ornement des eaux et des airs. Il est enfin ornement de la nature opaque, c’est-à-dire de la terre: ceci eut lieu le sixième jour, lorsque furent créés les animaux et les reptiles et lorsque fut créée, pour l’achèvement de toutes choses, la nature humaine.

5. Toutes ces choses, Dieu aurait pu les faire en un instant. Il préféra cependant les créer dans la succession des temps et ceci pour trois raisons. Tout d’abord, pour donner une représentation distincte et claire de sa puissance, de sa sagesse et de sa bienveillance. Ensuite, pour établir une correspondance convenable entre les jours du temps et les opérations. Enfin, comme dans la création du monde, les semences devaient être jetées des oeuvres à venir, de même devaient être préfigurés les temps futurs.

Ainsi, dans ces sept jours, la distinction de tous les temps était en germe; on l’explique par le déroulement des sept âges. C’est pour cela qu’aux six jours d’opération est ajouté le septième jour de repos. L’Ecriture ne dit pas que ce jour ait eu un soir. Ce n’est pas que ce jour n’ait pas été suivi d’une nuit, mais c’est pour préfigurer le repos des âmes qui n’aura jamais de fin. Si l’on dit, par contre, que toutes les choses ont été faites en même temps, on réfère les sept âges à un point de vue angélique. Cependant, la première manière de parler est plus conforme à l’Ecriture et aux autorités des saints qui ont précédé et suivi le bienheureux Augustin.

Chapitre 3: La nature corporelle dans son être

1. Enoncé

La nature corporelle, dans sa totalité, est tout entière dans les cieux et dans les éléments.

De sorte que la nature céleste est divisée en trois ciels principaux, l’empyrée, le cristallin et le firmament.

Dans le firmament, qui est le ciel étoilé, se trou vent les sept orbites des sept planètes: Saturne, Jupiter, Mars, Soleil, Vénus, Mercure et Lune.

Dans la nature élémentale, on distingue les quatre sphères du feu, de l’air, de l’eau et de la terre. Ainsi, en allant du sommet du ciel au centre de la terre, on trouve dix mondes célestes et quatre sphères élémentales, par quoi est constitué dans son intégralité, distinctement, parfaitement et avec ordre, le monde sensible tout entier.

2. Explication

La nature corporelle, pour être parfaite et pour exprimer la sagesse multiforme du premier principe, requiert une multiplicité de formes, comme on le voit chez les minéraux, les plantes et les animaux. Il était donc nécessaire de créer quelques corps simples qui puissent se mélanger de façon multiple pour introduire une multiplicité de formes. Telle est la nature sujette à la combinaison des contraires, la nature élémentale. Il était nécessaire aussi qu’il y ait une nature par laquelle ces contraires puissent être conciliés dans un composé. Cette nature, libre de toute contrariété, est celle de la lumière et du corps supracéleste

3. Et parce que le mélange ne peut se faire que par des contraires actifs et passifs, il a donc fallu une double contrariété dans les éléments, dans les qua lités actives qui sont le chaud et le froid, et dans les qualités passives qui sont l’humide et le sec. Et parce que chaque élément agit et subit, il possède donc deux qualités, l’une active et l’autre passive de façon cependant que l’une soit principale et propre. Ainsi, n’y a-t-il que quatre éléments correspondant aux quatre qualités précédentes, combinées de façon quadruple.

4. La nature céleste est soit uniforme et immobile, c’est l’empyrée, qui est pure lumière; soit mobile et multiforme, c’est le firmament; soit mobile et uniforme, c’est le ciel moyen entre l’empyrée et le ciel étoilé, le ciel cristallin. La quatrième combinaison qui serait multiforme et immobile est impossible car la multiplicité donne la variété au mouvement et non le repos uniforme.

5. Il y a trois ciels, dont le premier est tout entier lumineux, l’empyrée; le deuxième tout entier clair, le cristallin; le troisième lumineux et clair, le firmament. Donc, puisqu’il y a trois ciels incorruptibles et quatre éléments variables, pour que s’établisse la connexion nécessaire, la concorde et la correspondance, Dieu a disposé sept orbites de planètes pour que, par la variété de leurs mouvements et l’incorruptibilité de leurs formes, elles soient comme un certain lien et un assemblage entre les orbites des éléments inférieurs et celles des corps célestes supérieurs pour achever et orner l’univers. Cet uni vers est ordonné selon des proportions numériques et se compose des dix orbites célestes et des autres éléments qui le rendent proportionnellement aussi beau que parfait et ordonné de façon qu’à sa manière, il représente son principe.

Chapitre 4: La nature corporelle dans son agir et dans son influence

1. Enoncé

Les corps célestes influent sur les corps terrestres et élémentaux dans la désignation distincte des temps, jours, mois et années. L’Ecriture dit, en effet, qu’ils servent de signes pour les saisons, les jours et les années. Ils influent encore dans la production effective des choses engendrables et corruptibles, telles que les minéraux, les végétaux, les sensibles et les corps humains.

Cependant, ils ne servent pas de signes aux temps et ne gouvernent pas les opérations au point d’être les signes certains des futurs contingents et d’in fluer sur le libre-arbitre par la force des constellations, ce que certains philosophes ont appelé le « fatum »

2. Explication

Dans les corps célestes, en raison de leur proximité avec le premier principe, il y a lumière, mouvement, chaleur, force: lumière à cause de sa forme et de sa beauté, mouvement en raison de l’influence d’en-haut, chaleur par rapport à la nature inférieure qui la reçoit, force en raison de tout ce qui vient d’être dit.

Ceci étant, les corps célestes servent, par la lumière et le mouvement, à la distinction des temps, à savoir: du jour selon la lumière du soleil et le mouvement du firmament, du mois selon le mouvement de la lune dans son chemin elliptique, de l’année selon le mouvement du soleil dans le même chemin, des saisons selon le mouvement des diverses planètes, leur opposition et leur conjonction, leur ascension et leur descente, leur disparition et leur repos, qui donnent naissance à la diversité des saisons.

3. Par leur force et leur chaleur, les corps célestes influent sur la production des choses qui naissent à partir des éléments, en les excitant, en les poussant et en les unissant. Ainsi, selon une conciliation inégale des contraires, ils influent sur les minéraux selon une conciliation moins inégale, ils influent sur les végétaux; selon une conciliation presque égale, ils influent sur les animaux; selon une conciliation égale, ils influent sur les corps humains qui sont faits pour la forme la plus noble, l’âme raisonnable, laquelle est ordonné et se termine le désir de toute la nature sensible et corporelle. Par l’âme raisonnable qui est une forme existante, vivante, sensible et intelligente, toute la nature sensible et corporelle est ramenée, à la manière d’un cercle intelligible, à son principe dans lequel elle trouve sa perfection et sa béatitude.

4. Et parce que l’âme raisonnable tend à cela par son libre-arbitre, elle dépasse en perfection toute puissance corporelle en raison de la liberté de son arbitre. A cause de cela, toutes choses sont faites pour la servir. Rien ne peut la dominer sinon Dieu seul et non pas le « fatum », ni quelque force venant de la position des astres.

5. Ainsi, il est indubitablement vrai que nous sommes la fin de toutes choses qui existent. Toutes les choses corporelles sont faites pour le service de l’homme, de sorte que par toutes ces choses, l’homme est poussé à aimer et à louer l’auteur des mondes, dont la providence a disposé toutes choses.

Cet univers sensible des choses corporelles est donc une maison édifiée pour l’homme par le souverain artisan jusqu’à ce qu’il rejoigne la demeure qui n’est pas faite par des mains d’homme et qui est dans les cieux. De la sorte, comme l’âme, en raison du corps et de l’état de mérite, se trouve maintenant sur terre, ainsi plus tard, le corps, en raison de l’âme et de l’état de récompense, sera dans les cieux.

Chapitre 5: La manière dont la sainte Ecriture décrit la création

1. Enoncé

De tout ce qui a été dit, il faut conclure que, comme Dieu a créé les choses avec ordre dans le temps et les a disposées avec ordre dans l’espace, il les gouverne aussi avec ordre dans leur influence. C’est avec le même ordre que l’Ecriture nous en donne une doctrine suffisante, bien qu’elle ne décrive pas si explicitement la distinction des orbites célestes et élémentales et qu’elle dise peu de choses ou rien des mouvements et des formes des corps supérieurs et des mélanges entre les éléments et les composés. Qui plus est, elle ne raconte rien explicitement de la création des esprits supérieurs parce qu’elle décrit surtout notre univers parvenant à l’être.

2. Explication

Le premier principe se fait connaître à nous par l’Ecriture et par la créature. Par le livre de la créature, il se manifeste comme principe effectif; par le livre de l’Ecriture, comme principe de réparation. Le principe de réparation ne peut être connu que s’il est connu aussi comme principe effectif. Donc, la sainte Ecriture, bien qu’elle traite principalement des oeuvres de réparation, doit néanmoins traiter de l’oeuvre de création en tant que celle-ci conduit à la connaissance du premier principe créateur et réparateur. L’Ecriture est donc la connaissance sublime et salutaire: sublime, parce qu’elle traite du principe effectif, Dieu créateur; salutaire, parce qu’elle traite du principe réparateur, le Christ sauveur et médiateur.

3. Et parce que l’Ecriture est sublime, en traitant du premier principe et être souverain, elle ne s’abaisse pas à décrire les natures spéciales, les mouvements, les forces et les différences des êtres. Mais elle se tient dans une certaine généralité dans laquelle est impliqué tout ce qui est spécial, en décrivant la création du monde quant à la disposition et à l’in fluence à l’égard de la nature lumineuse, opaque et limpide.

4. Le premier principe dont traite l’Ecriture possède en soi un ordre de nature en étant principe d’existence, un ordre de sagesse en étant principe de disposition, un ordre de bonté en étant principe d’influence; de sorte que l’ordre de la nature possède la simultanéité et l’égalité, l’ordre de l’influence, la supériorité et l’infériorité.

Donc, pour insinuer l’ordre de la nature, l’Ecriture détermine comme il convenait que Dieu opère: au commencement, avant le déroulement du temps, cette triple nature fut produite du non-être à l’être, lorsqu’il est dit: Dans le principe, Dieu créa le ciel et la terre et l’Esprit de Dieu planait sur les eaux. Le mot « ciel » insinue la nature lumineuse, le mot « terre », la nature opaque, le mot « eaux », la nature limpide sujette à la contrariété ou élevée au-dessus. La Trinité éternelle est aussi insinuée, le Père par le mot « Dieu créateur », le Fils par le mot « Principe », l’Esprit Saint par le mot « Esprit de Dieu » Ainsi faut-il comprendre ce qui est dit: Celui qui vit éternellement a créé tout ensemble. Non qu’il ait créé dans le chaos d’une confusion absolue, comme l’ont écrit les poètes, puisqu’il a produit cette triple nature, la supérieure au sommet, la médiane au milieu, l’inférieure en bas. Il ne l’a pas créée non plus dans l’être dans une distinction absolue, puisque le ciel était parfait et la terre vague, la nature moyenne comme tenant le milieu, n’ayant pas encore atteint la distinction parfaite.

5. Pour insinuer l’ordre de la sagesse dans la disposition des choses, l’Ecriture détermine que cette triple nature ne fut pas en même temps distincte et ornée. Mais selon l’exigence de cette triple nature créée, elle fut distincte en trois jours et ornée en trois autres jours. De sorte que, comme Dieu a créé au commencement la nature triple simultanément au début du temps, ainsi avec la succession du temps en une triple mesure temporelle, c’est-à-dire en trois jours, Dieu a fait la triple distinction de la triple nature créée. En trois autres jours, il a fait le triple ornement de la triple nature distincte.

6. Pour insinuer l’ordre de la bonté dans l’in fluence, l’Ecriture détermine que cette triple nature a été placée dans le monde selon sa dignité et son influence. La nature lumineuse ayant la plus grande beauté, il lui revenait d’entourer toutes choses. La nature opaque ayant moins de beauté, il lui revenait d’être au centre. La nature limpide tenant le mi lieu, il lui revenait d’être au milieu. Et parce que la nature limpide est commune à la nature céleste et à la nature élémentale et qu’en outre la nature lumineuse convient aux deux, il est donc dit juste ment que le firmament a été créé au milieu des eaux, non parce que les eaux qui sont au-dessus des cieux sont liquides, froides, pesantes et corruptibles, mais parce qu’elles sont subtiles et incorruptibles, limpides et élevées au-dessus de toute contrariété et par là de nature céleste et devant se situer parmi les natures célestes en raison de la dignité de leur forme.

7. Ces eaux occupent cette place en raison aussi de leur forme et de leur influence. En effet, toute action corporelle dans les choses inférieures tire sa règle, son origine et sa force de la nature céleste. Puisqu’il y a deux qualités actives, le chaud et le froid et qu’il y a un certain ciel principalement influent et chaud, le ciel sidéral en raison de sa luminosité, il convenait qu’un certain ciel influe sur le froid, c’est le cristallin. Et comme le ciel sidéral, bien qu’il influe pour créer la chaleur, n’est pas formellement chaud, ainsi le ciel qu’on appelle aqueux ou cristallin, n’est pas essentiellement froid.

De là, lorsque les saints disent que les eaux sont placées là pour réprimer la chaleur des corps supérieurs et autres choses semblables, il faut l’en tendre non pas formellement, mais selon l’efficience et l’influence.

La production des créatures, selon l’ordre que nous venons de dire, correspond à l’ordre de la sagesse créatrice et de la divine Ecriture, car elle est la science sublime.

8. En outre, I’Ecriture est la science salutaire. Elle ne traite donc de l’oeuvre de création qu’en vue de l’oeuvre de réparation. Et parce que les anges ont été ainsi créés qu’ils n’ont pas été rachetés après leur chute, comme on le dira plus loin, l’Ecriture, si on la prend à la lettre, se tait donc sur la chute et la création des anges, car leur chute ne devait pas être suivie de réparation.

9. Parce qu’il ne convenait pas à la sublimité de l’Ecriture qu’elle se taise absolument sur la création de la créature la plus sublime, elle décrit donc la création des choses comme l’exige la science sublime et salutaire, de façon cependant que, selon le sens spirituel de l’Ecriture, toute la création décrite par la lettre se rapporte spirituellement à la hiérarchie angélique et ecclésiastique. Selon le sens spirituel, dans ces trois natures sont décrites la hiérarchie angélique par le mot « ciel », la hiérarchie ecclésiastique par le mot « terre » et la grâce qui irrigue les deux hiérarchies par le mot « eaux ».

10. En outre, par les sept jours, on entend l’état septiforme de l’Eglise dans le déroulement des sept âges On entend aussi la conversion septiforme des anges, de la créature à Dieu.

Ainsi, dans tout ce que l’on vient de dire, apparaît la suffisance et la vérité de l’Ecriture dans les diverses opinions des saints, Augustin et autres, opinions qui ne se contredisent pas, puisqu’elles sont vraies si on les comprend bien.

Chapitre 6: La création des esprits supérieurs 

1. faut traiter maintenant de la nature spirituelle et incorporelle comme l’est la nature angélique au sujet de laquelle il faut considérer la création des esprits supérieurs, la ruine des démons et la confirmation des bons anges.

2. Enoncé

Les anges possèdent, dès leur création, quatre qualités

— La simplicité de l’essence,

— la distinction des personnes,

— le don de la raison avec mémoire, intelligence et volonté,

— et enfin le libre-arbitre pour choisir le bien et rejeter le mal.

Ces quatre qualités principales sont accompagnées

de quatre autres

— la virtuosité dans l’agir,

— l’empressement dans le service,

— la perspicacité dans le savoir,

— l’immutabilité après le choix soit dans le bien, soit dans le mal.

3. Explication

Le premier principe, par le fait qu’il est premier, a produit toutes choses à partir de rien, non seule ment ce qui est proche de rien, mais aussi ce qui est proche de lui-même non seulement la substance éloignée de lui comme l’est la substance corporelle, mais aussi celle qui est proche de lui, la substance intellectuelle et incorporelle qui, par le fait qu’elle est la plus semblable à Dieu, possède la simplicité de la nature et la distinction des personnes afin de ressembler à Dieu par la substance commune aussi bien qu’individuelle. Cette substance possède aussi dans l’esprit l’image de la Trinité par la mémoire, l’intelligence et la volonté. Elle possède enfin la liberté de la volonté afin de ressembler à Dieu par la puissance naturelle aussi bien qu’élective, la puissance naturelle étant marquée par l’image de Dieu, la puissance élective par la liberté de l’arbitre.

Cette substance ne pourrait, en effet, en aucune façon, parvenir, de façon méritoire, à la récompense glorieuse qui rend chacun bienheureux, si elle ne possédait le libre-arbitre de la volonté. Or, ceci ne peut être que dans une substance rationnelle accompagnée de mémoire, d’intelligence et de volonté.

Là où est la raison, il faut que soit, selon Boèce, « la substance individuée d’une nature rationnelle » Il faut aussi qu’il y ait substance spirituelle et incorporelle et, par là, simple, sans aucune dimension quantitative.

4. Une telle substance, par le fait qu’elle est simple, possède la virtuosité dans l’agir. A cause de cette virtuosité et de sa distinction personnelle, lui revient de servir dans une charge distincte. Du fait de sa simplicité et de sa virtuosité, lui revient la perspicacité dans le discernement. Par le fait qu’elle est simple et perspicace, ayant une intelligence à l’image de Dieu, elle possède la stabilité après le choix soit dans le bien, soit dans le mal.

Ces conditions sont liées dans leur généralité à la création des esprits supérieurs en général.

Chapitre 7: L’apostasie des démons

1. Enoncé

Dieu a fait tous les anges bons se situant cependant entre lui, souverain bien, et le bien relatif qui est celui de la créature: de sorte que s’ils se tournent à aimer ce qui est au-dessus d’eux, ils s’élèvent à l’état de grâce et de gloire. Si, par contre, ils se tournent vers le bien relatif qui est au-dessous d’eux, ils se ruent vers le mal de la faute et de la peine, car il n’y a as de honte du péché sans la parure de la justice.

Lucifer, premier entre les anges, présumant d’un bien personnel, a désiré une puissance personnelle en voulant surpasser les autres. Il tombe donc avec tous ceux qui pensaient comme lui. En tombant, il est devenu impénitent, obstiné, aveuglé, exclu de la contemplation de Dieu, désordonné dans l’agir, cher chant de toutes ses forces à faire tomber l’homme par de multiples tentations.

2. Explication

Le premier principe étant souverainement bon, ne fait rien qui ne soit bon, parce que du bien ne procède que le bien. Cependant, ce qui est créé par lui, par ce fait, lui est inférieur et donc ne peut être le souverain bien. L’ange fut donc créé bon par Dieu, mais pas souverainement bon. Il pouvait cependant achever sa perfection en tendant par amour vers le souverain bien.

3. Et parce que, par le libre-arbitre de sa volonté, il pouvait tendre vers le souverain bien ou se tourner vers un bien personnel, Lucifer, excité par la considération de sa beauté et de sa grandeur, à s’aimer lui-même et à aimer son bien personnel, présuma de sa grandeur, désira une puissance propre qu’il n’avait pas. Par là, en présumant ainsi, il se constitua à lui-même son principe en se glorifiant lui-même; et en désirant ainsi, il se Constitua à lui-même son souverain bien, en se reposant sur lui-même. Comme il n’était ni le souverain principe, ni le souverain bien, il fallait que par Cette ascension désordonnée, il tombât et, pour la même raison, tous ceux qui pensaient comme lui.

4. Et parce qu’il n’y a pas de honte du péché sans la parure de la justice, aussitôt donc, en tombant dans le péché et avec lui, ses semblables, il perdit sa place souveraine, l’empyrée, descendant au plus bas, dans l’air obscur, dans l’enfer, de sorte que sa chute dans le péché étant l’oeuvre de son libre-arbitre, sa chute dans la peine fut l’oeuvre du juge ment divin. Et parce qu’il possédait l’immutabilité après le choix, il devint immédiatement obstiné dans le mal, et par là, aveuglé et ne voyant plus le vrai, désordonné dans son action et affaibli dans sa puissance. Sa volonté impie et son action détournée de Dieu, se tournèrent vers la haine et l’envie de l’homme. La perspicacité de sa raison, privée de la vraie lumière, se tourna vers les tromperies par les divinations et les impostures. Son office personnel éloigné du vrai service se tourna vers les tentations. Sa virtuosité amoindrie et rapetissée s’est tournée, autant qu’il est permis, vers les merveilles qu’il opère par des transmutations secrètes sur les créatures corporelles. Or, parce que toutes ces choses sont désordonnées par la volonté que l’orgueil a dépravée, il les convertit toutes à exciter sa superbe, cherchant à être révéré et admiré par les hommes à l’instar de Dieu. De là vient qu’il fait mal toutes choses Cependant Dieu juste le permet maintenant pour le châtiment des méchants et la gloire des bons, ainsi qu’il apparaîtra au jugement dernier.

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Chapitre 8: La confirmation des bons anges

Enoncé

De même que les anges qui se détournèrent de Dieu furent aussitôt obstinés par impénitence, ceux qui se tournèrent vers Dieu furent aussitôt confirmés par la grâce et la gloire dans leur volonté, parfaite ment illuminés dans leur raison selon la connaissance matutinale et vespérale, parfaitement fortifiés dans leur force de commandement ou d’exécution et parfaitement ordonnés dans leur action de contemplation ou de service.

Et ceci dans une triple hiérarchie: suprême, médiane et inférieure. A la hiérarchie suprême, appartiennent les Trônes, les Chérubins et les Séraphins. A la hiérarchie médiane, les Dominations, les Vertus et les Puissances. A la hiérarchie inférieure, les Principautés, les Archanges et les Anges. Parmi eux tous, certains ont été envoyés en service et délégués à la garde des hommes qu’ils servent en les purifiant, les illuminant et les parachevant, selon les ordres du vouloir divin.

2. Explication

Les anges, à cause de leur ressemblance expresse et de leur proximité au premier et souverain principe, possèdent une intelligence déiforme et l’immutabilité après le consentement donné par le libre-arbitre. Recevant la grâce divine, tournés vers le souverain bien, comme ils tendaient totalement vers Dieu, ils furent confirmés par la gloire et également rendus parfaits. Ils furent, dans leur volonté rendus stables et heureux, dans leur raison perspicaces, au point de connaître les choses non seulement en elles-mêmes, mais aussi dans l’art éternel et par là, ils n’acquirent pas seulement la connaissance du soir, mais aussi celle du matin ou peut-être du jour, à cause de la plénitude et de la pureté absolue de cette lumière à l’égard de laque le toute créature peut être appelée, à juste titre, ténèbre. Dans leur virtuosité, ils ont été parfaitement fortifiés soit dans le commandement, soit dans l’exécution, qu’ils revêtent un corps ou non Dans leur action, ils ont été parfaitement ordonnés, de sorte qu’ils ne pouvaient plus se désordonner ni en s’élevant à la contemplation de Dieu, ni en s’abaissant au service de l’homme, car en contemplant Dieu face à face , où qu’ils soient envoyés, c’est toujours en Dieu qu’ils courent.

3. Ils sont créés et agissent selon un ordre hiérarchique commencé en eux par la nature et achevé par la gloire qui, en stabilisant l’instabilité du libre arbitre, a illuminé leur perspicacité, ordonné leur service et renforcé leur virtuosité, selon les quatre qualités mentionnées plus haut La perspicacité de la raison dans la contemplation se rapporte principalement à la vénération de la majesté divine, à la compréhension de la vérité ou au désir de la bonté.

Dans la première hiérarchie, se trouvent trois ordres, les Trônes à qui revient la révérence, les Chérubins à qui revient la sagesse, les Séraphins à qui revient la bienveillance.

A la parfaite virtuosité correspond la force de commandement, la force d’exécution et la force de combat”. La première revient aux Dominations, la deuxième aux Vertus, la troisième aux Puissances, dont le rôle est de repousser les puissances contraires.

Au service parfait, revient le gouvernement, la révélation et le relèvement. Les Principautés gouvernent, les Archanges révèlent, les Anges soutiennent parce qu’ils gardent ceux qui sont debout de peur qu’ils ne tombent et aident ceux qui sont tombés à ressurgir.

Ainsi, il est évident que tout cela existe dans les anges plus ou moins, selon une gradation allant des plus hauts aux plus bas. Chaque ordre angélique doit tirer son nom de la charge plus spéciale qu’il a reçue.

Chapitre 9: La création de l’homme dans son âme

1. Après avoir parlé de la nature corporelle et de la nature incorporelle, il faut dire quelques mots de la nature composée des deux précédentes, en traitant d’abord de l’esprit puis de la chair, enfin de tout l’homme.

Enoncé

L’âme raisonnable est une forme existante, vivante, intelligente et jouissant de liberté.

Forme existante, c’est-à-dire, n’existant ni par elle-même, ni de par la nature divine, mais créée dans l’être par Dieu, de rien.

Forme vivante, elle vit non par une nature extrinsèque, mais par elle-même, non d’une vie mortelle mais d’une vie perpétuelle.

Forme intelligente, elle connaît non seulement l’essence créée, mais aussi l’essence créatrice à l’image de laquelle elle a été faite mémoire, intelligence et volonté.

Forme douée de liberté, elle est toujours libre de toute contrainte. Dans l’état d’innocence, elle était libre de toute misère et de toute faute, elle ne l’était plus dans l’état de nature déchue. Or, cette liberté de toute contrainte n’est rien d’autre qu’une faculté de la volonté et de la raison, qui sont les puissances principales de l’âme 

2. Explication

Le premier principe est souverainement bienheureux et bienveillant. Par sa souveraine bienveillance, il communique à la créature sa béatitude, non seule ment à la créature spirituelle proche de lui, mais aussi à la créature corporelle et éloignée de lui. Il la communique cependant à la créature corporelle et éloignée d’une façon médiate, car la loi de la divinité est que les choses d’en bas retournent au sommet par les choses intermédiaires. Dieu n’a donc pas fait capable de bonheur seulement l’esprit angélique et séparé, mais aussi l’esprit conjoint, qui est l’esprit humain.

L’âme raisonnable est donc une forme capable de béatitude. Or, parvenir à la récompense de la béatitude n’est glorieux qu’en raison du mérite et il n’y a mérite que dans ce qui est fait volontairement et librement. Il fallait donc que le libre-arbitre soit donné à l’âme raisonnable par l’éloignement de toute contrainte, car il est de la nature de la volonté de ne pouvoir être contrainte en aucune façon, bien que, par sa fau te, elle se rende misérable et esclave du péché.

3. En outre, forme apte à la béatitude, elle est capable de Dieu par mémoire, intelligence et volonté en cela, elle est à l’image de la Trinité à cause de l’unité dans l’essence et de la trinité dans les puissances. Il fallait donc que l’âme puisse connaître Dieu et toutes choses et, par là, qu’elle soit marquée à l’image de Dieu.

Or, parce qu’aucun bienheureux ne peut perdre la béatitude, rien ne pouvait être capable de béatitude sans être incorruptible et immortel. Il fallait donc que l’âme raisonnable soit vivante, de par sa nature, d’une vie immortelle.

4. Enfin, parce que tout être qui attend d’un autre la béatitude et qui est immortel, est sujet au changement dans son être moral et incorruptible dans son être, l’âme n’est donc pas elle-même, elle n’est pas de la nature divine — puisqu’elle est sujette au changement —; elle n’est pas non plus produite à partir d’autre chose, ni engendrée par la nature, puisqu’elle est immortelle et incorruptible. Ainsi, cette forme ne peut être introduite dans l’être par génération, car tout ce que la nature engendre est par nature corruptible De ceci il apparaît combien la fin de la béatitude impose nécessairement les conditions indiquées à l’âme ordonnée à la béatitude.

5. Parce qu’elle est capable de béatitude, l’âme est immortelle. Donc, lorsqu’elle est unie à un corps mortel, elle peut en être séparée. Par là, elle est non seulement forme, mais aussi substance singulière. Elle n’est donc pas unie au corps seulement comme perfection, mais comme moteur. Ainsi, elle achève par son essence ce qu’elle meut également par sa puissance. Or, parce qu’elle ne donne pas seule ment d’être, mais aussi de vivre, de sentir et de comprendre, elle possède donc une puissance végétative, sensitive et intellective. Par la puissance végétative, elle engendre, nourrit et fait croître; principe de quiddité dans la génération, de qualité dans la nutrition, de quantité dans la croissance “. Par la puissance sensitive, elle appréhende les choses sensibles, retient ce qu’elle a appréhendé, compose et divise ce qu’elle a retenu; elle appréhende par les cinq organes extérieurs des sens qui correspondent aux cinq corps principaux du monde, elle retient par la mémoire, compose et divise par l’imagination qui est la première puissance d’association. Par la puissance intellective, elle discerne le vrai, repousse le mal et recherche le bien; elle discerne le vrai par la raison, repousse le mal par l’irascible, recherche le bien par le concupiscible.

6. En outre, parce que la connaissance est distinction du vrai, et que l’affectivité est répulsion et attirance, l’âme entière est divisée en connaissance et affectivité.

7. Allons plus loin. La connaissance du vrai est double: elle est connaissance du vrai comme vrai ou du vrai comme bien, elle est aussi connaissance du vrai éternel, supérieur à l’âme, ou temporel, inférieur à elle. De là, la puissance de connaissance, en tant qu’intelligence et raison, se divise ainsi: l’intelligence en intelligence spéculative et intelligence pratique, la raison en portion supérieure et portion inférieure. Ce sont là fonctions diverses plutôt que puissances distinctes

8. Enfin, l’appétit peut se porter vers quelque chose de deux façons, selon un instinct naturel ou selon une délibération et un arbitre. Ainsi, la puissance affective se divise en volonté naturelle et en volonté élective qui est la volonté proprement dite. Parce qu’une telle élection est indifférente aux partis qu’elle peut prendre, elle vient donc du libre-arbitre.

Cette indifférence vient d’une délibération à laquelle se joint la volonté. Le libre-arbitre est donc faculté et de la raison et de la volonté, de sorte que, comme le dit saint Augustin, il comprend toutes les puissances raisonnables que nous avons mentionnées plus haut. Saint Augustin dit en effet: « Lorsque nous parlons du libre-arbitre, nous ne parlons pas d’une partie de l’âme, mais de l’âme tout entière.»

Du concours de ces puissances, la raison faisant retour sur elle-même et de la volonté l’accompagnant, naît l’intégrité de la liberté qui est principe de mérite et de démérite, selon que l’on choisit le bien ou le mal.

Chapitre 10: La création de l'homme dans le corps

1. Enoncé

Le corps du premier homme a été créé et formé du limon de la terre de telle façon qu’il était sou mis à l’âme et, à sa manière, doué de proportion. Il étaie doué de proportion dans sa complexion harmonieuse, dans son organisation belle et multiple et dans la droiture de sa stature. Il était soumis, obéissant sans se rebeller, engendrant et engendrable sans sensualité, plein de vie sans défaillance, immuable et absolument incorruptible, car la mort ne l’atteignait pas. A cause de cela, le paradis terrestre lui fut donné comme habitation paisible.

La femme a été formée d’une côte de l’homme pour être sa compagne et l’aider dans la propagation sans péché.

Il lui fut donné aussi l’arbre de vie, dont la végétation était continue et qui le rendait parfaitement immuable d’une immortalité perpétuelle.

2. Explication

Le premier principe est, dans la création, tout puissant, souverainement sage et infiniment bon et il le manifeste d’une certaine façon dans toutes les créatures. Il devait donc par-dessus tout le manifester dans la dernière et la plus noble des créatures, l’homme, qu’il produisit le dernier de toutes les créatures et en qui devait apparaître et éclater la consommation des oeuvres divines.

3. Pour que dans l’homme soit manifestée la puissance de Dieu, il fut créé à partir des natures les plus distantes, en les unissant dans une seule personne et nature. Ce sont le corps et l’âme dont le premier est substance corporelle, l’autre l’âme, substance spirituelle et incorporelle. Ces deux substances sont les plus distantes dans leur genre.

4. Pour que se manifeste la sagesse de Dieu, le corps fut créé proportionné à sa façon à l’âme. Donc, puisque le corps est uni à l’âme comme à ce qui l’achève, le meut et l’élève à la béatitude, pour qu’il soit conformé à l’âme vivifiante, il reçut une complexion harmonieuse non quant au poids ou à la masse, mais dans l’égalité de la justice naturelle qui le dispose au mode de vie le plus noble. Pour qu’il soit conformé à l’âme qui le meut, par la multiplicité des puissances, il reçut une multiplicité d’organes pleins de charmes, d’art et de conductibilité, comme on le voit dans le visage et dans la main qui est l’organe des organes. Pour être conformé à l’âme qui l’élevait vers le ciel, il reçut la station debout et la tête dirigée vers le haut. Ainsi, la rectitude du corps témoignait de la rectitude de l’esprit.

5. Enfin, pour que soit manifestée dans l’homme la bonté et la bienveillance de Dieu, l’homme fut créé sans aucune tache ni faute et sans aucun châtiment ni misère. Car, comme le premier principe est tout en même temps souverainement bon et juste, parce qu’il est souverainement bon, il ne peut faire l’homme que bon, et, par là, innocent et droit parce qu’il est souverainement juste, il ne peut lui infliger de peine, car il n’avait absolument pas péché. Ainsi, il donna ce corps à l’âme raisonnable pour qu’il lui soit soumis et qu’il n’y ait en lui aucune lutte de rébellion, aucune corruption de la mort. Ainsi, le corps était conforme à l’âme de sorte que, comme l’âme était innocente et cependant pouvait tomber dans la faute, le corps était impassible et cependant pouvait tomber dans la peine. Il pouvait donc ne pas mourir et pouvait mourir Il pouvait posséder la suffisance et tomber dans le besoin. Il pouvait être soumis à l’âme et pouvait aussi entrer en rébellion et en lutte avec elle.

6. C’est pourquoi, dans cet état, le corps était tel qu’il pouvait partager sa semence pour la propagation de la race avec l’être du sexe féminin qui devenait également principe avec lui. Il pouvait aussi consommer sa substance nutritive par l’action de la chaleur; il pouvait néanmoins se restaurer en mangeant des arbres du paradis, ses humeurs intérieures étant ainsi renouvelées ou maintenues par l’arbre de vie. Cet arbre possédait la vertu d’être, comme le dit Augustin non seulement nourriture mais aussi sacrement.

Donc, l’incorruption et l’immortalité du corps d’Adam provenait: principalement de l’âme comme d’une forme unificatrice et influente; du corps qui, par sa complexion bonne et harmonieuse, était apte à la recevoir; de l’arbre de vie qui le vivifiait et le nourrissait; enfin du gouvernement de la divine providence qui le conservait du dedans et le protégeait du dehors.

Chapitre 11: La création de l’homme corps et âme

1. Enoncé

Il a été donné à l’homme

— un double sens, intérieur et extérieur, de l’es prit et de la chair,

— un double mouvement, impératif dans la volonté et exécutif dans le corps,

— un double bien, visible et invisible,

— un double précepte, de nature et de discipline. Le précepte de nature était: Croissez et multipliez; le précepte de discipline était: Ne mangez pas de l’arbre de la science du bien et du mal.

Selon quoi, il a été donné à l’homme une aide quadruple, la science, la conscience, la syndérèse et la grâce qu’il possédait en suffisance pour demeurer dans le bien et par là avancer, et pour éviter le mal et éviter d’y tomber.

2. Explication

Le premier principe a fait ce mode sensible pour se manifester lui-même, c’est-à-dire que par ce monde, comme par un miroir et un vestige, l’homme doit remonter à Dieu créateur qu’il doit aimer et louer. Selon quoi, il y a deux livres, l’un écrit intérieurement qui est l’art et la sagesse éternelle de Dieu, l’autre écrit au-dehors, le monde sensible. Donc, puisqu’il existait une créature douée de sens interne pour connaître le livre intérieur, c’était l’ange, et qu’il existait une autre créature douée du sens extérieur, c’était chaque animal, la perfection de l’univers de mandait qu’il existât une créature douée de ce double sens pour connaître le livre écrit à l’intérieur et au-dehors, c’est-à-dire la sagesse et son oeuvre. Et parce que dans le Christ se trouve réunies la sagesse éternelle et son oeuvre en une seule personne, il est appelé le livre écrit au-dedans et au-dehors pour le salut du monde.

3. Parce qu’à chaque sens correspond un mouvement, il a été donné à l’homme un double mouvement: le premier selon l’impulsion de la raison dans l’esprit, le second selon l’impulsion de la sensibilité dans la chair. Il appartient au premier de commander, au second d’exécuter selon la rectitude de l’ordre. Quand le contraire arrive, alors la rectitude et le gouvernement de l’âme sont jetés hors de leur condition.

4. Parce qu’à chaque mouvement et à chaque sens correspond une tendance vers un certain bien, un double bien a été proposé à l’homme: « le premier visible, le second invisible; le premier temporel, le second éternel; le premier charnel, le second spirituel. De ces biens, Dieu a donné l’un et promis l’autre, pour que le premier soit possédé gratuitement et le second recherché par le mérite ».

5. Parce que ce bien est donné en vain s’il n’est pas gardé, et promis en vain si l’on n’y parvient pas, un double précepte a été donné à l’homme: le premier naturel pour garder le bien donné, le second disciplinaire pour gagner le bien promis, qui ne peut être mérité mieux que par la pure obéissance. L’obéissance est pure quand le précepte oblige par lui-même et non pour une autre raison. Un tel précepte est appelé précepte disciplinaire parce qu’il enseigne par lui-même combien est grande la puissance de l’obéissance qui, par son mérite, conduit au ciel, et, par son mépris, précipite en enfer. Ce précepte n’est pas donné à l’homme à cause du besoin qu’aurait Dieu de l’hommage de l’homme, mais pour indiquer le moyen de mériter la couronne par une pure et volontaire obéissance.

6. Parce que l’homme, en raison de sa nature imparfaite, formée à partir de rien et non confirmée par la gloire, pouvait tomber, le Dieu très bienveillant lui a apporté une aide quadruple: aide double de la nature et aide double de la grâce. Dieu a insufflé une double rectitude à cette nature: l’une pour juger droitement, c’est la conscience, l’autre pour vouloir droitement, c’est la syndérèse dont le rôle est d’exciter contre le mal et de stimuler pour le bien. Dieu a surajouté la double perfection de la grâce: celle de la grâce gratis data qui était la science illuminant l’intelligence pour se connaître elle-même, connaître son Dieu et ce monde créé pour elle et celle de la grâce gratum faciens qui était la charité habilitant l’affectivité à aimer Dieu par dessus tout et le prochain comme soi-même.

Ainsi, avant la chute, l’homme possédait une nature parfaite, survêtue aussi de la grâce divine. Par là, il résulte manifestement que si l’homme est tombé, ce ne fut que par sa faute, car il a méprisé l’obéissance.

Chapitre 12: L’accomplissement et l’ordonnance du monde achevé

1. Enoncé

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De tout ce que l’on vient de dire, on peut conclure que la création du monde est semblable à un livre dans lequel éclate, est représentée et est lue la Trinité créatrice selon un triple degré d’expression par mode de vestige, d’image et de ressemblance. L’idée de vestige se trouve dans toutes les créatures l’idée d’image, dans les seules créatures intelligentes ou esprits raisonnables; l’idée de ressemblance, dans les seules créatures déiformes. Ainsi, comme par les degrés d’une échelle, l’intelligence humaine est capable de s’élever graduellement jusqu’au principe souverain, qui est Dieu.

2. Explication

Toutes les créatures ont un rapport et une dépendance vis-à-vis de leur Créateur. Elles peuvent lui être comparées d’une triple manière, soit comme au principe de création, soit comme à l’objet qui les meut, soit comme au don qui les habite. De la première manière, tout ce qui est fait lui est comparé, de la seconde manière toute intelligence, de la troisième tout esprit juste et agréable à Dieu.

Tout ce qui est fait, si peu d’être ait-il, a Dieu pour principe. Toute intelligence, si peu de lumière ait-elle, est capable de saisir Dieu par la connaissance et l’amour. Tout esprit juste et saint possède le don du Saint Esprit infus en lui.

3. La créature ne peut avoir Dieu pour principe sans lui être configurée selon l’unité, la vérité et la bonté. Elle ne peut avoir Dieu pour objet sans le saisir par la mémoire, l’intelligence et la volonté. Elle ne peut posséder Dieu comme don infus sans lui être configurée par la foi, l’espérance et la charité, qui sont le triple don. Or, la première conformité est lointaine, la deuxième proche, la troisième toute proche. On appelle donc la première vestige de la Trinité, la deuxième image, et la troisième ressemblance.

4. L’esprit raisonnable tient donc le milieu entre la première et la dernière; la première est inférieure, la deuxième intérieure, la troisième supérieure. Donc, dans l’état d’innocence, lorsque l’image n’était pas viciée, mais rendue déiforme par la grâce, le livre de la créature suffisait, dans lequel l’homme pouvait s’exercer lui-même à saisir la lumière de la sagesse divine. De sorte qu’il était si sage qu’il voyait toutes choses en lui-même, qu’il les voyait en elles-mêmes et qu’il les voyait dans l’art éternel, par le fait que les choses ont un triple être, l’être dans la matière, c’est-à-dire dans leur nature propre, l’être dans l’intelligence créée et l’être dans l’art éternel, ainsi que le dit l’Ecriture, Dieu dit: « Que soit, il fit et ce fut fait ».

5. A cause de cette triple vision, l’homme a reçu un triple regard comme le dit Hugues de Saint Victor un regard de chair, un regard de raison et un regard de contemplation: le regard de chair pour voir le monde et tout ce qui est dans le monde, le regard de raison pour voir l’esprit et tout ce qui est dans l’esprit, le regard de contemplation pour voir Dieu et tout ce qui est en Dieu. Ainsi, par le regard de chair, l’homme voit les choses qui sont hors de lui, par le regard de raison les choses qui sont en lui, par le regard de contemplation les choses qui sont au-dessus de lui. Ce regard de contemplation n’atteint la perfection de son acte que dans la gloire, s’il perd par la faute et récupère par la grâce, la foi et la connaissance des Ecritures. Par elles l’esprit humain est purifié, illuminé et perfectionné pour contempler les choses célestes.

L’homme déchu ne peut y parvenir sans d’abord reconnaître ses défauts et ses propres ténèbres. Il ne peut le faire qu’en considérant et en observant la ruine de la nature humaine.

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PARTIE III: LA CORRUPTION DU PÉCHÉ

Chapitre 1: L’origine du mal en général

1. Après avoir précisé certaines idées sur la Trinité de Dieu et la création du monde, il nous faut maintenant traiter quelque peu de la corruption du péché.

Enoncé

Le péché n’est pas une essence, mais une défaillance et une corruption qui affecte le mode, l’espèce et l’ordre dans la volonté créée Ainsi, la corruption du péché est contraire au bien lui-même, elle n’a cependant d’être que dans le bien, elle ne tire son origine que d’un bien, ce qu’est certes le libre-arbitre de la volonté. Celui-ci n’est pas souverainement mauvais puisqu’il peut vouloir le bien, il n’est pas souverainement bon puisqu’il peut tomber dans le mal.

Explication

2. Le premier principe, étant l’être par lui-même et non par un autre, doit nécessairement être sa propre fin, donc souverainement bon, sans aucun défaut. Il n’y a pas et ne peut y avoir un mal premier et souverain, car premier principe signifie suprême perfection, et souverain mal signifie défaut extrême. Donc, puisque le premier principe, être suprême et parfait, ne peut défaillir ni dans l’être ni dans l’agir, il n’est pas le mal souverain, ni un mal quelconque, et ne peut en aucune façon être le principe du mal.

Cependant, étant tout-puissant, il peut conduire le bien du non-être à l’être même sans appui d’aucune matière. Ce qu’il fit lorsqu’il forma la créature à laquelle il donna l’être, l’intelligence et la volonté. La créature, oeuvre du souverain bien a été créée selon une triple causalité; elle a dans sa substance et dans sa volonté un mode, une espèce et un ordre. Elle a été faite pour accomplir ses oeuvres par Dieu, selon Dieu et pour Dieu, selon le mode, l’espèce et l’ordre mis en elle.

3. Créée à partir du néant et donc déficiente, elle pouvait défaillir de son agir-pour-Dieu au point d’agir pour elle-même et non pour Dieu, et par là même ni par Dieu, ni selon Dieu, ni pour Dieu. Ceci est le péché qui est corruption du mode, de l’espèce et de l’ordre. Etant un défaut, il n’a pas de cause efficiente, mais il a une cause déficiente, le défaut de la volonté créée.

4. Le péché étant corruption n’est corruption que du bien. Or, toute corruption se trouve dans une chose corruptible; le péché ne se trouve donc que dans le bien. Ainsi, puisque la volonté libre cor rompt en elle-même le mode, l’espèce et l’ordre en défaillant du vrai bien, tout péché en tant que tel provient de la volonté comme de sa source première et se trouve dans la volonté comme dans son propre sujet. C’est ce que fait la volonté quand, par sa faillibilité, sa mutabilité et sa versatilité, elle méprise le bien sans défaut et immuable et s’attache au bien changeant.

5. De ceci résulte que le « péché n’est pas recherche des choses mauvaises, mais abandon des choses meilleures ». Il est donc dans l’appétit de la volonté, corruption du mode, de l’espèce et de l’ordre, et par là « tellement volontaire que s’il n’est pas volontaire, ce n’est pas un péché » Si l’on a compris ceci, on rejette manifestement l’opinion impie des Manichéens qui affirmaient l’existence d’un mal souverain premier principe de tous les maux. On voit aussi quelle est l’origine du mal et quel en est le sujet.

Chapitre 2: La tentation de nos premiers parents

1. Pour comprendre comment la corruption du péché est entrée dans le monde, il faut considérer la chute de nos premiers parents, la transmission de la faute originelle et l’origine ou racine du péché actuel. Au sujet de la chute de nos premiers parents, trois aspects sont à considérer, la tentation diabolique, la faute commise et le châtiment infligé.

Enoncé

2. Dieu avait créé l’homme dans la félicité du paradis, en deux sexes, le mâle et la femelle. Le diable envia l’homme; ayant revêtu l’aspect du serpent, il aborda la femme. Il lui demanda d’abord:

« Pourquoi Dieu vous a-t-il prescrit de ne pas manger? Puis il affirma: « Vous ne mourrez pas ». Enfin il fit une promesse: « Vous serez comme des dieux qui connaissent le bien et le mal ». Par cette tentation, il voulait faire tomber la femme plus faible et par elle ensuite terrasser le sexe mâle, ce qu’il fit avec la permission de Dieu.

Explication

3. Le premier principe est tout-puissant dans la création, il est aussi très droit dans le gouvernement.

« Il gouverne les choses qu’il a créées en les laissant agir de leur propre mouvement »

Parce que l’homme était ainsi créé qu’il devait par venir, par la victoire dans le combat, à la récompense du repos éternel, Dieu, qui savait que l’homme succomberait à la tentation, devait cependant permettre que l’homme soit tenté par celui qui savait, pouvait et voulait.

Parce que le diable, auparavant doué de science et de rectitude, était tombé par son orgueil et était devenu rusé et envieux, il voulait tenter par envie et le savait par astuce. Il tenta donc pour autant qu’il le put et que Dieu le permit. Ce fut par une permission divine qu’il revêtit l’aspect du serpent pour que non seulement on puisse connaître son astuce, mais aussi pour que, par cet aspect, la ruse diabolique dans la tentation soit connue de tous les fils d’Adam.

4. En outre, ce fut également par permission divine que la tentation porta sur le précepte de discipline, de sorte que, vaincu ou vainqueur, le diable fît connaître à tous le mérite de l’obéissance ou le démérite de la désobéissance. Mais ce fut par sa ruse qu’il commença par la femme, car il est plus facile de faire tomber le moins fort; comme c’est par ruse que l’ennemi entre dans la cité par le côté le moins défendu.

5. De même, la manière dont il procéda dans la tentation vient d’une grande ruse, car il procéda en éprouvant, en forçant et en alléchant. Il commença l’épreuve en interrogeant, força en affirmant, allécha en promettant. Il interrogea d’abord sur la cause du précepte pour conduire la raison dans le doute. Le doute acquis: « de peur que par hasard nous ne mourions »: alors il affirma pour conduire l’irascible dans le mépris. Enfin il fit une promesse pour mettre en appétit le concupiscible. Ainsi il opéra cette triple manoeuvre pour amener la liberté de l’arbitre à con sentir, car le libre-arbitre est faculté de raison et de volonté qui contient également les trois appétits, rationnel, irascible et concupiscible. Le diable allécha la femme selon ces trois appétits par un triple objet désirable, la science que désire l’appétit rationnel, la perfection à l’instar de Dieu que désire l’irascible, et la douceur de l’arbre que désire le concupiscible. Ainsi il tenta tout ce qui dans la femme était tentable par tout ce qui pouvait l’induire en tentation; ce sont les trois objets désirables du monde, la concupiscence de la chair, la concupiscence des yeux et la superbe de la vie L’origine de toute tentation vient de ces trois objets, le monde, la chair ou le diable.

Chapitre 3: La transgression de nos premiers parents

Enoncé

1. La femme en consentant à la tentation du diable, désira la science et l’excellence à l’instar de Dieu, elle désira également goûter la douceur de l’arbre défendu, elle tomba enfin dans la transgression du précepte.

Non contente de cela, elle offrit le fruit de l’arbre défendu et induisit l’homme en tentation.

Celui-ci ne voulant pas contrister ses charmes, ne blâma pas la femme, mais consentit au mauvais conseil qu’elle lui donnait et, goûtant le fruit qu’elle lui offrait, il se fit à son tour transgresseur du précepte divin.

Explication

2. On a dit plus haut que le premier principe a donné à l’homme un double sens et un double appétit par rapport au double livre et au double bien, de façon que l’homme puisse dans la liberté de son arbitre se tourner vers l’un ou l’autre. La femme ayant entendu la suggestion extérieure du serpent, ne recourut pas au livre intérieur qui s’offre pour être lu au jugement droit de la raison. Mais selon son sens propre, elle s’en tint au livre extérieur et commença de rechercher le bien extérieur. Et parce que son sens n’atteignit pas le vrai infaillible, son appétit commença de se tourner vers le bien changeant. Elle désira donc ce que le diable promettait et consentit à faire ce qu’il suggérait. Désirant la science parfaite, elle s’éleva dans l’orgueil. Elevée dans l’orgueil, elle fut du coup séduite par la gourmandise et ainsi terrassée par la désobéissance. Le premier mouvement eut lieu dans son esprit, le deuxième dans sa sensibilité, le troisième dans son action.

Et de même que la tentation, partant d’en-bas, parvint plus haut, car à partir du sens de l’ouïe elle conduisit du désir au consentement, ainsi par un mouvement contraire, le désordre commençant par en haut parvint jusqu’en bas et fit consommer un unique péché, cela, pour la nature humaine, est le commencement de tout péché et la source des maux.

3. Car la femme alléchée allécha l’homme qui semblablement tourné vers le livre extérieur et vers le bien changeant, en appréciant trop la compagnie de la femme et la consolation de sa présence, ne voulut ni la blâmer, ni contrister ses charmes.

Et parce qu’il aurait du la blâmer et ne la blâma pas, le péché de la femme lui est imputé Et parce qu’il ne voulut pas contrister ses charmes en la repoussant, il commença de, s’aimer trop lui-même et ainsi s’éloignant de l’amitié divine, tomba dans la gourmandise et la désobéissance.

4. La transgression du précepte fut donc commune à l’un et l’autre, bien que pour des raisons différentes, car la femme fut séduite et non l’homme. Dans les deux cependant, dans l’homme et dans la femme, il y eut désordre de haut en bas: d’abord dans l’esprit ou raison, puis dans la sensibilité et enfin dans l’action. L’un et l’autre furent donc terrassés par la désobéissance et alléchés par la gourmandise, car l’un et l’autre s’étaient élevés par l’orgueil, la femme en désirant et en briguant ce qu’elle n’avait pas encore, l’homme en aimant et en appréciant trop ce qu’il avait déjà. D’où la femme en mangeant crut être exaltée, mais Adam s’estimant. quelque chose de grand et d’agréable à Dieu, crut devoir être moins gravement puni. En effet, il n’avait encore éprouvé la rigueur de la sévérité divine

Ainsi, l’un et l’autre s’étant élevés au-dessus de soi d’une façon désordonnée, tombèrent misérablement en dessous de soi, de l’état d’innocence et de grâce à l’état de faute et de misère.

Chapitre 4: La punition de nos premiers parents

Enoncé

1. L’homme et la femme, aussitôt après leur faute, sentirent le châtiment de la rébellion et de la honte dans leur chair et pour couvrir leurs parties sexuelles, ils se firent des pagnes.

Après le jugement divin, l’homme encourut le châtiment du travail et de la pauvreté, le châtiment de la faim et de l’indigence, le châtiment de la mort et du retour à la poussière, comme le dit l’Ecriture: "Maudit soit le sol à cause de toi, etc."

A la femme un double châtiment fut infligé, celui des multiples afflictions dans la conception et des douleurs dans l’enfantement et celui de la sujétion à l’homme dans la communauté. Ainsi ce péché fut assez gravement puni qu’ils avaient commis en mangeant de l’arbre défendu, bien qu’il ait été inconsidérément perpétré.

Explication

2. Le premier principe est providence souveraine dans le gouvernement et rectitude parfaite dans la présidence. Il ne laisse absolument rien de désordonné dans l’univers. Parce que la faute conduit justement au châtiment, le déshonneur du péché fut immédiatement suivi, chez nos premiers parents, de l’honneur du jugement, afin que ce qui fut désordonné en tombant de l’ordre de la nature retombe aussitôt dans l’ordre de la justice. Car cet ordre double enlace à ce point toutes choses que ce qui tombe de l’un retombe dans l’autre 

3. L’un et l’autre de nos parents, en s’enorgueillissant en esprit et en cédant à la gourmandise de la chair, furent désobéissants envers celui qui leur était supérieur. Par le juste jugement de Dieu, ce qui leur était inférieur devint désobéissant envers eux, en particulier ces parties du corps par lesquelles se fait l’union des sexes, les membres servant à la puissance de génération. Et parce que cela ne provenait pas de leur nature mais de leur propre faute, ils en rougirent et se couvrirent.

4. En outre, parce que l’homme, ayant méprisé ce qui était souverainement délectable, rechercha la délectation dans la chair, le juste jugement de Dieu lui infligea le travail et la peine de la faim et de la soif.

5. Enfin, parce qu’il choisit pour le bien de la chair de se séparer du bien de l’esprit, par le juste jugement de Dieu l’âme contre son gré est séparée de la chair par la mort et le retour à la poussière. Pour cela, comme Dieu avait donné à l’homme, selon l’ordre de la nature, un corps soumis à l’âme pouvant se propager sans débauche, pouvant se maintenir en vie sans défaillance, immuable sans que la mort intervienne, ainsi, après le péché, tout cela, selon l’ordre de la justice, lui fut enlevé et le contraire infligé. De la sorte la faute ne demeurerait pas impunie et désordonnée, ce que la divine providence n’aurait absolument pu souffrir.

6. Et parce que le péché commença par la femme, son châtiment fut doublé. S’étant enorgueillie dans l’esprit, elle encourut la sujétion; ayant vu et désiré l’arbre doux à manger, elle encourut la douleur enfin ayant rompu le joug de l’obéissance, elle encourut le lien et le poids de multiples afflictions.

Ainsi apparaît avec quel ordre la divine providence a infligé de multiples châtiments à l’homme et les a doublés dans la femme afin que « le déshonneur du péché ne soit pas sans l’honneur de la justice »

Chapitre 5: La corruption du péché originel

1. Après avoir parlé de la chute de nos premiers parents, il faut maintenant traiter de la transmission du péché originel au sujet duquel il faut considérer le mode de corruption, le mode de transmission et le mode de guérison.

2. Enoncé

Le mode selon lequel le genre humain est corrompu par le péché originel est le suivant: Tout être engendré par l’union de l’homme et de la femme naît par nature fils de la colère, parce qu’il est privé de la rectitude de la justice originelle.

L’absence de cette rectitude nous fait encourir, quant à l’âme, un quadruple châtiment la faiblesse, l’ignorance, la méchanceté et la concupiscence, quadruple châtiment qui est infligé à cause du péché originel.

Ces châtiments spirituels sont bien sûr accompagnés dans le corps par un châtiment multiple, de multiples imperfections, de multiples travaux, de multiples maladies et de multiples douleurs.

A ces châtiments s’ajoutent celui de la mort et du retour à la poussière, celui de l’absence de la vision de Dieu et de la perte de la gloire céleste, non seulement chez les adultes, mais aussi chez les enfants non baptisés. Ceux-ci cependant sont punis, par rapport aux autres, d' « un châtiment très adouci » car ils ne subissent que la peine du dam, sans la peine du sens.

Explication

3. Le premier principe fait toutes choses par lui, selon lui et pour lui. Il est donc nécessaire qu’il soit souverainement bon et absolument droit, et par là souverainement pieux et juste. Ainsi, tous les sentiers de Dieu sont amour et vérité ou jugement. Or si, dès le commencement, Dieu avait créé l’homme au milieu de tant de misères, il n’y aurait ni pitié, ni justice, parce qu’une telle misère opprimerait son oeuvre, sans qu’auparavant il y ait eu de faute. De même, si Dieu nous avait remplis de tant de misères ou permis que nous le soyons sans aucune faute, la divine providence ne nous gouvernerait ni avec piété, ni selon la justice.

Donc, s’il est très certain que le premier principe est, dans la création et dans la providence, absolument droit et souverainement clément, il est nécessaire qu’il ait créé le genre humain de telle façon que dès le commencement il n’y ait en lui ni faute, ni misère; il est nécessaire aussi, qu’il l’administre de telle façon qu’il ne permette en nous la misère qu’en raison d’une faute préalable.

Donc, parce qu’il est très certain que nous avons contracté, de par notre origine, une multiple misère de châtiment, il est certain que nous naissons tous par nature, fils de la colère, et pour cela privés de la rectitude de la justice originelle, cette privation nous l’appelons la faute originelle 

4. Toute faute signifie qu’on s’est éloigné du bien immuable pour aller vers le bien changeant. S’éloigner du bien immuable, c’est s’éloigner de la force, de la vérité et de la bonté souveraines; aller vers le bien changeant c’est tendre à lui d’un amour indu; ainsi la perte de la justice originelle conduit à la faiblesse, à l’ignorance, à la méchanceté et à la concupiscence.

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5. En outre, abandonner le bien immuable pour le bien changeant, c’est se rendre indigne de l’un et de l’autre. Ainsi, en raison de l’absence de la justice originelle, l’âme perd le repos temporel dans le corps par une multiple corruption et par la mort, elle est enfin privée de la vision de la lumière éternelle, perdant le bonheur de la gloire tant pour l’âme que pour le corps.

6. Enfin, l’absence de cette justice chez ceux qui naissent n’est pas due au mouvement de leur volonté ni à une délectation actuelle. Ainsi, après cette vie, la peine du sens dans l’enfer n’est pas la dette du péché originel, car la justice divine punit non au-dessus de la mesure, mais en dessous. La miséricorde surabondante l’accompagne toujours.

Il faut croire que le bienheureux Augustin l’a pensé, bien que les mots dans leur lettre semblent sonner autrement, à cause de son aversion pour l’erreur des pélagiens qui concédaient à ces enfants une certaine félicité. Pour les ramener à une juste mesure, il a trop abondamment glissé aux extrêmes.

Chapitre 6: La transmission du péché originel

1. Enoncé

Le mode de transmission du péché originel est le suivant: Bien que l’âme ne vienne pas à l’existence par transmission, le péché originel est cependant passé de l’âme d’Adam dans celles de sa postérité par la médiation de la chair engendrée dans la concupiscence. De sorte que, comme la chair d’Adam avait été infectée par l’âme pécheresse et portée au désir désordonné, de même engendrée dans le désir désordonné et traînant avec elle l’infection des vices, elle a infecté et vicié l’âme.

Cette infection dans l’âme n’est pas seulement châtiment, elle est aussi péché. Ainsi, la personne corrompt la nature et la nature corrompue corrompt à son tour la personne En tout ceci, la justice divine est sauve, à laquelle on ne peut nullement imputer l’infection de l’âme, bien que Dieu en la créant l’infuse et en l’infusant l’unit à la chair infectée.

2. Explication

Le premier principe avait fait l’homme à son image pour s’exprimer lui-même. Il l’avait ainsi créé dans son corps de telle sorte que tous les hommes sortiraient du premier homme comme d’un principe radical, et dans son âme afin qu’elle fût sa ressemblance expresse, tant dans l’être que dans la durée, tant dans l’intelligence que dans l’amour, de sorte que tous les esprits raisonnables émaneraient immédiatement de Dieu lui-même comme d’un principe premier et immédiat. Et parce que l’esprit, plus excellent s’approche davantage du premier principe, Dieu créa l’homme de façon que l’esprit commande au corps et que le corps soit soumis à l’esprit créé aussi long temps qu’il obéirait à l’Esprit incréé. Par contre, si l’esprit n’obéissait plus à Dieu, par le juste jugement divin, son corps se rebellerait contre lui. Ce qui eut lieu lorsqu’Adam pécha.

3. Donc, si Adam avait résisté, son corps serait demeuré obéissant à l’esprit, et il l'aurait transmis tel à sa postérité, et Dieu lui aurait infusé l’âme de sorte que, unie à un corps immortel et lui obéissant, elle aurait possédé l’ordre de la justice et l’immunité contre tout châtiment. Du fait qu’Adam a péché et que la chair s’est rebellée contre l’esprit, il fallait qu’il la transmette telle à sa postérité et que Dieu infuse l’âme comme il l’avait instituée dès l’origine. Or, l’âme, dès lors qu’elle s’est unie à une chair rebelle, ne possède plus l’ordre naturel de la justice par lequel elle devait régner sur tout ce qui lui est inférieur. Unie à la chair, l’âme doit la conduire ou être conduite par elle. Puisqu’elle ne peut plus conduire une chair rebelle, elle se laisse nécessairement conduire par elle, et encourt la maladie de la concupiscence. Ainsi encourt-elle en même temps l’absence de la justice due et la maladie de la concupiscence. De ces deux châtiments comme de l’aversion et de la conversion, on dit que le péché originel est, selon Augustin et Anselme, établi dans son intégralité.

4. Il était dans l’ordre absolu que la nature humaine soit ainsi créée, et une fois créée ainsi propagée; et que si elle péchait, elle soit ainsi châtiée, comme on l’a dit plus haut. Dans la création a été sauvegardé l’ordre de la sagesse, dans la propagation l’ordre de la nature, dans la punition l’ordre de la justice. Il apparaît qu’il n’est pas contraire à la justice divine que le péché soit transmis à la postérité.

5. En outre, le péché originel ne pouvait être transmis dans l’âme que si le châtiment de la rébellion avait précédé dans la chair. Le châtiment n’existait que si l’avait précédé la faute. La faute procède non d’une volonté ordonnée, mais d’une volonté désordonnée et ainsi non de la volonté divine, mais de la volonté humaine. La transmission du péché originel vient donc du péché du premier homme et non de Dieu, non de la nature créée, mais du vice perpétré. Ainsi, ce que dit Augustin est vrai que « ce n’est pas la propagation mais le désir désordonné qui transmet le péché originel à la postérité ».

Chapitre 7: La guérison du péché originel

1. Enoncé

Le mode de guérison du péché originel est le suivant.

La faute est guérie de telle façon que demeure le châtiment temporel, comme il apparaît chez les enfants baptisés.

Il est guéri quant à l’imputation du châtiment éternel, cependant de telle façon qu’il demeure quant à l’acte et au mouvement de la concupiscence.

Il est guéri chez les parents, néanmoins de telle façon que ceux-ci guéris par le baptême, le transmettent encore à leurs enfants.

La tache du péché originel est enlevée de telle façon que demeurent les conséquences, contre les quelles il nous faut lutter aussi longtemps que nous vivons ici-bas, car en personne la concupiscence n’est absolument éteinte par la grâce commune.

Je dis cela à cause de la bienheureuse Vierge, en qui cette concupiscence fut éteinte dans la conception du Fils de Dieu, par une grâce singulière

2. Explication

De même que l’infection dérive chez tous du principe créé par lequel se fait la propagation des corps, et ce par la partie inférieure, la chair, ainsi, la guérison doit provenir du principe incréé par lequel sont infusées les âmes et ce, par la partie supérieure, l’es prit. Parce que, du côté de l’esprit, il y a entre les hommes une distinction telle que selon elle, l’esprit n’est pas propagé à partir d’un autre mais sort immédiatement de Dieu, la grâce curative infusée dans notre esprit par Dieu concerne chacun en tant qu’il est une personne singulière et individuelle, et non en tant que produit selon la puissance de la nature. Donc, parce que le péché originel a infecté également la personne et la nature, la personne dans la volonté et la nature dans la chair, la tache originelle est guérie dans l’esprit tandis que demeure l’infection et les désordres dans la chair.

3. Et parce que l’homme engendre non en tant que guéri dans l’esprit, mais en tant que corrompu dans la chair, non en tant qu’être spirituel mais en tant qu’être charnel, bien qu’il soit baptisé et ainsi lavé en lui-même du péché originel, il transmet cependant ce péché à ses enfants.

4. En outre, parce que l’imputation du châtiment éternel concerne la difformité de l’esprit et de la personne, que le mouvement concerne l’inclination de la chair et de la nature, ainsi par le baptême, le péché originel disparaît quant à l’imputation, mais demeure cependant quant à l’acte 

5. Enfin, parce que l’affliction temporelle con cerne la condition humaine selon la chair, et que la chair demeure toujours sujette à une certaine infection, elle doit toujours demeurer sujette à la pénalité. Donc, puisque la pénalité et la corruption ne sont pas enlevées de la chair par la grâce, ces désordres, la concupiscence et la maladie des membres peuvent subsister avec la grâce curative.

C’est pourquoi, bien que la concupiscence soit peu à peu diminuée sans que la racine en soit arrachée, elle n’est jamais totalement enlevée chez l’homme ici-bas, sauf chez la bienheureuse Vierge par une grâce singulière. La Vierge, en effet, a conçu celui qui était l’expiation de toute faute. Une grâce singulière lui a donc été donnée par laquelle toute concupiscence fut éteinte en elle dans sa racine pour concevoir le Fils de Dieu sans aucune souillure, ni corruption du péché. « Car il convenait que la Vierge possédât la plus grande pureté qui puisse se concevoir en-dessous de Dieu; cette Vierge à qui Dieu le Père avait voulu donner le Fils unique qu’il a engendré de son coeur, égal à lui-même et qu’il aimait comme lui-même, de telle sorte qu’il serait naturellement un seul et même Fils commun de Dieu le Père et de la Vierge. Le Fils lui-même avait choisi de faire substantiellement de la Vierge, sa mère. L’Esprit Saint voulait et fit que la Vierge, conçût et mit au monde celui dont il procédait. ».

Chapitre 8: L’origine des péchés actuels

1. Après avoir parlé de la transmission du péché originel, il faut maintenant traiter quelque peu de l’origine du péché actuel.

Enoncé

Il faut tenir en somme que le péché actuel prend son origine dans la volonté libre de chacun par suggestion, délectation, consentement et accomplissement, selon ce que dit S. Jacques: « Chacun est éprouvé par sa propre convoitise qui l’attire et le leurre. Puis la convoitise ayant conçu, donne naissance au péché, et le péché parvenu à son terme, enfante la mort ».

Si la suggestion et la délectation demeurent en deçà du consentement, le péché est véniel.

S’il y a consentement et oeuvre accomplie en matière défendue par la loi divine, c’est un péché mortel consommé.

Si le péché reste entre les deux, de sorte que le consentement ne va pas jusqu’à l’acte, ou bien parce que le voulant il ne le peut pas, alors la volonté est imputée de ce fait et n’est pas moins coupable que si elle avait été jusqu’au fait; ou bien si ne voulant pas aller jusqu’à l’acte il veut pourtant jouir intérieurement de la délectation, alors la femme mange, mais non l’homme. Bien que le péché ne soit pleinement consommé, il est cependant considéré comme un péché mortel parce que quand la femme mange, tout l’homme a mérité d’être condamné. Cela a sur tout lieu dans les péchés charnels.

2. Explication

Le péché signifiant un éloignement de la volonté par rapport au premier principe, en tant que la volonté est faite pour agir à partir de lui-même, selon lui et par lui, tout péché est un détournement de l’esprit, c’est-à-dire de la volonté qui, par nature, est capable de vertu ou de vice Le péché actuel est donc le détournement actuel de la volonté. Ce détournement peut être si grand qu’il anéantit l’ordre de la justice, c’est le péché mortel qui enlève la vie, en séparant l’âme de Dieu vie de l’âme juste. Ou bien ce détournement est si minime que, sans anéantir cet ordre de la justice, il le perturbe quelque peu, c’est le péché véniel, ainsi appelé parce que nous pouvons en obtenir rapidement le pardon du fait qu’il n’enlève pas la grâce et ne fait pas encourir l’inimitié de Dieu.

L’ordre de la justice veut que le bien immuable soit préféré au bien passager, le bien honnête au bien utile, la volonté de Dieu à la volonté propre, de sorte que le jugement de la droite raison passe avant la sensualité. La loi de Dieu prescrit cet ordre et interdit son contraire. C’est pourquoi quand le bien changeant est préféré au bien éternel, quand le bien utile est préféré au bien honnête, quand notre volonté est préférée à la volonté de Dieu, quand l’appétit sensuel est préféré à la droite raison, alors c’est le péché mortel, dont S. Ambroise dit qu’il est « transgression de la loi divine et désobéissance aux commandements célestes ». Le péché mortel est commis soit en omettant ce que prescrit la loi divine, soit en faisant ce qu’elle défend. Ainsi il y a deux genres de péché, l’omission et la transgression 

3. Quand le bien changeant est ainsi aimé plus qu’il ne doit, mais non préféré au bien immuable, quand l’utilité n’est pas préférée à l’honnêteté, quand notre volonté est aimée plus qu’il ne faut mais non préférée à la volonté divine, quand la chair désire mais n’est pas préférée au jugement de la droite raison, alors ce n’est pas le péché mortel, mais le péché véniel, car bien qu’il soit à côté de la loi , il n’est cependant pas directement contre elle. L’appétit sensuel n’est préféré à la droite raison que si la raison y consent. On ne peut donc commettre de péché mortel en deçà du consentement.

4. Si cependant la sensualité est mue d’une façon désordonnée, ce désordre inclinant au mal, bien que la raison n’y consente pas, il y a quelque péché parce que l’ordre de la justice est lésé en quelque façon.

Dans l’état d’innocence, la sensualité n’était mue que selon le mouvement de la raison. Tant que l’homme y demeurait, il ne pouvait y avoir de péché véniel.

Maintenant, la sensualité s’oppose à la raison que nous le voulions ou non. Aussi commettons-nous nécessairement des péchés véniels par les mouvements premiers, qui certes peuvent être rejetés un à un mais ne peuvent être globalement évités, car ils sont si bien péchés qu’ils sont aussi peines du péché. Ils sont donc, à juste titre, appelés véniels car de ce fait ils méritent le pardon.

5. Mais la raison n’est pas obligée de consentir. Si donc après la délectation elle consent à l’oeuvre, il y a plein consentement et par là péché consommé, car il parvient jusqu’à l’homme, c’est-à-dire jusqu’à la partie supérieure de la raison dont dépend la plénitude du consentement.

6. Le consentement n’est pas seulement dans l’acte, il est aussi dans la délectation; en lui, la partie inférieure de la raison suit la sensualité. Donc si dans la délectation sensuelle la raison succombe à la sensualité, la femme obéit au serpent, et ainsi y a-t-il boule versement de l’ordre établi et donc de la justice. Pour cette raison on commet un péché mortel — bien que de moindre gravité. Il n’est pas imputé seulement à la femme, mais aussi à l’homme qui devait la retenir et l’empêcher d’obéir au serpent. Ainsi il apparaît que dans tout péché actuel se trouve une certaine imitation du premier péché, comme l’explique le Grand Docteur, Augustin, au chapitre du De Trinitate.

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Chapitre 1: L’origine et la distinction des péchés capitaux

Enoncé

1. Il faut maintenant descendre jusqu’à l’origine des péchés en particulier. Parmi eux, il y a des péchés capitaux, des péchés pénaux et des péchés finals ou irrémissibles, en d’autres termes, des premiers, des intermédiaires et des derniers.

Aux péchés actuels, on reconnaît un principe, une double racine, un triple foyer, une tête septiforme ou péché capital.

Le principe unique est l’orgueil selon qu’il est écrit Le principe de tout péché, c’est l’orgueil.

La double racine c’est la crainte provoquant une fausse honte et l’amour enflammant d’une mauvaise ardeur.

Les trois foyers sont, selon les trois concupiscences du monde, la chair, les yeux et la superbe de la vie.

La tête septiforme, l’orgueil, l’envie, la colère, la paresse, l’avarice, la gourmandise, la luxure. Parmi ces péchés, les cinq premiers sont spirituels, les deux derniers, charnels.

2. Explication

Le péché mortel est un éloignement actu du premier principe. On ne s’éloigne du premier principe qu’en le méprisant, soit en lui-même, soit dans son précepte. Or, le mépris du premier principe est l’orgueil. Toute faute ou offense mortelle trouve donc nécessairement son principe dans l’orgueil.

3. Personne ne méprise le principe souverain ou son précepte par soi-même si ce n’est parce qu’il veut par soi-même acquérir quelque chose d’autre ou craint de le perdre. Tout péché actuel tire donc nécessairement son origine d’une double racine, la crainte et l’amour. Ce sont les racines des maux, mais non également.

4. Car toute crainte tire son origine de l’amour. Personne ne craint de perdre quelque chose sinon parce qu’il aime la posséder. La crainte est donc nourrie par ce qui nourrit l’amour. Or l’amour est désordonné à l’égard du bien changeant. Ce bien changeant est triple intérieur, c’est la supériorité, extérieur, c’est la fortune, inférieur, la licence de la chair. De là, il y a nécessairement trois foyers des péchés actuels dont il a été parlé plus haut. Tous les péchés actuels naissent du mouvement de l’âme qui se porte vers ces trois foyers.

5. Tout cela arrive de sept manières différentes. Il y a donc sept péchés capitaux, source de tous les vices. Car notre volonté est désordonnée en désirant ce qu’on ne doit pas désirer ou en refusant ce qui n’est pas à refuser.

Quand la volonté désire ce qui n’est pas désirable, c’est-à-dire un bien présent ou changeant ou ayant l’apparence du bien: si ce bien est intérieur, c’est la supériorité individuelle qu’aime l’orgueil; si ce bien est extérieur, c’est l’aisance matérielle qu’aime l’avarice; si ce bien est inférieur, il est délectable parce qu’il sert à la conservation de l’individu, tel l’aliment, qui est délectable pour le goût et désiré par la gourmandise; il est délectable parce qu’il sert à la conservation de la race, tel le coït qui est délectable pour le toucher et désiré par la luxure. Quand la volonté est désordonnée parce qu’elle refuse ce qu’elle ne devait pas refuser, elle le fait d’une triple façon selon le principe de son refus. Ou bien elle refuse selon l’instinct rationnel perverti, c’est l’envie; ou bien elle refuse selon l’instinct de défense, c’est la colère; ou bien elle refuse selon l’instinct du désir, c’est la paresse. Ainsi parce qu’il y a quatre choses principales désirables et trois forces instinctivement repoussées, il n’y a que sept péchés capitaux.

6. En outre, la pensée d’une chose désirable est accompagnée de délectation, la pensée d’une chose à refuser est accompagnée de douleur. Ainsi, quatre péchés sont liés à la joie, les trois autres sont liés à la tristesse et à la peine. On les appelle cependant tous péchés capitaux parce qu’ils sont désordres principaux et principes de beaucoup d’autres désordres, chacun influant à sa façon. De là, bien que certains d’entre eux concernent principalement le refus, ils possèdent cependant leurs objets de délectation. L’en vie veut posséder un bien propre sans associé, donc intégralement; la colère le veut sans contraire, donc imperturbablement, la paresse le veut sans aucun travail, donc infatigablement.

Et parce qu’ils n’obtiennent pas facilement leur fin, ils traînent avec eux une grande foule de vices pour atteindre de cette façon ce qu’ils désirent, ou pour refuser ce qu’ils repoussent. Pour cela, on les appelle péchés capitaux, comme des principes dont découlent tous les autres.

Chapitre 10: L’origine et la qualité des péchés pénaux

1. Enoncé

Bien que le mal de la faute et le mal de la peine soient des maux différents, certains sont cependant péchés et aussi peines du péché. D’une manière spéciale, on appelle péchés et peines du péché ceux qui sont accompagnés de douleur et de tristesse, comme l’envie, la paresse et d’autres semblables. D’une manière moins spéciale, on appelle ainsi ceux qui sont accompagnés d’une pure dépravation de la nature, ou bien de honte, comme le sont ceux au regard desquels on dit que le pécheur est livré à son sens propre dépravé. D’une manière générale, on appelle ainsi les péchés qui sont « entre la première apostasie et l’ultime châtiment de l’enfer on peut les appeler aussi péchés et peines du péché » selon ce que dit Grégoire, que « les crimes sont punis par les crimes »

Bien que l’on parle également de péché et de peine du péché, il faut cependant savoir que toute peine en tant que peine est juste et vient de Dieu, mais qu’aucune faute n’est juste et ne peut provenir de Dieu, mais vient seulement du libre-arbitre.

La peine qui est purement peine est infligée par Dieu; celle qui est liée à la faute ou qui incline à la faute est contractée ou produite 

2. Explication

Le mal est retrait vis-à-vis du premier principe par le fait qu’il nuit au bien. Il ne nuit au bien qu’en l’excluant. Or le bien existe dans le mode, l’espèce et l’ordre. Tout mal est corruption du mode, de l’espèce ou de l’ordre. Or, l’ordre est double, ordre de la nature et ordre de la justice. L’ordre de la nature est dans le bien naturel, l’ordre de la justice dans le bien moral. Parce que le bien naturel se trouve dans toute nature, le bien moral existe nécessairement dans la volonté: l’ordre de la nature existe donc dans toute nature, l’ordre de la justice dans la volonté élective. Parce que la volonté est un « instrument se mouvant soi-même » alors que la nature ne l’est pas, l’ordre de la justice est un ordre non seulement fait, mais facteur, tandis que l’ordre de la nature n’est qu’un ordre fait. Donc, parce que le mal peut écarter l’ordre de la justice et l’ordre de la nature, le mal est donc double, mal de la faute et mal de la peine.

3. En outre, parce que l’ordre de la justice est un ordre volontaire, « le mal de la faute est une affection volontaire, tandis que le mal de la peine est une affection involontaire »

4. Enfin, parce que l’ordre de la justice qui existe dans la volonté est un ordre facteur, « le mal de la faute qui en est la privation est un mal que nous faisons, tandis que le mal de la peine est un mal que nous subissons ». Et parce qu’il n’y a pas de passion que ne précède naturellement une action, et pas d’action qui ne soit suivie d’une certaine passion, il n’y a aucune peine qui ne soit méritée par une faute antécédente, ni aucune faute que ne suive quelque peine.

5. Parce que ce que nous faisons vient de nous, que ce que nous subissons peut venir de nous et des autres, d’une cause supérieure ou inférieure, toute faute vient de nous, mais toute peine ne vient pas de nous, certaines sont faites par nous, d’autres nous sont infligées, d’autres enfin contractées.

6. Parce qu’il est juste que celui qui fait ce qu’il ne doit pas subisse ce qu’il doit, toute peine en tant que peine est juste et vient de la divine providence, car elle est ordonnée à la faute et rétablit l’ordre que le péché a détruit.

7. Parce que le fait de subir une peine peut venir du rejet du bien naturel ou du bien moral joint au bien naturel, certaines peines sont purement peines, certaines sont peines et fautes, car le bien moral qui est la justice n’est rejeté que par une injustice qui est la faute. La première peine vient de Dieu, et en tant que peine et en tant qu’elle est, elle vient de Dieu, dis-je, non comme d’un auteur, mais comme d’un vengeur. La seconde, puisqu’elle est faute ne vient pas de Dieu pour autant qu’elle est, mais seulement en tant que relative à l’ordre. Elle est encourue, si elle suit un péché actuel, elle est contractée si elle suit le péché originel.

8. Si l’on entend le mal dans son sens propre, en tant que privation du bien naturel, affection involontaire et mal que nous subissons, il ne coïncide pas avec le mal de la faute bien qu’il en soit une conséquence. Si on l’entend dans son sens large, en parlant du mal que nous subissons soit à cause de nous, soit pour d’autres causes, soit dans la nature, soit dans la volonté, il coïncide avec le mal de la faute, mais ne s’applique pas aux mêmes choses ni de la même façon, car ce qui est faute de soi est appelé la peine d’un péché précédent, ou bien la faute en tant qu’action est appelée peine en tant que passion.

Ainsi, apparaît comment, dans quelle mesure et pourquoi la même chose peut être appelée péché et peine de péché.

Chapitre 11: L’origine des péchés finals qui sont les péchés contre le Saint Esprit

1. Enoncé

Bien qu’en général tout péché soit dirigé contre Dieu trois et un, on parle, par appropriation, de péché contre le Père, contre le Fils et contre l’Esprit Saint.

On dit que ce péché contre l’Esprit Saint est irrémissible en ce siècle et en l’autre, non parce qu’il ne peut être remis en ce siècle, mais parce qu’il est rarement ou presque jamais remis en ce siècle quant à la faute, et parce qu’il n’y aura aucune ou presque aucune rémission pour ce péché dans le siècle futur, quant à la peine.

Les péchés de ce genre sont au nombre de six, la haine de la grâce fraternelle, l’attaque contre la vérité reconnue, le désespoir, la présomption, l’obstination de l’esprit et l’impénitence finale

2. Explication

Parce que le péché est retrait vis-à-vis du premier principe trois et un, tout péché déforme l’image de la Trinité et corrompt l’âme elle-même dans sa triple puissance, irascible, rationnelle et concupiscible. Il provient du libre-arbitre qui porte en soi la marque de la Trinité: du Père, parce qu’il est faculté; du Fils, parce qu’il est raison; du Saint Esprit, parce qu’il est volonté.

3. Bien que ces trois éléments concourrent ensemble dans toute faute, chacun d’eux peut, par son défaut, être à l’origine du désordre des autres. Le défaut dans la faculté est impuissance, le défaut dans la raison est ignorance, le défaut dans la volonté est méchanceté. De là, puisque certains péchés viennent de l’impuissance, certains de l’ignorance, certains de la méchanceté et puisque la puissance est attribuée au Père, la sagesse au Fils et la volonté au Saint Esprit, on dit que certains péchés sont contre le Père, d’autres contre le Fils, d’autres contre le Saint-Esprit. Parce que, rien n’est plus dans la volonté que la volonté elle-même et que la volonté elle-même est l’origine du péché, aucun péché n’est plus volontaire et péché pur que celui qui provient de la corruption dans la volonté.

Un acte peut être involontaire de deux manières, par violence subie ou par ignorance, c’est-à-dire par défaut de puissance ou par défaut de science quand la volonté par sa seule corruption, bien qu’elle puisse résister et sache que ceci est mal, choisit quel que chose, on dit alors qu’elle pèche par une méchanceté certaine Un tel péché procède purement de la méchanceté du libre-arbitre de la volonté et attaque directement la grâce du Saint-Esprit. Et parce que le péché procède purement de la liberté de l’arbitre, il n’a pas la moindre excuse et à cause de cela rien ne doit, à celui qui est puni, être pardonné dans le châtiment. Parce qu’il attaque directement la grâce du Saint Esprit par laquelle se fait la rémission du péché, on l’appelle irrémissible, non parce qu’il ne peut en aucune façon être remis, mais parce que, en tant que tel, il attaque directement le médicament et le remède par lequel est accomplie la rémission du péché.

4. Parce que la rémission du péché est faite par Dieu moyennant la grâce pénitentielle accordée dans l’unité de l’Eglise, on distingue les péchés selon leur opposition à ces trois éléments. Ils s’opposent à la grâce pénitentielle en elle-même, ou dans la relation avec Dieu qui la donne, ou dans la relation avec l’Eglise en qui elle est reçue.

S’ils s’opposent à la grâce dans sa relation avec l’unité de l’Eglise, parce que l’unité de l’Eglise est établie dans la foi et la charité, dans la grâce et la vérité, il y a un double péché, la haine de la grâce fraternelle et l’attaque de la vérité reconnue

S’ils s’opposent à la grâce dans la relation avec Dieu qui la donne, puisque tous les sentiers de Dieu, quant à la justification sont surtout amour et vérité, il y a un double péché, celui qui s’oppose à la miséricorde, le désespoir, celui qui s’oppose à la justice, la présomption de l’impunité.

Enfin, s’ils s’opposent à la grâce pénitentielle en elle-même ou selon elle-même, il y a double péché, car elle fait revenir des péchés commis et éviter ceux à commettre. Dans le premier cas, c’est l’obstination, et dans le second cas l’impénitence finale, ou volonté de ne pas faire pénitence. C’est là l’espèce propre du péché contre l’Esprit Saint. L’impénitence finale signifie la continuation du péché jusqu’à la fin, telles sont les séquelles de tous les péchés mortels qui ne sont par remis en cette vie et surtout de tous les genres de péchés contre l’Esprit Saint.

5. Ainsi tout péché trouve son principe dans l’orgueil et sa consommation ou sa fin dans l’impénitence finale. Celui qui parviendra dans cet état tombe en enfer; dont aucun de ceux qui pèchent mortellement ne peut être délivré sinon par l’intervention de la grâce du médiateur, le Christ. C’est pourquoi l’universalité de ceux qui doivent être sauvés désirait son incarnation. A ce médiateur, Notre Seigneur, tout honneur et toute gloire dans les siècles des siècles. Amen.

PARTIE IV: L'INCARNATION DU VERBE

Chapitre 12: La raison pour laquelle il fallait ou il convenait que le Verbe de Dieu s’incarne

1. Enoncé.

Après avoir parlé de la Trinité de Dieu, du monde créature et de la corruption du péché, nous devons maintenant traiter brièvement de l’Incarnation par laquelle le Verbe incarné est devenu salut et restauration du genre humain, non parce que Dieu ne pouvait sauver ou libérer autrement le genre humain, mais parce qu’aucun autre moyen n’était plus digne et convenable au réparateur, à celui qui devait être réparé, à la réparation.

2. Explication.

Le principe effectif des choses ne pouvait et ne devait être que Dieu. Or, réparer les choses créées n’est pas moindre que les produire dans l’être, de même qu’être ordonné au bien n’est pas moindre qu’être simplement. Il était donc très convenable que le principe réparateur des choses soit le Dieu souverain afin que, Dieu ayant créé toutes choses par le Verbe incréé, il les guérisse toutes par le Verbe incarné. Donc, parce que Dieu a fait toutes choses avec puissance, sagesse et bonté ou bienveillance, il convenait qu’il les répare pour montrer sa puissance, sa sagesse, sa bienveillance. Quoi de plus puissant, en effet, que d’unir les extrêmes souverainement éloignés en une seule personne? Quoi de plus sage et de plus convenable que, pour la perfection de l’univers entier, soient unis le premier et le dernier, le Verbe de Dieu principe de toutes choses et la nature humaine de toutes les créatures la dernière dans le temps? Quoi de plus bienveillant que le Seigneur, pour le salut du serviteur, ait pris la condition d’esclave? Bien plus, ceci est le fait d’une telle bonté qu’on ne peut rien penser de plus clément, de plus affectueux, de plus amical. Ce mode était donc le plus convenable à Dieu réparateur pour manifester sa puissance, sa sagesse et sa bienveillance.

3. En outre, l’homme en tombant dans le péché s’était détourné et éloigné du principe tout-puissant, souverainement sage et bienveillant. Il se précipita dans la faiblesse, l’ignorance et la méchanceté et par là, de spirituel, il devint charnel, animal et sensuel. Il était donc incapable d’imiter la vertu, de connaître la lumière et d’aimer la bonté de Dieu. Donc, à cause de cela, il convenait tout à fait que l’homme en cet état soit réparé de telle façon que le premier principe condescende vers lui en se rendant pour lui connaissable, aimable et imitable. Et parce que l’homme charnel, animal et sensuel ne connaissait, n’aimait et ne poursuivait que des biens proportionnés ou semblables à lui-même, pour arracher l’homme à cet état, le Verbe s’est fait chair afin que l’homme, qui lui aussi était chair, puisse le connaître, l’aimer et l’imiter. Ainsi, l’homme en connaissant, en aimant et en imitant Dieu est guéri de la maladie du péché.

4. Enfin, l’homme ne pouvait être parfaitement réparé que s’il récupérait l’innocence de l’esprit, l’amitié de Dieu et sa propre excellence par laquelle il est soumis à Dieu seul. Or, ce ne pouvait être que par Dieu devenu serviteur. Il convenait donc que le Verbe s’incarne. Son excellence, l’homme ne pouvait la récupérer que si le réparateur était Dieu, car s’il avait été pure créature, l’homme aurait été alors soumis à cette pure créature et n’aurait pas ainsi récupéré son statut d’excellence S L’amitié de Dieu, il ne pouvait pas davantage la récupérer sinon par un médiateur valable qui pouvait poser la main sur chacun des deux extrêmes et était conforme aux deux, ami des deux et donc semblable à Dieu par la divinité et semblable à l’homme par l’humanité. L’innocence de l’esprit, l’homme ne pouvait la récupérer que si son péché était remis. Or, la justice divine ne devait la remettre que par une satisfaction convenable. Seul Dieu pouvait satisfaire pour tout le genre humain, seul l’homme le devait, lui qui avait péché. Il convenait donc tout à fait que le genre humain soit réparé par un Dieu-homme né de la race d’Adam.

L’excellence ne pouvait être récupérée que par le réparateur le plus excellent, l’amitié ne pouvait être restaurée que par un médiateur souverainement amical, l’innocence ne pouvait être recouvrée que par l’auteur d’une satisfaction suffisante. Or, le réparateur infiniment parfait ne peut être que Dieu, le médiateur souverainement amical ne peut être qu’un homme, l’auteur d’une satisfaction suffisante doit être à la fois Dieu et homme. L’incarnation du Verbe convient donc parfaitement à notre réparation, de sorte que le genre humain venu à l’être par le Verbe incréé, tombé dans le péché en délaissant le Verbe inspiré, ressurgit du péché par le Verbe incarné.

Chapitre 1: L’union des natures dans l’Incarnation

1. Enoncé.

Au sujet du Verbe incarné, il nous faut considérer trois questions l’union des natures, la plénitude des charismes et le martyre des souffrances pour le rachat du genre humain. Au sujet de l’union des natures, il faut considérer trois aspects pour comprendre le mystère de l’Incarnation: l’oeuvre, le mode et le temps.

2. L’incarnation est l’opération de la Trinité dans laquelle eut lieu l’assomption d’une chair par la Déité et l'union de la Déité avec une chair. Ainsi, ce n’est pas seulement l’assomption de la chair sensible, mais aussi de l’esprit raisonnable avec ses puissances végétative, sensitive et intellective. Ainsi encore, l’union n’a pas lieu dans l’unité de la nature mais de la personne, non d’une personne humaine mais d’une personne divine, non d’une personne assumée mais d’une personne assumante, non de n’importe quelle personne mais de la personne du seul Verbe. L’union est telle dans la personne que tout ce qui est dit du Fils de Dieu est dit du fils de l’homme et vice versa, sauf cependant ce en quoi est exprimée l’union ou ce qui renferme une négation

3. Explication.

L’oeuvre de l’incarnation est opérée par le premier principe, non seulement en tant que principe effectif dans la production, mais aussi en tant que principe réparateur dans la guérison, dans la satisfaction et dans la réconciliation. Donc, l’incarnation, en tant qu’elle signifie un certain effet est l’oeuvre du premier principe qui fait toutes choses par sa souveraine Puissance. Or, la substance, la force et l’opération sont absolument unes et indivises entre les trois personnes. Il est donc nécessaire que l’oeuvre de l’incarnation découle de la Trinité tout entière.

4. L’incarnation est aussi l’oeuvre du premier principe, en tant q principe réparateur par la guérison. Or, tout le genre humain était tombé et vicié, non seulement dans son âme, mais aussi dans sa chair. Il était donc nécessaire qu’il soit assumé tout entier pour être tout entier guéri Et parce que la partie charnelle nous est plus connue et est plus distante de Dieu, pour que la dénomination en soit plus expressive, l’humiliation mieux exprimée et notre sanctification plus profondément expliquée, on nomme cette oeuvre non pas inanimation, mais incarnation.

5. En outre, l’incarnation est l’oeuvre du premier principe en tant que principe réparateur dans la satisfaction. Or, il n’y a satisfaction que par celui qui le doit et le peut. L’homme seul le doit, Dieu seul le peut. Il fallait donc que dans la satisfaction concourrent les deux natures, la nature divine et la nature humaine. Et parce qu’il est impossible que la nature divine concourre avec une autre nature comme partie dans la constitution d’un tiers, parce que la nature divine ne se transforme pas dans une autre nature et qu’une autre nature ne se transforme pas, dans la nature divine, à cause de sa simplicité et de son immutabilité absolues, la Déité et l’humanité ne sont pas unies dans l'unité d’une nature ou d’un accident, elles sont unies dans l’unité d’une personne et hypostase. Et parce que la nature divine ne peut subsister en aucun autre suppôt qu’en sa propre hypostase, cette union peut exister non dans l’hypostase ou personne d’un homme, mais dans une hypostase ou personne divine. Ainsi, par cette union, le premier principe dans l’une de ses hypostases s’est fait lui-même suppôt d’une nature humaine. Il n’y a donc ici qu’une seule personnalité et qu’une seule unité personnelle, celle de celui qui assume.

6. Enfin, l’incarnation est l’oeuvre du premier principe en tant que principe réparateur dans la réconciliation. En réconciliant, il est médiateur. Or, la médiation convient en propre au Fils de Dieu, donc aussi l’incarnation. Car le médiateur doit être le milieu entre l’homme et Dieu pour reconduire l’homme à la connaissance, à la conformité et à la filiation divines Nul n’est plus valable médiateur que la personne qui produit et qui est pro duite, qui est milieu des trois personnes. Nul ne peut mieux reconduire à la connaissance de Dieu que le Verbe, par lequel le Père se déclare, ce Verbe qui est unissable à la chair, comme le verbe humain l’est à la voix. Personne ne peut mieux reconduire à la conformité divine que celui qui est l’image du Père. Personne ne peut mieux reconduire à la filiation adoptive que le Fils par nature. Et pour cela, à nul autre ne convient de se faire fils de l’homme qu’au Fils de Dieu lui-même 

7. En raison de l’incarnation, le même est à la fois fils de l'homme et Fils de Dieu, puisque « deux choses identiques à une troisième sont identiques entre elles ». Il y a donc nécessairement « communication des idiomes », à moins qu’il ne s’agisse d’un mot incluant quelque répugnance: tels sont les mots incluant l’idée d’union d’une nature à l’autre, comme unir, s’incarner, assumer et être assumé; en des mots incluant la négation de quelque chose dont l’opposé appartient à l’autre nature, comme commencer d’être, être créé, etc. mots dans lesquels s’ajoute une instance contre la règle donnée, pour la raison que nous avons dite.

Chapitre 3: Le mode de l’Incarnation

1. Enoncé.

L’ange ayant annoncé à la bienheureuse Vierge Marie que le mystère de l’incarnation devait s’opérer en elle, la Vierge le crut, le désira et l’accepta. L’Esprit Saint survint en elle pour la sanctifier et la féconder. Par sa puissance, « la Vierge conçut le fils de Dieu, Vierge elle l’enfanta et demeura Vierge après sa naissance ».

Elle conçut non seulement une chair, mais aussi une chair animée et unie au Verbe, pure de tout péché et absolument sainte et immaculée, en raison de quoi on la dit mère de Dieu et en raison de quoi elle est la très douce Vierge Marie.

2. Explication.

L’incarnation est l’oeuvre provenant du premier principe en tant que principe réparateur selon un mode convenable, universel et parfait. Car il convient que la sagesse de Dieu opère convenablement, que sa libéralité opère universellement, que sa force opère parfaitement.

3. L’incarnation est l’oeuvre du premier principe en tant q principe réparateur selon un mode convenable. Or, il est convenable que le médicament corresponde à la maladie, la réparation à la chute, le remède au préjudice. Puisque le genre humain était tombé par la suggestion du diable, par le consentement de la femme trompée, il fallait qu’ici, au contraire, un bon Ange conseillât le bien, que la Vierge crût et consentît au bon conseil et que la charité de l’Esprit Saint la sanctifiât et la fécondât en vue d’une conception immaculée, afin qu’ainsi « les contraires puissent être guéris par les contraires » De même que la femme, trompée par le diable, connue dans la concupiscence et cor rompue par l’homme, a transmis à tous la faute, la maladie et la mort, de même la femme, instruite par l’Ange, sanctifiée et fécondée par l’Esprit Saint, sans aucune corruption de l’esprit ou du corps pour rait engendrer une progéniture qui donnerait à tous ceux qui s’en approchent la grâce, la santé et la vie.

4. En outre, l’incarnation est l’oeuvre du premier principe en tant que principe réparateur selon un mode universel. Par le Verbe incarné, en effet, est réparée la chute des hommes et des anges, des êtres célestes et des êtres terrestres et des hommes dans les deux sexes. Pour que le remède soit universel, il convenait qu’au mystère de l’incarnation concourrent l’Ange, la femme et l’homme: l’Ange comme annonciateur, la Vierge comme génitrice, l’homme comme enfant conçu. L’ange Gabriel était le messager du Père éternel, la Vierge immaculée était le temple de l’Esprit Saint, l’enfant conçu était la personne même du Verbe. Ainsi, dans la rédemption universelle le concours a été réuni des trois de la triple hiérarchie, divine, angélique et humaine pour faire voir non seulement la Trinité de Dieu, mais aussi la généralité du bienfait et la libéralité du souverain rédempteur. Parce que la libéralité est appropriée à l’Esprit Saint, l’est aussi la sanctification de la Vierge en laquelle fut opérée la conception du Verbe, bien que cette oeuvre soit agie par la Trinité entière. On dit cependant, par appropriation, que la Vierge a conçu de l’Esprit Saint.

5. Enfin, l’incarnation est l’oeuvre du premier principe en tant que principe réparateur selon un mode parfait. C’est pourquoi la conception devait s’accomplir avec perfection dans l’enfant, dans l’acte de concevoir et dans la force de conception. La perfection fut complète dans l’enfant, c’est-à-dire qu’à l’instant même de la conception, il y eut non seulement séparation d’un germe, mais aussi affermissement, configuration, vivification par l’âme et déification par la Déité qui s’unissait. Ainsi, la Vierge a vraiment conçu le Fils de Dieu en raison de l’union de la chair à la Déité par le moyen de l’esprit raisonnable qui, en tant que moyen de convenance, rendait la chair capable de cette union.

La perfection fut aussi complète dans l’acte de concevoir, car parmi les quatre manières de faire un homme, trois avaient déjà été utilisés: le premier, sans homme ni femme en Adam; le deuxième, d’un homme sans femme en Eve; le troisième, d’un homme et d’une femme, en tous les enfants nés dans la concupiscence. Il convenait pour achever la perfection de l’univers que la quatrième manière fût introduite: d’une femme sans semence de l’homme, par la force du souverain créateur. La perfection fut enfin complète dans la force ou vertu, c’est-à-dire que dans la conception du Fils de Dieu ont concouru ensemble la vertu innée, la vertu infuse et la vertu incréée. La vertu innée a préparé la matière, la vertu infuse l’a mise à part en la purifiant, la vertu incréée a achevé en un instant ce que la vertu créée n’aurait pu faire que successive ment. Ainsi, la bienheureuse Vierge Marie fut mère d’une manière absolument parfaite, en concevant le Fils de Dieu lui-même sans le secours d’un homme, par la fécondation de l’Esprit Saint. Car dans l’âme de la Vierge, l’amour de l’Esprit Saint brûlait de façon si singulière que dans sa chair la force de l’Esprit Saint accomplissait des merveilles, sa grâce excitant, aidant et élevant la nature, selon que l’exigeait une conception aussi admirable.

Chapitre 4: La plénitude des temps de l’Incarnation

1. Enoncé.

Bien que Dieu ait pu s’incarner dès le commencement, il ne le voulut cependant qu’à la fin des siècles, après la loi de nature et la loi figurée, après les Patriarches et les Prophètes auxquels et par les quels l fut promise. Après eux, Dieu a daigné s’incarner, comme à la fin et à la plénitude des temps, ainsi que le dit l’Apôtre: « Mais quand vint la plénitude du temps, Dieu envoya son Fils, né d’une femme, né sujet de la loi afin de racheter les sujets de la loi » 

2. Explication.

L’incarnation est l’oeuvre du premier principe en tant que réparateur comme il convient à la liberté de l’arbitre, à la sublimité du remède, à l’intégrité de l’univers, car l’Artisan souverainement sage a, en agissant, considéré ces trois choses.

La liberté de l’arbitre requiert de n’être entraînée à rien contre son gré. Dieu devait donc racheter le genre humain de façon que celui qui voudrait chercher le Sauveur trouverait le salut et que celui qui ne voudrait pas chercher le Sauveur ne trouverait par conséquent pas le salut. Personne ne cherche le médecin s’il ne se reconnaît être malade, personne ne cherche le docteur s’il ne se reconnaît ignorant, personne ne cherche une aide s’il ne se reconnaît impuissant. Donc, parce que l’homme au commencement de sa chute s’enorgueillissait alors de sa science et de sa puissance, Dieu prévoya donc le temps de la loi de nature, durant lequel l’homme se convaincrait de son ignorance. L’ignorance une fois reconnue, restait l’orgueil de la puissance qui faisait dire aux hommes: il y a un Dieu qui agit, il n’y en a pas qui commande. Il ajouta donc la loi qui enseigne par des préceptes moraux et qui accable par des préceptes rituels, afin qu’ayant acquis la science et reconnu son impuissance, l’homme se réfugie auprès de la miséricorde divine pour implorer la grâce qui nous est donnée dans l’avènement du Christ. Donc, l’incarnation du Verbe devait venir après la loi de nature et la loi de l'Ecriture. 

3. En outre, la sublimité du remède requiert d’être cru d’une foi ferme et aimé d’une charité ardente comme un mystère secret et salutaire. Il convenait donc qu’avant la venue du Christ se pré sentent les multiples témoignages des Prophètes, explicites dans les paroles et implicites dans les figures pour que, de leurs témoignages multiples et fermes, le mystère soit certain et ne laisse place à aucun doute. Il convenait aussi que se présentent les multiples promesses et les désirs ardents pour que l’on attende le bienfait promis, qu’attendu il soit retardé, que retardé il soit désiré plus longtemps et que longtemps désiré, il soit aimé avec plus de ferveur, reçu avec plus de reconnaissance et conservé avec plus de sollicitude.

4. Enfin, l’intégrité et la perfection de l’univers requiert que toutes choses soient ordonnées dans l’espace et dans le temps. En cela, l’oeuvre de l’in carnation est la plus parfaite des oeuvres divines. Donc, puisque l'on doit procéder de l’imparfait au parfait et non dans le sens inverse, cette oeuvre devait se produire à la fin des temps afin que, comme le premier homme qui était l’ornement du monde sensible tout entier avait été créé en dernier, c’est-à-dire au sixième jour pour achever le monde, ainsi le second homme, achèvement du monde racheté tout entier, dans lequel le premier principe s’unit au dernier, « Dieu au limon », est venu à la fin des temps, au sixième âge, qui est l’âge propre à l’exercice de la sagesse, à l’affaiblissement de la concupiscence, au passage du trouble au repos. Tout cela convient au sixième âge de l’histoire du monde en vue de l’incarnation du Fils de Dieu.

5. L’avènement du Christ eut lieu au temps de la loi de grâce, il révéla la miséricorde promise et inaugura le sixième âge, ce qui signifie la plénitude, car la loi de grâce accomplit la loi de l’Ecriture, la venue de la promesse l’accomplit. Le sixième âge en raison de la perfection du sexénaire signifie la plénitude. On dit donc que l’avènement du Fils de Dieu est la plénitude des temps, non parce qu’il clôt le temps, mais parce qu’il accomplit les mystères du temps. Le Christ ne devait pas venir au début du temps, c’eût été trop tôt. Il ne devait pas non plus différer jusqu’à la fin ultime, car c’eût été trop tard. Il convenait, en effet, que le Sauveur introduise le temps du remède entre celui de la maladie et celui du jugement. Il convenait au médiateur de précéder certains de ses membres et d’en suivre d’autres. Il convenait que le guide parfait se manifeste au moment favorable de la course vers le prix. C’est donc à la fin des temps, avant le terme et près du jugement final, afin que, stimulés par la crainte du jugement, attirés par l’espoir de la récompense, animés par la perfection du modèle, nous suivions le guide avec vigueur et perfection, de vertu en vertu jusqu’à atteindre au prix du bon heur éternel.

Chapitre 5: La plénitude des charismes dans l’affectivité du Christ

1. Après que s’est fait connaître à nous le Verbe incarné dans l’union des natures, il nous faut le considérer dans la plénitude des charismes spirituels. A ce sujet, nous devons étudier en premier la plénitude de la grâce dans l’affectivité, puis la plénitude de la sagesse dans l’intelligence, enfin la plénitude du mérite dans l’action.

2. Enoncé.

Dans le Christ, dès sa conception, il y eut plénitude de toute grâce en tant que grâce de la personne singulière, en tant que grâce capitale et en tant que grâce d’union.

Par la grâce de la personne singulière, il possède l’immunité de toute faute, tant en acte qu’en puissance, car il ne pécha point et ne put pécher. Par la grâce d’union, il est digne non seulement de la félicité de la gloire, mais aussi de l’adoration de latrie qui est le culte de révérence dû à Dieu seul. Par la grâce capitale, il influe le mouvement et le sens à tous ceux qui viennent à lui par la foi droite ou par les sacrements de la foi, qu’ils aient précédé sa venue ou raient suivie. Ceux qui marchaient devant et ceux qui suivaient criaient: « Hosanna au fils de David » 

3. Explication.

La réparation est l’opération du premier principe qui provient de lui selon la libéralité et reconduit à lui selon la conformité. Elle s’opère donc par la grâce et la déiformité. La grâce provient, en effet, de Dieu libéralement et rend l’homme conforme à Dieu. Le principe rédempteur répare par la grâce. Or, toute chose est plus pleine et parfaite dans sa source et son origine que partout ailleurs. Il faut donc que dans notre principe réparateur le Christ Seigneur se trouve la plénitude de toute grâce. Le principe réparateur dans la réparation est principe, milieu et extrême, extrême dans la satisfaction, mi lieu dans la réconciliation, principe dans l’influence. Il est donc nécessaire que dans le Christ, se trouve la plénitude de la grâce, en tant qu’il satisfait, qu’il réconcilie et qu’il influe. Etant extrêmement capable de satisfaire, il doit être agréable à Dieu et par conséquent parfaitement exempt de tout péché. Dans l’homme, cela ne peut être que par le don de la grâce divine. Dans le Christ existe donc une grâce le sanctifiant et le confirmant, que nous appelons grâce de la personne singulière.

4. En outre, le médiateur n’est capable de réconcilier que s’il possède en soi l’une et l’autre nature, la supérieure et l’inférieure, celle qu’il faut adorer et celle qui adore. Ce ne peut être que par une union sanctifiante et gratuite. Il faut donc poser dans le Christ une grâce au-dessus de toute grâce et objet de la plus grande vénération. On l’appelle grâce d’union, par laquelle le Christ homme est Dieu béni au-dessus de tout et donc objet du culte de latrie.

5. Enfin, le principe n’est capable d’influer que s’il possède en soi la plénitude fontale et originelle, plénitude qui n’est pas seulement de suffisance, mais aussi de surabondance. Il faut donc que le Verbe incarné soit plein de grâce et de vérité, de sorte que tous les justes puissent recevoir de sa plénitude, comme tous les membres reçoivent de la tête l’in flux du mouvement et du sens. C'est pourquoi on l’appelle grâce capitale, parce que, de même que la tête possède en elle la plénitude des sens, qu’elle est conforme aux autres membres, les gouverne et distribue le bienfait de son influence à ceux qui sont reliés à elle, le Christ, ayant en soi la surabondance de la grâce, étant semblable à nous par la nature, étant saint et juste plus que tous, distribue à tous ceux qui accèdent à lui le bienfait de la grâce et de l’esprit par lesquels le sens et le mouvement sont donnés dans les êtres spirituels.

6. On ne peut accéder au Christ que par la foi ou le sacrement de la foi. Or, la foi au Christ est la même dans les êtres passés, présents et futurs. Donc, le principe d’influence dans le Christ concerne tous les êtres passés, présents et futurs qui croient en lui et sont régénérés en lui, qui sont unis à lui par la foi et qui deviennent par l’influx de sa grâce membres du Christ, temples de l’Esprit Saint et par là fils de Dieu le Père, unis entre eux par l’indivisible lien de la charité. Ce lien, la distance dans l’espace ne peut le rompre, l’éloignement dans le temps ne peut le déchirer.

Ainsi, tous les justes où qu’ils soient et quel que soit le temps où ils vécurent, forment l’unique corps mystique du Christ, recevant le sens et le mouvement d’une seule tête, à partir de la plénitude fon tale, radicale et originelle de toute grâce qui habite dans le Christ comme dans une source.

Chapitre 6: La plénitude de la sagesse dans l’intelligence du Christ

1. Enoncé.

Dans le Verbe incarné, le Christ Notre Seigneur, habite la plénitude de toute sagesse, non seulement à l’égard du contenu de la connaissance, mais aussi à l’égard des différents modes de connaître.

Dans le Christ, en effet, se trouve la connaissance éternelle dans la Déité, la connaissance sensible dans la sensibilité et la chair, la connaissance de science dans l’âme et l’esprit. Cette dernière fut triple, par la nature, par la grâce et par la gloire. Ainsi, le Christ a possédé la sagesse comme Dieu et comme homme, comme bienheureux et comme pèlerin ici-bas, comme illuminé par la grâce et bien formé par la nature. Il y a donc eu dans le Christ cinq modes de connaissance.

Le premier mode est conforme à la nature divine par ce mode, le Christ a connu tous les actuels et les possibles, les finis et les infinis, d’une connaissance actuelle et compréhensive.

Le second mode se rapporte à la gloire: par ce mode, le Christ a connu tous les actuels et finis d’une connaissance actuelle et compréhensive; les infinis, seulement d’une connaissance infuse ou extatique.

Le troisième mode se rapporte à la grâce: en ce mode, le Christ a connu tout ce qui concerne la rédemption du genre humain.

Le quatrième mode est conforme à sa nature intègre, comme la possédait Adam: par ce mode, le Christ a connu tout ce qui concerne la constitution de l’univers.

Le cinquième est conforme à l’expérience sensible: par ce mode, le Christ a connu tout ce qui arrive aux organes des sens, mode selon lequel on dit qu’il a appris, de ce qu’il souffrit, l’obéissance “.

2. Explication.

Le propre du principe réparateur est de nous racheter par la libération de sa grâce, c’est aussi de le faire par la providence de sa sagesse. Ce qui a été créé selon l’ordre de la sagesse ne peut être réparé sans la lumière et l’ordre de la sagesse. Et donc, comme le Christ a dû être exempté de toute faute, il a dû aussi être libéré de toute ignorance et par là totalement rempli de la lumière et de l’éclat de la sagesse supérieure. C’est pourquoi il jouissait d’une connaissance parfaite selon l’une et l’autre nature dans leur propre puissance cognitive, et selon chaque mode d’existence des êtres.

3. Les choses possèdent l’être dans l’art éternel, dans l’esprit humain et dans leur réalité propre il fallait donc que le Christ possède cette triple connaissance des choses. Les choses peuvent être connues dans l’art éternel d’une double manière, par leur artisan lui-même ou par celui qui contemple cet art. Semblablement, les choses peuvent être et être connues dans l’esprit d’une double manière (même en dehors de toute science acquise, dont l’imperfection ne convient pas au Christ), selon un habitus inné ou selon un habitus infus. En conséquence, il a été nécessaire à la parfaite plénitude de sa sagesse, que le Christ Dieu et homme possède les cinq modes de connaissance décrits: connaissance des choses dans l’art éternel, par sa nature divine et par la vision de gloire; connaissance dans son esprit, par habitus naturel et inné, comme connurent Adam et les Anges, et par habitus gratuit et infus, comme connaissent les saints de Dieu illuminés par l’Esprit Saint; connaissance des choses dans leur réalité propre par la voie des sens, de la mémoire et de l’expérience, par quoi, en nous-même, une chose inconnue devient connue Mais dans le Christ une chose connue selon un de ces modes la lui fait connaître selon un autre.

4. Parce que la substance, la force et l’opération divine sont immenses, en conséquence, selon le premier mode qui vient de la nature divine, le Christ comprend actuellement les infinis; car, d’une certaine manière ineffable pour le souverain Infini, toute infinité est finie.

5. Quant à la créature, quelque soit son degré d’élévation, elle est limitée dans sa substance, dans sa force et dans son opération. Toutefois l’esprit humain ne peut se reposer que dans le bien infini sans proprement le comprendre, car l’infini n’est pas compris par le fini, si on prend le mot compréhension dans son sens propre. En conséquence, selon le deuxième mode de connaissance, l’âme du Christ, par la vision de gloire comprend tout ce que peut comprendre la nature finie béatifiée par le bien infini auquel elle est souverainement unie; et par là, elle s’étend aux finis d’une compréhension actuelle, aux infinis seulement par un habitus infus ou même dans l’extase. Car l’âme du Christ ne peut s’égaler au Verbe, ni en science ni en rien d’autre.

6. En outre, la grâce concernant surtout l’oeuvre de réparation, selon le troisième mode de connaissance, le Christ a connu par la grâce la plus parfaite, toutes les choses qui concernent notre rédemption, beaucoup plus parfaitement et mieux que ne l’aurait pu l’un quelconque des Prophètes ou même des Anges.

7. De plus, la nature de l’homme étant par faite pour être à la tête de toutes les créatures et les connaître en tant qu’elles devraient le servir, comme il apparut dans la condition du premier homme, selon le quatrième mode de connaissance, le Christ a donc connu tout ce qui concerne la constitution de la machine mondiale, plus parfaitement que ne l’aurait pu faire Adam.

8. Enfin, le sens percevant les choses seulement comme un objet présent, selon le cinquième mode de connaissance, celui de la connaissance sensible, le Christ ne connaissait pas toutes les choses en même temps, mais seulement celle-ci ou celle-là, selon qu’il était opportun à la réparation du genre humain.

Chapitre 7: La perfection du mérite dans l’agir du Christ

1. Enoncé.

Dans le Christ Seigneur, habitaient la perfection et la plénitude de tout mérite.

En premier lieu, en raison de celui qui méritait et qui était non seulement homme, mais Dieu. En second lieu, en raison du temps durant lequel il méritait, depuis le premier instant de sa conception jusqu’à l’heure de sa mort. En troisième lieu, quant à ce par quoi il méritait, l’habitus parfait de charité et l’exercice parfait de la vertu dans la prière, l’action et la souffrance. En quatrième lieu, en raison de celui pour qui il méritait, non seulement pour lui-même, mais aussi pour nous, bien plus pour tous les justes. En cinquième lieu, en raison de ce qu’il a mérité pour nous, non seulement la gloire, mais aussi la grâce et le pardon, non seulement la gloire de l’esprit, mais aussi la transfiguration du corps et l’ouverture des portes du ciel. En sixième lieu, en raison de ce qu’il a mérité pour lui, car bien qu’il n’ait pas mérité la glorification de son âme qu’il possédait déjà, il a cependant mérité la glorification de son corps, l’accélération de sa résurrection, la glorification de son nom et la dignité de sa puissance de Juge. En septième lieu, en raison de la manière dont il a mérité. On peut, en effet, mériter de trois manières ou bien en obtenant un titre qu’on n’avait pas avant, ou bien en accroissant le titre que l’on avait déjà, ou bien en obtenant à un nouveau titre ce que déjà l’on possédait. De toutes ces manières, le Christ a mérité pour nous; mais pour lui, seule ment de la troisième. C’était l’oeuvre de la plénitude de grâce de l’Esprit Saint, par laquelle le Christ était à la fois bienheureux et dans l’état de mériter, de sorte que tous nos mérites se fondent sur son mérite.

2. Explication.

Dans le principe réparateur, le Christ Notre Seigneur, habitait nécessairement la plénitude de la grâce et de la sagesse qui sont pour nous source d’une vie droite et sainte. Il fallait donc que le Christ possède la plénitude et la perfection de tout mérite selon tout mode de plénitude Car dans le Christ habite la plénitude de la grâce d’union par laquelle il était Dieu depuis le premier instant de sa conception, possédant la vision de gloire et le mouvement du libre-arbitre. Il était donc nécessaire que le Christ possède la perfection du mérite en raison de l’excellente dignité de celui qui méritait et de la remarquable opportunité du temps.

3. En outre, il possédait la plénitude de la grâce de la personne singulière qui l’établissait fermement dans la charité et dans la perfection de toutes les vertus, à la fois en habitus et en acte. Il était donc nécessaire que son mérite soit plénier en tout ce par quoi il l’obtenait: sa charité radicale et les actes de ses multiples vertus.

4. De plus, en lui était la plénitude de la grâce capitale, par laquelle il a exercé une pleine influence sur ses membres. Il possédait donc la plénitude de mérite non seulement pour lui, mais pour nous. De même qu’il a une influence sur tous nos biens spirituels en raison de sa déité, de même, en raison de l’humanité assumée, il a mérité les biens de la vie pré sente et ceux du bonheur éternel.

5. Enfin, la plénitude de si grands charismes supposait nécessairement dans le Christ une souveraine et parfaite félicité dans la partie supérieure de lui-même, bien que selon l’économie de notre salut il était pèlerin ici-bas. Il possédait donc la perfection du mérite en raison de ce qu’il méritait pour lui-même, non pas la gloire et la béatitude concréées avec son âme, qui précédaient naturelle ment en lui tout mérite, mais seulement ce qui ne pouvait normalement coexister avec l’état de pèlerin ici-bas, par exemple la transfiguration de la chair et son exaltation à la plus haute dignité.

6. De là vient aussi qu’il possédait la perfection du mérite en raison de la manière de mériter. Dès le premier instant de sa conception, il avait une plénitude parfaite, et mérita donc aussitôt tout ce qu’il pouvait mériter pour lui-même. Il put, en cela, mériter à un nouveau titre ce qu’il aurait pu déjà mériter autrement. Mais il ne pouvait, pour lui, acquérir un titre qu’il n’avait pas encore ou accroître le titre qu’il avait déjà, car il ne pouvait en aucune manière avancer dans la sainteté, étant parfaitement saint dès le commencement. Il mérita cependant pour nous, qui, par son mérite, sommes justifiés par sa grâce, avançons dans la justice et recevons la couronne de la gloire éternelle.

7. Ainsi, dans le mérite du Christ prennent racine tous nos mérites, qu’ils soient satisfactions des peines ou qu’ils nous obtiennent la vie éternelle. Nous ne sommes dignes, en effet, d’être absous de l’offense au souverain Bien ni de gagner l’immensité de la récompense, qui est Dieu, que par le mérite de l’Homme-Dieu à qui nous pouvons et devons dire: « Toutes nos oeuvres, tu les fais en nous, Seigneur ». Il est, dis-je, le Seigneur à qui le Prophète s’adresse: « J’ai dit au Seigneur: tu es mon Dieu parce que tu n’as pas besoin de mes biens. »

Chapitre 8: La souffrance du Christ

1. Après avoir considéré l’union des natures dans le Verbe incarné et la plénitude de ses charismes, il faut maintenant parler de la souffrance des passions au sujet de laquelle nous verrons l’état du patient, le mode et les fruits de la passion.

2. Enoncé.

Le Christ n’a pas assumé seulement une nature humaine, il en a aussi assumé les défauts. Il a assumé, en effet, les peines corporelles, comme la faim, la soif et la lassitude; il a assumé aussi les peines spirituelles comme la tristesse, les gémissements et la crainte; mais il n’assuma pas toutes les pénalités corporelles, comme le sont les défauts des multiples maladies; ni toutes les pénalités spirituelles comme le sont l’ignorance et les rébellions de la chair contre l’esprit; il n’assuma pas n’importe comment ces défauts, car il reçut la nécessité de souffrir de telle façon qu’il ne pouvait rien souffrir contre son gré, que ce soit le gré de la Déité ou le gré de la raison, bien que la passion fut contre la volonté de la sensualité et de la chair, comme l’exprime la prière du Sauveur: « Non comme je le veux, mais comme tu veux »

3. Explication.

Le principe réparateur remplit nécessairement l’office de médiateur dans la réconciliation. Il est donc nécessaire qu’il ait une convenance avec les deux extrêmes, non seulement quant à la nature, mais aussi quant aux conditions de cette nature. Donc, puisque Dieu est juste et bienheureux, impassible et immortel, puisque l’homme tombé est pécheur et misérable, passible et mortel, il était nécessaire que le Christ fût médiateur de Dieu et des hommes, pour pouvoir reconduire l’homme à Dieu, communier avec Dieu dans la justice et la béatitude, avec l’homme dans la passibilité et la mortalité de sorte que, possédant « la mortalité passagère et la béatitude permanente » il reconduisit l’homme de la misère présente à la vie bienheureuse, comme au contraire, l’ange mauvais, possédant l’immortalité avec la misère et l’injustice, fut le médiateur faisant tom ber l’homme dans la faute et la misère par sa sug gestion. Donc, puisque le Christ médiateur a dû posséder l’innocence et la béatitude céleste en même temps que la mortalité et la passibilité, il dut être en même temps pèlerin ici-bas et citoyen du ciel.

Il eut en lui quelque chose de chacun de ces états, selon qu’il est dit avoir assumé de l’état d’innocence l’immunité du péché, de l’état de nature déchue la mortalité, de l’état de gloire la béatitude de la jouissance parfaite.

4. En outre, parce, que les pénalités dues au péché, comme le sont ces quatre pénalités infligées à cause du péché originel, l’ignorance, l’infirmité, la méchanceté et la concupiscence ne peuvent subsister avec la parfaite innocence: en conséquence, le Christ ne devait pas les assumer et ne les assuma pas. Par contre, les peines qui sont exercice de la vertu parfaite et témoignage d’une humanité vraie et non feinte, sont surtout celles qui concernent la nature en général, comme la faim et la soif en l’absence d’aliment, la tristesse et la crainte en présence d’un préjudice en conséquence, le Christ devait les assumer et les assuma.

5. Enfin, aucun innocent ne doit endurer une peine contre son gré, car ce serait contre l’ordre de la justice divine; aucun mortel ne veut mourir et souffrir selon le désir de la nature, qui fuit naturellement la mort. Le Christ devait endurer ces pénalités sans cependant souffrir contre le gré de sa raison, non seulement à cause de la béatitude et de la Déité toute-puissante unie à lui, par laquelle il pouvait toutes les chasser, mais aussi à cause de sa parfaite innocence qui, selon l’ordre de la justice naturelle, lui permettait de ne rien souffrir contre son gré; ainsi, souffrait-il, mais bien contre l’inclination et l’appétit naturel qui est dans la sensibilité et dans la chair.

C’est pourquoi quand le Christ pria selon la raison, il exprimait la volonté de sa chair par laquelle il fuyait la passion, lorsqu’il disait « Que ce calice s’éloigne de moi. » Il conforma cependant la volonté de sa raison à la volonté du Père et la posa avant l’appétit de sa chair, lorsqu’il disait: « Non ma volonté, mais la tienne. »

Donc, une volonté n’était pas contraire à l’autre, car « il voulait selon la volonté divine ce qui était juste, il consentait selon la volonté de la raison à la justice, mais il récusait la peine selon la volonté de sa chair, sans cependant accuser la justice. Chaque volonté opérait son oeuvre et suivait son objet: la volonté divine la justice, la volonté de chair la nature". Il n’y avait donc dans le Christ aucune lutte ni combat, mais un ordre paisible et une tranquillité ordonnée.

Chapitre 9: Comment le Christ a souffert

1. Enoncé

Le Christ a souffert d’une souffrance générale, d’une souffrance dure, d’une souffrance ignominieuse, d’une souffrance à la fois mortelle et vivifiante.

Le Christ a souffert d’une souffrance générale, quant à sa nature humaine, non seulement dans tous ses membres corporels, mais aussi dans toutes les puissances de son âme, bien qu’il ne pouvait rien souffrir selon sa nature divine.

Il a souffert d’une souffrance dure, non seulement en éprouvant de la douleur par la souffrance des plaies, mais aussi en compatissant, à cause de nos péchés.

Il a souffert d’une souffrance ignominieuse, à cause du gibet de la croix qui était un supplice des plus abjects et à cause de la compagnie des méchants, les larrons parmi lesquels il a été compté.

Il a souffert d’une souffrance mortelle par la séparation de l’âme et du corps, étant cependant sauve l’union de l’une et de l’autre avec la Déité. Car est anathème qui dit que le Fils de Dieu a, pendant un temps, quitté la nature qu’il avait assumée.

2. Explication

Le principe réparateur, ayant produit le genre humain dans l’ordre, a dû aussi le réparer dans l’ordre. Il doit donc le réparer de façon que soit sauve la liberté de l’arbitre, sauf aussi l’honneur de Dieu, sauf enfin l’ordre du gouvernement universel.

Donc, parce qu’il a dû réparer en sauvegardant la liberté de l’arbitre, il a réparé en donnant l’exemple le plus efficace l’exemple le plus efficace est celui qui invite et conduit au sommet des vertus. Or, rien ne conduit mieux l’homme à la vertu que l’exemple de subir la mort à cause de la justice et de l’obéissance divine, la mort, dis-je, pas n’importe laquelle, mais la mort la plus pénible. Rien ne peut mieux inciter à la vertu qu’une telle bonté par laquelle le Fils de Dieu très haut, a livré son âme pour nous, sans aucun mérite de notre part, mais plutôt de nombreux démérites. Cette bonté nous est montrée d’autant plus qu’il a souffert et voulu souffrir pour nous des peines plus lourdes et plus abjectes. Dieu n’a pas voulu épargner son propre Fils, mais il l’a livré pour nous tous; comment avec lui ne nous accordera-t-il pas toute faveur? Par quoi nous sommes invités à l’aimer et en l’aimant à l’imiter.

3. En outre, parce qu’il a dû réparer en sauve gardant l’honneur de Dieu, le Christ a réparé en offrant un sacrifice de satisfaction. « C’est satisfaire que de payer à Dieu l’honneur qui lui est dû ». Or, l’honneur soustrait à Dieu par l’orgueil et la désobéissance à l’égard de quoi l’homme est tenu, n’est restitué que par l'humiliation et l’obéissance à ce à quoi l’homme n’est aucunement tenu. Donc, parce que le Christ Jésus en tant que Dieu était égal au Père dans la forme de Dieu, en tant qu’homme innocent il n’était nullement débiteur de la mort; lorsqu’il s’anéantit lui-même et devint obéissant jusqu’à la mort il remboursa Dieu de ce qu’il ne lui avait pas arraché, par le sacrifice d’une satisfaction parfaite et offrit le sacrifice très agréable pour une expiation parfaite envers Dieu,

4. Enfin, parce qu’il a dû réparer en sauvegardant l’ordre du gouvernement universel, le Christ a donc réparé par un remède convenable. Or, il est très convenable que les contraires Soient guéris par les contraires L’homme voulait être aussi sage que Dieu. Il pécha en voulant se délecter de l’arbre défendu de sorte qu’il tomba dans la débauche et s’éleva dans la présomption et que tout le genre humain a été infecté, a perdu l’immortalité et encouru la mort. Pour que l’homme soit racheté par un remède convenable, Dieu-fait-homme a voulu s’humilier et souffrir sur le bois de la croix contre l’universelle infection, il a souffert d’une souffrance générale, contre la débauche d’une souffrance dure, contre la présomption d’une souffrance ignominieuse, contre la mort méritée et non voulue, il a voulu souffrir une mort non méritée mais volontaire.

5. La corruption générale avait infecté en nous non seulement le corps et l’âme, mais aussi toutes les parties du corps et toutes les puissances de l’âme. Le Christ a donc souffert dans toutes les parties de son corps et dans toutes les puissances de son âme et dans la portion supérieure de sa raison qui se délectait souverainement en Dieu en tant que raison et à cause de son union à ce qui lui était supérieur, mais qui souffrait souverainement en tant que nature et à cause de son union à ce qui lui était inférieur, car le Christ était tout à la fois pèlerin ici-bas et citoyen du ciel.

6. En outre, parce que la débauche avait infecté violemment en nous l’âme et la chair, nous induisant aux péchés charnels et aux péchés spirituels, le Christ a souffert d’une souffrance dure dans la chair et compati d’une souffrance amère dans son âme. Et parce que sa chair avait une complexion parfaitement équilibrée et une parfaite vivacité des sens, parce que son âme possédait une charité suprême envers Dieu et une piété souveraine envers le prochain il était normal que la douleur de l’une et de l’autre ait été très intense.

7. De plus, parce que l’enflure de l’orgueil surgit parfois intérieurement par la présomption, par fois extérieurement par l’ostentation et la flatterie, pour racheter toute superbe, le Christ a donc souffert ces deux genres d’ignominie en souffrant en lui-même et dans la compagnie qu’il eût dans sa passion.

8. Enfin, parce que toutes ces souffrances n’atteignaient pas la nature divine impassible mais seulement la nature humaine, dans la mort du Christ la division de l’âme et de la chair s’est donc opérée de façon que soit sauve l’unité de la personne et l’union tant de la chair que de l’âme avec la Déité.

L’union de l’âme avec le corps fait un homme et le fait vivant. Le Christ n’était plus homme durant les trois jours de sa mort, bien que son âme et sa chair soient demeurées unies au Verbe. Parce que la mort dans la nature humaine ne pouvait entraîner la mort dans la personne qui a toujours été vivante: la mort est donc morte dans la vie, et par la mort du Christ, la mort a été absorbée dans la victoire et le prince de la mort a été vaincu, et par là, l’homme a été délivré de la mort et de la cause de la mort par le mérite de la mort du Christ comme par le moyen le plus efficace.

Chapitre 10: Le fruit de la passion du Christ

1. Enoncé

Il faut tenir fermement que l’âme du Christ, après la Passion, est descendue aux enfers ou limbes, pour libérer non pas tous les hommes, mais ceux qui, parmi les membres du Christ, étaient morts dans la foi vivante ou dans les sacrements de la foi.

L’âme du Christ ressuscita des morts le troisième jour en reprenant le corps qu’elle avait vivifié, mais non plus tel qu’il était auparavant, car auparavant il était passible et mortel; après qu’il eût ressuscité, il était impassible et immortel, vivant pour toujours.

Après quarante jours, il monta aux cieux où, exalté au-dessus de toute créature, il est assis à la droite du Père On doit comprendre ceci non quant à la localisation, ce qui ne convient pas à Dieu le Père, mais quant à l’excellence des biens, car le Christ réside dans les biens supérieurs du Père.

Enfin, après un intervalle de dix jours, il envoya sur les Apôtres l’Esprit Saint promis, par lequel l’Eglise des nations a été rassemblée et ordonnée selon les diverses distributions d’offices et de grâces.

2. Explication

Parce que le Christ, en tant que Verbe incréé a formé parfaitement toutes choses, de même, en tant que Verbe incarné, il dut les réformer parfaitement. Car il convient que le principe parfait ne laisse pas descendre son oeuvre en dessous de la perfection. Le principe réparateur devait donc mener le remède de la rédemption humaine à la perfection. Pour être parfait, ce remède devait donc être suffisant et efficace.

3. Parce que suffisant, ce remède s’étendit donc au ciel, à la terre et aux enfers. Par le Christ les enfers ont été récupérés, la terre guérie, le ciel réintégré, de sorte qu’il récupéra les enfers par le pardon, guérit la terre par la grâce, réintégra le ciel par la gloire ainsi, après la passion, l’âme du Christ descendit aux enfers pour libérer ceux qui y étaient morts dans les péchés; il monta aux cieux en ramenant les captifs pour réintégrer la Jérusalem céleste; il envoya l’Esprit Saint pour édifier la Jérusalem terrestre. Toutes ces choses sont une conséquence nécessaire exigée pour que la rédemption humaine soit suffisante.

4. En outre, parce que ce remède fut efficace tant pour ceux qui précédèrent la venue du Christ que pour ceux qui la suivent et qui ont accédé au Christ et y accèdent et furent et sont ses membres — tels sont ceux qui adhèrent à lui par la foi, l’espérance et la charité —; ce remède devait donc avoir une efficacité, en premier lieu, pour ceux qui croyaient dans le Christ, qui, en croyant, espérèrent et, en espérant, aimèrent; et par là, le Christ devait donc immédiatement descendre aux enfers pour les libérer. Le Christ, par sa passion, ouvrit les portes du ciel, lui qui, en satisfaisant, écarta le glaive de feu et, en changeant la sentence divine, écarta tous ses membres de l’enfer.

5. Ce remède devait aussi avoir une efficacité excellente pour ceux qui suivent la venue du Christ, afin qu’en les attirant à la foi, à l’espérance et à la charité, il les ramène enfin à la gloire céleste. Donc, pour édifier dans la foi, par laquelle aussi nous croyons qu’il a voulu nous racheter par sa mort et qu’il a pu nous ramener à la vie par sa résurrection; il a donc voulu ressusciter à la vie immortelle, après cependant un espace de temps convenable, c’est-à-dire trente-six heures. Il a montré par là qu’il était vrai ment mort; et il ne devait pas aller plus vite de peur que, s’il ressuscitait trop tôt, on crût qu’il n’était pas vraiment mort et qu’il avait feint d’être mort; il ne devait pas non plus attendre plus longtemps, de peur qu’en demeurant toujours dans la mort, on le crût impuissant et qu’il ne puisse rappeler personne à la vie: il ressuscita donc le troisième jour.

6. De plus, pour élever dans l’espérance, il monta vers la gloire céleste que nous espérons. Mais parce que l’espérance ne naît que de la foi en l’immortalité future, il ne monta pas immédiatement, mais après un intervalle de quarante jours, pendant lequel, par de multiples miracles et arguments, il prouva sa vraie résurrection, par laquelle l’esprit est consolidé dans la foi et emporté vers l’espérance de la gloire céleste.

7. Enfin, pour enflammer dans la charité, le Christ envoya le feu de l’Esprit Saint au jour de la Pentecôte. Et parce que personne ne peut être rempli de ce feu s’il ne prie, ne cherche et ne frappe avec une espérance instante et importune; il ne l’envoya donc pas immédiatement après son ascension, mais après un intervalle de dix jours, durant lequel les disciples en jeûnant, en priant et en gémissant, se disposèrent à recevoir l’Esprit Saint.

Ainsi, comme il avait respecté l’heure de sa passion, il respecta l'heure de sa résurrection, de son ascension et de l’envoi de l’Esprit Saint, pour fonder les trois vertus et en raison de nombreux mystères impliqués dans ces temps.

8. Et parce que l’Esprit Saint, qui est charité et que l’on possède par la charité est l’origine de tous les charismes, lorsqu’il descendit, la plénitude des charismes fut répandue pour embraser le corps mystique du Christ. Et parce que dans un corps par fait, il doit y avoir divers membres, divers offices et activités de ces membres et divers charismes en vue de ces offices, en conséquence « à l’un, c’est une parole de sagesse qui est donnée par l’Esprit; à tel autre une parole de science; à un autre la foi; à tel autre le don de guérir; à tel autre la puissance d’opérer des miracles; à tel autre les diversités des langues; à tel autre le don de les interpréter. Mais tout cela c’est le seul et même Esprit qui l’opère, distribuant ses dons à chacun en particulier, comme l’entend », selon sa providence et sa libéralité providentielle.

PARTIE V: LA GRACE DU SAINT ESPRIT

Chapitre 1: La grâce, don de Dieu

1. Après le traité de l’Incarnation du Verbe, origine et source de tout don gratuit, il nous faut parler de la grâce de l’Esprit Saint. Nous aborderons cette étude sous quatre aspects: en premier lieu, en tant que don de Dieu; en second lieu, dans son rapport avec le libre-arbitre; en troisième lieu, dans son rapport avec les vertus; en quatrième lieu, dans son rapport avec les oeuvres méritoires.

Enoncé

En tant que don venant de Dieu, la grâce est un don qui est donné et infusé par Dieu, sans intermédiaire; car, avec elle et en elle est donné l’Esprit Saint qui est le don incréé, excellent et parfait, descendant du Père des lumières par le Verbe incarné, selon que Jean, dans l’Apocalypse, vit un fleuve splendide, semblable à du cristal, jaillir du trône de Dieu et de l’Agneau.

Elle est aussi un don, par lequel l’âme acquiert la perfection et la dignité d’épouse du Christ, de fille du Père éternel et de temple du Saint Esprit; ce qui ne peut s’obtenir d’aucune façon sinon par la bienveillante condescendance et la condescendante bienveillance de la Majesté éternelle par le don de sa grâce.

Elle est enfin un don qui purifie l’âme, l’illumine et la parfait, ce don qui la vivifie, la réforme et la stabilise; l’élève, l’assimile et l’unit à Dieu et ainsi la rend acceptable. C’est pourquoi un tel don est appelé, à juste titre, et doit être appelé grâce gratum faciens.

3. Explication

Le premier principe créateur, dans sa souveraine bienveillance, a fait l’esprit raisonnable capable de la béatitude éternelle. Le principe réparateur a réparé pour le salut cette capacité rendue caduque par le péché. Or, la béatitude éternelle consiste dans la possession du souverain Bien. Ce bien est Dieu, bien infiniment supérieur au service humain le plus éminent. Nul homme n’est digne d’accéder à ce bien souverain qui transcende toutes les limites de la nature, à moins que Dieu, dans sa condescendance, ne l’élève au-dessus de lui-même.

Or, Dieu ne condescend pas par son essence immuable, mais par une influence émanant de lui. L’esprit n’est pas élevé au-dessus de lui-même en un endroit dans l’espace, mais par une qualité déiforme. Il est donc nécessaire à l’esprit raisonnable, pour devenir digne de l’éternelle béatitude, de participer à cette influence déiforme. Or, cette influence déiforme, parce qu’elle est de Dieu, selon Dieu et pour Dieu, rend l’image de notre esprit semblable à la bienheureuse Trinité, non seulement quant à son mode d’origine, mais aussi en ce qui concerne la droiture du choix et la quiétude de la, jouissance. Qui possède cela est immédiatement ramené à Dieu, comme il lui est immédiatement rendu semblable. C’est pourquoi ce don est donné immédiatement par Dieu, principe influent.

Tant et si bien que de même qu’émane immédiate ment de Dieu l’image de Dieu, ainsi émane immédiatement de Dieu la similitude de Dieu, qui est la perfection déiforme de l’image divine. On peut donc l’appeler l’image de recréation.

4. En outre, parce que celui qui jouit de Dieu possède Dieu, avec la grâce qui, par sa déiformité, dispose à la jouissance de Dieu, est donné le don incréé qui est l’Esprit Saint. Quiconque la possède, possède Dieu.

5. Et parce que nul ne possède Dieu qu’il ne soit très spécialement possédé par lui, nul ne possède et n’est possédé par Dieu qu’il ne l’aime par-dessus tout et incomparablement et ne soit aimé par lui comme l’épouse par l’époux, nul n’est ainsi aimé qu’il ne soit adopté comme fils pour l’héritage éternel, la grâce sanctifiante rend donc l’âme temple de Dieu, épouse du Christ et fille du Père éternel.

Cela ne pouvant se réaliser que par la souveraine bienveillance et condescendance de Dieu, cette réalisation ne vient pas d’un habitus quelconque naturellement présent en nous, mais seulement d’un don divin, gratuitement infus. C’est l’évidence pour qui pèse ce qu’il en est d’être temple de Dieu, fils de Dieu, uni indissolublement et comme matrimonialement à Dieu par le lien de l’amour et de la grâce.

6. Enfin, parce que notre esprit ne peut être rendu conforme à la bienheureuse Trinité que selon la droiture de l’élection, que par la force de la vertu, la splendeur de la vérité et la ferveur de la charité: la force de la vertu purifie l’âme, la stabilise et l’élève; la splendeur de la vérité l’illumine, la réforme et l’assimile à Dieu; la ferveur de la charité la perfectionne, la vivifie et l’unit à Dieu. Et à cause de tout cela, l’homme plaît à Dieu et en est agréé; cette influence déiforme renferme donc les dix actes précédemment indiqués tout en portant un nom qui correspond au dernier, le plus parfait: on l’appelle, en effet, grâce gratum faciens, car celui qui la possède est rendu agréable à Dieu puisqu’elle est non seulement donnée gratuitement par Dieu, mais qu’elle est aussi selon Dieu et pour Dieu. En cela, l’oeuvre émanant de Dieu fait retour à Dieu en qui s’achève, à la manière d’un cercle intelligible, la consommation de tous les esprits raisonnables.

Chapitre 2: La grâce aide pour le bien méritoire

1. En second lieu, il nous faut considérer la grâce de l’Esprit Saint par rapport au libre-arbitre et cela sous deux aspects: la grâce est d’abord aide pour le mérite, elle est ensuite remède contre le péché.

2. Enoncé

Le mot « grâce » présente trois significations quand on parle de la grâce comme aide pour le mérite, on doit se rappeler que ce terme peut s’employer dans un triple sens: général, spécial et propre. Dans un sens général, il désigne le secours divin libéralement et gratuitement départi à la créature pour tout acte sans distinction, quelle que soit la nature de l’acte de cette créature. Sans un tel secours, nous ne pouvons ni faire quelque chose, ni durer dans l’être. Dans son sens spécial, la grâce est une aide que Dieu donne pour préparer à recevoir le don de l’Esprit Saint par lequel il accède ainsi à l’état de mérite. On appelle cette aide, grâce gratis data. Sans elle, nul ne peut faire en suffisance ce qu’il peut pour se préparer au salut.

Dans son sens propre, la grâce est une aide que Dieu nous donne pour mériter; on l’appelle grâce gratum faciens. Sans elle, nul ne peut mériter, ni avancer dans le bien, ni parvenir au salut éternel. Cette grâce, en effet, comme racine du mérite, précède tout mérite. Pour cela, il est dit qu’elle « prévient la volonté pour qu’elle veuille et qu’elle l’accompagne pour qu’elle ne veuille pas en vain ».

Personne donc ne peut la mériter en justice, mais « c’est elle qui mérite son accroissement par Dieu ici-bas, afin qu’ayant augmenté, elle mérite d’être consommée » au ciel et dans la gloire sans fin par Dieu lui-même auquel appartient d’infuser, d’augmenter et de consommer la grâce selon la coopé ration de notre volonté et selon le dessein ou bon plaisir de la prédestination éternelle.

3. Explication

Le premier principe, par sa vertu toute-puissante et sa magnanime libéralité a produit à l’être toute créature à partir du néant. La créature a donc de soi le non-être, elle reçoit tout son être d’un autre. Elle fut ainsi créée pour que, par son indigence, elle ait toujours besoin de son principe et pour que le premier principe, par sa bonté, ne cesse de se communiquer à elle. Donc, puisque l’esprit raisonnable, par le fait même qu’il est tiré du néant, est en soi imparfait puisque, du fait de sa nature limitée et indigente, l’esprit raisonnable est replié sur lui-même et aime son propre bien; du fait qu’il doit tout à Dieu, il est totalement dépendant de Dieu. Imparfait, il tend de soi au non-être; replié sur lui-même, il ne peut par lui-même s’élever jusqu’à la rectitude de la parfaite justice; totalement dépendant de Dieu, et Dieu n’ayant pas besoin de ses biens, il ne peut rien faire de lui-même et par sa propre vertu qui constituât Dieu son débiteur surtout à l’égard de la récompense éternelle qui est Dieu, si ce n’est par la divine condescendance. Donc, pour être sauvé dans l’être, étant imparfait, il a besoin perpétuelle ment de l’aide de la présence, du soutien et de l’influence de Dieu par laquelle il est maintenu dans l’être. Bien que cette influence soit universelle dans toutes les créatures, on l’appelle cependant grâce, car elle ne procède pas d’une dette, mais de la libéralité de la bonté divine.

Donc aussi, pour se préparer au don de la grâce d’en haut, l’esprit raisonnable, étant replié sur lui même, a besoin surtout après la chute, du don d’une autre grâce gratis data, afin d’être habilité aux actes moralement bons qui sont bons en vertu des circonstances. Ces actes ne peuvent aucunement être appelés bons que s’ils procèdent d’une intention droite, c’est-à-dire s’ils sont faits non pour nous mais en vue du souverain Bien vers lequel notre esprit replié sur lui-même ne s’élève que si Dieu le prévient par quelque grâce gratis data.

Donc enfin, pour faire des oeuvres méritant la récompense éternelle, l’esprit raisonnable étant totalement dépendant de Dieu et son entier débiteur, a besoin du don de la grâce gratum faciens par laquelle Dieu condescend jusqu’à lui, en acceptant son image et sa volonté avant d’accepter l’oeuvre qui en émane. Car, « la cause étant plus noble que l’effet », nul ne peut se rendre meilleur, ni faire oeuvre agréable qui plaise à Dieu, à moins de se complaire d’abord à ce que Dieu le regarde lui-même avant de regarder ses offrandes. Et c’est pourquoi le mérite s’enracine dans la grâce gratum faciens dont le propre est de rendre l’homme digne de Dieu. Aussi bien nul ne peut-il la mériter en justice, mais seulement en convenance.

4. Une fois possédée, la grâce mérite son propre accroissement ici-bas par son bon usage et le mérite en justice. En effet, Dieu seul étant le principe et la source de cette grâce, il est le seul principe de son accroissement en l’infusant, la grâce en est aussi le principe en le méritant et s’en rendant digne, le libre-arbitre en coopérant et en méritant, dans la mesure où il coopère à la grâce et fait sien ce qui est l’oeuvre de grâce.

5. Ainsi, le libre-arbitre, par la grâce, mérite en justice non seulement l’accroissement de cette grâce ici-bas, mais aussi en toute justice, son achèvement dans l’état de gloire et cela à cause de la sublimité de don de l’Esprit Saint chez celui qui coopère au mérite; à cause de la vérité du Dieu qui l’a promis à cause du caractère instable du libre-arbitre consentant et persévérant jusqu’à la fin; à cause de la difficulté de l’état de mérite; à cause de la dignité du Christ médiateur, lui notre chef qui doit être glorifié avec ses membres; à cause de la libéralité du Dieu rémunérateur qui ne peut décemment rétribuer avec parcimonie l’hommage d’une obéissance fidèle; à cause de la supériorité de l’oeuvre procédant de la charité, qui au regard du juge pèse autant que l’amour dont elle émane, amour qui préfère incomparablement Dieu à toutes les créatures et ne peut donc être récompensé en suffisance et en convenance si ce n’est par Dieu souverain Bien.

Pour ces sept raisons, la grâce septiforme ne fait pas mériter la gloire éternelle seulement en convenance, mais aussi en justice.

Chapitre 3: La grâce remède du péché

1. Enoncé

Le libre-arbitre, bien que « tout-puissant sous la main de Dieu », peut néanmoins se précipiter par lui-même dans le péché. Mais il ne peut absolument pas se relever sans le secours de la grâce divine appelée grâce gratum faciens.

Cette grâce, bien que remède suffisant contre le péché, n’est cependant donnée à l’adulte que si son libre-arbitre y consent. D’où l’on peut conclure que la justification de l’impie requiert le concours de quatre éléments

le don de la grâce

l’expulsion de la faute la contrition

le mouvement du libre-arbitre.

La faute est expulsée par le don de Dieu, non par le libre-arbitre, mais cependant pas sans lui. Car il est du rôle de la grâce gratis data de rappeler le libre-arbitre du mal et de l’exciter au bien; il est du rôle du libre-arbitre de consentir à cette grâce ou de la rejeter; celui qui y consent reçoit la grâce et la recevant coopère avec elle afin de parvenir enfin au salut.

2. Explication

Le premier principe, par le fait qu’il est premier et tout-puissant, est la cause de tout ce qui a lieu dans l’univers, sauf des péchés qui sont des « transgressions de la loi divine et des désobéissances aux commandements célestes ». Rien ne lui est rebelle, injurieux et offensant sinon le péché qui, en méprisant le précepte de Dieu et en nous détournant du bien immuable, offense Dieu, déforme le libre-arbitre, détruit le don gratuit et enchaîne au supplice éternel. Or, la déformation de l’image et la destruction de la grâce est comme un anéantissement dans l’être du bien, de l’état et de la vie de la grâce; l’offense faite à Dieu a autant de poids que Dieu lui-même est grand, comme la peine éternelle possède un aspect infini, il est donc impossible que l’homme se relève de sa faute s’il n’est pas recréé dans la vie surnaturelle, si l'offense ne lui est remise, s’il n’est pas gracié de la peine éternelle. Seul celui qui fut le principe créateur est aussi principe re-créateur, le Verbe éternel du Père qui est le Christ Jésus, médiateur entre Dieu et les hommes, qui créant tout à partir du néant, crie par lui-même sans aucun intermédiaire.

3. Parce qu’il recrée en reformant par l’habitus de grâce et de justice celui que le mal de la faute a déformé, en absolvant par une satisfaction de justice celui qui a été condamné à la peine, c’est dire qu’il nous répare en supportant pour nous la peine dans la nature humaine qu’il a assumée et en infusant la grâce réformatrice qui, en nous unissant à son origine, nous fait membres du Christ. Par là, de l’âme pécheresse qui avait été ennemie de Dieu, prostituée du diable et esclave du péché, la grâce fait l’épouse du Christ, le temple de l’Esprit Saint et la fille du Père éternel. C’est là l’oeuvre de l’infusion gratuite et condescendante du don de la grâce.

4. En outre, Dieu reformant sans infirmer les lois inscrites dans la nature, il donne donc cette grâce au libre-arbitre de telle manière qu’il ne force pas mais laisse libre son consentement. Et donc, pour que la faute soit expulsée, il est non seulement nécessaire que la grâce soit introduite mais aussi que le libre-arbitre de l’adulte — car chez les enfants, la foi de l’Eglise et le mérite du Christ suffit, et leur impuissance obtient l’impunité — il faut, dis-je, que le libre-arbitre se conforme à l'expulsion de la faute en détestant tous les péchés c’est ce que nous appelons contrition. Il est nécessaire aussi que l’adulte se conforme à l’introduction de la grâce en goûtant et en acceptant le don divin: c’est ce que nous appelons le mouvement du libre-arbitre. Ainsi, le concours de ces quatre éléments est nécessaire à la justification de l’impie.

5. Enfin, la prédisposition à une forme complémentaire devant lui être conforme, pour que le libre-arbitre se dispose à la grâce gratum faciens, il a besoin de l’appui d’une grâce gratis data. Parce qu’il est du rôle de la grâce de ne pas forcer le libre-arbitre mais de la prévenir et de passer ensemble à l’acte, dans notre justification concourrent l’acte du libre-arbitre et celui de la grâce, harmonieuse ment et avec ordre, de sorte que le rôle de la grâce est d’exciter le libre-arbitre, celui du libre-arbitre est de consentir à cette excitation ou de la rejeter. S’il y consent, il se prépare à la grâce gratum faciens, car c’est là faire ce qui est en lui; ainsi disposé, la grâce gratum faciens lui est infusée à laquelle il peut coopérer s’il le veut, alors il mérite, ou qu’il peut contrarier par le péché, alors il démérite. S’il coopère jusqu’à la fin, il mérite de parvenir au salut éternel.

6. Est donc vrai ce que dit Augustin que « celui qui t’a créé sans toi ne te justifie pas sans toi ». Est vrai aussi que ce n’est pas l’oeuvre de celui qui veut ou qui concourt, mais de Dieu qui fait miséricorde. Est vrai aussi que nul ne peut s’enorgueillir de ses mérites car Dieu ne couronne rien d’autre en nous que ses dons. Dieu s’est, en effet, réservé de distribuer libéralement les dons de sa grâce afin que l’homme apprenne à n’être pas ingrat et à ne pas se glorifier en lui-même comme s’il n’avait rien reçu, mais à se glorifier dans le Seigneur.

Est vrai aussi que, bien que le libre-arbitre ne puisse par lui-même accomplir la loi, ni produire en lui la grâce, il est -cependant inexcusable s’il ne fait pas ce qu’il peut, car la grâce gratis data est toujours prête à la prévenir, par l’appui de laquelle il peut faire ce qui est en lui. Quand il le fait, il possède la grâce gratum faciens. Lorsqu’il a obtenu cette grâce, il accomplit la loi divine et fait la volonté de Dieu. Lorsqu’il l’a faite, il parvient enfin à la béatitude éternelle à cause des oeuvres méritoires qui sont totalement oeuvres de la grâce et totalement oeuvres du libre-arbitre, bien que la grâce en soit la cause principale, comme le dit saint Augustin: « La grâce est au libre-arbitre comme le cavalier au cheval. » Comme un cavalier, la grâce dirige, mène et conduit le libre-arbitre jusqu’au port de la félicité éternelle en nous exerçant dans les oeuvres de la vertu parfaite selon le don de cette grâce septiforme.

Chapitre 4: La ramification de la grâce dans les habitus des vertus

1. En troisième lieu, il reste à traiter de la grâce dans son rapport avec les habitus des vertus. A ce sujet, il nous faut considérer trois choses: 1° comment la grâce une se ramifie dans les habitus des vertus, 2° comme elle se ramifie dans les habitus des dons, 3° comme elle se ramifie dans les habitus des béatitudes.

2. Enoncé

Bien que la grâce gratum faciens soit une, il y a pourtant sept vertus gratuites qui dirigent la vie humaine: trois vertus théologales, la foi, l’espérance et la charité; quatre vertus cardinales, la prudence, la tempérance, la force et la justice. Celle-ci, en un sens, est vertu générale, en un autre sens, une vertu spéciale et propre.

Ces sept vertus, bien que distinctes et possédant leur excellence propre, sont cependant connexes et égales entre elles au regard du même objet. Bien qu’informées gratuitement par la grâce, les vertus gratuites peuvent cependant devenir informes par la faute, à l'exception de la charité seule. Elles peuvent être à nouveau informées par la pénitence lorsque survient la grâce qui est l’origine, la fin et la forme des vertus.

3. Explication

De même que le principe créateur, par sa perfection suprême, en donnant la vie de la nature non seulement donne de vivre quant à l’acte premier, mais aussi quant à l’acte second qui est l’agir, il est de même nécessaire que le principe réparateur donne la vie à l’esprit dans l’être gratuit quant à l’être et quant à l’agir. Et parce que, d’un vivant selon la vie première, multiples sont les opérations vitales pour la parfaite manifestation de cette vie, puisque les actes se diversifient par leur objet et que la diversité des actes requiert la distinction des habitus, bien qu’il n’existe qu’une seule grâce vivifiante, elle doit cependant se ramifier dans divers habitus à cause des diverses opérations.

Certaines oeuvres morales sont premières comme croire, certaines intermédiaires comme comprendre le donné de la foi, certaines enfin sont dernières comme voir les choses comprises. Dans les premières, l’âme est rectifiée, dans les secondes, elle est équipée, aidée dans ses opérations par les seconds, et élevée enfin à la perfection par les derniers, dans les troisièmes, elle est consommée. La grâce gratum faciens doit donc se ramifier en habitus des vertus qui rectifient l’âme, en habitus des dons qui l’équipent [pour la rendre plus souple, plus opérante] et en habitus des béatitudes qui la consomment.

4. En outre, parce que la rectitude parfaite de l’âme requiert d’être rectifiée dans sa double face, supérieure et inférieure et par rapport à la fin et par rapport à ce qui conduit à la fin, il est donc nécessaire que, dans sa face supérieure en qui réside l’image de la Trinité, l’âme soit rectifiée par les trois vertus théologales. De cette façon, comme l’image de création consiste dans la trinité des puissances en l’unité d’essence, ainsi l’image de recréation consiste dans la trinité des habitus en l’unité de grâce par lesquels l’âme est portée en droite ligne vers la souveraine Trinité selon les appropriations des trois personnes. Ainsi, la foi conduit à croire et à assentir à la vérité souveraine, l’espérance à prendre appui sur la grandeur suprême et à attendre tout d’elle, la charité à désirer et à aimer le Bien souverain.

5. Il est nécessaire aussi que l’âme, quant à sa face inférieure, soit rectifiée par les quatre vertus cardinales. Car la prudence rectifie le rationnel, la force l’irascible, la tempérance le concupiscible, la justice rectifie toutes ces puissances dans leur rapport avec autrui. Et parce que cet « autrui » peut être d’une façon déterminée le prochain, un même homme peut être rapporté à soi-même en tant qu’autrui, cet autrui peut être aussi Dieu lui-même, la justice englobe ainsi toutes les puissances. Elle est non seule ment vertu cardinale, mais aussi vertu générale embrassant la rectitude de toute l’âme puisqu’elle est appelée « rectitude de la volonté ». De là vient qu’elle ne comprend pas seulement les vertus ordon nées au prochain, comme l’équité et la libéralité, mais aussi les vertus ordonnées à soi-même comme la pénitence et l’innocence et enfin les vertus ordon nées à Dieu comme l’adoration, la piété et l’obéissance.

6. Enfin, parce que toute rectitude des vertus, selon l’être gratuit découle de la grâce comme de son origine et de sa racine, et selon l’être méritoire elle se réfère à la charité comme à son origine, à sa forme et à sa fin, les autres vertus gratuites sont connexes quant à leur habitus et égales quant aux actes méritoires. De là aussi, les autres habitus des vertus peuvent être informes, la charité seule exceptée qui est la forme des vertus. Lorsqu’on les possède sans la grâce et la charité qui sont la vie des vertus, alors elles sont informes. Lorsque la grâce s’y surajoute, alors elles sont formées, ornées et rendues acceptables par Dieu. Comme les couleurs sont invisibles sans la lumière, lorsque celle-ci survient, elles deviennent alors lumineuses, belles et plaisantes à l’oeil. Ainsi, de même que la lumière et les couleurs ne font qu’une seule chose au point de départ et qu’une seule lumière suffit à rendre visibles de multiples couleurs, ainsi en est-il de la grâce et des habitus informes: lorsqu’ils sont formés, ils ne font qu’un sous l’angle du mérite et de la grâce, et une seule grâce suffit néanmoins à informer et à sanctifier les divers habitus.

Chapitre 5: La ramification de la grâce dans les habitus des dons

1. Enoncé

Les dons de la grâce gratuite sont nombreux et, dans un sens général il n’est pas absurde d’affirmer que tous les habitus donnés par Dieu peuvent être appelés dons de Dieu. Cependant, il existe, dans un sens spécial et propre, sept dons du Saint Esprit qu’Isaïe énumère et nomme, en parlant de la fleur qui naît de la tige de Jessé, c’est-à-dire du Christ dont il est dit que repose sur lui l’Esprit du Seigneur, esprit de sagesse et d’intelligence, esprit de conseil et de force, esprit de science et de piété et que le remplit l’esprit de crainte du Seigneur. Dans cette énumération, il procède en descendant du sommet et en les unissant afin de montrer la distinction, la connexion, l’origine et l’ordre des dons.

2. Explication

Le principe réparateur, par sa souveraine libéralité, ne donne pas seulement la grâce pour rectifier l’âme par les vertus contre les entraves des vices, mais aussi pour l’équiper par les dons contre les obstacles dus aux séquelles des vices. Les dons gratuits se multiplient donc selon qu’il est nécessaire à un équipement suffisant. Puisque l’âme a besoin d’être équipée de sept manières, pour sept raisons, les dons du Saint Esprit doivent être au nombre de sept. Car il faut que l’âme soit équipée contre les entraves des vices, pour l’exercice des facultés naturelles, comme pour le développement des vertus gratuites, dans la souffrance, dans l’action, dans la contemplation, dans la vie active et la vie contemplative.

3. En premier lieu, pour repousser facilement les entraves des vices, les sept dons du Saint Esprit nous sont donnés, la crainte contre l’orgueil, la piété contre l’envie, la science contre la colère qui est comme une folie, la force contre la paresse qui rend l’esprit incapable du bien, le conseil contre l’avarice, l'intelligence contre la gourmandise, la sagesse contre la luxure.

4. En second lieu, pour équiper les facultés naturelles, les dons de l’Esprit Saint doivent être sept. L’appétit irascible a, en effet, besoin d’être équipé pour accomplir de bonnes actions tant dans la prospérité que dans l’adversité: dans la prospérité il est équipé par la crainte, dans l’adversité par la force. L’appétit concupiscible a besoin d’être préparé à aimer le prochain, ce que fait la piété et à aimer Dieu, ce que fait le goût de la sagesse. L’appétit rationnel a besoin d’être aidé c la contemplation, l’élection et l’accomplissement de la vérité, Le don de l’intelligence l’aide dans la contemplation du vrai, le don de conseil dans le choix du vrai, le don de science dans l’accomplissement de ce qui a été choisi. Par le don de science, nous nous comportons droite ment au sein d’une génération dévoyée et perverse.

5. En troisième lieu, pour nous aider à accomplir les offices des sept vertus, il faut sept dons de l’Esprit Saint. La crainte, en effet, aide la tempérance en crucifiant la chair, la piété aide la vraie justice, la science aide la prudence, la force aide la patience, le conseil aide l’espérance, l’intelligence aide la foi, la sagesse aide la charité. Ainsi, de même que « la charité est mère et consommation de toutes les vertus », la sagesse l’est aussi des dons, de sorte que le Sage parle en toute vérité en disant que « avec elle me sont venus tous les biens et par ses mains d’innombrables richesses ».

6. En quatrième lieu, les dons sont au nombre de sept pour aider à souffrir en conformité avec le Christ. Or, le Christ fut conduit à souffrir par la volonté du Père, la nécessité humaine et le zèle de sa vertu. La volonté divine l’a conduit en tant que connue par l’intelligence, en tant qu’aimée par la sagesse, en tant que révérée par la crainte. Notre nécessité l’a conduit, car pour la découvrir, il faut la science et pour y compatir s’y ajoute la piété. Enfin, la générosité de la puissance l’a conduit, en tant que prévoyante dans le choix par le conseil, en tant que ferme dans l’exécution par la force. Ainsi les dons sont-ils au nombre de sept.

7. En cinquième lieu, pour aider l’action, sept dons nous sont octroyés par l’Esprit Saint. Car pour aider l’action, il est nécessaire que nous soyons prêts à éviter le mal, c’est l’oeuvre de la crainte. La pour suite du bien nous est facilitée de deux façons s’il s’agit d’un bien nécessaire la science et la piété nous y aident, l’une dirigeant et l’autre accomplissant; s’il s’agit d’un bien surérogatoire, le conseil nous dirige et la force achève. Il faut aussi que nous reposions dans le meilleur quant à l’intelligence du vrai et quant à l’amour du bien: le don de l’intelligence nous aide à la première, au second, le don de sagesse en lequel est le repos.

8. En sixième lieu, pour nous aider à la contemplation, les dons de l’Esprit Saint sont au nombre de sept. La vie hiérarchique et contemplative exige que l’âme soit purifiée, illuminée et parachevée. Elle doit être purifiée de la concupiscence, de la méchanceté, de l’ignorance, de la faiblesse ou impuissance. C’est là l’oeuvre respective de la crainte, de la piété, de la science, de la forte. Nous avons besoin d’être illuminés dans les oeuvres de restauration et de condition première: c’est l’oeuvre du conseil et de l’intelligence. Nous atteignons la perfection par l’accession au sommet qui consiste en une seule réalité, c’est l’oeuvre de la sagesse. Ainsi l’arche de la contemplation se rétrécit depuis la large base jusqu’au sommet étroit d’une coudée.

9. En septième et dernier lieu, pour aider simultanément à l’action et à la contemplation, il faut sept dons de l’Esprit Saint. La vie contemplative doit, à cause de notre conversion à la Trinité, posséder trois dons qui l’aident: la crainte dans le respect de la majesté, l'intelligence dans la compréhension de la vérité, la sagesse dans la dégustation de la bonté. La vie active qui est tournée vers l’action et le support des adversités doit en posséder quatre, la piété pour agir, la force pour supporter et pour diriger les deux, la science et le conseil. De là, puisqu’une direction est nécessaire qui rend l’action plus aidée, il y a coordination des dons. Il y a aussi plusieurs dons qui se rapportent à l’intelligence car la lumière de la connaissance aide efficacement à guider nos pas dans le droit chemin.

Il y a sept béatitudes que le Sauveur énumère dans le Sermon sur la montagne, la pauvreté en esprit, la douceur, les larmes, la faim et la justice, la miséricorde, la pureté du coeur et la paix.

Chapitre 6: La ramification de la grâce dans les habitus des béatitudes et par voie de conséquence dans les habitus des fruits et des sens

1. Enoncé

A ces béatitudes, à cause de leur perfection et de leur plénitude se rattachent douze fruits de l’Esprit et cinq sens spirituels. Ce ne sont pas de nouveaux habitus mais un état de jouissance et un usage des spéculations spirituelles qui remplissent et consolent les esprits des justes.

Explication

Le principe réparateur étant parfait et parfaite ment réparateur et reformateur par le don gratuit, le don de la grâce émanant de lui avec libéralité et abondance doit donc se ramifier jusqu’aux habitus des perfections qui, parce qu’elles sont proches de la fin reçoivent, à juste titre, le nom de béatitudes. De l’intégrité de la perfection, des modes de perfection et des dispositions à la perfection, on comprend leur suffisance, leur nombre et leur ordre.

3. En premier lieu, l’intégrité de la perfection exige nécessairement une retraite complète devant le mal, une progression à fond dans le bien et une parfaite stabilité dans le mieux. Parce que le mal procède de l’enflure de l’orgueil, de la rancoeur de la méchanceté ou de la langueur de la concupiscence, pour s’éloigner au mieux de ce triple genre de mal, trois béatitudes sont nécessaires, à savoir la pauvreté en esprit éloignant du mal de l’orgueil, la douceur éloignant du mal de la rancoeur et les larmes éloignant du mal de la sensualité et de la langueur de la concupiscence.

Puisque le parfait progrès dans le bien est tendu dans l’imitation de Dieu et toutes les voies du Seigneur étant miséricorde et vérité, il existe donc une double béatitude selon ces deux voies, la faim ou zèle de la justice et l’amour de la miséricorde. La stabilité dans le mieux vient d’une connaissance claire ou d’un amour paisible. Il existe donc deux béatitudes ultimes, la pureté du coeur pour voir Dieu et la paix de l’esprit pour jouir parfaitement de lui.

4. En second lieu, si l’on considère les modes de perfection, il faut sept béatitudes. Car c’est la perfection de la religion, du gouvernement et de la sainteté intérieure. La perfection de la religion requiert nécessairement le renoncement au bien privé, la considération du bien fraternel et le désir du bien éternel: la première est l’affaire de la pauvreté en esprit, la seconde de la douceur de l’amour, la troisième de l’amertume des larmes. La perfection du gouvernement requiert nécessairement deux béatitudes, le zèle de la justice et l’amour de la miséricorde, car la miséricorde et la vérité gardent le roi. Le gouvernement dans l’Eglise militante doit être organisé selon ces deux béatitudes.

La perfection de la sainteté intérieure requiert nécessairement la pureté de la conscience et la tranquillité de toute l’âme par la paix divine sur passant tout ce que l’homme peut penser.

5. En troisième lieu, si l’on considère les dispositions préalables, il doit exister sept béatitudes. Car la crainte doit éloigner du mal et de l’occasion du mal. La racine de tous les maux étant la cupidité, la crainte dispose donc à la pauvreté en esprit dans laquelle l’humilité se joint à la pauvreté pour qu’ainsi l'homme parfait soit éloigné de la source de toute faute, c’est-à-dire de l’orgueil et de la cupidité. La pauvreté en esprit est donc le fondement de toute perfection évangélique. Il doit d’abord partir de ce fondement, celui qui veut parvenir au sommet de toute perfection évangélique, selon ce que dit Matthieu au ch. 19: « Si tu veux être parfait, va, vends tout ce que tu possèdes »: c’est là l’humilité qui fait que l’homme, en se renonçant, prend sa croix et suit le Christ qui est le principal fondement de toute perfection.

La crainte dispose donc à la pauvreté en esprit. La piété dispose à la douceur, car celui qui aime quelqu’un ne l’irrite pas et n’est pas irrité par lui. La science dispose aux larmes, parce que nous savons par la science que nous sommes écartés de l’état de béatitude dans cette vallée de misère et de larmes. La force dispose à la faim de la justice, car celui qui est fort tient si avidement à la justice qu’il préfère se séparer de la vie corporelle plutôt que de la justice. Le conseil dispose à la miséricorde et place cet acte au-dessus de tous les holocaustes.

L’intelligence dispose à la pureté du coeur, car la spéculation de la vérité purifie notre coeur de toutes les imaginations. La sagesse dispose à la paix? Car la sagesse nous unit au vrai et au bien souverain dans lesquels se trouvent la fin et la tranquillité de tout notre appétit rationnel.

6. Lorsque cette paix est acquise, il s’ensuit nécessairement une délectation spirituelle surabondante qui est contenue dans les douze fruits pour insinuer la surabondance des délectations. Le nombre douze est, en effet, surabondant qui insinue l’exubérance des charismes spirituels par lesquels l’âme sainte jouit et se délecte. Alors, l’homme est apte à la contemplation, à la vision et à l’embrassement de l’époux et de l’épouse, lesquels surviennent quand il possède les sens spirituels par lesquels il voit la souveraine harmonie sous l’aspect du Verbe, il goûte la souveraine douceur sous l’aspect de la Sagesse comprenant les deux précédents aspects, le Verbe et la Splendeur, il sent le parfum souverain sous l'aspect du Verbe inspiré dans le coeur, il étreint la souveraine suavité sous l’aspect du Verbe incarné habitant en nous corporellement et se laissant par nous toucher, embrasser, étreindre par l’ardente charité qui, par l’extase et le transport, fait passer notre esprit de ce monde au Père.

7. De là découle manifestement que les habitus des vertus disposent principalement à l’exercice de la vie active, les habitus des dons au loisir de la vie contemplative, les habitus des béatitudes à la perfection des deux.

Les fruits de l’Esprit qui sont la charité, la joie, la paix, la patience, la longanimité, la bonté, la bénignité, la mansuétude, la confiance, la modestie, la continence, la chasteté, désignent les délectations qui suivent les oeuvres parfaites.

Les sens spirituels désignent les perceptions mentales de la vérité contemplée. Cette contemplation exista chez les Prophètes par révélation dans une triple vision corporelle imaginative et intellectuelle, chez les autres justes, elle part de la spéculation qui commence dans le sens et parvient à l’imagination et passe de l’imagination à la raison, de la raison à l’entendement, de l’entendement à l’intelligence, de l’intelligence à la sagesse ou connaissance excessive qui commence en cette vie et s’achève dans la gloire éternelle.

8. Dans ces degrés consiste l’échelle de Jacob dont le sommet touche le ciel et le trône de Salo mon sur lequel est assis le Roi très sage, vraiment pacifique et plein d’amour comme l’époux très beau et tout désirable que les anges désirent contempler et vers lequel soupire le désir des âmes saintes comme le cerf désire les fontaines des eaux. Ce désir fer vent, à la manière d’un feu, rend notre esprit non seulement agile pour monter mais aussi, par une certaine docte ignorance, il l’élève au-dessus de lui-même dans la ténèbre et l’extase pour qu’il dise non seulement avec l’épouse: « Nous courons à l’odeur de tes parfums », mais aussi avec le prophète: « La nuit est ma lumière au milieu des délices ». Cette lumière nocturne et délicieuse, personne ne l’a vue hormis celui qui l’éprouve, personne ne l’éprouve que par la grâce divine qui n’est donnée qu’à celui qui s’y exerce. Il faut donc considérer maintenant les oeuvres méritoires.

Chapitre 7: L’exercice de la grâce dans les vérités à croire

L Il reste à considérer en quatrième lieu la grâce dans ses rapports avec l’exercice des mérites.

L’exercice de la grâce dans les vérités à croire comme le sont les articles de foi,

L’exercice de la grâce dans les objets à aimer comme l’est tout ce qui est de l’ordre de la charité,

L’exercice de la grâce dans les oeuvres à accomplir comme le sont les préceptes de la loi divine,

L’exercice de la grâce dans l’objet de notre prière comme le sont les demandes de l’oraison dominicale.

Enoncé

Bien que, par la foi, nous soyons astreints à croire bien des choses qui dépassent la raison, et, dans un sens général, tout ce qui est contenu et énoncé dans le canon de la sainte Ecriture, cependant dans un sens spécial et propre, on appelle articles de foi ceux qui sont contenus dans le symbole apostolique. Ils sont au nombre de douze, si l’on se place au point de vue de ceux qui publièrent le symbole, mais dont le nombre est de quatorze, si nous considérons les vérités à croire comme les fondements de tout l’objet de notre foi.

3. Explication

En lui-même, le premier principe souverainement vrai et bon est, dans son oeuvre, souverainement juste et miséricordieux. Au vrai souverain est dû un assentiment ferme, au bien souverain un amour fervent, au juste souverain une soumission totale, au souverain miséricordieux une prière confiante. Or, la grâce ordonne notre esprit au culte dû au premier principe. La grâce dirige donc et règle les exercices dûs et méritoires dans ce qu’il y a à croire, à aimer, à suivre et à demander comme le requiert la vérité, la bonté, la justice et la miséricorde souveraine dans la Trinité bienheureuse.

4. Il faut croire la vérité, croire plus encore une vérité plus haute et par conséquent croire souverainement la souveraine vérité. Or la vérité du premier principe est infiniment plus grande que toute vérité créée et plus lumineuse que toute lumière de notre intelligence. Aussi étant donné la réalité vers laquelle est bien tourné justement notre esprit dans la foi, il faut qu’il croie plus la vérité souveraine qu’elle ne se croit elle-même et se soumette à l’obéissance du Christ, et par conséquent qu’il croie non seulement ce qui est conforme à la raison mais aussi ce qui la dépasse et va contre l’expérience des sens. S’il s’y refuse, il ne rend pas à la souveraine vérité l’hommage qui lui est dû puisqu’il préfère le jugement de sa propre science à la révélation de la lumière éternelle. Cela ne peut se faire sans l’enflure de l’orgueil et de l’arrogance.

5. En outre, la vérité qui dépasse la raison ou est hors de sa portée n’est pas une vérité qui saute aux yeux ou apparente, mais une vérité plutôt enveloppée de mystère très difficile à croire. Il faut donc pour la croire fermement que la lumière de la vérité élève l’âme et que le témoignage l’affermisse.

Le premier effet est l’oeuvre de la foi infuse, le second de l’Ecriture sainte. Les deux découlent de la vérité souveraine par Jésus-Christ, qui est Splendeur et Verbe, et par l’Esprit Saint qui montre et enseigne la vérité et aussi amène à croire. L’autorité apporte donc un appui à la foi et la foi donne son assentiment à l’autorité. Or, l’autorité réside principale ment dans la sainte Ecriture qui a été composée par l’Esprit Saint toute entière, pour diriger la foi catholique. La vraie foi ne s’écarte donc pas de l’Ecriture mais plutôt y assentit d’un assentiment vrai.

6. Enfin, la vérité à laquelle nous sommes astreints de croire par la foi et dont traite principalement la sainte Ecriture n’est pas n’importe quelle vérité, mais vérité de Dieu, soit comme elle est dans sa nature propre, soit comme elle est dans sa nature assumée. — car dans la connaissance de cette vérité consiste la récompense du ciel et le mérite ici-bas —. Les articles de foi, fondements de la foi, regardent donc la divinité ou l’humanité. Or il faut considérer la divinité dans les trois personnes, le Père engendrant, le Fils engendré et l’Esprit Saint procédant, et dans une quadruple opération: la création dans l’être de nature, la réparation dans l’être de grâce, la résurrection dans la réparation de la vie et la glorification dans le don de la gloire. Il y a donc sept articles qui regardent la divinité.

De même, il nous faut considérer l’humanité du Christ comme conçue de l’Esprit Saint, née de la Vierge, souffrant sur la croix, montant aux cieux et venant au jugement dernier. Il y a donc sept articles qui concernent l’humanité, ce qui fait en tout quatorze à la manière des sept étoiles et des sept candélabres d’or au milieu desquels marchait le Fils de l’homme.

7. Parce que le Christ est un dans sa nature divine et sa nature humaine, une est seulement la vérité souveraine qui est la raison de croire unique, première, souveraine, que le temps ne modifie pas. Donc de tous les articles de foi mentionnés ci-dessus, une est seulement la foi en une seule et même réalité, immuable dans le présent comme dans le passé et comme dans l’avenir, bien qu’elle soit plus claire et explicite dans les temps qui ont suivi le Christ que dans ceux qui ont précédé sa venue, comme le Nouveau est plus clair que l’Ancien des deux testaments dans lesquels sont contenus les articles de foi.

8. L’Esprit Saint ayant réuni par les douze Apôtres comme par les témoins les plus solides, ces articles de foi contenus dans la profondeur des Ecritures, ces articles ont donc été rassemblés en un seul symbole des apôtres. On peut donc dire que ces articles sont au nombre de douze comme les apôtres, car chaque apôtre a posé un article comme une pierre vivante dans l’édification de la foi. L’Esprit Saint l’a justement préfiguré dans les douze hommes qui ont tiré douze pierres du lit du Jourdain pour construire l’autel du Seigneur.

Chapitre 8: L’exercice de la grâce dans les objets à aimermmm

1. Enoncé

Toutes les oeuvres divines sont très bonnes, mais nous devons cependant aimer de charité proprement dite quatre objets:

Dieu éternel, ce que nous sommes, notre prochain, notre corps.

Dans cette charité, il faut garder l’ordre et la mesure de telle sorte que

— Dieu soit aimé le premier, par-dessus tout et pour lui-même, en second lieu, ce que nous sommes, en Dieu et pour Dieu, en troisième lieu, notre prochain comme nous-mêmes, enfin notre corps, moins que nous et moins que le prochain, comme un bien moins important.

Pour nous rendre capable de cet amour, nous sont donnés un habitus de charité et un double commandement qui contient toute la loi et les prophètes, non seulement de l’Ancien Testament mais aussi du Nouveau.

2. Explication

Le premier principe étant premier est souverain. Etant souverain, il est souverainement bon. Etant souverainement bon, il est souverainement bienheureux et souverainement béatifique. Etant souverainement béatifique, il est jouissance inépuisable. Etant jouissance inépuisable, il mérite qu’on adhère à lui par amour et qu’on se repose en lui comme en notre fin.

Or l’amour droit et ordonné qu’on appelle charité se porte en premier lieu sur ce bien dont il jouit et en lequel il se repose. Ce bien est la raison d’aimer. La charité aime donc en premier lieu ce bien comme béatifique, elle aime ensuite les autres biens qui sont aptes à être béatifiés par lui. Or le prochain étant fait pour parvenir à la béatitude avec nous et notre corps étant, lui aussi, créé pour parvenir à la béatitude avec l’esprit, il n’existe donc que quatre objets à aimer de charité, Dieu, notre prochain, notre esprit et notre corps.

3. En outre, Dieu étant au-dessus de nous comme le Bien suprême, notre esprit étant en nous comme un bien intrinsèque, notre prochain étant à côté de nous comme notre bien apparenté, notre corps enfin étant un bien au-dessous de nous comme un bien assujetti, il faut, dans l’amour, observer l’ordre suivant: Dieu aimé le premier, par-dessus tout et pour lui-même, en second lieu notre esprit en Dieu au-dessus de tout bien caduc, en troisième lieu notre prochain près de nous comme un bien semblable, enfin notre corps au-dessous de nous comme le bien inférieur, et après notre corps le corps du prochain, car l’un et l’autre sont bien inférieurs par rapport à notre esprit.

4. Enfin, l’amour étant le poids de l'esprit et l’origine de toute affection mentale qui facilement se retourne sur soi et tend difficilement vers le prochain et plus difficilement encore s’élève jusqu’à Dieu, bien que la charité ait quatre objets, un double commandement nous est donné: l’un nous dirige vers Dieu, l’autre vers le prochain.

5. Or, tous les commandements se rapportent à Dieu ou au prochain comme à leur fin et à ce qui y conduit, dans ces deux commandements est donc enfermée la totalité des préceptes et la compréhension de toutes les Ecritures.

La charité est elle-même racine, forme et fin des vertus, les reliant toutes à la fin ultime et les unis sant toutes ensemble, entre elles et avec ordre, elle est donc le poids de toute inclination ordonnée et le lien de l’union parfaite, elle garde l’ordre dans les divers objets à aimer quant à l’affectivité et quant aux oeuvres; elle possède l’unité dans l’habitus en n’ayant qu’une seule fin et un unique et principal aimé, ce qui constitue la raison d’aimer tous les autres objets qui par le lien de l’amour sont ordon nés à être réunis en un seul Christ tête et corps, qui contient en lui-même l’universalité des sauvés.

Cette unité commence maintenant ici-bas, mais elle se consomme dans la gloire éternelle, selon la prière du Seigneur: « Qu’ils soient un, comme nous sommes un, moi en eux et toi en moi, pour qu’ils soient consommés dans l’unité. » Lorsque, par le lien de la charité, cette unité sera consommée, Dieu sera tout en tous dans l’éternité certaine et la paix parfaite, tout étant commun par l’amour, tout sera disposé avec ordre par la bienveillance, tout sera en étroite relation par cette disposition et tout sera indissolublement lié par cette cohésion.

Chapitre 9: La grâce, les préceptes et les conseils

1. Enoncé

Dans la loi mosaïque, se trouvent des préceptes judiciaires, figuratifs et moraux. Ce sont les dix préceptes du décalogue consignés dans les deux tables par le doigt de Dieu.

La loi évangélique modère en supprimant les préceptes judiciaires, libère en accomplissant les préceptes figuratifs, rend parfait en augmentant les préceptes moraux. Elle ajoute des exemples édifiants, des promesses d’encouragement et des conseils de perfection, 

ainsi, les conseils de pauvreté, d’obéissance et de chasteté à l’accomplissement desquels le Christ Notre Seigneur invite celui qui veut être parfait.

2. Explication

Le premier principe, souverainement bon en lui même, est souverainement juste dans son oeuvre et dans la disposition du gouvernement universel.

Le comble de la justice est de la chercher avide ment non seulement en soi, mais aussi dans autrui; la justice consistant à se conformer aux règles du droit, il appartient donc à la justice divine d’inculquer et de signifier à l’homme les règles de la justice, non seulement en les édictant sous la forme d’une vérité d’enseignement, mais aussi en les prescrivant et en les ordonnant sous la forme d’une volonté de commandement. La grâce rendant notre volonté conforme à la divine volonté: il lui appartient donc de nous disposer à obtempérer et à nous soumettre à ces règles de justice selon l’ordre de la loi donnée par Dieu.

3. En outre, on peut obtempérer aux commandements divins pour deux motifs, par crainte de la peine ou par amour de la justice; le premier motif est celui des imparfaits, le second des parfaits. Dieu a donc donné à l’homme une double loi: l’une de crainte et l’autre d’amour, l’une engendrant la servitude et l’autre conduisant à l’adoption des enfants de Dieu.

Ainsi, puisqu’il convient à ceux qui sont dans la crainte et l’imperfection d’être terrifiés par des jugements, conduits par des signes et également dirigés par des préceptes: la loi mosaïque, qui est loi de crainte, contient des préceptes judiciaires, figuratifs et moraux.

Mais il convient à ceux qui sont dans la perfection et dans l’amour de recevoir le clair enseignement des exemples, la large promesse des récompenses et la haute perfection des conseils: la loi évangélique contient donc ces trois éléments.

La loi mosaïque diffère de la loi évangélique en ceci: celle-là est loi de figure, celle-ci de vérité; celle-là est loi de peine, celle-ci de grâce; celle-là est la lettre, celle-ci l’esprit; celle-là conduit à la mort, celle-ci fait vivre; celle-là est loi de crainte, celle-ci d’amour; celle-là est loi de servitude, celle-ci de liberté; celle-là est un fardeau, celle-ci toute facilité.

4. Enfin, les règles qu’imposent la nécessité de la justice sont contenues dans les divins préceptes or, il est de la justice de « rendre à chacun son dû »; il est donc nécessaire d’avoir certains préceptes moraux qui nous ordonnent à Dieu, certains au prochain selon le double précepte de la charité, ce que l’Esprit Saint a voulu insinuer par ce mystère des deux tables que l’on dit pour cela écrites par le doigt de Dieu.

Or, Dieu étant trois, le Père, le Fils et l’Esprit Saint, il convient d’adorer sa souveraine majesté, de professer sa souveraine vérité et d’accepter sa souveraine charité, selon les trois puissances irascible, rationnelle et concupiscible par l’acte de l’oeuvre, de la bouche et du coeur: le commandement de la première table est donc triple, qui correspond aux trois prémices, l’adoration soumise, la profession véridique et l’observance du sabbat.

5. Le prochain étant image de la Trinité: à lui, en tant qu’il porte l’image du Père est due la piété en tant qu’il porte l’image du Fils, la véracité; en tant qu’il porte l’image de l’Esprit Saint, la bonté. Les commandements de la seconde table sont donc au nombre de sept: deux regardent la piété, le premier qui ordonne la piété prescrivant d’honorer son père, l'autre qui interdit l’impiété en interdisant de tuer; en ce qui regarde la véracité qui consiste principalement dans la parole, son commandement interdit de porter un faux témoignage; quatre commandent la bonté, à laquelle s’opposent la cupidité et la concupiscence qui peuvent l’une et l’autre être dans l’action ou dans le coeur tu ne commettras pas l’adultère, tu ne désireras pas la femme, tu ne voleras pas et tu ne désireras pas le bien d’autrui. Or, ces préceptes s’ordonnent selon les torts plus ou moins grands qui peuvent être portés à la justice. Ainsi les règles concernant la nécessité de la justice doivent-elles être contenues dans les dix préceptes.

6. La justice atteint à la perfection en s’éloignant parfaitement du mal et dans la faute et dans sa cause; or, tout mal provient d’une triple racine, la concupiscence de la chair, la concupiscence des yeux et la superbe de la vie: il y a donc trois conseils évangéliques qui nous éloignent parfaitement de cette triple racine. Ce sont des conseils car, pour éloigner parfaitement du mal, ils ne séparent pas seule ment des choses illicites, mais aussi des choses licites et permises mais pouvant être occasion de mal; par là, ils ne contiennent pas seulement la suffisance de la justice, mais aussi son abondance, ainsi qu’il convient à la perfection de la loi évangélique et à l’exercice de la grâce de perfection.

Chapitre 10: L’exercice de la grâce dans l’objet de notre prière

1. Enoncé

Bien que Dieu soit très libéral et plus prompt à donner que nous à recevoir, il veut cependant être prié par nous, afin d’avoir l’occasion de distribuer les dons de la grâce de l’Esprit Saint.

Il veut être prié non seulement d’une prière mentale qui est « l’élévation de l’esprit vers Dieu », mais aussi d’une prière vocale qui est « la demande à Dieu de ce qui convient », non seulement par nous-mêmes mais aussi par les saints comme par des coadjuteurs que Dieu nous donne, afin que ce que nous sommes peu dignes de demander par nous mêmes, nous puissions le demander par les saints.

Puisque nous ne savons que demander pour prier comme il faut, de peur que nous n’errions dans l’incertitude, Dieu nous a transmis une formule dans la prière qu’il a composée. Celle-ci condense, en sept demandes, tout ce que nous devons demander.

2. Explication

Souverainement vrai et bon en lui-même, le premier principe est aussi miséricordieux et juste dans son oeuvre. Miséricordieux, il condescend très volontiers à la misère humaine par l’infusion de a grâce. Egalement juste, il ne donne le don parfait qu’à celui qui le désire, la grâce, à celui qui le remercie, sa miséricorde, à celui qui reconnaît sa misère. Ainsi la liberté de l’arbitre est sauve, la noblesse du don n’est pas galvaudée et le culte de l’honneur de Dieu demeure intègre.

Et puisque celui qui prie le fait pour quêter le secours de Dieu, alléguer sa propre misère et rendre grâce pour le bienfait donné gratuitement, la prière dispose à recevoir les divins charismes. Dieu veut être prié pour répandre ses dons.

3. En outre, pour que le désir tende efficace ment vers le ciel, il faut, pour obtenir les dons de Dieu, que notre amour soit fervent, notre pensée recueillie et notre attente certaine et ferme. Et comme notre coeur est fréquemment tiède, souvent dispersé et souvent aussi effrayé par le remords du péché et n’ose pas de lui-même comparaître devant la face de Dieu, le Seigneur a voulu que nous ne priions pas seulement mentalement, maïs aussi vocalement pour exciter notre coeur par des paroles et pour recueillir nos pensées par le sens des mots.

Il a voulu aussi que nous le priions par les saints et que les saints prient pour nous, pour donner confiance aux timides: afin que ceux qui n’osent ou ne peuvent pas demander par eux-mêmes, soient exaucés grâce à des intercesseurs qualifiés. Ainsi, l’humilité de la prière est sauve chez ceux qui prient.

Sa grandeur est proclamée dans les Saints intercesseurs, sa charité et son unité éclatent: en effet ceux qui sont en bas recourent avec confiance à ceux qui sont en haut et ceux qui sont en haut condescendent libéralement à ceux qui sont en bas.

4. Enfin, Dieu juste et miséricordieux ne doit exaucer que les prières qui tendent à son honneur et à notre salut; les demandes qui concernent la récompense du ciel et le secours ici-bas sont de cet ordre; les premières sont au nombre de trois, les secondes au nombre de quatre: les demandes de l’oraison dominicale qui nous enseignent ce que nous devons demander utilement sont donc au nombre de sept.

Celles qui concernent l'honneur de Dieu et la récompense du ciel sont au nombre de trois, l’intelligence de la vérité, le respect de la majesté et l’accord de la volonté: autrement dit, la vision du vrai souverain qui ne peut être vu que des coeurs purs et saints; on la demande en disant: Que ton nom soit sanctifié, c’est-à-dire que la connaissance de ton nom soit accordée aux coeurs parfaits, saints et purs; la possession de la grandeur suprême qui fait les rois et par lequel est fondé le royaume; on la demande en disant: que ton règne arrive; la jouissance du bien suprême que seuls reçoivent ceux dont la volonté est conforme à la volonté de Dieu; on la demande en disant: que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel. Les demandes qui concernent le passage dans cette vie regardent le don d’un bien profitable ou la fuite d’un mal nuisible. Le don d’un bien profitable est demandé dans le pain quotidien ou supersubstantiel, dans lequel on demande tout ce qui est nécessaire à la conservation de la vie présente de l’esprit ou du corps. La fuite du mal nuisible est demandée dans les trois dernières phrases car le mal est passé, futur ou présent. Autrement dit, il est mal du péché, de la tentation ou de la peine. On demande que s’éloigne le premier dans le pardon des offenses, le second dans la victoire sur les tentations, le troisième dans la délivrance de l’oppression des maux.

Ainsi, il y a en tout sept demandes dans les quelles se trouve tout ce que l’on doit demander. Cela est ainsi afin que les sept demandes correspondent aux sept charismes et dons de la grâce septiforme.

5. faut noter que la sainte Ecriture nous pro pose la considération d’un septuple septénaire

1° des péchés capitaux

2° des sacrements

3° des vertus

4° des dons

5° des béatitudes

6° des demandes

7° et des récompenses glorieuses, trois spirituelles et quatre corporelles, comme on le dira plus loin,

— le premier septénaire des péchés: tout ce dont nous devons nous éloigner,

— le second septénaire des sacrements: les moyens de progresser,

— le dernier septénaire des récompenses: les biens à désirer,

— l’avant-dernier septénaire des demandes: les choses à demander,

— le septénaire intermédiaire des vertus, des dons et des béatitudes: les étapes à franchir.

Ainsi, sept fois le jour, louant le nom du Seigneur et le priant, demandons la grâce septiforme des vertus, des dons et des béatitudes, par laquelle nous vaincrons la tentation septiforme des péchés capitaux et nous parviendrons à l couronne septiforme des récompenses glorieuses, en nous aidant en outre de la médecine septiforme des sacrements donnés par Dieu pour la réparation du genre humain.

PARTIE VI: LES REMÈDES SACRAMENTELS

Chapitre 1: L’origine des sacrements

1. Après avoir traité de la Trinité divine, du monde créature de Dieu, de la corruption du péché, de l’Incarnation du Verbe et de la grâce de l’Esprit Saint, il nous faut maintenant, en sixième lieu traiter des remèdes sacramentels. A ce propos, sept questions sont à considérer: l’origine, la variation, la distinction, l’institution, l’administration, la réitération et l’intégrité de chacun des sacrements.

Enoncé

2. Les sacrements sont des signes sensibles, insti tués par Dieu comme remèdes, dans lesquels « opère secrètement, sous l’enveloppe du sensible, une force divine » de telle sorte « qu’ils représentent par similitude, signifient par institution, confèrent par sanctification une certaine grâce spirituelle ». Par elle, l’âme est guérie de la faiblesse des vices. C’est à cela principalement que les sacrements sont ordonnés comme à leur fin ultime; toutefois, ils servent aussi à rendre humble, à instruire, à éprouver. Ce sont là des fins secondaires ordonnées à la fin principale.

Explication

3. Le principe réparateur qui est le Christ crucifié, c’est-à-dire le Verbe Incarné, dispense toutes choses avec une suprême sagesse parce qu’il est Dieu et guérit de façon très clémente parce que divine ment incarné. Il doit donc restaurer et guérir le genre humain malade, de la manière qui convient au malade lui-même, à la maladie, à son occasion et à la guérison de la maladie elle-même. Or, le médecin est le Verbe Incarné, Dieu invisible dans une nature visible. L’homme malade n’est pas seule ment esprit ni seulement chair, mais esprit dans une chair mortelle. La maladie est la faute originelle qui infecte l’esprit par l’ignorance et la chair par la concupiscence. L’origine de cette faute, attribuable principalement au consentement de la raison, n’en trouve pas moins son occasion dans les sens charnels.

Pour que le remède corresponde à toutes ces circonstances, il fallait donc qu’il ne soit pas seulement spirituel, mais qu’il participe aussi des signes sensibles. Ainsi, le sensible, ayant été pour l’âme occasion de chute, lui fournirait l’occasion de se relever. Les signes sensibles, comme tels, n’ont pas une orientation efficace à la grâce, même si, de par leur nature, ils en offrent une lointaine représentation. Cela explique la nécessité pour l’auteur de la grâce de les instituer pour signifier et de les bénir pour sanctifier. Ils pouvaient ainsi représenter par similitude naturelle, signifier par l’apport de l’institution, sanctifier par la bénédiction qui vient s’y adjoindre. Ils pouvaient aussi préparer à la grâce par laquelle notre âme doit être soignée et guérie.

4. En outre, la grâce de guérison n’est pas accordée aux orgueilleux, aux incrédules ni aux dédaigneux. Ces signes sensibles devaient donc être don nés par Dieu non seulement pour sanctifier, donner la grâce et par là guérir, mais encore pour enseigner par leur signification, rendre humble par leur réception, exercer par leur diversité. De telle sorte qu’une fois la paresse chassée du concupiscible par l’exercice, l’ignorance chassée de la raison par l’enseignement, l’orgueil chassé de l’irascible par l’humilité, l’âme toute entière serait rendue guérissable par la grâce du Saint Esprit, qui nous réforme selon ces trois puissances, à l’image de la Trinité et du Christ.

5. Enfin, comme c’est par le moyen de ces signes sensibles, institués par Dieu, que la grâce du Saint Esprit est reçue et que c’est en eux que la trouvent ceux qui s’approchent de ces mêmes signes, ces sacrements sont appelés récipients et cause de la grâce. Ce n’est pas que la grâce soit contenue en eux substantiellement ou produite de façon causale, puisqu’on ne doit la placer que dans l’âme seule et qu’elle ne peut être produite que par Dieu seul. Ces appellations leur viennent du fait que c’est en eux et par eux que, par un décret divin, on doit puiser la grâce de guérison du souverain médecin, le Christ, « bien que Dieu n’ait pas lié sa puissance aux sacrements ».

6. De ce qui précède, on voit donc non seulement l’origine des sacrements, mais encore leur usage et leur fruit. A leur source, il y a le Christ Seigneur; leur usage exerce, instruit et rend humble; leur fruit est la guérison et le salut des hommes. On voit aussi quelle est leur cause efficiente, à savoir, l’institution divine; leur cause matérielle, c’est-à-dire la représentation du signe sensible; leur cause formelle, la sanctification gratuite; leur cause finale, la guéri son médicinale des hommes. Si l’on tient compte du fait que « la dénomination vient de la forme et de la fin » il s’ensuit qu’on appelle les sacrements des remèdes de sanctification. C’est par eux en effet que l’âme est ramenée de la souillure des vices à la sanctification parfaite. En conséquence, bien que les sacrements soient corporels et sensibles, on doit cependant les vénérer comme saints, car ils signifient des mystères sacrés, préparent aux charismes sacrés et sont donnés par le Dieu très sacré; ils ont reçu la consécration divine par une institution et une bénédiction sacrées; ils sont constitués pour le culte très sacré de Dieu dans l’Eglise sacrée. Ils méritent donc à juste titre d’être appelés sacrements.

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Chapitre 2: La variation des sacrements

Enoncé

1. Les sacrements ont été institués dès le commencement pour la guérison de l’homme, ils ont toujours accompagné sa maladie et dureront jusqu’à la fin des siècles. Mais il y en eut certains dans la loi de nature, d’autres dans la loi écrite, d’autres enfin sous la grâce. Parmi tous ceux-ci, les derniers venus ont plus de clarté en signification et ont une dignité plus haute par la grâce qu’ils produisent. Dans la loi de nature, il y eut des oblations, des sacrifices et des dîmes. Dans la loi écrite, la circoncision fut intro duite, l’expiation apparut et, à ce qui existait auparavant, vint s’ajouter une grande diversité d’oblations, de dîmes et de sacrifices. Puis, dans la loi nouvelle, « furent établis des sacrements moins nombreux, plus utiles, plus efficaces » et plus dignes en excellence. Ces derniers ont à la fois accompli et annulé tous les sacrements précédents.

Explication

2. Le Verbe Incarné, principe de notre restau ration, source et origine des sacrements est très clément et très sage. Parce que très clément, il n’a pas permis que la maladie du péché demeurât sans le remède du sacrement; parce que très sage, se conformant au décret de son immuable sagesse, qui gouverne tout de façon parfaitement ordonnée, il a mis en oeuvre des remèdes nombreux et variés selon la vicissitude des temps. Aussi, étant donné que « dès le commencement, dans le cours des temps et à l’approche de plus en plus imminente de la venue du Christ, grandissait toujours davantage l’effet de salut et la connaissance de la vérité, il était convenable que les signes de salut eux-mêmes varient les uns après les autres, avec la succession des temps. Ainsi, l’effet de la grâce divine croîtrait en résultat salutaire et en même temps la signification apparaîtrait toujours plus clairement dans les signes visibles eux-mêmes.» Il a donc « été statué d’organiser le sacre ment de l’expiation et de la justification d’abord par l’oblation, ensuite par la circoncision et enfin par le baptême. En effet, la forme et la similitude de cette même purification se trouvent d’une manière cachée dans l’oblation, s’expriment avec plus de clarté dans la circoncision et apparaissent de façon encore plus manifeste dans le baptême ». De là vient que « les sacrements des premiers temps selon l’expression de Hugues, furent comme l’ombre de la vérité, ceux de l’âge intermédiaire comme leur figure ou image, ceux des derniers temps, c’est-à-dire de l’époque de la grâce, comme leur corps » parce qu’ils contiennent en eux-mêmes la vérité et la grâce de la guérison qu’ils rendent présentes et parce qu’ils confèrent de façon actuelle ce qu’ils promettent.

3. En outre, étant donné que la présence de la vérité et de la grâce qui se manifestent dans la loi de grâce, ne pouvait, en raison de leur excellence et de leur variété, en oeuvre et en pouvoir, être exprimée comme il le fallait par un seul signe, il en résulte qu’en tout temps et sous toute loi il y eut plusieurs sacrements pour exprimer cette vérité et cette grâce. Toutefois, c’est principalement sous la loi figurative, dont le propre est de préfigurer, que des signes nombreux et variés précédèrent qui, par leur diversité, devaient exprimer de plusieurs façons la grâce du Christ et la faire valoir plus parfaitement. La mettant en valeur de façon multiple, ces mêmes signes devaient nourrir les petits enfants, exercer les imparfaits, briser les rigides en les surchargeant, les dompter en vue du joug de la grâce et en quelque sorte les amollir.

4. En dernier lieu, avec l’arrivée de la vérité, l’ombre s’efface et la figure annonciatrice atteint son but; l’ayant obtenu, son usage et son acte doivent cesser. De là, s’explique qu’avec la venue de la grâce, les sacrements et les signes anciens ont été accomplis en même temps qu’annulés, car ils étaient des signes qui annonçaient l’avenir et un peu comme de lointains présages Les nouveaux sacrements ont également été institués comme indiquant la grâce présente et rappelant d’une certaine manière la passion du Seigneur, qui est source et origine de la grâce de guérison, en nous comme en ceux qui ont précédé la venue du Christ. Pour ceux cependant qui ont précédé cette venue, la passion est comme un paie ment promis; pour ceux qui la suivent, comme un paiement acquitté. Et puisque la grâce n’est due à la promesse du paiement qu’en raison de son accomplissement et qu’elle doit être plus abondante une fois le paiement acquitté que lorsqu’il est seulement promis, il s’ensuit que la passion du Christ sanctifie de façon plus immédiate les sacrements de la loi nouvelle et découle en eux par une grâce plus abondante. Ainsi les sacrements anciens ont préparé les nouveaux et conduit vers eux comme le chemin conduit au but, le signe au signifié, la figure à la réalité et comme l’imparfait mène au parfait et le prépare.

Chapitre 3: Le nombre et la distinction des sacrements

Enoncé

1. Il y a sept sacrements, selon la correspondance avec la grâce septiforme qui, par le septénaire du temps, nous ramène au principe, au repos et au cercle de l’éternité, comme au huitième âge de la résurrection universelle Or, la porte de ces sacrements est le baptême. Viennent ensuite la confirmation, l’eucharistie, la pénitence, l’extrême-onction, l’ordre et le mariage. Celui-ci, bien que placé le dernier, à cause de la maladie de la concupiscence qui s’y attache, fut cependant introduit au paradis avant tous les autres, même avant le péché.

Explication

2. Notre principe réparateur, le Christ Seigneur, Verbe Incarné, est puissance et sagesse de Dieu et notre miséricorde. Il doit pour cette raison, sous la loi de grâce, instituer ses sacrements avec puissance, sagesse, clémence et convenance pour qu’absolument rien ne manque à notre guérison, autant que cela convient à la vie présente. Mais les trois choses sui vantes concourent à la guérison parfaite d’une maladie: l’expulsion de la maladie, l’introduction de la santé et la conservation du salut commencé. En premier lieu, l’expulsion de la maladie. Pour la guérison parfaite, il faut expulser parfaitement et totalement la maladie. Or, celle-ci revêt sept formes trois de culpabilité, c’est-à-dire la faute originelle, la faute mortelle et la faute vénielle et quatre de pénalité, c’est-à-dire l’ignorance. la malice, la faiblesse et la concupiscence. Comme dit S. Jérôme « ce qui guérit le talon ne guérit pas l’oeil ». Il a donc fallu employer sept médicaments pour mieux chasser cette maladie septiforme: contre le péché originel, le baptême; contre le péché mortel, la pénitence; contre le péché véniel, l’extrême-onction; contre l’ignorance, l’ordre; contre la malice, l’eucharistie; contre la faiblesse, la confirmation et contre la concupiscence, le mariage qui la tempère et l’excuse.

3. En second lieu, la guérison parfaite ne peut exister sans que soit rendue la santé complète. Cette dernière, par rapport à l’âme, consiste dans l’usage des sept vertus, à savoir les trois théologales et les quatre cardinales. Il a donc fallu, pour restaurer leur sain usage, instituer les sept sacrements. Le baptême, en guérissant, dispose à la foi, la confirmation à l’espérance, l’eucharistie à la charité, la pénitence à la justice, l’extrême-onction à la persévérance, complément et sommet de la force, l’ordre à la prudence, le mariage à la tempérance à conserver, car elle est attaquée surtout par la faiblesse de la chair, mais guérie par l’honnêteté des noces.

4. Enfin, la guérison parfaite ne peut exister sans la conservation du salut commencé. Celui-ci, par ail leurs, ne peut être conservé dans le choc de la bataille à moins qu’on ne s’aligne dans l’armée de l’Eglise, terrible comme une armée prête au combat. Comme ce résultat s’obtient par l’armure de la grâce sep tif orme, il était donc nécessaire qu’il y ait sept sacrements. Car, pour que cette armée soit parfaitement et continuellement pourvue, formée qu’elle est de parties corruptibles, elle a besoin de sacrements qui fortifient, qui relèvent et qui renouvellent: qui fortifient ceux qui combattent, qui relèvent ceux qui tombent, qui renouvellent les mourants. Le sacrement qui fortifie, le fait soit pour ceux qui entrent dans la lutte: c’est le baptême, soit pour ceux qui sont déjà dans le combat: c’est la confirmation, soit pour ceux qui en sortent: c’est l’extrême-onction. Quant au sacrement qui relève, il le fait soit par rapport à la faute vénielle et c’est l’eucharistie ou par rapport à la faute mortelle et c’est la pénitence. Les sacrements qui renouvellent peuvent le faire soit dans l’être spirituel et nous avons alors le sacrement de l’ordre dont le propre est d’administrer les sacrements, soit dans l’être naturel et nous avons le mariage qui, renouvelant la multitude dans l’être de nature, base de tout le reste, fut introduit en premier, avant tous les autres. Toute fois, à cause de la maladie de la concupiscence qui lui est jointe et parce qu’il est le moindre au point de vue de la sanctification, malgré qu’il soit, par la signification, un grand sacrement, il est placé le dernier parmi les remèdes spirituels et la dernière place lui revient. Du fait que le baptême est le sacre ment de ceux qui entrent dans la lutte, la confirmation celui des combattants, l’eucharistie celui de ceux qui refont leurs forces, la pénitence le sacrement de ceux qui resurgissent, l’extrême-onction celui des mourants, l’ordre le sacrement de ceux qui embauchent de nouveaux soldats, le mariage le sacrement de ceux qui les préparent, cela fait apparaître clairement la suffisance et l’ordre des remèdes et des armes sacramentels.

Chapitre 4: L’institution des sacrements 

Enoncé

1. Le Christ a institué les sept sacrements de la loi de grâce comme médiateur du Nouveau Testament et principal auteur de la loi par laquelle il a appelé aux promesses éternelles, donné des préceptes directeurs et institué les sacrements qui sanctifient. Il les a institués sur la base de paroles et d’éléments pour rendre évidente leur signification et efficace leur sanctification, de telle sorte qu’ils signifient toujours la vérité, mais ne possèdent pas toujours l’efficacité curatrice, non par un défaut de leur part, mais à cause de celui qui les reçoit. Il les insti tua de diverses manières certains par confirmation, approbation et achèvement, comme le mariage et la pénitence; d’autres par insinuation et en présidant à leur début, comme la confirmation et l’extrême-onction; d’autres enfin en présidant à leur début, en les achevant et en les recevant lui-même, comme le baptême, l’eucharistie et l’ordre. Ces trois derniers, il les a institués pleinement, et même, il a été le premier à les recevoir.

Explication

2. Notre principe réparateur, le Christ crucifié, Verbe Incarné, est, parce que Verbe, égal et consubstantiel au Père. Il possède une puissance, une vérité, une bonté souveraines et, de ce fait, une souveraine autorité. Il lui revient donc en propre d’inaugurer le Nouveau Testament et c’est encore à lui qu’il appartient de donner une loi intégrale et suffisante, conformément aux exigences d’une puissance, d’une vérité et d’une bonté souveraines. En raison de sa souveraine bonté, il a proposé des promesses béatifiantes; en raison de sa vérité suprême, il a donné des préceptes directeurs; en raison enfin de sa puissance souveraine, il a établi des sacrements secourables. Ainsi, par les sacrements, notre vertu pouvait être réparée, lui permettant de s’acquitter des préceptes directeurs et, par eux, on pouvait parvenir aux promesses éternelles, tout cela étant obtenu, dans la loi évangélique, par l’action du Verbe Eternel, le Christ Seigneur, en tant qu’il est voie, vérité et vie.

3. En outre, le principe réparateur n’est pas seulement le Verbe en tant que Verbe, mais encore le Verbe en tant qu’il s’est incarné Ce Verbe, par le fait même de son Incarnation, s’offre à tous pour leur faire connaître la vérité et se présente à tous ceux qui s’approchent de lui dignement, avec la grâce de la guérison. De là vient que le Verbe Incarné, en tant que rempli de grâce et de vérité et pour que les sacrements aient une signification plus claire et une plus grande efficacité sanctificatrice, les a voulus constitués à la fois d’éléments et de paroles. Ainsi, alors que les éléments s’offriraient aux yeux et les paroles aux oreilles, deux sens qui sont au plus haut point cognoscitifs, ces éléments et ces paroles rendraient évidente la signification exprimée. De plus, lès paroles viendraient sanctifier les éléments pour que l’efficacité de la guérison humaine devienne plus accomplie. Cette guérison n’est pas accordée à celui

qui s’y oppose et qui lutte dans son coeur contre la source de la grâce. C’est pourquoi les sacrements ont été institués de façon à signifier toujours et universellement, mais à ne sanctifier que ceux qui les approchent dignement et avec une entière sincérité 

4. Enfin, même si le Verbe Incarné est source de la grâce sacramentelle, il y eut cependant une certaine grâce sacramentelle avant l’Incarnation, une autre qui ne fut donnée qu’après la mission du Saint Esprit et une autre enfin qui se place entre les deux. Il a donc fallu que les sacrements soient institués de façon diverse. Car avant l’Incarnation, la componction pénitentielle et la génération matrimoniale étaient nécessaires; c’est pourquoi le Verbe n’a pas institué à nouveau ces deux sacrements mais, les prenant déjà institués par lui et comme inscrits dans la conscience par la loi naturelle, il les a achevés et confirmés dans la loi évangélique quand il prêcha la pénitence, qu’il assista aux noces et qu’il approuva la loi du mariage, comme il ressort de maints endroits de l’Evangile. Avant la mission du Saint Esprit, ce dernier ne fut pas donné pleinement pour la confirmation et pour la confession publique du nom du Christ. Il n’y eut pas non plus d’onction plénière de l’âme pour la sortie de ce monde. C’est pourquoi ces deux sacrements, à savoir la confirmation et l’extrême-onction, le Christ lui-même n’en fut l’auteur que de façon initiale et ne fit que les insinuer la confirmation, en imposant les mains sur les enfants et en annonçant à l’avance que ses disciples seraient baptisés dans le Saint Esprit; l’extrême-onction, en envoyant ses disciples guérir par l’onction d’huile, comme il est rapporté dans Marc. Dans l’époque intermédiaire, il y eut la régénération, l’organisation de l’Eglise et la nutrition spirituelle. C’est pourquoi le Christ a institué complètement et claire ment ces trois sacrements: le baptême, l’eucharistie et l’ordre. Le baptême d’abord, en le recevant, en lui donnant sa forme et en le faisant connaître aux autres; l’ordre, en donnant d’abord le pouvoir de lier et de délier les péchés du genre humain puis celui de confectionner le sacrement de l’autel; l’eucharistie, en se comparant au grain de froment, en confectionnant et en donnant à ses disciples, dans l’imminence de sa passion, le sacrement de son corps et de son sang. C’est pourquoi ces trois sacrements ont dû être institués distinctement et intégralement par le Christ et figurés dans la loi ancienne de multiples façons comme sacrements substantiels du Nouveau Testament et revenant en propre au Législateur, c’est-à-dire au Verbe Incarné.

Chapitre 5: L’administration des sacrements

Enoncé

1. Ce pouvoir ne revient régulièrement qu’au seul genre humain. Dans l’administration de tous les sacrements, l’intention est nécessaire chez celui qui administre. Dans quelques sacrements, en plus de l’intention, l’ordre sacerdotal ou pontifical est une nécessité. L’ordre pontifical est requis dans l’administration de la confirmation et de l’ordre, tandis que l’ordre sacerdotal est nécessaire pour administrer l’eucharistie, la pénitence et l’extrême-onction. Quant au baptême et au mariage, bien qu’ils reviennent au prêtre, ils peuvent être administrés de fait en dehors de l’ordre sacerdotal, surtout dans le cas de nécessité. Ceci étant, les sacrements peuvent être administrés par les bons et les mauvais, par les fidèles et les hérétiques, dans l’Eglise et hors d’elle, mais en tenant compte que dans l’Eglise, ils sont administrés validement et fructueusement tandis qu’en dehors d’elle, ils sont administrés sans fruit bien que validement

Explication

2. Notre principe réparateur, le Verbe Incarné, étant donné que c’est en tant que Dieu et en tant qu’homme qu’il a institué les sacrements pour le salut de l’homme, a réglé, comme il convenait, qu’ils seraient administrés aux hommes, par le ministère des hommes, pour que soit conservée la conformité du ministre au Christ Sauveur et à l’homme lui-même à sauver. Parce que le Christ Sauveur a sauvé l’humanité selon que l’exigeaient l’équilibre de la justice, la dignité de l’ordre et la sécurité du salut — en effet, il a opéré notre salut de façon juste, ordon née et certaine — il s’ensuit que c’est selon ces trois exigences qu’il a confié aux hommes l’administration des sacrements. Tout d’abord, l’équilibre du droit exige que les oeuvres de l’homme, en tant qu’homme ne se fassent pas avec précipitation. Il exige encore que les oeuvres de l’homme, en tant que ministre du Christ, s’y rapportent de quelque façon; que les oeuvres de l’homme, en tant que ministre du salut, se réfèrent de quelque manière au salut, soit en général soit en particulier. Or, l’administration des sacrements est une oeuvre de l’homme, en tant que raisonnable, en tant que ministre du Christ et en tant que ministre du salut. De là vient la nécessité d’administrer avec intention, celle de quelqu’un qui entend faire ce que le Christ a institué pour le salut de l’homme, ou du moins, faire ce que fait l’Eglise, en quoi est renfermée l’intention générale en question car l’Eglise elle-même administre les sacrements pour le salut des fidèles de la façon dont elle les a reçus du Christ.

3. Ensuite, la dignité de l’ordre exige que les grandes choses soient confiées aux grands, les petites aux petits et les intermédiaires à ceux de moyenne importance. Or, il y a des sacrements qui regardent principalement la perfection de la puissance ou de la dignité, comme la confirmation et l’ordre; certains ont rapport à la nécessité, comme le baptême et le mariage; ce dernier engendre et l’autre régénère à une existence qui s’impose. Certains autres tiennent le milieu, tels l’eucharistie la pénitence et l’extrême onction. On infère de tout cela que les premiers, en tant que les plus élevés, ne peuvent être administrés que par les évêques et les pontifes, en tant que cela relève du droit commun; les autres, en tant que moins élevés, peuvent être administrés par n’importe quels ordres et personnes inférieurs, surtout dans le cas de nécessité, ce que je dis en pensant au baptême; les sacrements intermédiaires, enfin, ne peuvent être administrés que par les seuls prêtres, eux qui, pour ainsi dire, tiennent le milieu entre les évêques et les personnes inférieures.

4. Enfin la sécurité du salut exige que les choses se passent de telle sorte qu’il n’y ait pas de place pour le doute; or, personne n’est sûr de la bonté et de la foi du ministre qui, en soi, n’est pas sûr lui-même d’être digne d’amour ou de haine. Si donc les sacrements ne pouvaient être administrés que par les bons, personne ne pourrait être certain de les avoir reçus. Il faudrait ainsi les renouveler sans cesse et la méchanceté de l’un porterait préjudice au salut de l’autre. En outre, il n’y aurait aucune stabilité dans les degrés de la hiérarchie de l’Eglise militante dont le rôle principal consiste à administrer les sacrements. Il convenait donc que l’administration des sacrements fût confiée à l’homme non pas en raison de la sainteté qui varie avec la volonté, mais en raison de l’autorité qui, en tant que telle, demeure toujours. A cause de cela, il fallait que cette autorité s’étende aux bons et aux mauvais, à ceux qui sont dans l’Eglise et à ceux qui sont en dehors d’elle. Toutefois, étant donné que personne ne peut être sauvé en dehors de l’unité de foi et de charité, unité qui nous constitue fils et membres de l’Eglise, les sacrements ne procurent pas le salut s’ils sont reçus en dehors de l’Eglise, bien que ce soient de vrais sacrements. Ils peuvent toutefois devenir utiles si la personne revient à la mère Eglise, unique épouse du Christ, cet époux qui ne reconnaît comme dignes de l’héritage éternel que les fils de cette même Eglise. De là ce que dit Augustin Contre les Donatistes. « La comparaison de l’Eglise au paradis nous indique que les hommes peuvent recevoir son baptême, même hors d’elle, mais que personne, en dehors d’elle, ne peut recevoir ou posséder le bienheureux salut. Car de la fontaine du paradis, au dire de l’Ecriture, des fleuves s’écoulaient abondamment, même à l’extérieur. On les mentionne chacun par son propre nom et tous savent par quelles régions ils coulent et qu’ils s’étendent hors du paradis. Ce n’est pourtant pas en Mésopotamie ou en Egypte, où ces fleuves parvenaient, que se trouve la félicité de la vie dont on nous rapporte l’existence au paradis. Il arrive donc ceci: alors que l’eau du paradis est en dehors de lui, la béatitude ne se trouve toutefois qu’à l’intérieur. Ainsi donc, le baptême de l’Eglise peut se trouver en dehors d’elle; le don de la vie bienheureuse par contre ne se trouve qu’à l’intérieur d’elle, laquelle aussi a été fondée sur le roc et a reçu le pouvoir de lier et de délier. Elle est seule à tenir et à posséder tout le pouvoir de son époux et Seigneur. Par ce pouvoir conjugal, elle peut même, de servantes, engendrer des fils qui auront part à l’héritage s’ils demeurent dans l’humilité, mais qui resteront dehors s’ils deviennent orgueilleux. Bien plus, puisque nous luttons pour l’honneur et l’unité de l’Eglise, n’allons pas attribuer aux hérétiques ce que chez eux nous reconnaissons lui appartenir, mais enseignons-leur par des arguments que ce qu’ils ont de par l’unité ne vaut pour le salut que s’ils viennent à cette même unité ».

Chapitre 6: La réitération des sacrements

Enoncé

1. Même si c’est un aspect commun à tous les sacrements de ne pas être renouvelés sur la même personne et la même matière quand il s’agit d’une même raison, et cela, pour qu’il n’y ait pas outrage au sacrement toutefois, de façon spéciale, il y a trois sacrements qui ne peuvent jamais être réitérés le baptême, la confirmation et l’ordre. Car ces trois sacrements impriment chacun un caractère intérieur qui ne s’efface pas. De ces caractères, celui du baptême est le fondement des autres. Ces derniers ne peuvent être imprimés sans que d’abord celui du baptême le soit. Il en résulte que si un non-baptisé est ordonné, absolument rien ne se produit, mais tout est à reprendre. En effet, « quand il est clair qu’une chose n’a pas eu lieu, on ne peut la considérer comme réitérée »

2. Notre principe réparateur, c’est-à-dire le Verbe Incarné, en raison de sa puissance, de sa sagesse et de sa bonté souveraines, ne fait rien d’inefficace, de déraisonnable et d’infructueux. Or, il doit surtout agir ainsi dans ses oeuvres les plus nobles telles que celles qui restaurent le genre humain. Mais comme les sacrements appartiennent à cette catégorie d’oeuvres divines, il s’ensuit qu’on leur fait outrage, d’une certaine manière, lorsqu’on les réitère sur la même matière, la même personne et pour une même rai son. Cette manière de faire laisse entendre, en effet, que ce qui avait été administré d’abord était inefficace, déraisonnable et infructueux. Cela va contre les exigences de la puissance, de la sagesse et de la bonté souveraines du principe réparateur lui-même. Car ces attributs sont toujours présents pour agir dans ces sacrements et par eux.

Explication

3. De plus, parmi ces sacrements réparateurs qui contiennent tous l’efficacité de la puissance divine pour restaurer le genre humain, il y en a qui ont été institués seulement comme remèdes pour les maladies et d’autres qui l’ont été non seulement à cette fin, mais aussi pour fixer, discerner et ordonner les degrés hiérarchiques dans l’Eglise. Ajoutons que les maladies peuvent varier, guérir et revenir; les degrés de l’Eglise par contre doivent être fermes, solides et inébranlables. Il s’ensuit que les sacrements, concernant les maladies qui peuvent renaître, ont des effets transitoires et de ce fait peuvent être réitérés pour une nouvelle cause. Il est nécessaire au contraire que les sacrements qui concernent les degrés hiérarchiques et des situations de foi déterminées confèrent, en plus des effets curatifs, certains effets permanents en vue d’une distinction fixe et stable des degrés et des conditions dans l’Eglise. Et comme cela ne peut se produire par des moyens naturels ni par des dons gratuits de l’ordre de la grâce sanctifiante, il est nécessaire que cela se fasse par certains signes, imprimés gratuitement et de manière indélébile, sur une substance incorruptible, à savoir l’âme incorruptible, à partir d’un principe incorruptible et en harmonie avec l’incorruptibilité. Ces signes, on les appelle caractères. Comme ils ne sont jamais effacés, ils ne peu vent ainsi être réitérés, pas plus que les sacrements qui les impriment.

4. Finalement, il y a une triple situation de foi qui permet de poser des distinctions dans le peuple chrétien, c’est-à-dire dans l’armée de la hiérarchie ecclésiastique, à savoir la situation de la foi engendrée, de la foi raffermie et de la foi multipliée. Selon la première situation, on distingue les fidèles des incrédules; par la deuxième, on distingue les forts des faibles et par la troisième, les clercs des laïcs. De là vient que ces sacrements, qui regardent la triple situation dont on vient de parler, impriment des caractères qui, imprimés de façon indélébile permettent à ces sacrements de toujours distinguer. De ce fait, ils ne peuvent jamais être réitérés. Le baptême concerne la situation de foi engendrée dans laquelle le peuple de Dieu se distingue des incrédules comme les Israélites se distinguaient des Egyptiens; la confirmation a rapport à la situation de foi raffermie, par où le peuple fort se distingue des faibles, comme les lutteurs se distinguent de ceux qui ne sont pas aptes au combat; l’ordre regarde la situation de foi multipliée, par quoi les clercs se distinguent des laïcs, comme les lévites se distinguaient des autres tribus. C’est la raison pour laquelle des caractères ne sont imprimés que dans ces trois sacrements.

5. Du fait que la distinction entre « peuple » et « non-peuple » est première et radicale, vient que le caractère baptismal est le fondement de tous les autres. En conséquence, si ce caractère n’est pas d’abord posé en fondement rien ne pourra être édifié au-dessus. Il faut alors recommencer. Si au contraire il existe, les autres peuvent être imprimés et ne doivent jamais plus être réitérés. De plus, les trois sacrements qui impriment ces caractères ne doivent pas être réitérés pour n’importe quelle raison. Une peine grave doit être imposée à ceux qui de fait se le permettent, à cause de l’outrage envers le divin sacrement. Pour les quatre autres, avec des raisons diverses, ils peuvent être renouvelés sans qu’il y ait cet outrage.

Chapitre 7: La constitution et l’intégrité du baptême

1. Il nous reste maintenant, en septième lieu, à considérer l’intégrité de chaque sacrement. Puisqu’il y en a sept, on doit parler d’abord de l’intégrité du baptême qui est la porte des autres sacrements.

Enoncé

2. Pour qu’une personne soit baptisée vraiment et en plénitude, l’expression de la forme vocale insti tuée par le Seigneur est requise, à savoir « Je te baptise au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit, Amen ». On ne doit pas omettre de paroles, ni en intercaler, ni invertir l’ordre des mots donnés plus haut, ni changer les noms sus-indiqués. Est requise aussi l’immersion ou l’ablution de l’eau sur tout le corps ou au moins sur une partie plus digne et, d’une manière telle, que l’expression (des paroles) et l’immersion se fassent par un seul et même sujet et en même temps. Ceci étant, s’il n’y a pas fiction dans le baptisé, lui est conférée la grâce qui régénère, qui rectifie et qui purifie de toute faute. Pour obtenir de meilleurs effets, on fait au préalable, comme actes préparatoires, le catéchisme et l’exorcisme, tant auprès des enfants que des adultes. A remarquer toutefois que chez les adultes la foi personnelle est requise tandis que pour les enfants la foi d’autrui suffit.

Explication

3. Notre principe réparateur, le Verbe Incarné, en tant que principe très parfait et parfaitement suffisant, doit restaurer le genre humain par les remèdes des sacrements, de telle sorte qu’il n’y ait en eux rien de superflu, de désordonné, rien même de diminué; ainsi, il a dû faire en sorte que le sacrement de baptême et les autres fussent intègres, selon que l’exigeaient sa puissance, notre salut et aussi notre maladie. Mais puisque la puissance qui nous restaure appartient à la Trinité tout entière en laquelle la sainte Mère Eglise croit de coeur, qu’elle confesse en parole et qu’elle proclame en signes, en distinguant les trois personnes et en affirmant leur propriété, leur ordre et leur origine naturelle; comme aussi cette puissance est encore celle de la passion du Christ qui est mort, a été enseveli et est ressuscité le troisième jour, il fallait alors, pour exprimer cela dans le sacrement qui est le premier de tous et dans lequel, d’abord et principalement, cette puissance opère, que la Trinité fût exprimée par une dénomination distincte, propre et ordonnée, en ce qui regarde la forme commune. A remarquer cependant qu’au temps de l’Eglise primitive cette expression a pu se faire au nom du Christ en qui la Trinité est incluse. Il fallait aussi qu’on mentionne, de façon propre et ordonnée, le mot baptiser, en même temps que se fait la triple immersion, dans la mesure où cela convient, immersion qui exprime la mort du Christ, sa sépulture et sa résurrection après trois jours. Et parce que ces deux puissances opèrent ensemble et dans le seul Christ Sauveur, chacune de ces deux choses (l’expression de la formule et l’immersion) doit se faire par un seul et même sujet, simultanément, pour conserver l’unité du sacrement et pour signifier l’unité dans notre Médiateur.

4. En plus, notre salut exigeait de commencer par la régénération ou rénovation dans l’être de grâce qui confère l’être spirituel, en lavant ce qui est impur, en chassant les ténèbres et en refroidissant la concupiscence qui, de façon universelle, souille tout homme qui descend d’Adam par génération. Pour ces raisons, le premier sacrement, celui qui régénère, a dû être constitué par un élément qui fût, de par ce qu’il représente naturellement, en conformité avec le triple effet susdit de la grâce qui commence notre salut. Car l’eau, par sa pureté, nettoie; par sa transparence elle est porteuse de lumière, par sa froideur elle refroidit. Il faut ajouter que parmi tous les liquides elle est l’élément le plus commun. Pour ces raisons, le sacrement de notre régénération a dû être réalisé par de l’eau, quelle qu’elle soit — car n’importe quelle eau est toujours de la même espèce — et aussi pour que personne ne puisse risquer son salut à cause d’un défaut de matière.

5. Enfin, notre maladie, contre laquelle principalement existe le baptême, est le péché originel. Il prive l’âme de la vie de la grâce et de la rectitude qui habilite à toutes les vertus; il l’incline d’une certaine façon à tout genre de faute. Ce péché se transmet par une source extérieure et « rend l’enfant capable de concupiscence et l’adulte concupiscent de fait. »; il réduit aussi à la servitude diabolique et au pouvoir du prince des ténèbres. En conséquence, pour que soit apporté par ce sacrement, sous forme d’action contraire, un remède suffisant, il convenait qu’en lui soient données la grâce de régénération à l’encontre de la privation de la vie gratuite, la grâce qui rectifie sous forme des sept vertus à l’en contre de la privation de la vertu habilitante, la grâce qui purifie de toute faute à l’encontre de la tendance à tout désordre vicieux.

6. Comme le péché originel se contracte par une source extérieure et rend l’enfant apte à la concupiscence et l’adulte concupiscent de fait, une foi et une pénitence personnelles sont nécessaires à l’adulte. Pour l’enfant au contraire suffisent la foi et la pénitence des autres, à savoir celle qui se trouve dans l’ensemble de l’Eglise. Et puisque le baptême doit arracher de la servitude diabolique et de la puissance du prince des ténèbres aussi bien les enfants que les adultes, il s’ensuit que les uns et les autres doivent être exorcisés pour chasser la puissance contraire. Ils doivent de même être catéchisés: les adultes, pour qu’une fois expulsée l’obscurité de l’erreur, ils soient formés à la foi; les enfants pour que les parrains sachent ce qu’ils doivent leur enseigner, afin qu’une déficience humaine ne vienne pas empêcher le sacrement de baptême d’atteindre sa fin.

Chapitre 8: L’intégrité de la confirmation

Enoncé

1. Pour son intégrité, est requise la forme vocale qui, selon l’usage le plus commun, est ceci: Je te signe du signe de la croix, je te confirme du chrême du salut, au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit. Amen. Est requis aussi le chrême, fait d’huile d’olives et de baume. Lorsque, avec ce chrême, le signe de croix est imprimé au front par la main de l’évêque, qui se sert de la formule de la confirmation, le sacrement est reçu. Par lui, l’homme est confirmé comme combattant pour confesser le nom du Christ avec audace et publiquement.

Explication

2. Notre principe réparateur, le Verbe Incarné, a été conçu éternellement dans le coeur du Père et est apparu en chair à l’homme, dans le temps et de façon sensible. Ainsi, il ne restaure personne à moins que Lui-même ne soit conçu par une foi qui vient du coeur et, cru désormais, à moins d’être professé comme il convient par une profession extérieure. Est de ce genre, une profession véridique, pleine de vérité, qui n’est pas seulement une vérité spéculative, mais aussi pratique. Cette dernière est celle en qui il n’y a pas seulement « l’adéquation de l’intellect, de la parole et de la chose », mais où tout l’homme est modelé sur la vérité selon la connaissance de la raison, la complaisance de la volonté et l’adhésion vertueuse, pour que cela se fasse par tout le coeur, par toute l’âme et par tout l’esprit; que ce soit d’un coeur pur, avec une bonne conscience et une foi non feinte. Une telle profession est intègre, capable de plaire et intrépide: intègre, en raison de celui qui en est l’objet; agréable, en raison de celui devant qui elle est faite; intrépide, en raison de celui qui doit la faire. Ce but, un homme pusillanime n’est pas capable de l’atteindre, à moins d’être confirmé par la grâce d’en-haut. C’est donc pour cela que le sacre ment de confirmation fut institué par Dieu comme venant immédiatement après le baptême.

3. Mais comme la fin rend nécessaire les moyens qui y sont ordonnés ce sacrement sera intègre par l’exigence de la profession mentionnée et par ses conditions, à savoir les trois dont on a parlé. En premier lieu, parce que la profession doit être intègre et que cette intégrité n’existe que si l’on confesse le Christ vrai homme, crucifié pour les hommes et vrai Fils de Dieu incarné, en tout égal au Père et au Saint Esprit dans la Trinité, il s’ensuit que la for me vocale n’exprime pas seulement l’acte de confirmer, mais aussi le signe même de la croix et le nom de la bienheureuse Trinité.

4. De plus, la profession doit être capable de plaire en raison de celui devant qui elle est faite; elle doit l’être devant Dieu et devant les hommes. Elle ne peut plaire à Dieu que s’il y a la lumière de l’intelligence et la pureté de la conscience; elle ne peut plaire au prochain que s’il y a l’odeur d’une bonne réputation et d’une vie honnête. C’est pour quoi, pour désigner ces réalités dans l’élément extérieur, on fait un mélange d’huile d’olives qui est pure et de baume qui est odoriférant. On veut signifier pas là que la profession, à laquelle ce sacrement ordonne et dispose, doit être accompagnée de la pureté de conscience et d’intelligence, jointe à l’odeur suave tant de la vie que de la réputation, afin qu’il n’y ait aucune opposition entre le langage et la conscience ou entre le langage et la réputation. Cette opposition ferait qu’une telle profession ne serait pas acceptée de l’homme ni approuvée par le Christ.

5. Enfin, une telle profession doit être intrépide, de sorte que personne n’omette, par honte ou par crainte, de dire la vérité, ni que personne n’ait peur ou honte, en temps de persécution, de confesser publiquement la mort ignominieuse du Christ en croix. par ce fait surtout qu’on serait effrayé à la pensée de tomber dans une peine et une ignominie semblables à celles de la passion. Cette crainte et cette honte apparaissent surtout sur la figure et particulièrement sur le front. En conséquence, pour chasser toute honte et toute crainte, une main pleine d’autorité est imposée et elle confirme; une croix est imprimée sur le front pour qu’on n’ait pas honte de confesser la foi publiquement et qu’on n’ait pas peur de soutenir n’importe quelle peine et ignominie, s’il en est besoin, pour confesser le nom du Christ, comme un vrai combat tant oint pour le combat et comme un soldat vaillant qui porte au front le signe de son roi et l’étendard triomphal de sa croix, prêt avec lui à pénétrer avec assurance les formations ennemies Car on ne peut prêcher librement la gloire de la croix si on en craint la peine et l’ignominie, selon ce que disait S. André « Si j’étais effrayé par l’ignominie de la croix, je n’en prêcherais pas la gloire. »

Chapitre 9: L’intégrité de l’eucharistie

Enoncé

1. Dans ce sacrement, le vrai corps et le vrai sang du Christ ne sont pas seulement signifiés, mais aussi contenus vraiment sous les deux espèces, à savoir celles du pain et du vin, comme sous un seul et non sous un double sacrement. Il en est ainsi après la consécration sacerdotale qui se fait en prononçant la formule vocale instituée par le Seigneur sur le pain ceci est mon corps; sur le vin ceci est le calice de mon sang. Par ces paroles, prononcées par le prêtre avec l’intention de confectionner le sacre ment, chaque élément est changé, selon la substance. au corps et au sang de Jésus-Christ. Les espèces sensibles demeurent et dans chacune d’elles est contenu tout le Christ, totalement, non de façon circonscriptive, mais sacramentellement. Sous ces espèces, le Christ nous est encore proposé en nourriture. Celui qui la reçoit dignement, par une manducation non seulement sacramentelle, mais encore spirituelle, faite de foi et de charité, est incorporé davantage au Corps Mystique du Christ, il se restaure et se purifie. Au contraire, celui qui s’approche indignement, mange et boit sa propre condamnation, agissant sans discernement à l’égard du très saint corps du Christ.

Explication

2. Notre principe réparateur, le Verbe Incarné, a une puissance surabondante et un jugement rempli de sagesse. Aussi, nous a-t-il donné les sacrements selon que l’exigent sa sagesse et sa surabondance. Parce que surabondant, en octroyant les remèdes aux maladies et les dons de grâce, il ne s’est pas contenté d’instituer un sacrement qui nous engendrerait dans l’être de grâce, à savoir le baptême, et un autre qui nous ferait croître et nous fortifierait, une fois engendrés, comme la confirmation, mais aussi un sacrement qui nous nourrirait après avoir été engendrés et avoir grandi et c’est l’eucharistie. C’est pourquoi ces trois sacrements sont donnés à tous ceux qui accèdent à la foi. Mais notre nourriture, en ce qui regarde l’être de grâce, se propose, pour chacun des fidèles, de conserver la dévotion envers Dieu, l’amour envers le prochain et la délectation au-dedans de soi. Or, la dévotion envers Dieu s’exerce par l’offrande du sacrifice, l’amour du prochain par la communion à un seul sacrement et la délectation au-dedans de soi même par la réfection du viatique. Cela explique pour quoi notre principe réparateur a donné ce sacrement de l’eucharistie comme un sacrifice d’oblation, un sacrement de communion et un viatique de réfection.

3. Comme notre principe réparateur n’est pas seulement surabondant, mais qu’il possède en outre la suprême sagesse, à qui il revient de tout faire avec ordre, il a donc agi ainsi: il a décidé de nous pro poser un sacrifice, un sacrement et un viatique, selon qu’il convient au temps de la grâce révélée, à l’état de pèlerin et à notre capacité. Et d’abord, parce que le temps de la grâce révélée exige qu’on n’offre point une oblation quelconque, mais une oblation pure, agréable et plénière; et nulle autre n’est telle sinon celle qui fut offerte sur la croix, à savoir le corps et le sang du Christ, de là vient qu’il faut nécessairement qu’en ce sacrement soit contenu, non pas seulement de façon figurative, mais aussi en vérité, le corps du Christ en tant qu’oblation adaptée à ce temps. Semblablement, parce qu’il est conforme au temps de grâce que le sacrement de la communion et de l’amour ne se contente pas de les signifier, mais qu’il y enflamme pour qu’il « produise ce qu’il signifie »

comme par ailleurs ce qui nous enflamme le plus à l’amour mutuel et qui unit le plus les membres, c’est l’unité du Chef à partir duquel s’écoule en nous l’amour mutuel, par la force diffusive, unitive et transformante de l’amour, de là vient que ce sacrement contient le vrai corps du Christ et sa chair immaculée, en tant qu’il se diffuse en nous, qu’il nous unit les uns aux autres et nous transforme en lui par l’ardente charité avec laquelle il s’est donné à nous, s’est offert pour nous, s’est redonné à nous et demeure avec nous jusqu’à la fin du monde. De cette manière aussi, la réfection qui convient à l’ère de la grâce est une réfection spirituelle, commune et salutaire. Or, la réfection de l’esprit est le Verbe de vie. De ce fait la réfection spirituelle d’un esprit vivant dans la chair est le Verbe Incarné ou la chair du Verbe qui est une nourriture commune et salutaire. En effet, même si elle est unique, tous cependant se sauvent par elle. Puis donc qu’il n’y a pas d’autre aliment spirituel, commun et salutaire, que le vrai corps du Christ lui-même, il y a nécessité pour ce corps d’être contenu vraiment dans ce sacrement, comme l’exige la perfection du sacrifice propitiatoire, du sacrement unitif et du viatique de réfection, conformément à ce qui doit être au temps du Nouveau Testament, de la grâce révélée et de la vérité du Christ.

4. En outre, il n’appartient pas à l’état de pèlerin ici-bas de voir le Christ à découvert, en raison du voile de l’énigme, et pour que la foi soit méritoire. Il ne convient pas non plus que la chair du Christ soit touchée avec les dents, à cause de l’horreur que nous avons de la chair crue ° et de l’immortalité de ce corps lui-même. C’est pourquoi il était nécessaire que le corps et le sang du Christ soient livrés sous les voiles de symboles très saints et de similitudes adaptées et expressives. Et comme aucune nourriture et aucun breuvage ne sont plus aptes à la réfection que le pain et le vin, rien n’est plus capable non plus de signifier l’unité du corps du Christ, réel et mystique, que le pain, fait de grains sans tache, et le vin, exprimé des grains de raisins très purs réunis ensemble. Il fallait donc que ce fût sous ces espèces plutôt que sous d’autres que le sacrement fût présenté. Et comme le Christ devait se trouver sous ces espèces, non selon un changement qui l’affectât lui-même, mais plutôt les espèces, c’est pourquoi, au moment où sont proférées les deux formules rapportées plus haut, qui insinuent la présence du Christ sous ces espèces, s’opère la conversion de chaque substance au corps et au sang, que demeurant que les seuls accidents comme signes qui contiennent le corps lui-même et aussi qui l’expriment.

5. Parce que le corps bienheureux et glorieux du Christ ne peut être divisé en ses parties, ni séparé de l’âme, non plus que de la souveraine Divinité, c’est pourquoi, sous chacune des espèces, se trouve le seul Christ, tout entier et indivisé, c’est-à-dire le corps, l’âme et Dieu. Et par là aussi, il n’y a sous les deux espèces qu’un seul et très simple sacrement qui con tient tout le Christ. Et parce que chaque partie d’une espèce signifie le corps du Christ, il s’ensuit qu’il est tout entier aussi bien dans toute l’espèce que dans chacune de ses parties, qu’elle soit entière ou divisée. Ainsi, il n’est pas là en tant que circonscrit, comme occupant un lieu, ayant une position, étant perceptible par quelque sens corporel et humain, mais se dérobant à toute perception pour permettre à la foi d’exister et d’être méritoire. Pour qu’en plus ce corps ne soit pas saisi, les accidents continuent de se comporter comme auparavant, bien qu’ils soient sans sujet aussi longtemps qu’ils demeurent dans leurs propriétés naturelles et qu’ils sont aptes à nourrir.

6. Enfin, puisque notre capacité de recevoir efficacement le Christ ne vient pas de la chair mais de l’âme, non du ventre mais de l’esprit; comme aussi l’esprit n’atteint le Christ que par la connaissance et l’amour, par la foi et la charité, en sorte que la foi illumine en vue de la réflexion et que la charité enflamme à la dévotion, ainsi faut-il que celui, qui veut s’approcher dignement du corps du Christ, le mange spirituellement, pour ainsi le mâcher par la réflexion de foi et se l’assimiler par la ferveur de l’amour. Par là, il ne transforme pas le Christ en soi, mais c’est lui-même plutôt qui est comme projeté dans son Corps Mystique. Il en ressort manifestement que celui qui s’approche avec tiédeur, sans dévotion et avec légèreté, mange et boit sa propre condamnation, car il outrage un si grand sacrement. Il est donc conseillé à ceux qui ne se sentent pas assez purs d’âme et de corps, ou même sans dévotion, de différer la réception, jusqu’à ce que, préparés à manger le véritable agneau sans tache, ils s’en approchent avec dévotion et respect.

7. C’est pourquoi aussi il est prescrit que ce sacrement soit célébré avec une particulière solennité, quant au lieu, de même qu’au temps, quant aux paroles et aux prières, quant aux vêtements dans la célébration de la messe, de sorte que tant les prêtres eux-mêmes qui célèbrent que ceux qui reçoivent ce sacrement, recueillent le don de la grâce qui les purifie, les illumine, les perfectionne, les restaure, les vivifie et les transforme, de la façon la plus ardente, au Christ lui-même, par un amour excessif.

Chapitre 10: L’intégrité de la pénitence

Enoncé

1. Ce sacrement est « la seconde planche de salut après le naufrage ». Peut y recourir celui qui fait naufrage par le péché mortel, tant qu’il est dans cette vie, tant et autant de fois qu’il voudra implorer la clémence divine. Ses parties intégrantes sont la contrition du coeur, la confession orale et la satisfaction par les oeuvres. A partir de là, la pénitence est complète lorsque le pécheur abandonne de fait toute faute mortelle commise, l’accuse verbalement, la déteste de coeur et se propose de ne jamais plus pécher. Lorsque ces éléments se rencontrent de la manière qui convient avec l’absolution, qui est don née par celui qui possède l’ordre, le pouvoir et la juridiction, l’homme est absous du péché, réuni à l’Eglise et réconcilié avec le Christ moyennant le pouvoir sacerdotal. De ce jugement, ne relève pas seulement l’absolution, mais encore l’excommunication et la remise des peines, ce qui revient en propre à l’évêque, en tant qu’il est l’époux de l’Eglise.

Explication

2. Notre principe réparateur, le Verbe Incarné, par le fait même qu’il est Verbe, est la source de la vérité et de la sagesse; par le fait qu’il est Incarné, il est la source de la bonté et de l’indulgence. C’est pourquoi il doit restaurer le genre humain par les remèdes sacramentels et surtout contre la maladie principale, qui est le péché mortel, comme il convient à un pontife rempli de pitié à un médecin expérimenté et à un juge équitable, pour qu’apparaissent ainsi dans notre guérison la clémence, la prudence et la justice souveraines du Verbe Incarné.

3. En premier lieu, notre guérison du péché mortel par la pénitence, doit manifester la souveraine clémence du Christ lui-même, pontife plein de pitié; par ailleurs, la souveraine clémence du Pontife sur passe tous les péchés de l’homme, de quelque sorte et aussi nombreux qu’ils soient et autant de fois qu’ils aient été commis. Il suit de là qu’il revient au Pontife très clément lui-même de recevoir les pécheurs au pardon, non une fois ou deux, mais autant de fois qu’ils imploreront d’une manière suppliante la clémence de Dieu. Or, cette clémence est implorée vraiment et de façon suppliante quand interviennent les gémissements de la pénitence. L’homme peut s’y convertir aussi longtemps qu’il est dans cette vie car il a le pouvoir de s’incliner vers le bien et vers le mal. On en conclut: quels que soient la gravité, le moment et le nombre de ses fautes, le pécheur peut trouver refuge dans le sacrement de pénitence qui lui remet ses péchés.

4. En outre, dans notre guérison, doit se manifester la souveraine prudence du Christ lui-même, le médecin expert. La prudence du médecin apparaît dans l’application des remèdes contraires qui suppriment non seulement la maladie mais aussi la cause. Et comme le péché contre Dieu vient de la délectation, du consentement et de l’accomplissement c’est-à-dire du coeur, de la bouche et de l’action, le médecin souverainement prudent a fixé les dispositions sui vantes: contre le désordre du pécheur, qui se fait selon la triple puissance, à savoir l’affective, la dis cursive et l’opérative, désordre qui s’actue par la complaisance occulte de la délectation, il y aurait réforme du pénitent selon la triple puissance sus dite: la pénitence douloureuse conçue dans le coeur par la componction, exprimée de bouche par la confession et consommée dans les oeuvres par la satisfaction. Et parce que tous les péchés mortels détournent du Dieu unique, s’opposent à la grâce unique et pervertissent la seule principale rectitude de l’homme, il est nécessaire, pour que le remède de la pénitence soit suffisamment complet dans ses parties, que la pénitence porte sur tous les péchés, quant au passé par le déplaisir au sujet des péchés commis, quant au présent en cessant de les commettre et quant au futur par le propos de ne récidiver ni dans le même péché ni dans quelque autre

C’est en s’éloignant ainsi totalement de la faute par la pénitence qu’on recevra la grâce divine et qu’on obtiendra par elle le pardon de tous les péchés.

5. Enfin, notre guérison doit manifester l’équitable justice du Christ juge. Or, il ne lui revient pas en personne de juger avant le jugement dernier et final. Pour cette raison, il a dû constituer des juges pour les jugements particuliers qui précèdent la fin. Et puisque ces juges sont comme des intermédiaires entre Dieu offensé et l’homme qui offense, intermédiaires proches du Christ et chefs du peuple; comme aussi ceux-là surtout sont proches du Seigneur et ses familiers en raison de leur charge, qui ont été consacrés principalement pour son ministère, c’est-à-dire les prêtres, c’est pourquoi est conférée, à tous ceux qui sont constitués dans l’ordre sacerdotal et à eux seuls, le pouvoir des deux clefs, à savoir la clef de la science pour discerner et la clef qui donne le pouvoir de lier et de délier pour porter un jugement et accorder le bienfait de l’absolution.

6. Pour éviter la confusion, on ne place pas n’importe qui à la tête de n’importe quel autre dans l’Eglise militante, puisque la hiérarchie ecclésiastique elle-même doit être ordonnée selon le pouvoir judiciaire; or, ce pouvoir de lier et de délier a d’abord été concédé au seul premier et souverain prêtre, à qui a été conféré, en tant que chef suprême, le pou voir universel. Ensuite, selon les Eglises particulières, le pouvoir se divise en diverses parties, de telle manière qu’il descend du chef unique, d’abord dans les évêques, puis dans les prêtres. C’est pourquoi même si chaque prêtre possède l’ordre et le pouvoir des clefs, ce pouvoir cependant ne s’étend qu’à ceux qui leur sont soumis de façon ordinaire, à moins qu’un pouvoir plus étendu leur soit concédé par celui qui a la juridiction ordinaire. Mais comme cette juridiction réside principalement dans le chef suprême, ensuite dans l’évêque et enfin dans le prêtre qui a charge d’âme, elle peut être confiée à un autre par n’importe lequel de ceux-ci, de façon certes suffisante par celui qui est de degré inférieur, davantage par l’évêque et en plénitude par le chef suprême.

7. Une telle juridiction réside dans le souverain Pontife et même dans les évêques, non seulement pour juger entre Dieu et l’homme au for interne, mais aussi au for externe entre homme et homme. Cela leur revient comme à ceux à qui ont été confiés le gouvernement et la garde de l’Eglise, comme l’épouse est confiée à l’époux. De là vient que les prélats ont le glaive qui leur permet de frapper, en faveur de la défense du droit, par l’excommunication et aussi le pouvoir de prodiguer les trésors des mérites de l’Eglise, mérites qu’ils ont en dépôt et en garde et qui viennent tant de la tête que des membres. Cela se fait en déliant. De sorte que, comme de vrais juges chargés par Dieu, ils possèdent le pouvoir entier de lier et de délier par lequel ils peuvent frapper les impénitents, réprimer les rebelles et toutefois absoudre les vrais pénitents et les réconcilier avec Dieu et avec la sainte Mère Eglise.

Chapitre 11: L’intégrité de l’extrême-onction

Enoncé

1. Elle est le sacrement de ceux qui quittent cette vie. Elle prépare et dispose à la santé parfaite. Elle a aussi la capacité de détruire les péchés véniels et de rendre la santé corporelle si cela est utile au malade. A l’intégrité de ce sacrement sont requis: de l’huile pure mais consacrée, l’expression vocale des prières, l’onction du malade sur sept parties déterminées, à savoir sur les yeux, les oreilles, les narines, les lèvres, les mains, les pieds et les reins. Ce sacre ment ne doit être donné qu’aux adultes et à ceux qui le demandent, qu’en péril de mort. Il doit être conféré par la main et le ministère du prêtre. On en déduit qu’entre ce sacrement et la confirmation il y a sept différences: dans l’efficacité, la matière, la forme, dans le su jet, dans celui qui administre le sacrement, dans le lieu et le temps

Explication

2. Voici la raison explicative de ce qui précède. Notre principe réparateur, le Verbe Incarné, nous res taure en tant que médiateur entre Dieu et les hommes, l’homme Jésus-Christ; en tant que Jésus, il a à sauver; en tant que Christ, oint, il doit faire dériver dans les autres la grâce de l’onction. Il lui revient donc, dans ses sacrements, d’accorder l’onction salutaire. Mais pour que l’âme soit parfaitement guérie elle a besoin d’un triple genre de santé, c’est-à-dire pour la vigueur de l’action, la suavité de la contemplation et la félicité de la saisie immédiate. La première est la santé de ceux qui entrent dans l’armée de l’Eglise, la seconde appartient à ceux qui y président, à qui il revient d’instruire les autres, le troisième enfin appartient à ceux qui en sortent par la mort. De là vient que le Seigneur a institué non seulement une onction sacramentelle dans la confirmation, mais une autre qui tient le milieu, dans l’ordre pontifical et une dernière lorsqu’il y a péril de mort.

3. Mais comme « la fin rend nécessaire ce qui y est ordonné », il s’ensuit que ce sacrement doit opérer, être intègre, être reçu et administré selon l’exigence de cette fin. Et d’abord, comme l’opération de ce sacrement doit se régler sur la fin et que celle-ci consiste pour lui en ce qu’il a été institué pour atteindre plus facilement et plus promptement le salut du bonheur perpétuel; comme par ailleurs ce but est atteint par la dévotion qui élève l’âme et par la décharge des fautes vénielles et autres séquelles qui la poussent vers ce qui est en bas, il suit que ce sacrement possède l’efficacité d’exciter à la dévotion, de remettre les péchés véniels et de détruire plus facilement les scories du péché. De plus, il est expédient pour plusieurs malades de vivre encore pour accumuler de nouveaux mérites. De là vient que ce sacrement soulage même fréquemment de la maladie en revigorant l’âme dans le bien et en la déchargeant du mal. C’est ce que dit le bienheureux Jacques: la prière de la foi sauvera le malade et s’il a commis des péchés, ils lui seront remis.

4. De plus, l’institution de ce sacrement doit correspondre à l’exigence de la fin. Celle-ci est l’acquisition du salut en esprit par la rémission des fautes. Le salut à son tour regarde la santé et la pureté de la conscience intérieure, selon laquelle le juge céleste porte son jugement. C’est la raison pour laquelle doit se trouver dans ce sacrement de l’huile pure et consacrée, car elle désigne la sainteté et l’éclat qui résident dans le sanctuaire de la conscience. Mais comme l’homme mortel n’a pas de pouvoir sur ce salut, c’est pour cela que la prière et la formule vocale s’expriment par des paroles déprécatives pour obtenir le don de la grâce. Et parce que l’âme contracte des maladies spirituelles dans le corps, selon les quatre puissances qui le régissent, à savoir le sensible, l’interprétative, la générative et la progressive, c’est pour cela que les membres qui sont au service de ces puissances reçoivent une onction. Or, il y a cinq sens, à savoir les yeux pour la vue, les oreilles pour l’ouïe, les narines pour l’odorat, les mains pour le toucher et la bouche pour le goût et aussi pour une autre puissance, l’interprétative. De plus. les pieds servent pour la marche et les reins pour la génération — il est indigne et honteux, en effet, de toucher et même de nommer les parties génitales. Pour ces raisons, l’onction doit être faite aux sept endroits indiqués pour qu’ainsi l’homme soit disposé par ce sacrement à recevoir la plénitude de la santé par la destruction de toute faute vénielle.

5. Enfin, la réception de ce sacrement dépend de sa fin. Celle-ci consiste en un passage plus rapide au ciel par l’enlèvement du fardeau des péchés véniels et la conversion de l’esprit à Dieu. C’est pourquoi, elle ne doit être donnée qu’aux adultes, qui pèchent véniellement et à ceux seulement qui la demandent et qui, par la dévotion, sont tournés vers les choses d’en-haut. Elle ne doit encore être donnée qu’à ceux qui sont en péril de mort et pour ainsi dire en pas sage vers un autre état. Et comme ce sacrement est pour ceux qui sont en péril et que malgré cela il a une matière sainte, l’huile consacrée, c’est pour cela que pour éviter un péril, il doit être communément confié aux prêtres et, à cause de la consécration de l’huile, il ne doit être touché que par des mains consacrées.

6. En conclusion, de la diversité de la fin dans la confirmation et l’extrême-onction provient leur diversité dans l’efficacité, dans la matière et la forme, dans le lieu et le temps, dans le sujet et le ministre: dans l’efficacité, car le sacrement de confirmation dispose à mieux lutter tandis que l’extrême-onction dispose à s’envoler plus rapidement; dans la matière, car la confirmation use d’huile mêlée de baume tandis que l’extrême-onction se sert d’huile pure; dans la forme, car pour la confirmation elle est indicative, tandis que pour l’extrême-onction elle est déprécative. Quant au lieu, la confirmation est administrée sur le front et l’extrême-onction l’est en plusieurs endroits; pour le temps, la confirmation est reçue quand on est en santé et l’extrême-onction quand on est malade; quant au sujet, la confirmation est donnée non seule ment aux adultes mais encore aux enfants, tandis que l’extrême-onction est réservée aux adultes; quant au ministre, la confirmation est donnée par les évêques, tandis que l’extrême-onction l’est par n’importe quel prêtre. Toute cette diversité provient de la fin. En effet, comme la chose est apparue clairement, la diversité dans les fins prochaines introduit la diversité dans les réalités qui doivent finalement s’ordonner à ces fins.

Chapitre 12: L’intégrité de l’ordre

Enoncé

1. « L’ordre est un signe par lequel un pouvoir spirituel est accordé à l’ordonné » Bien que l’ordre soit un des sept sacrements, il est toutefois constitué de sept degrés. Le premier est celui des portiers, le second des lecteurs, le troisième des exorcistes, le quatrième des acolytes, le cinquième des sous-diacres, le sixième des diacres et le septième des prêtres. Sous ces degrés, comme par mode de préparation, se place la tonsure cléricale et aussi le psalmistat. Au-dessus de ces degrés par mode de complément, se placent l’épiscopat, le patriarcat et la papauté. De ces derniers dépendent les autres ordres qui doivent être conférés par des signes déterminés, tant sous le rap port de la vue que de l’ouïe, en observant toutefois la solennité qui s’impose quant au temps, au lieu, à la charge et à la personne.

Explication

2. Notre principe réparateur, le Verbe Incarné, comme Dieu et comme homme. a institué les remèdes sacramentels pour le salut des hommes, avec ordre,

distinction et puissance selon l’exigence de sa bonté, de sa sagesse et de sa puissance. De là vient qu’il a confié aux hommes des remèdes sacramentels, à dis penser non pas n’importe comment, mais de la manière qu’exigent l’ordre, la distinction et la puissance. Il a donc fallu distinguer et mettre à part, pour remplir ce genre d’office, certaines personnes à qui serait confié, de droit ordinaire, un tel pouvoir. Comme un tel choix ne pouvait se faire que par des signes sacrés, comme sont les sacrements, il a donc fallu qu’il y ait un sacrement qui fût un signe sacré, ordinatif, distinctif et potestatif, pour conférer les autres sacrements d’une manière distinctive, potestative et ordinative. C’est pourquoi l’ordre se définit:

« un certain signe par lequel un pouvoir spirituel est conféré à l’ordonné ». De sorte que dans sa défi nition sont renfermés en même temps les trois éléments énumérés plus haut et qui groupent en somme ce qui est exigé par l’intégrité de l’ordre.

3. D’abord, parce que l’ordre est un signe qui distingue et qui sépare de tout le peuple, afin que le sujet soit totalement consacré au culte divin, il suit qu’une certaine distinction précède les ordres, par la tonsure et la couronne, qui signifient le retranchement des appétits temporels et l’élévation de l’es prit vers les choses éternelles. On veut montrer par là que le clerc tout entier est député au culte divin. C’est pourquoi il dit en recevant la couronne: Le Seigneur est la part de mon héritage, etc. Et comme il doit être instruit dans les louanges divines, qui consistent surtout dans les psaumes, le psalmistat pré cède, comme un préambule, les autres ordres. Isidore le met toutefois, en parlant dans un sens large, au nombre des ordres

4. En second lieu, parce que l’ordre est un signe ordinatif et ordonné également dans son être même; parce qu’aussi l’ordre consiste en une disparité et une distinction complète des degrés, selon que l’exige la grâce septiforme, à la dispensation de laquelle le sacrement de l’ordre est principalement ordonné, de là vient qu’il y a sept ordres disposés par degrés jus qu’au sacerdoce en qui se trouve leur perfection. Car il lui revient de consacrer le sacrement du corps du Christ en qui réside la plénitude de toutes les grâces. Les six autres ordres sont donc comme des sous-services du sacerdoce et comme des degrés par lesquels on monte au trône de Salomon Ils sont six à cause de la perfection du nombre, pour cette raison que « six » est le premier nombre parfait et également parce que l’exigent ainsi la perfection de cet office et ce qui est nécessaire pour le remplir. Car il doit y en avoir qui servent comme de plus loin, d’autres, de façon plus rapprochée, d’autres enfin de façon très voisine, afin que rien ne manque à un ministère ordonné. Et parce que n’importe lequel de ces ministères se dédouble selon l’acte purgatif et illuminatif, il s’ensuit qu’il y a six ordres ministériels, et un septième, de tous le plus parfait, par lequel est réalisé le Sacrement de l’autel et qui reçoit son achèvement dans un ordre unique, comme dans un terme ultime et complet.

5. Enfin, l’ordre est un signe de pouvoir, non seulement par rapport à l’administration des autres sacrements, mais encore par rapport à lui-même. Or, un pouvoir qui s’exerce sur un autre est un pouvoir excellent. Pour cette raison, il ne lui revient pas seulement un pouvoir simple, comme c’est le cas pour un ordre simple, mais encore l’éminence du pouvoir telle qu’elle se trouve dans ceux à qui revient la fonction d’administrer les ordres de façon ordinaire. Or, l’excellence se dilate d’autant plus qu’elle descend plus bas et elle s’unifie d’autant plus qu’elle s’élève plus haut. De là vient qu’il y a plusieurs évêques, moins d’archevêques, très peu de patriarches et un seul père des pères, qui a juste titre est appelé pape, en tant qu’il est l’unique, le premier et le souverain père de tous les pères, bien plus, de tous les fidèles. Il est aussi le hiérarque principal, l’époux unique, chef sans partage, Pontife suprême, vicaire du Christ, source, origine, et règle de tous les principats ecclésiastiques. De lui dérive comme du sommet, jus qu’aux plus humbles membres de l’Eglise, le pou voir ordonné, comme l’exige la dignité éminente de la hiérarchie ecclésiastique.

6. Comme cette dignité réside principalement dans l’ordre, il ne faut conférer ce sacrement qu’avec grand discernement et grande solennité, et donc, il ne faut pas que ce soit par n’importe qui, à n’importe qui, n’importe où et à n’importe quel moment. Mais ces ordres doivent être donnés à des personnes instruites, honnêtes et exemptes de toute irrégularité. Ceux qui le reçoivent doivent être à jeun. Ce doit être dans un lieu sacré, durant la messe et aux temps prescrits par le droit ecclésiastique. Ils doivent être dispensés par les évêques, à qui reviennent de conférer les ordres, de confirmer par l’imposition des mains, de consacrer les moniales et les abbés et de faire la dédicace des églises. Car toutes ces réalités, en raison de leur importance, ne peuvent être conférées que par ceux qui possèdent la prééminence du pouvoir.

Chapitre 12: L’intégrité du mariage.

Enoncé

1. « Le mariage est l’union légitime de l’homme et de la femme, dans un genre de vie inséparable » Cette union n’a pas existé seulement après le péché, mais même avant. Le sacrement de mariage fut d’abord institué comme une fonction; maintenant, il n’a pas seulement ce rôle, mais il est aussi un remède à la maladie de la volupté. Au début, il signifiait l’union de Dieu et de l’âme; maintenant, il signifie en plus l’union du Christ et de l’Eglise et celle des deux natures dans l’unité de la personne. Cette union se réalise par le libre consentement des volontés de la part des deux personnes, consentement extérieurement exprimé par un signe sensible. Elle reçoit son achèvement dans l’union charnelle. En effet, on dit que le mariage a son point de départ dans la pro messe, qu’il est ratifié par les paroles de la célébration, mais qu’il trouve son accomplissement final dans l’union charnelle. Ce sacrement comporte trois biens: « la fidélité, l’enfant et le sacrement ». Il y a en plus douze empêchements qui entravent sa réception et qui l’annulent une fois contracté. Ils sont contenus dans les vers qui suivent:

Erreur, condition, voeu, parenté, crime, 

Disparité de culte, violence, ordre sacré, lien, honnêteté;

Si tu es parent par alliance, si par hasard tu es impuissant;

Tout cela interdit le mariage et l’annule

S'il est contracté.

Explication

2. Notre principe réparateur, le Verbe Incarné, du fait qu’il est Verbe de Dieu, est source de sagesse dans les cieux; du fait même qu’il est incarné, il est source de clémence sur terre. C’est pourquoi, du fait même qu’il est Verbe incréé, il a formé le genre humain par une suprême sagesse; par le fait même qu’il est incarné, il le réforme par une souveraine clémence. Il répare donc le genre humain par clémence parce que d’abord il l’a fait réparable par sagesse. Elle exigeait, en raison de son ordre souverain, que le Verbe crée le genre humain capable de persévérer, capable de tomber, capable aussi d’être relevé, comme on l’a montré précédemment Puis que le Verbe de Dieu, dans sa sagesse, a fait l’homme capable de persévérer, de tomber et de se relever, comme cela convenait, de là vient qu’il a réglé la propagation du genre humain de telle sorte que la manière même de se propager lui fournît ce qu’il fallait pour persévérer, pour se relever, comme aussi, dans cette propagation, il y a quelque chose, à savoir la concupiscence qui vient du péché, qui transmet la maladie. Or, la persévérance de l’homme lui venait de l’union de son âme à Dieu par l’amour unitif, et cela de façon très chaste, singulière et individuelle. Le remède, lui, venait de l’union de la nature divine avec la nature humaine, dans l’unité, de l’hypostase et de la personne, unité introduite par la grâce divine en tant que singulière et individuelle. C’est pour cela que Dieu a décrété dès l’origine que la propagation se ferait par l’union de l’homme et de la femme, union individuelle et singulière qui, avant le péché, signifierait l’union de Dieu et de l’âme, ou de Dieu et de la hiérarchie sub-céleste. Après le péché, par contre, elle signifierait l’union de Dieu et de la nature humaine, ou du Christ et de l’Eglise. C’est pourquoi cette union est un sacrement dans les deux cas, à savoir avant et après, bien que de façon différente, quant à la signification et à l’usage. Comme le mariage était déjà un sacrement avant que sur vienne la maladie, la concupiscence venant ensuite par le péché est excusée par le mariage plutôt qu’elle ne le vicie. Car ce n’est pas la maladie qui corrompt le médicament, mais c’est ce dernier qui doit guérir la maladie De ce qui précède, apparaissent claire ment la nature du mariage et le comment de son institution divine.

3. Ajoutons que chacune des unions spirituelles susdites, signifiées dans le sacrement de mariage, est l’union de deux êtres dont l’un agit et influe et l’autre est patient et reçoit. De plus, cette union est pro duite par le lien de l’amour qui procède de la pure volonté. De là vient que le mariage doit être l’union de deux personnes, différentes sous l’aspect de l’action et de la passion, c’est-à-dire de sexe masculin et féminin, et cette union s’opère par le seul consente ment. Et parce que la volonté n’apparaît à l’extérieur que par des signes qui l’expriment, il faut que le consentement mutuel s’exprime à l’extérieur Le consentement, en tant qu’il porte sur l’avenir, n’est pas à proprement parler un consentement, mais la promesse de consentir: comme par ailleurs le consentement porté avant l’union charnelle ne produit pas l’union plénière, car il n’y a pas encore une seule chair, il suit que les paroles portant sur l’avenir font que le mariage est commencé, celles qui regardent le présent le confirment, mais c’est l’union charnelle qui lui donne son achèvement. En effet, les époux ne font plus alors qu’une seule chair et un seul corps. Par cette union, le mariage signifie pleinement celle qui existe entre nous et le Christ, car alors, le corps de l’un est pleinement communiqué au corps de l’autre, selon le pouvoir que chacun a sur son conjoint en vue de la procréation.

4. C’est pourquoi, dans le mariage il y a trois biens: le sacrement, à cause du lien indissoluble, la fidélité en raison de l’acquittement du devoir conjugal et l’enfant comme une conséquence de deux biens précédents.

5. Enfin, comme cette union matrimoniale doit procéder du libre consentement en vue d’unir des personnes distantes dans la loi unique du mariage et que cela peut être empêché de douze manières, il s’ensuit qu’il y a douze empêchements de mariage. En voici la preuve. Pour qu’il y ait consentement matrimonial, on requiert la liberté dans le consentement, la liberté dans celui qui le donne et l’idonéité à l’union. Mais la liberté dans le consentement est enlevée par deux choses, selon les deux parties de l’involontaire: l’ignorance et la violence. De là viennent deux empêchements: l’erreur et la violence. La liberté dans celui qui consent est supprimée par le fait que quelqu’un est uni à un autre, Soit à Dieu, soit à l’homme. Si c’est à Dieu, cela peut se faire par un voeu exprès ou par quelque chose qui comporte un voeu. Le premier cas se réalise dans le voeu, le second dans l’ordre sacré. Si c’est à l’homme, cela peut se faire de deux manières: ou par un lien existant ou par un lien précédent. Le premier cas arrive quand quelqu’un est uni à une femme; le second se rencontre dans un crime, quand un ou une adultère a commis le meurtre du conjoint, ou bien, alors que celui-ci était encore vivant, a promis de contracter mariage. On a donc ainsi quatre empêchements: le voeu, l’ordre sacré, le lien et le crime. L’idonéité à l’union réside dans une distance convenable entre les personnes. Elle est supprimée par une trop grande proximité ou par un trop grand éloigne ment. La trop grande proximité vient de la génération ou de quelque chose de semblable, comme la parenté légale ou spirituelle. Elle vient encore de l’union des sexes ou par le fait d avoir contracté des fiançailles. Ainsi, on arrive à trois empêchements: la parenté, l’affinité et l’honnêteté de droit public. La trop grande distance est considérée soit du point de vue naturel, comme lorsque l’union charnelle est impossible, soit du point de vue du sort, alors qu’il s’agit de choses sur lesquelles on ne peut rien, comme cela est clair dans le cas où l’un est esclave et l’autre libre, soit encore du point de vue de la religion chrétienne, comme lorsque l’un est baptisé et l’autre pas. On arrive ainsi à trois empêchements: l’impuissance, l’erreur sur la condition et la disparité de culte. Il y a donc au total douze empêchements qui, sous l’inspiration du Saint Esprit, ont été introduits dans l’Eglise. Bien que tous les sacrements lui aient été confiés, elle a reçu commission spéciale de réglementer le sacrement de mariage, à cause des nombreux cas divers qui peuvent se présenter à son sujet et aussi à cause de la maladie qui l’accompagne, maladie suprêmement infectieuse et qui ne connaît pas de mesure. C’est pourquoi, il revient à l’Eglise elle-même de limiter les degrés de parenté, comme il lui semble expédient selon les temps de juger de la légitimité ou de l’illégitimité des personnes et d’effectuer les séparations. Mais elle ne doit ni ne peut jamais annuler un mariage contracté légitimement, car l’homme, quelque grande que soit sa puissance, ne peut séparer ceux que Dieu a unis, car tous demeurent soumis au jugement de Dieu lui-même.

PARTIE VII: LE JUGEMENT DERNIER

Chapitre 1: L’état du jugement final

1. Après avoir brièvement parlé de la Trinité de Dieu, de la création du monde, de la corruption du péché, de l’incarnation du Verbe, et de la médecine Sacramentelle, il reste maintenant en septième et dernier lieu à traiter de l’état du jugement final.

Enoncé.

Il est sûr que le Jugement universel aura lieu; Dieu le Père y jugera les vivants et les morts, les bons et les méchants, par Jésus-Christ Notre Seigneur, et il rendra à chacun selon l’exigence de ses mérites.

Dans ce jugement aura lieu l’ouverture des livres le livre des consciences s’ouvrira, et les mérites comme les démérites de tous seront connus de tous et de chacun, par la puissance du livre de vie, le Verbe incarné.

Car sous sa forme divine, le Verbe incarné apparaîtra aux seuls bons; mais sous sa forme humaine, il promulguera la sentence, et il apparaîtra aux bons comme aux méchants, « apparence terrifiante pour les méchants, aimable pour les justes » 

2. Explication

Le premier Principe, parce que le premier est par soi, selon soi, pour soi; ainsi, il est efficience, forme et fin, il produit, il gouverne et il achève l’univers. Il produit selon la sublimité de sa puissance, il gouverne selon la rectitude de la vérité, il consomme l’univers selon la plénitude de sa bonté.

La sublimité de la puissance exigeait la production de la création comme vestige, mais aussi comme image; créature sans raison et créature raisonnable; créature soumise au mouvement de l’élan naturel, et créature douée de volonté libre.

Or la créature à l’image de Dieu, parce que capable de Dieu, est capable de béatitude; la créature raison nable est capable d’une discipline, la créature douée de volonté libre peut s’ordonner ou se désordonner par rapport à la loi de justice.

Dès lors, la rectitude de la vérité devait imposer à l’homme une loi qui l’invite à la béatitude, l’instruise de la vérité, l’oblige à la justice, sans pour autant contraindre la libre volonté, qui peut, à son gré, suivre ou abandonner la justice; Dieu en effet « gouverne les choses qu’il a créées en les laissant agir selon leurs mouvements propres »

Comme néanmoins la plénitude de la bonté réa lise la consommation de l’univers selon les exigences de la souveraine puissance et de la droite vérité, la bonté suprême accorde la consommation de la béatitude à ceux qui ont observé la justice imposée par la rectitude de la vérité, à ceux qui ont accepté la discipline, à ceux enfin qui ont préféré aux biens transitoires le bonheur suprême et sans fin.

Puisque certains agissent ainsi et que d’autres font le contraire, au gré variable des volontés, qui, dans l’état de voie, demeurent secrètes et libres de leur choix, le jugement universel est nécessaire pour manifester la sublimité de la puissance, la rectitude de la vérité, la plénitude de la bonté.

Alors aura lieu la juste rétribution des récompenses, la déclaration ouverte des mérites et l’irrévocable promulgation des sentences. Dans la juste rétribution des récompenses se manifestera la plénitude de la bonté, dans la déclaration des mérites apparaîtra la rectitude de la vérité et l’irrévocable promulgation des sentences montrera la sublimité de la vertu et de la puissance souveraine.

La juste rétribution tout d’abord concerne la faute et sa dette pénale, la justice et son prix de gloire. Or tous les fils d’Adam possèdent l’une et l’autre, la faute ou la justice. Il est donc nécessaire que tous soient jugés d’un jugement de rétribution qui glorifie les justes et condamne les impies.

3. La déclaration ouverte des mérites ensuite exige l’apparition simultanée de ce qu’il fallait faire et de ce qui a été fait ou omis, selon les circonstances variées, par la libre volonté humaine.

L’ouverture du livre des consciences sera l’apparition des mérites, l’ouverture du livre de vie sera la manifestation de la justice, norme d’approbation ou de désaveu des mérites.

Or dans le livre de vie, tous (les mérites) sont écrits simultanément et clairement et dans les consciences ils (les mérites) sont écrits réellement. Ainsi la confrontation des deux livres ouverts publiera la déclaration de tous les mérites, et dévoilera à soi-même et aux autres les secrets des coeurs. Comme le veut Augustin; ce livre est « la force qui merveilleusement rappellera toutes choses à la mémoire de chacun », pour la claire manifestation de l’équité des jugements divins dans l’éclatante lumière de la vérité.

4. Enfin la sentence irrévocable doit être promulguée par quelqu’un que l’on puisse voir et entendre et dont l’autorité soit sans appel.

Mais tout le monde ne pourra voir la lumière souveraine, elle échappera aux regards ténébreux; sans la déiformité de l’esprit et la fruition du coeur la vision face à face est impossible. Le juge devra donc apparaître sous le visage de la créature.

Comme d’autre part une simple créature ne possède pas une autorité suprême et sans appel, notre juge devra être Dieu pour trancher par autorité suprême, et homme pour contester visiblement avec les pécheurs.

L’unique voix de l’arbitre suprême terrifiera les coupables et rassurera les innocents; ainsi son seul visage suffira à réjouir les justes et atterrer les impies.

Chapitre 2: Le Purgatoire 

2. Enoncé

1. Dans la perspective de l’état final, il faut distinguer spécialement ce qui précède, ce qui accompagne et ce qui suit le jugement. La peine du purgatoire et les suffrages de l’Eglise sont comme deux préambules au jugement

Le feu du purgatoire est un feu corporel qui afflige l’esprit des justes, dans la mesure où ils n’ont pas, en cette vie, accompli la pénitence et la satisfaction proportionnée à leur culpabilité, dans la mesure où ils ont contracté (des scories) à consumer.

Le tourment du purgatoire est moins grave qu’en enfer mais plus lourd qu’en ce monde; toutefois, les âmes du purgatoire gardent toujours l’espérance et elles savent qu’elles ne sont pas en enfer; et pourtant en raison de l’intensité de leur peine, il leur arrive peut-être de ne pas y penser.

Ce feu corporel infligé aux esprits les purifie des dettes, des souillures et des séquelles du péché; et lorsque leur purification est suffisante, ils prennent immédiatement leur essor et sont introduits dans la gloire du paradis

3. Explication

Le principe premier, parce que premier, est infini ment bon et parfait, et c’est pourquoi il aime infiniment le bien et déteste souverainement le mal; or la bonté infinie ne tolère pas que le bien demeure sans récompense, elle ne doit pas tolérer davantage que le mal demeure impuni.

Lorsqu’il arrive à des hommes justes de décéder sans avoir totalement accompli leur pénitence en cette vie, sous peine de troubler l’harmonie de l’ordre universel, leur mérite de la vie éternelle ne peut rester sans récompense et le vice de leur faute ne peut rester dans l’impunité; il est donc nécessaire qu’ils soient finalement récompensés, nécessaire également qu’ils soient temporairement punis à la mesure de leur dette et de leur culpabilité.

Toute faute commise offense la divine majesté, fait tort à l’Eglise, et déforme l’image divine, inscrite en notre esprit; ce (triple désordre) affecte surtout la faute mortelle, mais le péché véniel y dispose.

Or toute offense requiert châtiment, le dommage exige satisfaction et la difformité appelle la purification. La peine requise sera donc punition juste, satisfaction équitable et purification suffisante.

4. Tout d’abord cette peine devra punir juste ment. Dès lors, l’esprit qui dédaigne le bien éternel et suprême pour se soumettre à un bien infime devra se voir soumis à des réalités inférieures; il recevra ainsi la peine des êtres qui occasionnèrent la faute; à cause d’eux, en effet, il a dédaigné Dieu et il s’est avili lui-même.

Par conséquent, l’ordre de la justice exige que l’esprit soit puni par un feu matériel. Puisque l’ordre de la nature unit l’âme au corps pour lui influer la vie, l’ordre de justice unira l’âme au feu matériel; digne de châtiment, l’âme recevra la punition du feu.

Cependant l’homme juste, en état de grâce, mérite seulement une peine transitoire. Sa peine sera proportionnée à la gravité de son péché et à la légèreté de sa pénitence passée. C’est pourquoi la peine temporaire du feu matériel sera plus ou moins longue, plus ou moins vive en fonction de la dette exigée par l’offense. « Il est nécessaire, affirme l’admirable docteur Augustin, que la douleur consume autant que l’amour adhérait » Plus l’amour mondain avait d’adhérence dans l’intime des fibres du coeur, plus la purification est difficile.

5. La peine, en outre, devra être satisfactoire. La satisfaction implique la liberté du vouloir et l’état de voie, or le purgatoire n’est pas un état de mérite et sa peine est très peu volontaire. Le manque de liberté dans la volonté qui souffre sera donc suppléé par l’acuité de la souffrance.

Toutefois ceux qui sont purifiés possèdent la grâce et ils ne peuvent plus la perdre, c’est pourquoi ils ne peuvent ni ne veulent être totalement absorbés par la tristesse, ils ne peuvent sombrer dans le désespoir ou se révolter dans le blasphème. Leur châtiment certes est lourd, mais il est tout autre que le tourment de l’enfer et plus léger; car ils savent indubitablement que leur état diffère de l’enfer où les damnés sont torturés sans rémission.

6. Cette peine enfin doit être purifiante et cette purification est spirituelle. Partant, ou bien le feu possède une vertu spirituelle qui lui est divinement donnée, ou bien, comme j’incline à le croire, la vertu même de la grâce intérieurement présente est aidée par la peine extérieure, et ainsi l’âme déjà punie pour ses offenses, exonérée de ses dettes, subit une purification suffisante, il ne reste plus en elle aucune difformité pour faire obstacle à la gloire.

Dès l’instant où l'esprit en sa fine pointe est disposé à recevoir l’influence déiforme de la gloire, lorsque sa purification est consommée et que la porte est ouverte, il prend son essor, le feu de la charité le soulève, plus rien ne l’appesantit, ni l’impureté de l’âme, ni la dette du péché. Il ne con vient pas à la miséricorde ou à la justice divine de différer le don de la gloire lorsqu’elle trouve une demeure appropriée. Le retard de la récompense serait en effet une grande peine, et un esprit déjà purifié ne doit pas être puni davantage.

Chapitre 3: Les suffrages de Eglise

1. Enoncé

Les suffrages de l’Eglise sont utiles aux morts, et j’entends par suffrages ce que l’Eglise fait en faveur des morts: sacrifices, jeûnes, aumônes, ainsi que les prières et les peines volontairement assumées pour accélérer et faciliter l’expiation de leurs fautes.

Les suffrages aident les morts, non pas tous, mais ceux qui sont au purgatoire, « les moyennement bons ». Les suffrages sont inutiles pour les « très mauvais », ceux qui sont en enfer; inutiles également pour les « très bons », ceux qui sont au ciel. Bien plus, les bienheureux aident l’Eglise militante de leurs mérites et de leurs prières, et ils obtiennent de nombreux bienfaits à ses membres.

L’efficacité des suffrages dépend plus ou moins des mérites personnels des défunts d’une part et de la charité des vivants, d’autre part, dont la sollicitude s’applique plus à certains défunts qu’à d’autres. Cette efficacité porte sur l’adoucissement des peines ou pour accélérer la libération, selon qu’en dispose la providence divine, au mieux des âmes.

2. Explication

Le principe premier, parce qu’infiniment bon, doit être d’une extrême rigueur à l’encontre du mal, il doit être aussi d’une extrême douceur à l'égard du bien. Si les justes, en raison d’une rigoureuse justice, souffrent au purgatoire pour la dette de leurs péchés, il est normal qu’ils soient soulagés, aidés et réconfortés, en raison de la bonté miséricordieuse, car ils sont installés dans la misère, et ils ne peu vent en sortir ni par leurs oeuvres, ni par leurs mérites.

L’application des suffrages par ceux qui en ont le pouvoir est conforme à l’économie providentielle. Toutefois, les droits de la justice demeurent et la douceur de la miséricorde ne peut s’y opposer ou s’en séparer.

Or la rectitude de la justice doit maintenir l’honneur divin, le gouvernement de l’univers et la qualité humaine du mérite. C’est pourquoi la souveraine providence a disposé que les suffrages sont valables au bénéfice des âmes du purgatoire, selon l’harmonie de la miséricorde et de la justice, c’est-à-dire de manière à sauvegarder la dignité de l’honneur divin, l’ordre de l’univers et la qualité humaine du mérite.

3. L’application des suffrages doit respecter la justice qui vise par-dessus tout le maintien de l’honneur divin. Or, l’honneur de Dieu exige, pour le moins, que la dette des fautes soit acquittée par des oeuvres satisfactoires et pénales. Les oeuvres où la compensation satisfait à l’honneur de Dieu prendront, au plus haut point, valeur de suffrages. Le jeûne, la prière, l’aumône constituent trois oeuvres de satisfaction particulièrement valables, mais le sacrifice de l’autel l’emporte; c’est surtout à la messe qu’est rendu à Dieu l’honneur qui lui est dû: nul en effet n’est plus agréable à Dieu que celui qui est offert en sacrifice.

Ainsi les oeuvres satisfactoires constituent les suffrages de l’Eglise, mais le meilleur suffrage est dans la célébration de la messe. D’ailleurs, saint Grégoire, au livre IV des Dialogues insinue que certains défunts ont été rapidement délivrés de grandes peines par l’application de messes.

La pompe des obsèques, le raffinement des funérailles, et les choses de ce genre n’entrent pas dans la catégorie des suffrages. C’est pourquoi saint Augustin écrit dans son livre De cura pro mortuis agenda: « Le raffinement des funérailles, la richesse de la sépulture et la pompe des obsèques sont beaucoup plus une consolation pour les survivants qu’un secours pour les morts. »

4. La justice sauvegarde l’ordre et le gouvernement de l’univers; par conséquent, dans la communication des influences, l’ordre et la convenance doivent être respectés, dans l’émanation des influences entre les êtres, il doit y avoir un ordre de relations entre l’origine et le terme de réception. L’inférieur ne peut influer sur le supérieur ou sur un être éloigné à tous égards par la disproportion. Les suffrages de l’Eglise ne peuvent donc avoir d’efficacité pour ceux qui sont en enfer, puisqu’ils sont totalement séparés du corps mystique du Christ. Aucune influence spirituelle n’atteint les damnés ou ne leur est utile, pas plus que l'influence de la tête n’atteint des membres amputés.

Les suffrages de l’Eglise n’ont pas d’utilité pour les bienheureux, puisqu’ils vivent dans un état absolument supérieur, et que parvenus au terme, ils ne peuvent monter plus haut. Bien au contraire, les bienheureux nous sont utiles par leurs prières — ce qu’ils ont d’ailleurs mérité dans leur chair — il est donc conforme à l’ordre divin que nos prières soient offertes aux saints pour que ceux-ci à leur tour intercèdent en notre faveur et nous obtiennent les bienfaits de Dieu.

Les suffrages finalement servent aux seuls justes qui sont au purgatoire. Soumis à la peine et incapables de s’aider, ils sont inférieurs aux vivants, mais en raison de leur justice ils sont conjoints aux autres membres de l’Eglise, c’est donc à juste titre, en raison de l’ordre et de la convenance, que les mérites de l’Eglise peuvent les secourir.

5. La justice enfin doit être observée pour peser l’exigence des mérites les suffrages qui s’adressent aux défunts en général sont utiles pour tous et chacun des bons selon sa mesure, ils sont cependant plus efficaces pour ceux qui ont mérité davantage cette utilité et cette efficacité, lorsqu’ils étaient en état de voie.

Les suffrages appliqués spécialement pour certains défunts correspondent à une intention droite et qui vient de Dieu, ils correspondent aussi à une institution ecclésiastique qui assurément n’est pas vaine. Ces suffrages ont donc plus de valeur pour ceux qui sont spécialement désignés, et pourtant, les autres y communient d’une certaine manière. Toutefois, bien qu’ils soient spirituels, les suffrages n’aident pas les autres autant que la personne principalement désignée En effet, pour une plus grande faute la justice divine exige une plus forte amende, et pour plusieurs fautes plusieurs amendes. L’exemple de la lumière qui éclaire également les convives d’une même table ne convient pas ici. Il faut assimiler les suffrages aux rançons des captifs plutôt qu’à la diffusion et à l’influx lumineux.

Quelle est maintenant, d’une manière déterminée, l’efficacité des suffrages pour chacun en particulier ? Celui-là seul le sait définitivement, qui seul apprécie le poids, le nombre et la mesure dans les dettes, les fautes et les intercessions.

Chapitre 4: La conflagration des feux

1. Ajoutons ensuite ce qui accompagne le juge ment: la conflagration des feux et la résurrection des corps.

Le feu qui brûlera la face de la terre précèdera l’apparition du juge: ainsi la figure de ce monde périra sous la conflagration des feux, comme au déluge sous l’action de l’eau.

Dire que la figure de ce monde passera ne signifie pas une destruction totale de l’univers sensible. Sous l’action du feu, les végétaux et les animaux seront consumés, les éléments seront purifiés et rénovés, surtout l’air et la terre, les justes seront purifiés et les réprouvés brûlés.

Alors, le mouvement du ciel s’arrêtera, et dans les éléments du monde corporel se réalisera une rénovation et une quasi glorification, lorsque le nombre des élus sera au complet.

2. Enoncé

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Le principe de l’ordre universel est infiniment sage. En toutes ses actions il observe l’ordre de la sagesse, mais il doit par-dessus tout respecter cet ordre dans le domaine de la consommation finale. Il n’y aura pas discordance entre le commencement et le milieu, entre le milieu et la fin. Dans l’univers tout entier harmonieusement ordonné, apparaîtra la sagesse ordinatrice, la bonté et la grandeur du principe premier.

Conformément à l’ordre de la sagesse, Dieu a créé le monde sensible, le macrocosme en vue du microcosme, c’est-à-dire l’homme situé au milieu entre le monde inférieur et Dieu. Toutes les parties de l’univers doivent s’harmoniser, et l’habitation doit s’accorder à l’habitant: à l’homme créé bon correspondait un monde bon et en repos; lorsque l’homme chute, le monde se détériore; la perturbation pro fonde de l’homme retentit dans le monde; leur purification, leur rénovation correspondent; et lorsque l’homme enfin est consommé, l’univers doit rentrer dans le repos.

4. La perturbation de l’univers doit répondre à celle de l’homme, comme la stabilité et l’effondre ment correspondaient à l’état d’innocence de l’homme et à sa chute. Or, le jugement futur manifestera la sévérité du juge; tous les coeurs seront terrifiés mais cette terreur touchera surtout les pécheurs qui ont méprisé le Seigneur de l'univers. Ainsi toute la création subira l’ardeur jalouse de Dieu, elle se conformera à son auteur mais aussi à celui qui l’habite, dans un horrible ébranlement des pôles terrestres.

3. Explication

Pour provoquer cette commotion des éléments, rien n’est plus intense, plus rapide et plus terrifiant que le feu jaillissant de toutes parts. Le feu précèdera donc la face du juge; il ne jaillira pas d’un seul endroit mais de partout à la fois; il y aura un rassemblement général du feu élémentaire et terrestre, du feu du purgatoire et du feu de l’enfer. Le feu infernal brûlera les réprouvés, le feu du purgatoire purifiera les justes, le feu terrestre consumera les végétaux et les animaux, le feu élémentaire affinera les éléments et les disposera à leur transfiguration.

Dans le même temps, toutes les autres créatures seront bouleversées, les hommes et les démons; les anges eux-mêmes seront terrifiés du spectacle.

5. En outre, comme l’homme a besoin d’être purifié, le monde en a besoin aussi. Dans la situation de la fin des temps, l’homme aura besoin d’être purifié des scories, de l’avarice et de la méchanceté, comme dans les premiers temps, il avait fallu le purifier de la boue de la luxure. Or, cette purification finale devra être rapide, intime et parfaite.

Le monde au commencement fut détruit et comme purifié de l'ardeur et la fange de la luxure par la fraîcheur de l’eau; à la fin des temps, le refroidisse ment de la charité, le froid de la malice et de l’avarice envahiront le monde vieilli; il faudra donc le détruire et le purifier par le feu. A raison de la profondeur extrême des adhérences, l’action purifiante devra être intime, violente et rapide. Seul parmi les éléments, le feu comporte ces qualités d’action. La face du monde consumée par le feu correspondra ainsi à l’inondation du déluge.

6. La rénovation du monde doit ensuite correspondre à la rénovation de l’homme; mais le renouvellement sous une forme nouvelle ne va pas sans la perte de la forme ancienne et sans une nouvelle prédisposition; or, le feu possède le pouvoir d’expulser la forme étrangère, il possède un pouvoir de subtilité apparenté à la nature céleste. Il opère donc du même coup la purification et la rénovation, double efficacité, relative à la venue du juge qu’elle précède et qu’elle suit.

La transformation établira une nouveauté sans vieillissement ultérieur; ce renouvellement n’est donc pas au pouvoir de la créature; aussi bien, dans la purification et la rénovation le feu agira selon sa nature pour enflammer, purifier, dilater, évaporer, mais un pouvoir qui dépasse la nature accompagnera l’action du feu, pour déclencher la conflagration et compléter ses effets.

7. La consommation enfin du monde correspondra à celle de l’homme. L’homme sera consommé lorsque le nombre des élus dans la gloire sera au complet; toutes choses tendent à cet état comme à la fin ultime et à la plénitude. Lorsque le nombre des élus sera au complet, le mouvement de la nature céleste s’arrêtera et entrera dans le repos, les changements des éléments prendront fin, la génération dans les animaux et les plantes cessera. Tous ces êtres sont ordonnés à la plus noble des formes qui est l’âme raisonnable; la stabilité des âmes entraîne la stabilité et l’achèvement dans les autres êtres.

On parle de récompense à propos des corps célestes, parce qu’ils possèdent la plénitude de la lumière et le repos. Les éléments qui n’ont plus le pouvoir de se multiplier par échanges mutuels sont dits morts, mais cette mort dans l’activité et la passivité, affecte surtout les qualités actives sans toucher à la substance. Les végétaux et les êtres doués de sensibilité n’ont pas une puissance de vie perpétuelle et de durée sempiternelle. Or, la durée perpétuelle caractérise l’état de noblesse finale, végétaux et animaux seront donc consumés dans leur nature propre, ils seront pourtant préservés dans leurs principes et, pour ainsi dire, dans leur semblable, l’homme, qui possède une ressemblance avec toute créature p conséquent, on peut avancer que dans la rénovation et la glorification de l’homme toute la création sera rénovée et glorifiée.

Chapitre 5: La résurrection des corps

A la résurrection générale les corps de tous les hommes ressusciteront; entre eux, la résurrection ne marquera aucune différence dans l’ordre du temps, mais elle en comportera beaucoup dans l’ordre de dignité.

1. Enoncé

Les méchants ressusciteront avec les difformités et les pénalités, les misères et les défauts qu’ils ont amassés dans l’état de voie.

Chez les bons, « la nature sera conservée et le vice enlevé », et tous ressusciteront dans l’intégrité du corps, dans la maturité de l’âge, et l’équilibre harmonieux des membres; ainsi tous les saints arriveront à l'homme parfait, à la mesure de la pleine maturité du Christ.

Bons ou mauvais, les corps ressusciteront selon l’identité numérique qui les constituait auparavant et ils seront composés des mêmes parties. La réalité de leur nature sera conservée, non seulement dans les principaux membres et l’humeur radicale, mais encore dans les cheveux et les autres membres qui concourent à la beauté du corps. « Dispersée aux quatre vents et aux quatre coins du monde, la poussière du corps humain fera retour à l’âme qui, antérieurement, l’avait animée, lui avait donné vie et croissance »

2. Explication

Le principe premier, parce que premier et suprême, est absolument universel et suffisant. Il est donc le principe de la nature, de la grâce et de la rétribution ou encore principe infiniment puissant, clément et juste. Pour parler selon une certaine appropriation, la constitution des natures se rattache à la toute-puissance, le don de la grâce à la clémence et à la rétribution à la justice souveraine. Toutefois, la puissance, la clémence et la justice ne peuvent absolument pas se séparer entre elles, chacune est dans chacune des autres. C’est pourquoi l’oeuvre de la rétribution doit nécessairement se conformer aux exigences de la droite justice, de la grâce qui réforme et de la nature à compléter.

Or la justice exige que l’homme soit puni ou récompensé dans son âme et dans son corps, car il n’a pas mérité ou démérité dans son âme seule ou dans son corps seul, mais à la fois dans son âme et dans son corps.

La grâce de restauration exige que le corps tout entier soit assimilé à sa tête le Christ; le cadavre du Christ restait inséparablement uni à sa Divinité, il devait donc nécessairement ressusciter.

L’achèvement de la nature exige que l'homme soit composé, à la fois d’une âme et d’un corps, comme d’une matière et d’une forme, doués d’un mutuel désir et d’une mutuelle inclination.

Ainsi la constitution de la nature, l’infusion de la grâce et la rétribution de la justice qui ordonnent l’univers entier, exigent la résurrection future des corps.

Sous ces trois aspects, le monde entier proclame que l’homme ressuscitera, ceux qui se rendent sourds à cette vérité de foi sont sans excuse, et c’est à juste titre que l’univers entier se soulèvera contre eux.

3. La résurrection est exigée selon l’ordre de la justice divine. Or, la justice divine rend à chacun ce qui lui revient de son séjour temporel; et toute âme une fois unie à un corps, ne serait-ce qu’un instant, est, dans ce corps en état de faute ou en état de grâce; il est donc nécessaire que tous ressuscitent.

Cependant l’état de rétribution est distinct de l’état de voie et la résurrection appartient à l’état de rétribution. Il ne doit pas y avoir de confusion dans l’ordre de l’univers, car la foi doit garder le mérite de croire à ce qu’elle ne voit pas; d’autre part, l’équité de la justice divine doit apparaître avec la plus grande certitude et la plus grande clarté et enfin, la consommation et la rétribution finale doit se faire simultanément pour les anges et pour les hommes; pour toutes ces raisons de justice, tous ressusciteront en même temps, pour ce qui est de la loi commune. Ce que je précise à cause du Christ et de sa bienheureuse Mère, la glorieuse Vierge Marie.

Toutefois, les méchants méritent la peine et la misère, les bons méritent la gloire; et, bien qu’ils ressuscitent en même temps, leur condition sera très dissemblable. Comme les méchants ne ressusciteront pas pour la vie mais pour le supplice, ils ressusciteront avec leurs infirmités, leurs difformités et leurs défauts.

4. La résurrection, en outre, doit avoir lieu selon les exigences de la consommation de la grâce. La grâce parfaite nous rend conforme à notre chef, le Christ; en lui ne se trouvait nul défaut corporel, mais l’âge accompli, la stature requise, et la beauté du visage. Il convient donc que les bons ressuscitent dans les meilleures conditions, c’est-à-dire que leurs défauts soient supprimés et leur nature préservée.

Un membre manquant sera remplacé; une excroissance sera ôtée; les déviations seront corrigées l’enfant, par la vertu divine, parviendra à l’âge du Christ ressuscité (il ne s’agit pas pourtant d’une égalité de poids); le vieillard décrépit reviendra au même âge du Christ; le géant ou le nain auront une taille harmonieuse. Ainsi tous arriveront intègres et parfaits à l’homme accompli, à l’âge de la plénitude du Christ.

5. Enfin la résurrection doit se réaliser conformément aux exigences de la perfection de la nature. Un esprit raisonnable exige par nature de vivifier son propre corps, car « l’acte propre doit s’accomplir dans sa matière propre » Sans l’identité numérique du corps, il n’y aurait donc pas de vraie résurrection.

L’âme raisonnable est immortelle et, comme elle est douée d’un être perpétuel, elle exige, par nature, de posséder un corps pour lui influer perpétuelle ment la vie. Du fait qu’un corps est uni à une âme, de par l’union même, il est ordonné à l’incorruption perpétuelle. Il s’agit d’une ordination nécessaire pour ce qui constitue la substance du corps tout entier, comme les principaux membres, l’humeur radicale et la chair spécifique. L’ordination est seulement de convenance pour la chair du point de vue matériel, et pour les parties accidentelles du corps.

Les premières parties sont donc ordonnées à la résurrection selon un ordre nécessaire et toutes les autres selon un ordre de convenance.

C’est Dieu qui a imprimé cet ordre au sein de la nature et la nature est incapable de le réaliser, car la nature ne peut ressusciter un mort, et pourtant la providence divine n’a rien opéré en vain; il est donc nécessaire que le corps soit restauré dans son identité numérique, immortel et constitué de toutes ses parties, de manière à sauvegarder toute entière la vérité de la nature.

Mais tout cela n’est pas dans le pouvoir de la nature, c’est seulement dans son désir. La nature ne peut pas restaurer dans son identité numérique un corps détruit, car elle n’a pas pouvoir sur la substance totale de l’être; elle ne peut davantage rendre un corps immortel, car tout ce qui est soumis à la génération est soumis par nature à la corruption, la nature ne peut enfin rassembler ce qui es dispersé.

La résurrection ne dépend ni des raisons séminales, ni des causes naturelles, elle dépend donc nécessaire ment de la cause première; elle se réalisera donc dans un déroulement admirable et surnaturel selon l’ordre de la divine volonté.

Chapitre 6: La peine de l’enfer

1. A la suite du jugement, nous traiterons de la peine de l’enfer et de la gloire du ciel 

2. Enoncé

La peine de l’enfer est subie dans un lieu corporel et inférieur où tous les réprouvés, hommes et démons, seront éternellement torturés.

Le même feu corporel tourmentera et brûlera les esprits et les corps — cependant ce feu qui sans cesse affligera les corps ne les consumera jamais — et l’intensité de la peine sera en proportion des démérites de chacun.

A la peine du feu s’ajoutera le tourment de toute la sensibilité, la peine du ver et la privation de la vision divine; il y aura donc diversité dans ces peines, et diversité dans l’acuité, et perpétuité dans l’acuité, ainsi la fumée des tourments s’élèvera dans les siècles des siècles pour le supplice des réprouvés.

3. Explication

Le principe premier, parce que premier est suprême, et tout ce qu’il possède, il le possède à un degré infini; il est donc infiniment juste. Il agira donc dans la rétribution conformément à son infinie rectitude car il ne peut ni agir contre soi, ni se renier, ni contester sa justice. Conformément à sa droiture, il punira le péché selon la grandeur de la faute et il punira surtout ceux qui ont méprisé la loi de miséricorde et sont tombés par leur impénitence sous le coup de la plus stricte justice.

Or, dans sa rigueur, la justice apprécie non seule ment la faute en sa racine mais encore dans les circonstances aggravantes; c’est pourquoi il est normal que le juste exige des impies jusqu’au dernier centime de leurs dettes: « la laideur du péché ne se tolère pas sans la beauté de la justice. »

La puissance se manifeste dans la création, la sagesse dans le gouvernement, la clémence dans restauration de l’univers, de même la justice se manifeste dans le châtiment du péché. La justice divine punira donc l’impiété du pécheur selon les exigences de la culpabilité. Or l'impénitence finale succède à la faute mortelle, qui constitue un désordre perpétuel, voluptueux et divers; à ce désordre correspondra une pénalité éternelle, douloureuse et multi forme.

4. A un désordre perpétuel correspondra une peine qui durera toujours. Le péché commis perdure dans l’âme s’il n’est jamais regretté; il sépare l’âme de Dieu, c’est-à-dire de la vie éternelle, et il procède de la volonté qui voudrait jouir toujours de son péché. Sans doute ce plaisir transitoire est momentané, mais le désordre lui-même contient une raison de durée perpétuelle. Pour répondre au désordre, la peine doit priver l’homme de sa fin. Puisque l’homme n’a pas mis fin à sa permanente volonté de désordre en se retirant du péché, il est normal que Dieu, en sa volonté éternelle, ne cesse pas de la punir. Il a péché contre l’infini, il obtient une peine infinie. Il ne s’agit pas certes d’une peine infinie en intensité, mais d’une durée sans fin. Après la mort, l’âme adhère toujours au mal et sans repentir possible, et de même, Dieu châtie sans commutation de sentence, car la permanence du désordre dans les damnés le requiert.

5. Le désordre de la jouissance exige une peine afflictive. Tout plaisir est puni par le déplaisir contraire. Dans le péché, l’esprit se tourne vers un bien privé, momentané et partiel, pour en jouir égoïstement, et par là, il méprise le pouvoir et la seigneurie de Dieu. Pour châtier parfaitement ce plaisir vicieux, où la jouissance est liée au mépris, il est normal que le pécheur, homme ou ange, soit précipité dans un lieu inférieur, loin de l’état de gloire, c’est-à-dire au plus profond de l’enfer.

Il est normal aussi qu’il soit soumis à l’action afflictive de la nature inférieure. Ce n’est pas une substance spirituelle qui le fera souffrir, mais bel et bien une substance corporelle et inférieure, la du monde corporel. Il croupira dans la fange brûlera dans le soufre et le feu.

Par nature, l’esprit est préposé au corps, et il lui communique l’influx vital et le mouvement; or, la faute pervertit la dignité de la nature spirituelle et la soumet en quelque sorte à la bassesse et au néant du péché. Il rentre dans l’ordre de justice que le pécheur, homme ou pur esprit, soit lié au feu corporel, non certes pour lui communiquer l’influx vital mais au contraire pour en subir le châtiment décrété par Dieu. La torture du pécheur sera atroce car indissolublement lié au feu, il en éprouvera toute l’horreur d’une répulsion naturelle et sensible, et d’une appréhension que Dieu intimera.

L’action de ce feu est proportionnée aux dispositions du péché, de la dette et de la souillure qui résulte du plaisir désordonné. Or ce désordre n’est pas égal pour tous; les uns brûlent plus, les autres moins, comme brûlent différemment le bois et la paille au contact du même feu

L’action du feu se règle sur le degré de culpabilité d’un pécheur à un autre, mais la culpabilité ne varie pas chez un même sujet, elle n’est plus soumise à la croissance, à la diminution ou au changement. C’est pourquoi, par ordre et disposition divine, le feu brûle toujours sans jamais consumer, il afflige sans détruire, car il n’agit pas de manière à s’étendre, mais de manière à troubler la paix de l’âme en son corps et de l’esprit en lui-même. Il ne s’agit pas d’une nouvelle perte, mais de la continuité dans la perte de la paix. Dès lors, dans la même peine, la rigueur ne supprime pas l’éternité et l’éternité ne supprime pas la rigueur.

6. La diversité du désordre entraîne enfin la diversité de la peine. Tout péché mortel actuel est constitué par une aversion déréglée vis-à-vis de la lumière et la bonté infinies, et par une conversion déréglée vers le bien transitoire, et enfin par un désordre de la volonté contraire aux impératifs de la conscience En raison de ce triple désordre, ceux qui commettent un péché actuel et qui tomberont sous le coup de la réprobation, seront soumis à une triple pénalité: privation de la vision à cause de l’aversion, peine du feu à cause de la conversion, et peine du ver à cause de la révolte de la volonté contre la raison. Frappés d’une peine multiple, les damnés subiront une torture variée, aigu éternelle, et la fumée de leurs tourments s’élèvera dans les siècles des siècles. Amen.

Chapitre 7: La gloire du Paradis

1. Enoncé

La gloire céleste est constituée en elle-même d’une récompense substantielle, consubstantielle et accidentelle.

La récompense substantielle consiste dans la vision, la fruition et la possession de l’unique bien suprême qui est Dieu. Les bienheureux le verront face à face, c’est-à-dire à nu et sans voile.

Ils s’en réjouiront avec ardeur et délectation.

Et enfin ils le posséderont pour toujours.

Ainsi se vérifiera la parole de saint Bernard « Dieu sera plénitude de lumière pour la raison, abondance de paix pour la volonté et continuelle éternité pour la mémoire. »

La récompense consubstantielle consiste dans la gloire corporelle (dite « seconde étoile »). Lime tend plus parfaitement vers « le ciel suprême », lorsqu’elle a reçu la glorification de son corps qui se définit par les quatre dots: clarté, subtilité, agilité, impassibilité. Les degrés dans les dots varieront avec les degrés dans la charité.

La récompense accidentelle ou auréole, consiste dans un certain surcroît de beauté spéciale. L’opinion des docteurs la confère à trois espèces d’oeuvres: le martyre, la prédication et la continence virginale.

Il faut noter que la hiérarchie et la distinction dans les trois aspects de la gloire sera conforme aux exigences des mérites.

2. Explication

Le principe premier, parce que premier, possède l’infini d’unité, de vérité et de bonté et du même coup la puissance, la sagesse, la clémence et la justice suprêmes. Il est normal que Dieu manifeste dans ses oeuvres ses perfections invisibles. Comme principe de l’univers sensible, Dieu le produit, le gouverne, le restaure, le récompense et le consomme; mais il fait éclater sa puissance dans la production, sa sagesse dans le gouvernement, sa clémence dans la restauration et sa justice dans la rétribution consommée.

Pour manifester sa puissance et susciter la louange, la gloire et l’honneur, il a créé toutes choses à partir de rien, il a fait la matière corporelle proche du néant, et la substance spirituelle proche de lui-même et en même temps, il a réuni dans l’unité de l’homme, dans l’unité de sa nature et de sa personne, l’âme raisonnable et la matière corporelle. Pour manifester sa sagesse, il gouverne toutes choses selon l’ordre extrême de ses prévisions. C’est lui-même qui dirige l’homme en sa partie supérieure, à savoir l’esprit en l’illuminant; il dirige aussi la partie inférieure de l’homme, c’est-à-dire le corps, par le libre arbitre de la volonté; ainsi le corps et son domaine sont soumis aux directives de l’esprit, l’esprit est soumis à la direction de Dieu. Pour manifester sa clémence, il a restauré l’homme déchu en assumant la nature de l’homme, en acceptant les condamnations, et enfin en subissant la peine. Ainsi, la souveraine miséricorde rendait le miséricordieux semblable au misérable, non seulement dans la dignité de sa nature créée, mais jusque dans les défauts de sa nature déchue, afin de le relever de son état de misère.

Pour manifester sa justice, il rend à chacun selon les exigences de ses mérites, aux méchants la peine et aux justes la gloire éternelle. Ainsi l’exige la rétribution équitable, la restauration gratuite, le gouvernement ordonné, et la production puissante; car la consommation de tout cela est dans la fin.

3. La glorification des justes doit se conformer aux exigences d’une juste rétribution et d’une production puissante. Or dans sa puissance, Dieu a produit l’esprit raisonnable, proche de Dieu, capable de Dieu, capable de la bienheureuse Trinité elle-même selon le dynamisme inné de l'image. Dans les justes en effet, c’est à la Trinité que l’esprit tout entier de l’homme s’est consacré selon l’intégrité de l’image.

Par conséquent nul autre que Dieu ne peut récompenser, accomplir ou achever la capacité de l’esprit raisonnable. Ainsi la récompense donnée sera la déiformité de la gloire, qui rend l’esprit conforme à Dieu, de telle sorte qu’il le voit clairement par sa raison, qu’il l’aime pleinement par sa volonté et qu’il le retienne pour toujours dans sa mémoire. Alors l’âme toute entière vivra, toute entière elle recevra la dot des trois puissances de l’esprit, elle sera toute configurée à Dieu, elle lui sera toute unie, elle se reposera toute en lui, trouvant en lui comme en tout bien la paix, la lumière et l’éternelle satiété l’âme sera constituée « dans l’état parfait de tous les bien rassemblés » et, vivant d’une vie éternelle, elle sera proclamée bienheureuse et même glorieuse.

4. La récompense doit concorder avec les exigences d’une juste rétribution d’une production puissante mais aussi d’un gouvernement ordonné.

Dans sa production. Dieu a lié le corps à l’âme et il les a unis l’un à l’autre par une tendance mutuelle et naturelle. Il a soumis le corps à la direction de l’âme et il l’a créé dans l’état de mérite. Pour s’exercer à mériter, l’esprit doit condescendre et porter son attention à diriger le corps.

Or, en raison de son désir naturel, l’âme ne sera pleinement bienheureuse qu’à l’instant où son corps lui sera restitué, car elle possède une tendance naturelle et innée à le reprendre.

D’autre part, il est dans l’ordre de gouvernement que le corps restitué à l’esprit lui soit soumis et conforme en tous points, autant du moins qu’un corps puisse se conformer à un esprit.

Si l’esprit est éclairé par la vision de la lumière éternelle, un très grand éclat de lumière doit en rejaillir sur le corps.

Si l’âme est devenue extrêmement spirituelle par l’amour de l’Esprit souverain, le corps doit posséder une subtilité, une spiritualité correspondante.

Puisque la possession de l’éternité rend l’esprit absolument impassible, il est normal que l’impassibilité totale, interne et externe, appartienne au corps.

Puisqu’enfin tout cela donne à l’esprit une extrême promptitude à tendre vers Dieu, la même agilité doit se retrouver dans le corps glorieux.

Ces autres propriétés accordent et soumettent le corps à l’esprit. On dit que le corps est doté de ces quatre propriétés principales, car il devient par là capable de suivre l’esprit et le loger dans la région céleste qui est le domaine des bienheureux. Il est également assimilé aux corps célestes par les quatre propriétés qui graduellement éloignent le corps céleste des quatre éléments.

Ainsi la quadruple dot des corps rend le corps parfait en lui-même, conforme à sa demeure céleste et conforme à l’esprit béatifié. C’est en effet par la médiation de l’esprit que la plénitude de la douceur et l’ivresse de la béatitude peut rejaillir et, autant qu’il est possible, dériver depuis le sommet et la tête qui est Dieu jusqu’à l’extrémité du vêtement, qui est le corps

5. Enfin la récompense doit correspondre à une juste rétribution, une production puissante, un gouvernement ordonné et aussi une restauration glorieuse.

Or, chez les divers membres du Christ, le charismes de la grâce se diversifient selon les dons intérieurs, mais aussi selon les activités extérieures, dans les habitus internes et dans les états de vie externe, selon la perfection de la charité dans l’esprit et selon la beauté et la splendeur de la perfection dans l’activité corporelle.

Il est donc normal que certains membres, en plus de l’étole de l’âme avec ses trois dots et de l’étole du corps avec ses quatre dots, héritent d’une certaine excellence d’honneur et de joie proportionnée à l’excellence de leur perfection et de leur splendeur dans l’activité vertueuse.

Or, le triple genre d’opérations qui l’emportent en perfection, en beauté et en spéciale splendeur correspond au triple dynamisme de l’âme. Au dynamisme de la raison correspond la prédication de la vérité qui achemine les autres au salut; au dynamisme du désir correspond le refus parfait des désirs égoïstes par l’intégrité perpétuelle de la continence virginale; au dynamisme de l’effort correspond le support de la mort pour l’honneur du Christ. Ainsi les prédicateurs, les vierges et les martyrs recevront l’auréole, cette excellence de la récompense accidentelle. Car l’auréole affectera la beauté de l’âme mais aussi celle du corps puisqu’elle n’est pas conférée à la volonté seule mais en raison de l’activité extérieure qui s’approprie le mérite et la récompense de la charité. La récompense de la charité consiste d’ailleurs dans la dot septiforme, triple pour l’âme et quadruple pour le corps; toute la consommation y est contenue, c’est-à-dire l’intégrité et la plénitude de tous les biens qui concernent l’achèvement de la gloire.

6. Pour exposer la qualité et la grandeur de ces biens, je laisserai la parole au bienheureux Anselme. Il dit, en effet, en fin du Proslogion: « Eveille-toi maintenant, mon âme, élève toute ton intelligence, et médite, dans la mesure du possible, la qualité et la grandeur de ce bien. Si tous les biens pris un à un sont délectables, pense attentivement combien doit être délectable ce bien qui contient l’agrément de tous les biens, non pas tel que nous l’éprouvons dans les choses créées, mais aussi différent que le Créateur diffère de la créature. Si la vie créée est bonne, combien plus la vie créatrice. Si le salut opéré est agréable, combien plus le salut qui opère tout salut. Si la sagesse dans la connaissance de l'univers est digne d’amour, combien plus la sagesse qui a créé l’univers à partir du néant. Enfin s’il y a de grandes et nombreuse jouissances dans les objets de plaisir, quelle sera la magnificence de la jouissance en celui qui a créé les objets mêmes de plaisir. »

7. « Celui qui jouira de ce bien » que possédera-t-il et que lui manquera-t-il? Tout ce qu’il voudra, certes, il l’aura, et il n’aura pas ce qu’il ne voudra pas. Car là se trouveront les biens du corps et les biens de l’âme, tels que l’oeil n’en a jamais vu, l'oreille n’en a jamais entendu, et que le coeur de l’homme n’en a jamais conçu. Pourquoi donc, petit homme, t’égares-tu à travers la multiplicité pour chercher les biens de ton âme et de ton corps? Aime un seul bien, en qui sont tous les biens et cela suffit. Désire le bien simple, qui est tout bien et c’est assez. Qu’aimes-tu, ma chair, que désires-tu, mon âme? Il y a là tout ce que vous aimez, tout ce que vous désirez. Si la beauté vous plaît, les justes auront l’éclat du soleil. Est-ce la vélocité, la force, la liberté d’un corps, à quoi rien ne fait obstacle, ils ressembleront aux anges de Dieu, car on sème un corps animal, mais il ressuscite un corps spirituel, par la puissance certes et non par la nature. Est-ce une vie longue et saine, ils trouveront là une saine éternité, une éternelle santé, car les justes vivront à jamais et le salut des justes vient du Seigneur. Est-ce la satiété, ils seront rassasiés quand apparaîtra la gloire de Dieu. Est-ce l’ivresse, l’abondance de la maison de Dieu les enivrera. Est-ce la musique, là-bas les choeurs des anges chantent sans fin la louange de Dieu. Est-ce non pas l’impure, mais la pure volupté, tu les abreuveras, Dieu, au torrent de ta volupté. Aiment-ils la sagesse, la sagesse même de Dieu se montrera à eux. Désirent-ils l’amitié, ils aimeront Dieu plus qu’eux-mêmes, ils aimeront les autres comme eux-mêmes, et Dieu les aimera plus qu’ils ne s’aimeront eux-mêmes, car ils aimeront Dieu et eux-mêmes et les autres par Dieu même, et Dieu les aimera eux et les autres par lui-même. Cherchent-ils la concorde, ils auront tous une seule volonté, car il n’y en aura pas d’autre que la volonté de Dieu. Aspirent-ils à la puissance, leurs volontés seront toutes-puissantes comme celle de Dieu. De même que Dieu, en effet, peut ce qu’il veut par lui-même, par lui, ils pourront ce qu’ils voudront, car ils ne voudront que ce que Dieu voudra et Dieu voudra tout ce qu’ils voudront. Aiment-ils l’honneur et la richesse, Dieu établira ses serviteurs bons et fidèles sur de grands biens; bien plus, on les appellera fils de Dieu et dieux, et ils le seront et là où sera son Fils, ils seront eux-mêmes, héritiers de Dieu et cohéritiers du Christ. S’ils aspirent à la véritable sécurité, ils possèderont la certitude que jamais et en aucune façon ces biens ou plutôt ce bien ne leur manquera, car ils seront sûrs de ne pas le perdre de leur propre gré, ils sont sûrs que Dieu leur ami ne l'enlèvera pas à ses amis malgré eux, et ils sont certains que rien de plus puissant que Dieu ne pourra, contre leur gré, les séparer eux-mêmes et Dieu. »

8. « Quelle intensité de joie résultera-t-il d’un bien d’une telle qualité et d’une telle grandeur? Coeur humain, coeur indigent, coeur habitué aux malheurs, bien plus, submergé dans le malheur, combien tu te réjouirais si tu possédais l’abondance de ces biens? Demande à l’intime de toi-même si tu peux saisir la joie d’une telle béatitude personnelle. Or bien sûr, si un autre, si quelqu’un que tu aimes à l’égal de toi-même possède la même béatitude, ta propre joie sera doublée, car tu te réjouirais autant pour lui que pour toi-même. Si maintenant, deux ou trois ou beaucoup plus possédaient le même bonheur, tu te réjouirais autant pour chacun d’eux que pour toi-même, puisque tu aimerais chacun d’eux comme toi-même. Ainsi dans la parfaite charité de l’innombrable multitude des Anges et des hommes bienheureux, où nul n’aime l’autre moins que soi-même, chacun se réjouira autant pour chacun des autres que pour lui-même. Si le coeur de l’homme peut à peine concevoir sa propre joie d’un si grand bien, comment concevra-t-il des joies si nombreuses et si grandes? Et certes, dans la mesure où l’on aime quelqu’un, on se réjouit de son bonheur; c’est pour quoi, dans cette parfaite félicité chacun, sans comparaison, aimera plus Dieu que lui-même et tous les autres avec lui; ainsi, au-delà de toute mesure, il se réjouira plus du bonheur de Dieu que de son propre bonheur et de celui de tous les autres avec lui. Mais s’ils aiment ainsi Dieu de tout leur coeur, de tout leur esprit, de toute leur âme, et que néanmoins tout le coeur, tout l’esprit, toute l’âme ne suffise pas à égaler la valeur de l'amour, il est sûr qu’ils se réjouiront de tout leur coeur, de tout leur esprit, de toute leur âme, et que pourtant tout le coeur, tout l’esprit, toute l’âme ne suffira pas à épuiser la plénitude de la joie. »

9. « Je n’ai donc pas encore exprimé ou conçu, Seigneur, à quel point tes Bienheureux se réjouiront. Bien sûr, ils se réjouiront autant qu’ils aimeront, ils aimeront autant qu’ils connaîtront. Mais encore à quel degré pourront-ils te connaître et t’aimer? En cette vie, certes, l’oeil n’a pas vu, l’oreille n’a pas entendu, et le coeur humain n’a jamais soupçonné à quel point ils te connaîtront et t’aimeront en l’autre vie. Je t’en supplie, mon Dieu, que je te connaisse, que je t’aime, pour que je me réjouisse en toi; et si ce n’est pas pleinement possible en cette vie que, du moins, je progresse chaque jour, jusqu’à l'instant où viendra cette plénitude; ici-bas que ta connaissance se développe en moi et que là-haut elle s’épanouisse; que ton amour ici-bas s’accroisse et que là-haut il arrive à la plénitude; que ma joie, ici-bas, soit grande en espérance et que là-haut elle soit plénière en réalité. Seigneur, par ton Fils tu nous commandes, ou plutôt à qui tu nous conseilles de demander et tu nous promets de recevoir, de telle sorte que notre joie soit totale. Dieu fidèle, je recevrai comme je te le demande, que ma joie soit parfaite. Je te demande, Seigneur, ce que tu nous conseilles par notre Conseiller admirable: et je recevrai; ce que tu nous promets par ta Vérité, c’est-à-dire que ma joie soit parfaite. En attendant, mon esprit méditera, ma langue parlera, mon coeur aimera ce bonheur, ma bouche l’exprimera, mon âme sera affamée, ma chair assoiffée, toute ma substance éprise de désirs, jusqu’au moment où j’entrerai dans la joie de mon Seigneur, le Dieu trine et un, qui est béni dans les siècles des siècles. »

Amen.

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